La relation client vue par Dan BESSOUDO, Chef 1 étoile du RESTAURANT DAN B. Plus qu’un chef de cuisine, Dan est un chef d’entreprise qui manage son équipe grâce à une coach psychothérapeute et la méthode DISC. Objectif : une deuxième étoile, un épanouissement des équipes, le tout en couleur. Introspection.
Après une formation à l’Institut Paul Bocuse d’Êcully et un apprentissage chez le traiteur Potel et Chabot, Dan B rentre au service des plus grands, de Guy Savoy à Alain Solivérès, de la Suisse à Paris, de Saint Barth à Moscou et quatre années à l’Ôperakallaren à Stockholm – qui ont marqué son sens de l’ouverture, de l’esthétisme et du goût. En 2004, le chef ouvre sa propre maison en Provence dans le village de Ventabren près d’Aix.
Quelle est votre définition de l’expérience client ?
Dan Bessoudo : Je pense que dans un restaurant tel que le mien et comme ceux de mes confrères, c’est la prise en charge client qui est vraiment importante. C’est comme dans un vol en première classe où l’on doit offrir le plus d’attention possible avec une certaine discrétion pour respecter l’intimité du moment de chacun.
Dès lors, mon premier souci est l’embauche d’une personne. C’est de choisir des personnes qui ont du coeur pour vraiment amener une sincérité et une vérité authentique à offrir aux clients.
Ensuite, l’ambiance est très importante – bien sûr, avec toute la partie technique, la partie scénographique et beaucoup d’éléments qui font la prestation. Mais l’âme du restaurant est donnée par le collectif, très souvent en salle, mais aussi par le travail en cuisine qui est là pour assurer la qualité dans l’assiette.
C’est donc, pour moi, de se mettre quasiment à nu sur nos sentiments pour offrir la meilleure prestation possible.
Le service est gentil, accueillant, attentionné. C’est le sens du détail. C’est, par exemple, couper la viande pour un enfant qui est assis à table et ce n’est pas à la maman au papa de le faire. Il y a des attentions qui restent finalement très famille.
Le but est d’avoir de l’excellence dans l’engagement de service. Comment arrivez-vous à mobiliser vos équipes pour que tous les jours, midi et soir, il n’y ait jamais de faux pas ? Parce que l’on sait très bien que plus c’est qualitatif, moins on pardonne !
C’est le plus dur à réaliser et c’est la constance finalement dans la qualité. Donc il existe des outils sur le plan managérial, notamment le coaching d’équipe avec une intervenante externe.
Et on donne du sens. Le mot sens a, pour moi, beaucoup d’importance. Aujourd’hui plus qu’avant puisque le mot « sens » me détache du résultat absolu. C’est-à-dire que demander du résultat génère un stress. Donc cela génère sur le plan émotionnel des choses qui malheureusement ne sont pas là pour simuler l’individu pleinement.
Ma philosophie se base essentiellement sur le sens de mon entreprise, c’est-à-dire la bienveillance, l’épanouissement de l’individu qui travaille dans ce collectif. Soit un mieux-être afin qu’il se connaisse mieux au travers de son travail.
Et le plus gros de ce travail, c’est la formation et surtout faire éclore ce qu’il y a à l’intérieur de chacun pour qu’il se libère de tout, qu’il se délivre et qu’in fine, offre la meilleure prestation.
Finalement, le sens de mon entreprise, de mon étoile aujourd’hui, c’est plutôt d’être faiseur de talent et de le présenter à la clientèle.
C’est quelque chose qui est un peu moins égocentrée autour du chef de cuisine mais plutôt tournée vers cette notion du collectif pour faire ressortir à tout prix cette bienveillance.
On a peu de clients difficiles mais cela nous arrive deux à trois fois dans l’année. Donc ma stratégie à ce moment-là, en fonction du problème, j’envoie la bonne personne à cette table, celle qui sera en capacité de le gérer. Je vais m’adapter à ce que je ressens de la personne qui se plaint.
Comme le dit, Coline FAULQUIER, autre Chef étoilée, il faut travailler dans l’humilité…
Absolument. L’humilité, c’est la remise en question permanente et nous restons aussi en cuisine, des chercheurs.
Petite anecdote, dans le top 5 de mes rencontres dans mon lieu, j’ai eu la chance d’avoir la semaine dernière, Aimé Jacquet, l’entraîneur de l’équipe de France qui a gagné la Coupe du monde en 1998. On a eu la chance de converser et à la fin du repas, il m’a demandé si j’étais dans la recherche. Je lui ai dit : bien sûr, constamment, je ne peux pas me contenter de ce qui a été mis en place depuis un bon nombre d’années. Viser l’excellence, c’est aussi se remettre en question et aller de l’avant. Alors il m’a dit : vous savez, quand j’étais jeune, j’avais un entraîneur de football qui me disait constamment, mets tes entraînements au panier et continuent à chercher. Et j’ai trouvé cela assez magnifique parce que c’est essentiellement la vision que j’ai de l’humilité.
Une humilité que nous devons avoir aussi en tant que chef d’entreprise. Car je reste chef d’entreprise. Je ne suis pas que chef de cuisine. C’est une petite PME de 14 employés – pas non plus un format qui ressemble à d’autres maisons qui peuvent en avoir 40 – mais ça reste aussi compliqué à gérer.
Cette humilité, c’est de considérer en permanence la fragilité de son entreprise, de ne jamais la considérer trop forte parce que des impondérables arrivent – comme les problèmes d’embauche par exemple. Et parfois, il y a un équilibre qui se perd.
Il y a un sens de l’adaptation qui doit être cultivé en permanence pour que l’adaptation nous rende encore plus créatif. C’est pour cela que la notion de collectif est très importante parce que seul, nous ne pourrions rien faire. Donc, cette équipe est cruciale.
Pour le management, vous avez choisi de travailler avec un coach extérieur.
Oui, ce sont des travaux que l’on a commencé il y a plus de quatre ans. J’ai créé ce nouveau lieu en 2016 et je suis seul investisseur. Je n’ai pas ma compagne qui est en salle comme dans d’autres maisons étoilées. J’ai senti que ce que j’avais bâti prenait une dimension que je n’avais pas réalisé. Je me suis dit : bon sang, c’est assez gros. Mon effectif avait doublé. Je voyais mon personnel en salle avec des uniformes que j’avais pourtant choisi et je me retrouve dans un autre restaurant… Et là, me vient un vertige.
Je décide donc de bien partir dans une quête de mon leadership et je choisis une coach, une psychothérapeute qui avait déjà l’expérience de l’entreprise. Et là, on entre dans le développement personnel mais aussi, on va venir nettoyer certaines choses qui génèrent des comportements liés aux émotions, de la colère liée au stress ou d’autres choses.
J’ai le sentiment que ce travail sur moi m’a rendu plus performant. Du coup, j’ai trouvé ça tellement intéressant que j’ai eu envie de le faire vivre à mon équipe.
C’est assez extraordinaire et c’est devenu très émotionnel.
Quels sont les fondamentaux de ce coaching ?
C’est créer le lien dans son collectif. On pose la confiance entre l’employeur et l’employé. Aujourd’hui, je ne me sens ni employeur et la personne embauchée ne se sent même plus employée puisque nous avons une notion d’unité.
J’ai un peu laissé tomber ce management très vertical, très hiérarchisé, qui touche notamment la gastronomie – ce que l’on appelle la Brigade avec tous les rangs de parties ; commis, demi-chef de partie, chef de partie, sous-chef, premier sous-chef, chef.
Bref, c’est un univers assez rigide. Pourtant, j’ai appris mon métier dans des très grandes maisons et je leur serai toujours reconnaissant mais nous étions dans un autre paradigme qui est plutôt vu aujourd’hui comme maltraitant.
Avant, on accueillait cette maltraitance parce que l’on avait le sentiment qu’il fallait souffrir pour être beau. Aujourd’hui, avec le changement dans nos sociétés et particulièrement avec les prises de conscience post-covid, je dirais que le langage doit changer. Et comme j’avais déjà mis en place ce travail avant même que le covid n’arrive, eh bien, je me suis finalement retrouvé très en phase avec cette période.
Cela m’a permis de mettre un certain recul face à des émotions qui peuvent être liées à un stress ou à un individu qui est devenu versatile ou qui a changé de comportement sous le toit de l’entreprise et qu’il faut gérer.
Avant, peut-être que j’aurais vécu des peurs, des colères, alors qu’aujourd’hui, grâce à ce coaching, cela me permet tout simplement de mieux appréhender les choses, d’anticiper, voire même, d’être encore plus clairvoyant.
Concrètement, en quelques mots, qu’est-ce que vous faites durant cette séance ?
Alors, afin de mieux connaître les personnes que nous embauchons, nous faisons passer un petit test sur Assessments 24×7 qui donne un profil DISC (Dominance, Influence, Stabilité et Conformité).
À travers les réponses que vous donnez, on arrive à faire une lecture de la personne que vous êtes au sein de l’entreprise, avec les comportements que vous pouvez avoir, sachant que les forces motrices sont là pour générer ces comportements liés à notre histoire, liés à notre éducation, à notre vécu, à nos forces, à nos faiblesses, à notre côté lumineux ou obscur.
C’est un travail qui est issu des neurosciences – il n’y a rien de farfelu – et lorsque j’ai fait la formation de 3 jours chez Assessment 24×7 avec une vingtaine de personnes, j’étais le seul cuisinier autour de directeurs RH. Donc, i’ai compris qu’il y avait un truc.
De plus, c’est aussi assez ludique comme expérience pour l’employé car on caractérise son caractère – grâce à la lecture de ses comportements qu’il peut avoir – avec des couleurs.
Vous avez le conformiste caractérisé par du bleu gendarme. C’est quelqu’un de très rigoureux, qui a besoin de rigidité, qui a un côté très militarisé. Il y a le jaune qui est l’influent, celui qui aime être aimé, donc le commercial, le vendeur, l’acteur de vente en salle.
Vous avez le rouge qui est le dominant, qui a besoin de résultats, « poussez-vous, c’est moi, je veux montrer qui je suis ». Ou le vert qui, lui, est le stable, qui peut vivre des stress et certaines peurs en lui, donc constant dans son travail parce qu’il a peur d’être en déséquilibre.
J’abrège beaucoup car un profil DISC, c’est quasiment 30 pages à lire.
Le travail de ces couleurs, c’est de leur faire prendre conscience que l’on va travailler avec eux, pour eux, sur leur agilité au sein de l’entreprise. C’est-à-dire que si je suis trop bleu, je vais devoir peut-être descendre mon bleu quand je suis face à un jaune. Si je suis trop rouge, je vais peut-être le descendre face à un vert. Donc la communication s’installe et la compréhension de soi se fait grâce à ces couleurs et je trouve ça vraiment très intéressant.
Ensuite, une fois que j’ai fait passer ces profils, nous avons des séquences de 4 heures, une fois par mois. Donc, je ferme le restaurant et l’intervenant se déplace et organise des séquences. Par exemple, la semaine dernière, le thème était « le sens dans sa vie pour l’entreprise ». Il y a beaucoup de discussions, parfois des exercices aussi.
Par exemple, des combats gentils avec des gants de boxe.
Avec ce combat de boxe, on s’est rendu compte que le sommelier a tout donné au début du combat et finalement, sur la fin, il a perdu un petit peu de son endurance. Et finalement, ce sommelier, en plein service – et on le constatait à chaque fois – il donnait tout au début du service et sur la fin, il lâchait un peu prise.
Donc si vous voulez, c’est une façon de faire comprendre.
Si je dis à mon sommelier de façon colérique : tu ne fais pas bien ton boulot sur la fin de service, j’en ai marre de toi, tu es nul, je ne vais pas le mettre dans sa performance.
Par contre, si je lui explique d’une autre façon grâce à ce coaching ; il accueille, il reçoit, donc induction, je réfléchis et je deviens plus fort. Aujourd’hui, ce sommelier, après 4 ans, est toujours dans la maison. Il tient la cave, il est très organisé, il a remonté son bleu aussi car il avait peu de bleu. Donc, il y a de vrais résultats…
Et finalement, plus vous évoluez dans le temps et plus vous formez l’équipe qu’il vous faut…
Interview réalisé par Alexandre Carré, Directeur de la rédaction Agora News Expérience Client