EXPÉRIENCE CLIENT - RECOUVREMENT

L’expérience donateur de la Croix-Rouge française

La Croix-Rouge française,* figure emblématique du don et de la solidarité, est confrontée à de nouveaux défis. Dans un contexte où les attentes des donateurs évoluent rapidement, l’association doit repenser sa relation avec ses soutiens. Personnalisation, transparence, fidélisation… Quels sont les leviers pour renforcer l’engagement des donateurs ?

Lors de ce rendez-vous de l’Agora des Directeurs de l’Expérience Client, Alexandre Carré et Coralie Beaupied, Directrice Expérience Client de la Croix Rouge française, explorent comment les associations caritatives peuvent se réinventer face aux crises économiques et sociales et face aux nouvelles attentes posées par une relation donateur de plus en plus exigeante.

Comment les associations peuvent-elles mieux connaître leurs donateurs et adapter leurs messages pour renforcer l’engagement de chacun ? Quelles stratégies peuvent-elles adopter pour prouver concrètement leur impact et inspirer la confiance ? Comment développer des relations de long terme et fidéliser les donateurs face à la volatilité des engagements ? Comment éviter la fragmentation de l’expérience donateur et intégrer la voix du donateur dans la stratégie ?

Alexandre Carré : Quels types de dons peuvent être réalisés à la Croix-Rouge ?

Coralie Beaupied : Nous avons d’abord les collectes menées par nos volontaires sur le terrain. Une fois par an, ils ont l’autorisation de réaliser des collectes de rue au profit de leur antenne locale. Chaque don, même une pièce de 2 €, soutient directement les activités de l’antenne Croix-Rouge locale.

Le siège collecte également des dons au niveau national, principalement auprès de donateurs réguliers et ponctuels. Beaucoup de donateurs ne pensent pas spontanément à donner, même si leur générosité est réelle. C’est pourquoi nous mettons en œuvre des actions marketing traditionnelles – courrier, e-mail, téléphone – pour les solliciter. Certains se plaignent de la fréquence des sollicitations, mais c’est ainsi que nous fidélisons nos donateurs. Sans demande active, la collecte serait insuffisante.

Alexandre Carré : La publicité joue-t-elle un rôle dans vos collectes ?

Coralie Beaupied : Oui, tout à fait. En tant que plus grand mouvement humanitaire mondial, la Croix-Rouge bénéficie d’une forte notoriété et d’une réputation de confiance. Mais parfois, l’envergure de nos interventions d’urgence et sociales laisse le donateur incertain de la destination de son don. Notre enjeu est de garantir une traçabilité et une communication transparente sur l’usage des dons.

Nos donateurs sont surtout des « petits donateurs » qui contribuent à hauteur de 10 ou 15 €, ce qui reflète bien la diversité des donateurs en France. Nous comptons aussi des donateurs plus âgés, qui préfèrent le chèque, et des plus jeunes qui donnent via internet. Si le digital progresse chaque année, les dons par papier restent majoritaires.

Alexandre Carré : Attirez-vous aussi des grands donateurs ?

Coralie Beaupied : Nous en avons quelques-uns, mais la majorité de nos donateurs sont des personnes ayant un lien personnel avec la Croix-Rouge : ils ont reçu notre aide ou ont vu un proche en bénéficier, ou ils connaissent un bénévole. Parfois, des gens nous disent qu’ils nous font un don parce qu’ils ont été aidés dans leur jeunesse. Pour nous, il est essentiel de valoriser ces dons et de montrer comment ils permettent aujourd’hui d’aider d’autres personnes.

Alexandre Carré : Est-il vrai que certains donateurs isolés voient vos appels comme un lien social important ?

Coralie Beaupied : Oui, absolument. Nous avons mis en place des « appels de fidélisation » pour remercier nos donateurs sans leur demander un nouvel engagement. Pour beaucoup de personnes isolées, cet appel est parfois leur seule conversation de la semaine. Notre mission humanitaire crée un lien fort qui amène ces donateurs à partager des moments de leur vie avec nous. Nous avons formé nos conseillers pour répondre à ce besoin d’écoute.

Alexandre Carré : Comment évaluez-vous la satisfaction des donateurs, sachant que vous ne vendez pas de produits ?

Coralie Beaupied : En effet, nous ne pouvons pas offrir des promotions ou des rabais comme dans le commerce. La satisfaction seule ne garantit pas la fidélité, contrairement au secteur marchand. : un donateur peut être très satisfait de nos actions et choisir de donner ailleurs, touché par une autre cause. Plutôt que de viser uniquement la satisfaction, nous cherchons à mobiliser et créer une communauté engagée autour de la Croix-Rouge. Si un donateur choisit d’arrêter ses dons, nous lui proposons de devenir bénévole ou de se former aux gestes de premiers secours. C’est aussi une manière de conserver le lien. S’il s’engage bénévolement avec nous, c’est génial et c’est tout l’intérêt de l’expérience client. 

Alexandre Carré : Quels moyens utilisez-vous pour entretenir la relation avec vos donateurs ?

Coralie Beaupied : Comme nous n’avons pas de points de contact avec les donateurs, nous exploitons chaque interaction pour faire preuve de reconnaissance envers le donateur. Lorsque quelqu’un nous appelle, même pour une demande administrative, nous prenons le temps de le remercier et de valoriser son don, qu’il soit de 10 € ou plus. On ne regarde pas d’ailleurs la durée moyenne de conversation. Nous profitons vraiment de ce moment pour le remercier, le considérer et qu’il se sente important, qu’il ne se dise pas qu’il n’a donné que 10 € et que ça ne sert à rien. Nous privilégions la qualité de ces moments d’échange pour créer un lien solide.

Alexandre Carré : Avez-vous des outils pour écouter et mieux comprendre vos donateurs ?

Coralie Beaupied : Oui, nous disposons de CRM pour gérer les relations donateurs, et nous analysons les appels avec des outils d’écoute et l’IA afin de détecter des signaux faibles. L’idée est d’identifier et apaiser un donateur insatisfait avant qu’il envisage d’arrêter son soutien.

Alexandre Carré : Comment abordez-vous la générosité en France et les tendances de dons par rapport aux autres pays ?

Coralie Beaupied : En France, le don reste un sujet discret, contrairement aux pays anglo-saxons où il est plus ouvertement valorisé avec ce qu’ils appellent le Give Back : j’ai réussi dans la vie donc je donne. Ici, le don relève souvent d’une tradition de bienveillance, liée aux fêtes de Noël. 

Certaines personnes nous expriment également une forme de culpabilité liée à leur réussite ou à des erreurs passées, qu’elles tentent d’alléger en faisant un don. Nous appelons cela « la part d’ombre du donateur ».

Globalement, on donne parce qu’on se sent mieux. Et les donateurs peuvent bénéficier d’une réduction d’impôts à hauteur de 75 %. 

Enfin, pour beaucoup, faire un don est aussi une alternative lorsqu’ils n’ont pas de temps pour le bénévolat. Chaque euro compte : 1 €, c’est un repas. Donc il n’y a pas besoin de faire un gros don pour se sentir bien. On dit que de donner, ça rend heureux.

Alexandre Carré : La concurrence entre les acteurs de la collecte de fonds est-elle forte ?

Coralie Beaupied : Oui, il existe une certaine concurrence, mais elle est avant tout positive : plus il y a de dons, plus l’impact est fort pour tous. Chaque crise, comme le conflit en Ukraine, mobilise une générosité impressionnante. Les Français répondent spontanément, ce qui prouve que, malgré les discours sur l’individualisme, la solidarité reste une valeur forte.

Alexandre Carré : Les besoins en aide alimentaire ont bondi en flèche, notamment chez les étudiants.

Coralie Beaupied : Depuis la pandémie, nous constatons une augmentation de 22 % des demandes d’aide alimentaire, particulièrement pour les étudiants et les familles en difficulté. C’est très difficile parce qu’il y a plusieurs chose qui se joue ; il y a l’inflation; il y a eu la crise sanitaire, il y a la crise sociale. Des personnes qui ont des petits salaires ne s’en sortent plus et sont obligés de venir demander des colis alimentaires à diverses associations.

Des centres ont même été mis en place spécifiquement pour les étudiants avec des horaires adaptés afin qu’ils puissent recevoir cette aide sans manquer leurs cours.

Quel montant avez-vous récolté l’année dernière ?

Nous avons collecté plus de 100 millions d’euros ; nos comptes sont publics. Ces dernières années, la collecte a été excellente, la Croix-Rouge ayant su répondre présente sur tous les fronts. Par exemple, au début du conflit en Ukraine, nous avons reçu plus de 1 000 appels en une seule journée. Les gens voulaient aider, faire des dons, voire se rendre sur place pour soutenir la Croix-Rouge. Cela génère un immense élan de générosité qu’il faut aussi savoir gérer : des appels incessants, un site saturé, des chèques qui affluent, un véritable défi organisationnel.

Il est touchant de constater l’engagement des gens pour aider autrui. On entend souvent dire que notre société est de plus en plus individualiste, mais ces élans de générosité, parfois discrets, viennent prouver le contraire. D’ailleurs, en donnant à la Croix-Rouge ou aux grandes associations françaises, on a la certitude que chaque euro est bien utilisé.

Cette crise économique touche-t-elle également les donateurs ?

Oui, de nombreux donateurs nous expriment leur sentiment d’être sollicités de plus en plus fréquemment. Bien que nous ayons moins de nouveaux donateurs, ceux qui continuent avec nous font souvent preuve d’une générosité accrue. La Croix-Rouge a un lien particulier avec les Français : nos bénévoles sont prêts à venir en aide lors d’inondations ou de tremblements de terre, en offrant des couvertures de survie, des repas chauds ou un abri temporaire. Beaucoup se disent qu’aider la Croix-Rouge aujourd’hui, c’est peut-être s’assurer un soutien demain en cas de besoin.

Nous avons la chance de compter sur la mobilisation de 70 000 bénévoles dévoués en France, qui donnent de leur temps en plus de leurs vies professionnelles et familiales. C’est un engagement remarquable et inspirant.

Alors, même si l’on ne peut pas faire de don ou de bénévolat, un sourire adressé à nos volontaires lors de leurs collectes est déjà un précieux geste de soutien.

Propos recueillis par Alexandre Carré, Directeur de la rédaction ANEWS Expérience Client

* La Croix-Rouge française (CRF) est une association d’aide humanitaire française qui a pour objectif de venir en aide aux personnes en difficulté en France et à l’étranger. Ses missions fondamentales sont l’urgence, le secourisme, l’action sociale, la formation, la santé et l’action internationale.
La Croix-Rouge française est par ailleurs présente dans 27 pays pour y développer des programmes spécifiques afin d’améliorer notamment l’accès à l’eau, la précarité alimentaire et la santé des personnes vulnérables.

La Croix-Rouge française, en chiffres :

1 campus national
12 régions
108 délégations territoriales
1 061 unités, antennes et équipes locales > 630 établissements et services sanitaires,
sociaux, médico-sociaux et de formation

Nombre de bénévoles : 75 854
Nombre de salariés : 17 226
Total des ressources : 1 726,9 M€
hors valorisation du bénévolat

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