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Clés de compréhension des crises en France et à l’international pour une meilleure intelligence économique

« Grand Témoin » d’Agora Managers Groupe, Christian Harbulot, expert en intelligence économique et directeur de l’École de guerre économique, aborde avec une grande acuité la complexité des enjeux stratégiques et économiques auxquels la France doit faire face dans le contexte géopolitique actuel. Son analyse met en lumière une série de défis cruciaux qui, selon lui, nécessitent une réponse coordonnée et stratégique tant au niveau des institutions que des entreprises françaises.

Il appelle à une prise de conscience rapide et à une action concertée entre l’État et les entreprises et insiste sur l’importance d’adapter les formations, notamment en management de l’information, de développer des stratégies économiques robustes et de renforcer les politiques de sécurité nationale pour assurer un avenir plus résilient à la France.

Une multiplicité de défis économiques

Christian Harbulot souligne que la France est confrontée à des défis économiques sans précédent, particulièrement en lien avec la Chine. La dépendance aux technologies chinoises, notamment dans le secteur agricole, révèle des vulnérabilités critiques qui pourraient être exploitées en cas de tensions géopolitiques. Cette dépendance met en lumière la nécessité urgente de diversifier les sources d’approvisionnement et de développer des stratégies alternatives pour assurer la résilience de l’économie française.

Vers une diversification nécessaire

Pour Harbulot, il est impératif de mettre en place des plans B et C afin de réduire cette dépendance. Il insiste sur l’importance de la diversification pour garantir la résilience économique, surtout dans un contexte où les relations entre la Chine et les États-Unis pourraient se détériorer, impactant indirectement l’économie française.

Crise institutionnelle et administrative

Harbulot critique également l’absence de stratégie claire et la réactivité limitée des institutions françaises. Il cite Sciences Po Paris comme exemple d’une déconnexion entre la formation des élites et les réalités économiques et stratégiques contemporaines. Cette lacune institutionnelle contribue à une préparation insuffisante face aux défis actuels.

L’importance de l’intelligence économique

L’expert met en avant le rôle crucial de l’intelligence économique privée en France, soulignant le succès d’opérateurs comme l’ADIT. Ces acteurs jouent un rôle essentiel dans la prévention et la gestion des risques économiques, offrant des solutions adaptatives face aux menaces croissantes.

Formation et adaptation des entreprises

Selon Harbulot, il est essentiel que les entreprises françaises forment leurs cadres au management de l’information et à la cybersécurité. L’adaptabilité et l’anticipation sont des compétences clés pour faire face aux nouvelles menaces économiques et technologiques.

Entre Vigilance Proactive et Adaptabilité

Christian Harbulot met en lumière les défis contemporains de la compliance et critique la vision étroite du « copier-coller » d’un modèle anglo-saxon, soulignant l’importance d’une vigilance proactive, notamment face aux enjeux de santé publique. Le secteur du luxe, bien que réactif, doit anticiper des ruptures commerciales majeures, notamment avec la Chine. 

Il appelle à protéger les acquis français de l’industrie alimentaire et celle du vin. Dans le secteur de la défense, il insiste sur le besoin de développer une industrie low-cost face à des menaces comme les drones, en soulignant le décalage entre les grands groupes d’armement français et les nouvelles réalités des guerres dites asymétriques.

Double dépendance et influence étrangère

Harbulot aborde la dépendance croissante de la France non seulement vis-à-vis des États-Unis, mais aussi de la Chine, tout en notant l’émergence de nouveaux acteurs comme les BRICS+ (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud, Égypte, Émirats arabes unis, Éthiopie et Iran). Il souligne la nécessité de reconnaître et de contrer les stratégies d’influence économique et politique de ces puissances.

Réactivité et résilience nationale

Enfin, Harbulot cite des pays du Nord de l’Europe, notamment la Finlande, comme des modèles de réactivité et de mobilisation nationale. Il suggère que la France pourrait s’inspirer des pays nordiques pour améliorer sa propre résilience face aux crises.

Auteur d’une quinzaine d’ouvrages, dont « Le Manuel d’intelligence économique », il publie en mars dernier, Guerre économique au XXIe siècle, dans lequel il dévoile les dessous des affrontements économiques où entreprises, États et ONG mènent des stratégies d’influence, de guerre de l’information et de renseignement.

L’INTERVIEW :

Alexandre Carré : Vous travaillez au premier grand colloque international sur la guerre économique le 26 octobre prochain au Sénat, qui est notre thème du jour.

Avec vous, on va décrypter la situation actuelle, les risques, les opportunités aussi pour nos entreprises et voir si on peut prédire le futur économique ou tout du moins l’anticiper dans la situation géopolitique et économique actuelle : Russie, Chine, USA, et du côté de chez nous, la Nouvelle-Calédonie, la hausse de la violence du narcotrafic ou la déficience chronique pour contrer l’entrisme des Frères musulmans et des salafistes dans la société française.

En fait, nous sommes confrontés à une quantité importante de problèmes et d’inquiétudes. Est-ce que l’on pourrait justement les détailler ensemble avec leurs conséquences ?

Christian Harbulot : Je crois que c’est la première fois depuis très longtemps, peut-être même la première fois tout court, qu’un pays comme le nôtre est confronté à autant de champs de rapports de force et avec des niveaux d’ordres de grandeur qui n’ont strictement rien à voir. 

Si on prend simplement le cas de la Chine, c’est aujourd’hui le problème numéro un au niveau des enjeux économiques. Parce qu’en fait, on voit apparaître une dépendance. Par exemple ; en l’agriculture, si on coupe les approvisionnements de la technologie chinoise, l’agriculture française peut être presque paralysée dès que ses stocks de pièces détachées sont écoulés. 

On pourrait aligner d’autres points parce qu’il n’y a pas que l’agriculture. Ça soulève une question fondamentale : Comment on fait ? Et là, on revient sur le terrain des entreprises. Il va falloir trouver des plans B, des plans C pour faire fonctionner le pays à cause de la très grande dépendance chinoise.

On a délocalisé, on en a tiré un certain nombre d’avantages, mais aujourd’hui, on fait le bilan et on découvre subitement que si ça se gâte du côté de Taïwan, si ça se gâte dans les rapports Etats-Unis Chine, si Trump est réélu même si Biden a suivi d’une certaine manière la politique de Trump, qu’est-ce qui se passe ?.

Il y a un vrai problème. Regardez ce qu’ont fait les Russes. Et il y a un dialogue malheureusement entre les Russes et les Chinois. Et là, on est vraiment devant une situation compliquée. 

Et moi, je le vois en ce moment dans le groupe qui travaille sur tout le problème de la logistique. Et quand on ouvre cette porte, c’est pareil. On se demande si notre pays a une stratégie réelle. Et ça, c’est un énorme problème. 

On nous parle d’économie de guerre, par exemple et de guerre logistique, bien sûr. Mais quelle est la place de la logistique dans l’économie de guerre française ? On voit que c’est compliqué. Donc tous les éléments que vous venez de citer, c’est une rafale de problèmes avec chacun une grille de lecture appropriée.

Et que pouvez-vous nous dire du côté de chez nous, avec dans l’actu, la Nouvelle-Calédonie, mais aussi la violence, le narcotrafic avec une réelle mafia, l’entrisme des Frères musulmans et les Salafistes ?

On va partir d’un symbole. Il y a une crise majeure d’une très grande école française qui s’appelle Sciences Po Paris. J’en été en 75. On peut dire que je tenais à ça. Mais Sciences Po Paris ne correspond plus aux réponses nécessaires qu’on attend par rapport à tous les problèmes cités. Donc, il y a déjà une crise de la matrice pédagogique.

Donc il va falloir très très vite se réveiller par rapport à ça, parce qu’on ne peut pas continuer à être absent pour définir de nouvelles formes de grilles de lecture dont on a absolument besoin. 

Sur la Russie, avec les vieilles grilles de lecture, on ne sait pas expliquer pourquoi les Russes sont mille fois plus efficaces que nous pour créer une économie de guerre dans un temps très restreint par rapport aux États-Unis. Et je ne parle même pas de la France.

Et là, on peut se dire : qu’est-ce qui ne va pas ? 

Il faut que l’on revienne sur des leçons du passé mais que l’on n’a pas tiré. Regardez le temps qu’il a fallu aux États-Unis pour entrer  dans la Première Guerre mondiale. Regardez le temps qu’il leur a fallu pour entrer dans la Seconde.

Alors évidemment, après, ils ont mis en route un certain nombre de choses et ça a pris du temps. Et aujourd’hui, en 2024, quand on voit apparaître des logiques de conflits comme Ukraine – et je ne suis pas sûr que l’Ukraine est en train de gagner, loin de là – eh bien, on voit une fois de plus les problèmes d’approvisionnement d’armements, de quantités de munitions.

Ce sont des choses que les entreprises connaissent très très bien. Mais il se trouve qu’au niveau des puissances, au niveau occidental justement, il y a un véritable déficit et on ne sait pas comment le combler.

Vous parliez de Science Po qui fournit un certain nombre de nos hommes politiques. Vous pensez qu’il y a un décrochage de cette caste politique dans son mode d’appréciation des rapports de force sur le plan aussi bien extérieur qu’intérieur ?

Christian Harbulot : Sur la Nouvelle-Calédonie, on sait très bien que le problème actuel de sécurité, c’est l’absence d’anticipation. C’est-à-dire que quand on bouscule subitement une logique électorale, que l’on va modifier, on n’envoie pas des forces de sécurité après. On les envoie avant parce qu’il y avait les services de sécurité et de renseignement alertés depuis longtemps sur la combinaison d’un phénomène du type crise des banlieues il n’y a pas longtemps.

Donc des jeunes qui ne sont pas politisés forcément, mais qui sont prêts à en découdre ou à casser. Et puis, des mouvements plus petits mais très actifs, et c’est la jonction des deux qui aboutit. 

On en est à 1 milliard d’euros de recensement sur une île où il y a moins de 300 000 personnes. C’est un énorme problème quand on voit le rôle de la Nouvelle-Calédonie dans la zone pacifique

J’ai quand même entendu parler d’un président de la République qui s’appelle Macron, qui avait un plan dans cette direction-là. Et là, on est de nouveau sur des problèmes. 

Que se passe-t-il ? Comment on gère tout ça ? Et oui, il y a un énorme décrochage du politique, mais aussi de la haute administration. Il ne faut pas masquer la réalité. Il n’y a pas que le politique qui est coupable dans l’histoire. Moi, j’ai eu des retours il y a deux ans de ce qui se passait sur place, à savoir que quand Macron dit quelque chose, est-ce que ça suit ? Eh bien, ça ne suit pas. Et quand il va aller en voyage, tout le monde se réveille pour faire semblant.

Quelles réponses donner et avec qui ? Le monde de l’entreprise, dites-vous, peut comprendre la nécessité de formaliser rapidement des réponses à l’encontre de l’Etat qui, comme vous venez de le dire, met beaucoup de temps à réagir. Et que nous sommes peut-être trop en attente de ce que peut nous offrir l’Etat alors qu’il faudrait compter sur soi même.

Christian Harbulot : Oui, j’aime bien être dans le vécu et le réel immédiat. Ce matin, j’étais avec le Syndicat national des notaires qui prépare un congrès en 2025. Alors pourquoi les notaires viennent voir l’Ecole de guerre économique ? Tout simplement parce que les notaires ont compris qu’il y a un enjeu majeur autour de la data. Que quelques-uns parmi eux ont compris que derrière cet enjeu, il y a des enjeux marchands.

Et il se trouve que la base non. Et il va falloir quand même mettre en lien ceux qui comprennent et ceux qui ne voient pas le problème. Parce que les enjeux marchands autour de la data, on va les retrouver dans l’assurance et on revoit toujours les mêmes manœuvres, c’est-à-dire qu’il y en a – qui ne sont pas en France – qui ont compris qu’il y avait un deuxième monde, le monde immatériel, et que c’est un monde à conquérir. 

Il y a des parts de marché monumentales à prendre. Mais pour cela, encore faut-il avoir envie de le faire, et de se donner les moyens. Et là, un notaire doit sécuriser des fonds informationnels qu’il détient, alors que son propre système dépend d’un opérateur privé qui, lui, a un datacenter aux États-Unis. Eh bien, il y a plus rien de sécurisé. 

C’est-à-dire que l’on est dans une comédie humaine qui devient hélas assez risible, mais avec derrière, des logiques de résultats qui nous interpellent énormément. La Licorne qui est directement concernée par les notaires, vient d’être rachetée par des fonds anglo-saxons.

Donc où va-t-on ? C’est vraiment la question !

Une des possibilités de réponses pour ces entreprises, dites-vous, est de passer des contrats de conseil par exemple avec des structures spécialisées pour réagir, pour anticiper.

Christian Harbulot : Le vrai succès de l’intelligence économique depuis que l’on a inventé le concept, c’est la création d’un marché privé de l’information. On a en France maintenant des gros opérateurs – je pense à l’ADIT de taille internationale qui a des capacités vraiment de conseil. On a fait un documentaire justement sur notre site, CR451 (Centre de Recherche Appliquée de l’Ecole de Guerre Economique). Et là, on voit un consultant de l’ADIT qui revendique une victoire sur l’affaire Wirecard car ils ont conseillé une grande banque pour qu’elle ne soit pas emportée par un scandale majeur lié à une startup. Et je pense que c’est très important de souligner que l’intelligence économique en France, c’est d’abord et avant tout un marché privé de l’information.

C’est la vraie victoire et l’innovation est là. Elle est dans le conseil. Il y a donc tout un tas de services qui sont aujourd’hui destinés aux entreprises. Et ce marché privé commence à faire bonne figure, à vraiment représenter quelque chose. Il y a 30 ans, il n’existait pas. Je cite l’ADIT mais je pourrais citer d’autres cabinets qui font aussi d’excellents résultats.

C’est une des possibilités. Et y en a-t-il d’autres ?

Christian Harbulot : Je pense que l’autre enjeu majeur, et ça, c’est aux entreprises de le saisir, c’est la formation de leurs cadres. Moi, je vois arriver et c’est une très bonne nouvelle, beaucoup de contrats d’alternance sur la cyber. Donc il y a des grands groupes Thalès ou Safran qui passent à l’acte, qui recrutent des alternants et après qui les recrutent tout court.

Ça c’est un très très bon message. Mais là où cela pèche un peu, ce sont des cadres qui ont 10, 15, 20 ans d’expérience qui manquent de management de l’information et qui devraient être formés. C’est devenu un vrai défi. 

Alors évidemment, je suis juge et partie parce que j’en forme. Oui, mais je suis un niche. Je forme 400 étudiants par an, 200 étudiants en executive, donc je ne suis rien par rapport au marché. Et ce marché-là, il faut le bâtir. 

Il y a tout un tas de cheminements qui convergent vers ça, avec notamment l’Agora des Directeurs Sécurité et l’Agora des directeurs juridiques et de la compliance. Mais il faut vraiment passer à l’acte parce qu’on en a besoin.

La problématique du management d’information devient centrale. Et pour ça, ce n’est pas de l’empirisme, ce n’est pas au doigt mouillé du type « je découvre ça en plus de ce que j’ai à faire ». Non, c’est devenu un vrai job.

Est-ce que l’on peut anticiper ou détecter le jeu d’influences des puissances étrangères et si oui, comment ?

Christian Harbulot : Alors oui, on peut le détecter parce que parfois, il est assez grossier. La vraie menace de la Chine, c’est qu’elle a roulé le monde occidental dans la farine en disant : « Venez, il y a des marchés à conquérir chez nous ». Il y a d’abord eu les joint-ventures, les zones économiques spéciales. Nous sommes venus, on a énormément donné, on a énormément transféré de technologies et aujourd’hui, on découvre ce que cela nous coûte. Alors que finalement, quand on parle de la Chine, on dit : « Attention, espions chinois ». Mais les espions chinois, bien sûr, il y en a et sous différentes casquettes. Ça commence par les étudiants, mais cela va aussi dans différentes zones de métiers, et cetera. 

Mais le vrai danger n’est pas là. Le vrai danger, c’est la stratégie d’un pays qui nous a masqué sa manière de nous prendre ce que nous savions faire. Nous avons donné parce que l’on pensait que ce pays allait s’effondrer comme l’Union soviétique et allait devenir un nouvel eldorado.

Non, ce pays est devenu une puissance majeure qui commence à grignoter énormément de parts de marché dans le monde matériel et qui commencent aussi à prendre des parts de marché dans le monde immatériel, à s’isoler par rapport aux GAFA américains, à créer ses propres GAFA. Et là, la menace est très importante et c’est vrai que nous, on essaie de faire de la godille pour gratter quelques parts de marché.

Alors on en prend. l’industrie du luxe avec 30 % de parts de marché en Chine. OK, d’accord ! Mais on est quand même très menacé.

Est-ce que la France et d’autres pays comme les États-Unis en prennent compte ?

Trump a prévu de monter les taxes douanières à 200 % vis-à-vis de la Chine. Là, on approche des 100 % dans un certain nombre de secteurs industriels aux États-Unis par rapport à la Chine. Donc la réponse américaine est le protectionnisme. En Europe, on est encore en train de se poser la question. On essaie de ralentir la pression chinoise. Mais regardez l’automobile électrique, elle est chinoise.

Vous êtes d’ailleurs très sceptique sur le véhicule électrique !

Christian Harbulot : Oui. Alors ça, c’est un autre débat. Je pense que les consommateurs n’ont pas envie de l’automobile électrique. Je vais rentrer dans le dur. Les Français disent :  » on n’arrive pas à charger, il n’y a pas assez de bornes, ça coûte cher et quand on la revend, elle ne vaut rien ». Donc, déjà là, je m’interroge. Il y a des petits clignotants orange, voire rouge sur le fameux marché de l’automobile électrique. Je ne suis pas convaincu que ce fameux marché soit si grandiloquents que ça.

Pour revenir sur le véhicule électrique et la Chine, on essaie de commencer à faire apparaître des réponses industrielles. Mais nous sommes à 15 % dans le meilleur des cas et c’est sur le temps long. La Chine est sur tous les champs du véhicule électrique. La seule stratégie réelle et cohérente, ce serait d’aller sur d’autres sources d’énergie. Oui, parce que là, on est battu pour l’instant à plate couture. 

On commence à regarder vers d’autres sources, pas que vers l’hydrogène, en restant sur le thermique par exemple. Parce que les belles déclarations du Parlement européen, c’est évident qu’elles ne sont pas applicables. Donc il va bien falloir mixer tout ça, avoir différentes solutions. C’est un vrai challenge. Et là, on retrouve les problèmes de management de l’information. Et là, on retrouve les enjeux de l’intelligence économique.

Finalement, est-ce que l’on n’est pas pris entre l’enclume et le marteau avec la Chine d’un côté, et les États-Unis de l’autre ?

Christian Harbulot : On est maintenant devant le problème de la double dépendance : dépendance américaine, on s’y était habitué. À peu près, on en tirait profit. Les coûts n’étaient pas trop durs. Mais là, se rajoute la dépendance chinoise. Plus un pays comme l’Inde qui a compris tout cela et qui commence lui-même à se mettre dans cette logique de conquête. Donc États-Unis, Chine, Inde et puis les pays vautours en embuscade, moins importants.

Quand on dit que  » la Russie ne compte pas, regardez son PIB ». Eh bien, si ça compte parce qu’on ne sait pas répondre à son économie de guerre. Qu’est-ce qu’on va faire vis-à-vis de l’Iran ? Je regardais l’autre jour une publicité redoutable chinoise sur dix mille mini-drones. Alors moi, je veux bien que Thalès réfléchisse à des trucs qui ne marchent pas très bien comme je l’ai vu sur les expériences faites sur le fusil anti-drone pour les Jeux Olympiques. 

Mais qu’est-ce que l’on fait sur 10 000 drones ? Donc on a aussi des défis sur l’industrie low-cost, dans ce domaine là. Vous avez bien vu que les grands de l’armement français, ce n’est pas leur business model. Ils traînent les pieds et ils sont complètement pris à revers parce qu’ils n’ont pas su créer une industrie low-cost. Il va falloir en créer une. Avec qui, comment ? Il y a vraiment des défis très très importants qui nous attendent. 

Mais il faut les prendre sous l’angle positif. Pourquoi on ne créerait pas une industrie low cost de l’armement ? Il faut que les talents Safran et autres acceptent de cohabiter avec une industrie low-cost ou en soient à l’origine. 

Ça va être compliqué pour eux. Je le répète, ils ne sont pas sur ces business models-là. Mais le défi est lancé !

Guerre économique au XXIe siècle de Christian Harbulot
La Guerre économique au XXIe siècle de Christian Harbulot

L’idée, c’est aussi peut-être de monter des plans B en amont et qu’il y ait plus de concertation stratégique entre les entreprises françaises.

Christian Harbulot : Alors je prends l’industrie du vin. Théoriquement, c’est une industrie où on avait des positions solides. Quand on fait un focus sur ce qui se passe dans le Bordelais avec les rachats de vignobles par des étrangers et notamment les Chinois et la manière dont on commence à voir se reparamétrer l’image même de l’industrie du vin. 

Là, on revient sur la production de connaissance. Donc comment on contre des manœuvres d’encerclement pour faire apparaître un autre marché du vin et comment on y répond. Donc là, on tombe sur les grandes maisons, sur leur manière de se comporter et on retombe en fait sur un problème de management de l’information, de comment préserver nos acquis sans se faire tout simplement voler le marché mondial par de nouvelles logiques marketing et des nouveaux champs de comportements de consommateurs.

Je prends la nourriture par exemple. C’est quand même incroyable que ce soient les Chinois qui occupent le terrain pour vendre de la cuisine française. Pourtant, on a des réseaux de cuisiniers, on a tout ce qu’il faut, mais ils ne vont pas sur ce terrain-là. Donc il y a vraiment une interpellation sur comment répondre, comment créer, comment être dans l’entrepreneuriat, sur les nouvelles pistes pour pas se faire retirer le pain de la bouche et l’expertise des choses.

Une de vos recommandations, c’est de savoir se remettre en question, de savoir explorer d’autres pistes.

Christian Harbulot : Tout à fait. Ça ne veut pas dire détruire ce qu’on a. Non, ça veut dire conforter ce qu’on a, mais élargir le champ.

Le secteur du luxe doit-il se remettre en question ? Est-ce qu’il y a un risque ?

Christian Harbulot : Ce sont des entreprises qui ont une très forte capacité de réaction et il faut leur reconnaître cela. Mais celles qui ont 30 % de leur chiffre d’affaires en Chine, s’il y a une rupture des relations comme cela s’est fait avec la Russie, c’est quand même 30 % du chiffre d’affaires qu’il va falloir aller chercher ailleurs. Alors je ne dis pas qu’ils n’y réfléchissent pas. Mais on est quand même encore une fois sur une logique du « pourvu que ça dure ».

Tant qu’il n’y a pas la crise, ça fonctionne. Je vais raconter l’histoire de quelqu’un que j’ai formé et qui gérait l’activité de shipping d’Ikea. Il travaille aujourd’hui pour un grand groupe du luxe français et il a dû géré la crise de la montée des coûts de l’électricité pour toutes les petites boites qui travaillent pour son groupe. Et c’était vraiment le pompier.

Ces petites PME allaient mourir. Et on a vraiment vu l’interaction, la créativité et le soutien d’un groupe. On est là dans la bonne veine de charbon. 

Mais attention, on peut pas toujours être dans l’activité pompier. J’arrive, je soutiens, je secoure où c’est possible. Il faut quand même anticiper, regarder comment évolue le monde actuel. Il y a quand même des alertes importantes sur différents points de la planète. Ce n’est pas simplement la guerre froide, l’Est contre l’Ouest. C’est la nouvelle guerre froide.

Ce sont des puissances régionales qui décident de naviguer avec leur propre logique, ce sont les BRICS. Ce sont des antagonismes entre la Chine et l’Inde. Ce sont les problèmes entre l’Australie et la Chine. Il y a quand même beaucoup de plaques tectoniques et on ne peut pas continuer à se dire que c’est le commerce et la finance qui vont réguler tout cela.

Ça, c’est fini. Je crois que ceux qui continuent à croire que le navire amiral de l’évolution du monde est le commerce et la finance vont vers des surprises très douloureuses.

Est-ce qu’on peut s’inspirer d’un pays et de ses entreprises qui ont su réagir ? 

Christian Harbulot : Il y a un pays qui me fascine qui est la Finlande. Ils sont quand même très proches de zones à risque. Ils sont capables de mobiliser 800 000 personnes. C’est un pays beaucoup moins peuplé que nous. En France, dans le meilleur des cas, on va en mobiliser 150 000. Et là, on touche du bois.

La Finlande est un pays très réactif et qui, même sur le plan industriel, a su relever des défis assez intéressants. J’observe avec beaucoup d’attention les pays du Nord de l’Europe, que ce soit la Finlande, le Danemark, ou la Suède qui pendant très longtemps a tourné le dos à tout ça et qui a été obligé de changer complètement de posture.

Donc, les pays plus petits que nous sont des pays qui trouvent des solutions, qui savent s’adapter, qui changent complètement de braquet, de champ de vision. Et il y a à avoir une veille active là-dessus. Je parle de ces pays parce qu’ils sont quand même en Europe et qu’il y a des leçons à tirer de ces pays.

Et c’est une réactivité qui vient de leurs entreprises et non de l’Etat ?

Christian Harbulot : C’est ça qui est fort chez eux.

Si on peut résumer les quelques points importants que doit garder en tête un patron aujourd’hui pour essayer de faire face à ce que l’on vit actuellement et à ce que l’on pourrait vivre demain ?

Christian Harbulot : Je crois que l’urgence, c’est de se dire : «  il faut vraiment que je sois un peu curieux sur l’évolution du monde. Je ne peux pas faire l’économie de ne pas l’être ». Pendant très longtemps, j’entendais des patrons dire : « je n’ai pas le temps, je suis sur mon cœur de métier, c’est ma priorité absolue, j’y reste ». 

Je prends juste un exemple. Je discutais avec un conseiller du président du Crédit Agricole qui me disait : « la compliance, c’est du copier-coller. Venant du monde anglo saxon et je suis très attentif à ma notoriété par rapport à ça. »

Sauf que, par exemple, si le Crédit Agricole commence à financer la nourriture artificielle et que l’on découvre que cette nourriture artificielle pose des problèmes de santé publique, ce n’est pas la compliance anglo-saxonne qui va lui amener des messages d’alerte là-dessus. 

Il va falloir aller les détecter autrement. Donc ce n’est pas que du copier-coller venant d’outre-Atlantique, il va falloir avoir une attention plus large. On reprend l’élargissement du champ de vision. Eh bien, cet exemple là, on pourrait le dupliquer dans plein de domaines. C’est ça le défi actuel.

Propos recueillis par Alexandre Carré, Agora Médias

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