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ChatGPT et l’IA générative : une innovation de rupture pour une nouvelle révolution ?

Co-président du Conseil national du numérique et digital champion de la France auprès de la Commission européenne, Gilles Babinet décrypte les enjeux de l’IA générative, « une nouvelle ère où le champ du possible deviendra beaucoup plus important que ce qu’il n’était auparavant« .

Collaborateur de l’Institut Montaigne sur différents projets liés à la compétitivité et au numérique, Gilles Babinet enseigne également dans diverses écoles en France (Sciences Po Paris, INSP, HEC notamment) et à l’étranger (UM6P notamment) pour lesquelles il propose des formations à la transformation numérique.

Chaque année, il participe au baromètre eCAC40 de l’agilité numérique des entreprises du CAC40 qu’il a fondé et conseille plusieurs PDG du Fortune 500. Il siège notamment au conseil d’administration de la fondation EDF.

Entrepreneur – 8 startups – 5 exits – 5 books comme il se définit, Gilles Babinet est également l’auteur de plusieurs ouvrages, dont « Comment les hippies, Dieu et la science ont inventé Internet » aux Editions Odile Jacob (2023) dans lequel il dresse une fresque s’étendant sur plus de soixante-dix ans des inventeurs méconnus qui ont participé à l’aventure scientifique, industrielle et humaine qui a façonné l’Internet d’aujourd’hui.

Brice Girod : Quelle est la définition de l’intelligence artificielle et de l’intelligence artificielle générative ?

Gilles Babinet : Il y en a beaucoup. Une définition qui est la mienne : ce sont des technologies qui sont capables de s’adapter à des environnements non prédictifs. Qu’est-ce qu’un environnement prédictif ? Un automate, c’est prédictif. Il répète toujours la même chose et donc il est prédictif.

Si vous allez d’ici à La Défense, qui n’est pas très loin d’ici, en voiture, vous mettez un automate pour faire ça. Il va avoir un accident tout de suite parce que l’environnement n’est pas prédictif. Donc l’intelligence artificielle, c’est ce qui est capable de s’adapter à des choses qu’on n’est pas capable de prévoir. Quand vous parlez avec ChatGPT, il ne peut pas savoir ce que vous allez dire. Pour autant, la machine vous répond, donc elle est capable de traiter des environnements qui sont non prédictifs.

L’intelligence générative, qu’est-ce-que c’est ? C’est d’abord une intelligence qui est capable de générer. Vous avez des systèmes d’intelligence artificielle qui ne sont pas du tout génératifs. Par exemple, on considère ce qu’on appelle la logique floue, ce qui fait que votre métro s’arrête pile en face de la porte automatique, comme une forme d’intelligence artificielle. Là, on n’est pas du tout dans un système génératif, ça ne crée pas quelque chose, entre guillemets. 

Là, vous êtes dans le cas le plus créatif. Et il y a une autre caractéristique, que l’on peut rattacher à ces modèles, c’est que ce sont des modèles larges, c’est-à-dire qu’en gros, vous pouvez avoir des conversations, vous pouvez leur demander de créer des choses sur à peu près n’importe quel thème. Ce qui est quelque chose d’assez nouveau.

Auparavant, par exemple, la reconnaissance vocale jusqu’à il y a peu de temps, on l’a spécifiait : un système de reconnaissance vocale pour le vocabulaire de la médecine ou pour le vocabulaire de la maintenance mécanique. Et là, on a des systèmes qui sont génériques, qui sont capables d’apporter n’importe quel type de conversation, comme celles que nous avons actuellement.

B.G : Vous êtes Digital Champion de la France auprès de la Commission européenne. Alors qu’est-ce-que c’est ?

Gilles Babinet : Oui, alors Digital Champion, c’est l’idée d’avoir une personne qui représente la société civile dans chaque pays, qui permet d’avoir un autre son, que celui des institutions publiques au sein de la Commission. 

Est-ce qu’il y a des plateformes européennes qui sont aussi performantes que GPT, plateforme américaine qui fait l’actualité ?

En Europe il y a des modèles d’intelligence générative. En France, le plus connu je pense, c’est Mistral, notamment parce qu’ils ont levé 100 millions d’euros. On voit bien que c’est une guerre commerciale et technologique qui ne fait que commencer.

B.G : Mistral est-il aussi performant que ChatGPT selon vous ?

Gilles Babinet : Alors non, parce que ChatGPT a un modèle avec beaucoup de paramètres en fait. Mais Mistral s’est fait remarquer parce qu’avec un petit nombre de paramètres, ils sont bien meilleurs que leur équivalent connu, qui est LLaMA, un modèle développé par Meta (Facebook). Donc, ça a un peu surpris la communauté de l’intelligence artificielle, parce qu’on pense que le prochain modèle qu’ils vont publier va être un gros modèle et qu’il sera probablement l’un des meilleurs modèles, si ce n’est le meilleur modèle. À moins que, évidemment, entre temps, OpenAI ne sorte un nouveau modèle.

B.G : Sur le sujet de l’éthique de l’IA, on a vu Elon Musk ou Steve Wozniak, cofondateur d’Apple, s’inquiéter de l’intelligence artificielle générative et demander un moratoire de six mois sur le développement de l’IA, le temps de mettre en place des balises et des réglementations.

Quel est votre avis sur cette question ? Un moratoire ou une législation ?

Gilles Babinet : Première chose, c’est que l’on peut se dire que l’on tient enfin une technologie puissante, parce que je n’ai jamais vu quiconque demander à ce qu’on mette en place un moratoire sur des technologies. Et l’une des caractéristiques de cette technologie, c’est qu’elle amène des gains de productivité. Donc on s’inquiète entre autres, pour l’emploi. Il y a effectivement quelque chose de différent de la course relativement incrémentale qu’on a observée dans la technologie numérique jusqu’à présent.

Maintenant, je suis très opposé à cette idée de moratoire pour une raison simple, c’est que les méchants ne respectent pas les moratoires. On crée immédiatement une asymétrie entre les bons qui s’arrêtent et les méchants qui continuent. 

Alors que ce que nous a montré notamment le courant de l’Open source, et la gestion de la cyber sécurité, c’est que les gentils ont plutôt un train d’avance en général.

Par exemple, quand on découvre une faille sur Linux, qui est la plus grande distribution open source informatique aujourd’hui, eh bien, elle est réparée dans un délai extrêmement court qui ne permet pas réellement aux Black Hat ou aux méchants entre guillemets, de s’en emparer. Donc, il faut que ce soit open source. Deuxièmement, il ne faut surtout pas faire de moratoire parce que c’est vraiment donner la main aux gens qui sont mal intentionnés.

B.G : Mais peut-être une réglementation pour poser des garde-fous. À quel niveau ?

Gilles Babinet : Oui, le marché c’est super, mais parfois ça ne sait pas s’arrêter. On dit que les capitalistes dévorent leurs propres enfants. Je pense que ça s’applique bien à la technologie de puissance et donc il faut effectivement prévoir des garde-fous.

Mais il faut faire attention à ce qu’il n’y ait pas plus de garde-fous à un endroit qu’à un autre parce que sinon, ça donne la main aux États-Unis ou à un certain nombre de pays qui décideraient de ne pas réglementer.

B.G : Est-ce qu’on vit finalement la suite de la révolution digitale ou est-ce que c’est une nouvelle révolution ? Vous parlez d’innovation de rupture.

Gilles Babinet : Oui, ça dépend à quelle échelle vous vous placez. Parce qu’il y a un regard que j’aime beaucoup donner sur la technologie, c’est celui qu’a eu auparavant la science-fiction. Vous avez deux choses qui reviennent de façon assez systématique, ce sont les enjeux de télécommunications.

Dans « La guerre des étoiles », quand on voit Dark Vador apparaître en hologramme, il disparaît parce que la communication n’est pas très bonne. Et donc, cet enjeu d’arriver à interconnecter les mondes est un enjeu absolument structurant dans la science-fiction. 

Puis l’autre enjeu, c’est celui de l’intelligence artificielle. Et on est dans un moment, à mon avis, très singulier, parce qu’on a résolu ces deux questions-là. On a résolu celle des intelligences fortes, en tout cas des intelligences assez puissantes et celle de faire en sorte qu’on soit dans un monde qui est tout à fait ubiquitaire.

Donc je pense que l’on va entrer dans une nouvelle ère où le champ du possible deviendra beaucoup plus important que ce qu’il n’était auparavant, du fait de l’émergence de ces deux technologies simultanément.

B.G : L’IA va impacter des métiers, peut-être plus globalement l’entreprise. Est-ce que des métiers sont vraiment menacés ? 

Gilles Babinet : Il se dit beaucoup de choses sur la disparition des métiers. Je pense que c’est important de s’appuyer sur l’histoire des technologies. On a beaucoup d’économistes, de sociologues, qui travaillent sur l’histoire des technologies et on a eu beaucoup de peurs luddistes, c’est-à-dire de peur qu’une technologie fasse disparaître du travail.

En réalité, et je soutiendrai ce point-là, parce que je pense qu’il est assez documenté, ça n’est jamais arrivé. Il y a eu des périodes où des emplois ont disparu, mais ils ont été remplacés par d’autres très rapidement et en beaucoup plus grand nombre à cet égard. Et on s’aperçoit que la principale caractéristique, finalement, d’inclusion par la technologie, c’est de maîtriser les nouvelles technologies. Ce qui va disparaître, ce sont les gens qui ne maîtriseront pas ces technologies.

Je pense qu’un certain nombre d’emplois vont disparaître de ce fait là. 

Ceux qui maîtriseront cette technologie, on a plutôt des raisons de penser qu’ils auront des métiers intéressants, voire épanouissants, puisque l’une des caractéristiques de l’IA générative, c’est le fait de détayloriser. Dans votre fonction, ce qui est répétitif va avoir tendance à disparaître.

Alors, vous pourriez me dire qu’il y a toute une part de métiers qui sont plutôt créatifs, qui ne sont pas répétitifs et qui pourraient disparaître. J’ai tendance à penser que, entre guillemets, car l’expression n’est pas de moi mais d’un auteur américain, la part sublime de la création, ce qui est très distinctif, ne sera pas remplacé.

En revanche, ce qui est assez simple, ça va disparaître. Finalement, les portraitistes du XIXᵉ siècle ont été détrônés par la photographie. On s’en est un peu ému, mais je pense que le business qui est apparu au travers de la photographie était incomparablement supérieur à celui qui préexistait. C’est ça qui est tout à fait intéressant. C’est que, en réalité, on a amplifié un champ du possible.

Et aujourd’hui, les photographes professionnels ont probablement en partie disparu. Mais le business qui est apparu au travers de toutes ces plateformes où il y a beaucoup d’images, est incomparablement supérieur à celui qui préexistait. Localement, on va avoir des disparitions d’emplois. Je pense que les traducteurs ne sont pas forcément des fonctions qui resteront très longtemps.

Mais si je m’adresse directement au métier des assistantes de direction, je pense qu’il y a tout un tas de choses qui vont être automatisées. La prise de rendez-vous par exemple. C’est assez facile d’automatiser ce genre de choses. Mais le fait d’arriver à connaître bien quelqu’un pour qui on travaille et d’être capable de faire une grande partie de ce que cette personne fait de façon très personnelle, je ne pense pas que ce sera facile à remplacer.

B.G : Est-ce que vous voyez d’autres exemples d’impact sur cette fonction ?

Gilles Babinet : Je pense que ça va beaucoup augmenter cette fonction. Les aspects un peu rébarbatifs, comme la prise de rendez-vous ou l’achat de billets d’avion ou de train, n’auront plus à être fait d’ici peu.

En revanche, j’ai un assistant qui s’occupe de tout un tas de trucs. Tout à l’heure, je lui ai demandé de me relire un contrat, et sachant très bien dans quel état d’esprit je voulais qu’il s’en occupe, je sais qu’il le fera, qu’il me dira, c’est bon, tu peux le signer.

B.G : Il y a donc l’aspect de la proximité, de la connaissance de son dirigeant-e que l’on ne peut pas remplacer…

Gilles Babinet : Mon assistant a des années d’expérience avec moi et sait très bien ce que je veux, sur bien des choses. Et je m’attache toujours à m’assurer qu’il monte en compétences, en lui donnant des challenges qu’il n’a pas encore résolu par le passé.

B.G : Et comment les dirigeants d’entreprise doivent-ils appréhender cette révolution ?

Gilles Babinet :  C’est très difficile de répondre à cette question que l’on me pose souvent. Me semble-t-il,  la façon la plus intéressante de le faire, c’est d’expérimenter. C’est-à-dire, de prendre un problème dans l’entreprise, identifié, et de se poser la question de savoir ce que l’on peut faire. Il y a quelques jours, j’étais avec le chef d’entreprise d’une grosse ETI, et on a identifié des problèmes de maintenance, des problèmes de livraison. Et on s’est rendu compte que l’on était capable de donner vraiment des solutions sur les problèmes de livraison, de façon assez forte à travers l’intelligence artificielle.

Et donc, ça a été perçu comme une assez bonne nouvelle pour l’entreprise, et d’ailleurs, c’est intéressant parce qu’il y a manifestement des gains de productivité très importants.

Propos recueillis par Brice Girod, directeur des programmes d’Agora Managers Groupe.

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