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Les clés de la success story de SWILE, un « centaure » français

La réussite suprême pour la start-up n’est plus seulement de devenir une licorne, une entreprise à plus d’un milliard de dollars de valorisation, mais d’être un centaure qui désigne les start-up dont les revenus récurrents annuels (ARR) dépassent les 100 millions de dollars.

Retour sur les clés de la success story de SWILE, un « centaure » français » avec Loic Soubeyrand, son fondateur et CEO, un serial entrepreneur qui a déjà fondé quelques années auparavant la licorne Teads, une entreprise spécialisée dans la vidéo publicitaire en ligne.

Au programme : les étapes clés du développement de Swile, une worktech qui dématérialise et rassemble divers avantages salariaux (titres-restaurants, cadeau, mobilité, vacances) sur une carte ou une app…

Julie Guénard : Avant de rentrer dans le vif du sujet, Loïc, pourriez-vous revenir sur votre parcours et ce qui vous a amené à commencer l’aventure de Swile ?

Loic Soubeyrand : Avant Swile, j’ai monté une start-up qui s’appelle Teads. Ça a été une aventure assez fantastique parce qu’en six ans, on est passé de 0 à 600 employés, de 0 à 40 pays, donc une vraie aventure d’hyper croissance. On a décidé de revendre au groupe Altice au bout de six ans et j’ai refusé de faire le service après-vente.

Plutôt que de rester quatre ans et toucher un earn out, j’ai préféré me relancer immédiatement dans une nouvelle aventure puisqu’à l’époque de la vente, j’avais 30 ans. Et cette nouvelle aventure, c’est Swile.

J.G : Et quelle est la promesse de Swile ? 

Loic Soubeyrand : On a eu une triple vie. D’abord, on s’est lancé en tant que foodtech. Le concept de base était de faire une plateforme digitale de commandes groupées pour la pause déjeuner, faciliter la pause déjeuner entre collaborateurs. Et, en fait, on a compris au bout de quelques semaines qu’il était impossible en France de dissocier la pause déjeuner des tickets restaurant.

On est en 2018 et 95 % du marché des tickets restaurant étaient en papier. On avait donc une plateforme digitale d’un côté et des gens qui voulaient payer en papier de l’autre. C’est tout sauf ce que l’on appelle un product market fit. On est un peu loin de tout ça et on a décidé de s’attaquer finalement à la dématérialisation du titre restaurant sous le nom de Lunchr dans un premier temps et trois ans après, on a évolué vers Swile avec pour objectif de tout unifier : à la fois tous les avantages salariaux et les frais professionnels sur une seule et unique carte et aussi unifier les différents outils que les employés utilisent dans leur quotidien au travail. 

Sylvie Nhansana : Est-ce que vous pouvez nous donner quelques chiffres pour se rendre compte de la taille de Swile, six ans après sa création ?

Loic Soubeyrand : On va finir l’année à 160 millions d’euros de chiffre d’affaires. On gère en volume un peu plus de 3,5 milliards d’euros d’avantages salariaux. Nous sommes 1 000 employés et présents dans deux pays, en France évidemment, notre pays historique, et au Brésil.

Alors, pourquoi le Brésil ? Parce que c’est le marché numéro un mondial des avantages salariés, qui est quatre fois plus gros que la France et sur lequel il y a un potentiel absolument extraordinaire de croissance.

S.G : Vous avez vécu plusieurs aventures entrepreneuriales dont les plus connues sont Teads et Swile. Quel est le secret finalement pour créer une licorne ?

Loic Soubeyrand : Déjà dans le mot licorne, si on revient sur la définition, c’est une valorisation. On ne parle pas de chiffre d’affaires, on parle d’une valorisation de 1 milliard de dollars.

Si on se réfère, non pas aux valorisations de la bulle d’il y a encore deux ans, mais plutôt à une valorisation classique, on va dire qu’il faut faire, pour justifier d’une valorisation de 1 milliard de dollars, faire au moins 100 millions de dollars d’Ebitda (Bénéfice avant intérêts, impôts, dépréciation et amortissement). 

Comme vous avez un facteur fois dix, dix fois 100 millions égale 1 milliard. Donc pour faire 100 millions de dollars d’Ebitda, mécaniquement, la première clé à regarder, c’est le marché.

Soit vous choisissez un marché sur lequel il y un potentiel existant, sur lequel il y a un potentiel de transformation dingue, comme par exemple des titres restaurant qui sont en papier et qu’il y a un potentiel de dématérialisation.

Donc c’est un marché existant. Les budgets existent déjà, les clients sont là, tout va bien, mais il y a une demande associée de changements technologiques. Ça, c’est le premier critère. 

Ou alors, vous avez un marché naissant mais qui explose totalement d’un point de vue demande. Il s’avère que c’est assez rare des marchés naissants, qui permettent de très très vite atteindre des gros chiffre d’affaires en très peu de temps.

Donc, je préconise en général d’attaquer le marché existant et d’essayer de s’engouffrer dedans, via de l’innovation.

S.N :Quelles sont les différentes étapes pour arriver à une licorne ?

Loic Soubeyrand : Ce sont les étapes classiques. La première, c’est la phase de 0 à 1, donc zéro to one en anglais, qui est vraiment l’étape de démarrage. C’est la fameuse étape qui est censée aboutir à ce qu’on appelle le product market fit, ce moment magique où, à un moment donné, après avoir pris des portes et ajuster sans arrêt votre produit, vos 90 % de non se transforment en 90 % de oui. 

Et là, vous savez que c’est le moment de passer à la deuxième phase qui est une phase de pur développement. Et vu que la question est d’aller plutôt à la Licorne, c’est mécaniquement une phase d’hypercroissance, donc de développement sous amphétamines, accéléré et boosté.

Et c’est quand même là où il y a le plus d’enjeux finalement. 

Même si la première étape est très compliquée à trouver. Les deux raisons principales pour lesquelles les start-up ne vont pas au bout est pour la première, une brouille entre associés et la deuxième, l’absence de product market fit, donc l’absence de marché ou l’absence de bons produits par rapport au marché visé.

Ensuite, pendant la phase de scale, c’est quand même là où vous passez en général d’une trentaine de collaborateurs à potentiellement 1 000 collaborateurs. Et c’est là où il faut se structurer à vitesse grand V, alors même que par défaut, il n’y a rien de structuré. 

Et une fois que vous arrivez à gérer votre scale, très souvent au bout de quelques années, vient la phase trois, le moment de la rentabilité.

Et là, c’est à nouveau le moment où l’on se rend compte que l’on doit développer d’autres muscles. Et où l’on se rend compte aussi que finalement les collaborateurs qui prenaient énormément de plaisir dans la phase une de création et la phase deux de développement ne sont plus les mêmes dans la phase trois.

J.G : Quels sont les plus gros challenges à chacune de ces trois étapes de développement? 

Loic Soubeyrand : Sur la phase de 0 à 1, le plus gros écueil à éviter, c’est de confondre résilience et entêtement. Il y a beaucoup trop d’entrepreneurs qui sont persuadés de détenir la bonne solution dès le premier coup et qui, alors qu’ils se prennent un non, deux nons, continuent à taper la tête dans le mur et ne changent pas de ligne directrice.

Le job d’un entrepreneur sur la phase de 0 à 1 est de pivoter, pivoter, pivoter, pivoter, pivoter, trouver le bon angle d’attaque. Tant que vous n’avez pas trouvé le bon angle d’attaque, ça ne sert à rien d’imaginer et de commencer à se développer. Il faut trouver le product market fit, le fameux moment où les clients vous disent oui avec le sourire.

Tant que ce n’est pas fait, ça ne sert à rien de dépenser des budgets marketing. Il faut rester hyper concentré sur ça. Après viendra le moment du développement. Donc, c’est vraiment avoir cette conviction, malgré les mois qui passent, parce qu’au début, on ne trouve pas.

Il ne faut pas paniquer, rester très concentré et ne pas chercher à prouver qu’on fait 5 000 € de chiffre d’affaires parce que cela, on s’en moque, ce n’est pas ça qui compte.

Le but de la phase de création, c’est de trouver le product market fit, c’est tout.

Il faut écouter le client et être impérativement sur le terrain. Ceux sont les clients qui ont la clé. Ils n’ont pas forcément la solution mais en tout cas, ils ne vous diront jamais non s’ils sont convaincus et au même titre, ils ne vous diront jamais oui s’ils ne sont pas convaincus. 

Donc le simple fait d’être au contact des clients vous permettra de maximiser les chances de trouver un product market fit.

Une fois que vous avez trouvé votre product market fit, souvent, vous levez quand même pas mal d’argent, il faut recruter. Et là, ça y est, on a mis le mot : « recrutement ». Et c’est là où il faut savoir bien recruter. C’est un processus où finalement, si ce n’est pas hyper structuré, si on n’a pas hyper conscience de qui nous souhaitons recruter, on va droit dans le mur.

Trop souvent, nous recrutons pour des mauvaises raisons.

Par exemple, si j’ai un département dont on estime qu’il ne donne pas la pleine mesure de son potentiel, il faut résoudre le problème à la racine, c’est-à-dire dans ce département plutôt que de recruter des fonctions à côté pour finalement compenser l’absence de performance de ce département.

Donc il faut être très centré sur le système que l’on met en place. Et surtout ne pas chercher à avoir ce réflexe – parce qu’on a l’argent, parce qu’on a les moyens – de recruter quand on a un problème.

Ensuite, une fois que vous avez beaucoup développé la boîte et qu’il faut du coup regarder les critères de rentabilité, je ne peux que conseiller de communiquer à outrance sur la performance du business en interne.

Il faut une transparence totale sur les chiffres, sur le “où on en est”.

Parce que cela permettra aux collaborateurs de se sentir plus en confiance et de mieux comprendre les différentes décisions et choix organisationnels qui sont liés à cette quête de rentabilité.

S.N. Quelles ont été les étapes de recrutement, en volume ?

Loic Soubeyrand : C’est à la fois du recrutement organique, du fait des levées de fonds successives et aussi du recrutement lié aux acquisitions que l’on peut réaliser pour aller aussi chercher la croissance externe. 

Parce que vous avez beau lever des dizaines ou des centaines de millions, évidemment, vous restez toujours très sensibles à faire de la croissance organique, mais aussi aller chercher de la croissance externe.

Dans le cadre de Swile, la première année, je pense que l’on était 50 la première année, 100, la seconde et ainsi de suite, 300, 600 et 1000.

S.N. Parlez-nous de l’acquisition de Bimpli ?

Loic Soubeyrand : Fin 2022, on a fait l’acquisition de Bimpli, une filiale de BPC, une filiale que les gens connaissent souvent sous le nom de Apetiz. Et c’est une filiale dédiée aux avantages salariaux. Et grâce à cette acquisition, on est devenu leader du marché des titres restaurant en France.

C’est un marché qui n’avait pas bougé depuis 55 ans avec quatre acteurs historiques qui se partageaient le marché.-Et le time to market était parfait puisque c’était au moment où il fallait passer du papier à la carte.

Il y avait une fenêtre de tir très resserrée. Je pense que l’on est arrivé avec le bon produit, la bonne équipe, le bon montant de financement aussi, parce qu’il fallait avoir les moyens de nos ambitions. On avait effectué une levée de 200 millions d’Euros avec Softbank (fonds japonais) pour nous aider justement à prendre le marché. 

On est rentré en discussion avec BPCE pour faire un deal industriel : Swile a acheté Bimpli et BPCE, en contrepartie, a pris 22 % du capital de Swile.

Nous sommes absolument ravis parce que du coup, on continue à avoir l’appui de BPCE, notamment sur la distribution locale avec toutes les agences. Cela augure de belles choses pour la suite puisque là, on vient d’atteindre notre seuil de rentabilité sur ce dernier trimestre.

Pour un entrepreneur, c’est toujours une belle étape. Et l’année prochaine, on s’attend à faire entre 30 et 50 millions d’Ebitda positif.

J.G. Et vous avez déjà des idées d’évolution ?

Loic Soubeyrand : Il y a eu la semaine dernière une nouvelle extraordinaire puisque, enfin, le gouvernement a décidé d’arrêter les titres restaurant papier à horizon de deux ans.

Mais juste pour vous remettre en perspective : en six ans, un peu plus de 4 milliards et demi de titres en papier ont été dématérialisés. Et là, il en reste environ 3,5 milliards à dématérialiser, non pas en six ans mais en deux ans.

Donc il s’ouvre une période absolument excitante pour un entrepreneur et on est très focalisé à bien finir le travail sur le titre restaurant. 

Mais évidemment, Swile qui veut dire Smile at Work, c’est une carte tout en un pour les employés, qui vous permet d’accueillir tous les avantages salariaux. Et là, on va bientôt lancer les frais professionnels. On a fait l’acquisition de Okarito l’année dernière, une start-up dans le voyage d’affaires qui est intégrée à notre super App.

Donc avec Swile, les collaborateurs pourront gérer à la fois, leurs avantages salariaux, gérer leurs frais professionnels et donc leurs voyages d’affaires.

Pourquoi on s’est lancé dans le travel avec Swile travel, parce que gérer les voyages d’affaires, quand on est un DAF ou un employé, c’est l’enfer et ça ne marche pas. Donc on vient révolutionner le voyage d’affaires autant qu’on a essayé de révolutionner les avantages salariés.

S.N. Si vous pouviez changer quelque chose dans les étapes de votre développement ?

Loic Soubeyrand : Je changerai plusieurs choses. Peut-être commencer par la diversification. Quand on a déjà réussi un premier produit, il ne faut pas croire que le deuxième va réussir. Sous entendu, j’ai déjà mes équipes en place, des forces commerciales extraordinaires, des forces produits et des tech extraordinaires, marketing, etc.

L’équipe va bien et elle a fait un premier produit qui a fonctionné. Les chiffres le montrent. On lance un deuxième produit, eh bien, il faut repartir sur du zéro à un. On ne saute pas cette étape. Si on ne la respecte pas, on se met à investir massivement sur un produit qui n’a pas encore trouvé son product market fit.

Cela parait évident quand je le dis, mais je vous assure que lorsque vous êtes dans une stratégie de cross-sell, que vous avez déjà toutes vos équipes en place, etc, vous avez parfois tendance à confondre vitesse et précipitation et être un peu convaincus que, parce que le premier a marché, le deuxième va forcément marcher. Ce n’est absolument pas le cas.

Et puis le deuxième, c’est plutôt la phase de scale, donc de développement. On a souvent beaucoup d’ambition et il nous faut, je pense, jamais recruter en anticipation d’une croissance quelconque. Il vaut mieux 1000 fois attendre que la croissance soit là, matérialisée et concrète plutôt que de recruter en prévision d’une expansion éventuelle ou d’une croissance qui parfois n’arrive pas.

Sinon, vous vous retrouvez à devoir gérer des problèmes qui n’auraient jamais dû avoir lieu. 

S.N. Et si vous aviez un seul conseil à donner ?

Loic Soubeyrand : C’est bien trop compliqué. Mais peut-être un commentaire plus qu’un conseil.

Je constate qu’avec la crise du Covid, le monde du travail a été bien chamboulé. Le centre de gravité s’est pas mal déplacé.

Ça a confirmé quelque chose d’important pour moi, c’est que la performance sociale, c’est le moteur de la performance économique. Il ne faut pas l’oublier et on inversait un peu les deux avec une performance économique avant tout.

Il ne faut pas oublier que le succès collectif nous sera toujours profitable à titre individuel et malheureusement, la crise Covid a remis un peu d’individualisme dans nos sociétés au détriment du collectif et de notre bien être personnel.

Je pense qu’il faut rester sur des valeurs fortes, d’équipe, d’entraide. Et si la performance du collectif est mise en avant, ça donnera lieu à la performance sociale, moteur de la performance économique. Il faut le faire dans l’ordre.

Un rendez-vous de l’Agora des Assistantes de Dirigeants, l’Agora des DSI, l’Agora des chefs Data Officer, l’Agora des Directeurs Financiers, l’Agora des Directeurs Juridiques et de l’Agora des DRH. Animé par Julie Guénard, Général Manager d’Agora Managers Groupe et de Sylvie Nhansana, CFO & Partner de SERENA et membre du comité de pilotage de l’Agora des Directeurs Financiers.

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