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ChatGPT et l’IA générative : une innovation de rupture pour une nouvelle révolution ?

Gilles BABINET

Les IA génératives comme DALL-E, ChatGPT, LLaMA ou Midjourney sont-elles une avancée pour l’humanité ou un danger ?

Dans une lettre signée par plus de 20 000 personnes, dont Elon Musk et le cofondateur d’Apple, Steve Wozniak, les auteurs indiquent que les systèmes d’IA dotés d’une intelligence humaine et compétitive peuvent poser de graves risques pour la société et l’humanité, comme le montrent des recherches approfondies et reconnues par les meilleurs laboratoires d’IA”,

Et demandent donc un moratoire de 6 mois sur le développement des IA plus puissantes que GPT-4, le temps de mettre en place des balises nécessaire et des règlementations.

Master Class de Gilles BABINET*, entrepreneur – 8 startups – 5 exits – 4 books, aujourd’hui co-président du Conseil National du Numérique sur l’impact de l’IA sur l’emploi, les métiers, les entreprises et sur la grande transformation digitale, économique et sociétale qui nous fait face.

Professeur à Sciences Po Paris, INSP, HEC, Gilles Babinet conseille également plusieurs PDG du Fortune 500, est membre du conseil de la Fondation EDF ou encore, l’auteur de « Refondre les politiques publiques avec le numérique » sorti en novembre 2020.

J.G : Quelle est votre définition de l’intelligence artificielle ?

Gilles Babinet : Il y en a beaucoup, mais celle qui me semble la plus appropriée est celle d’une technologie qui a la capacité de s’adapter à des environnements non prédictifs.

C’est-à-dire le fait que je ne sais pas quelle est la question que vous allez me poser. 

Si on était dans une relation d’automates, je pourrais avoir une réponse préenregistrée parce que je sais quelle question vous allez me poser.

Lorsque vous ne savez pas, vous êtes obligé d’avoir des systèmes qui sont dynamiques et la principale caractéristique de l’intelligence artificielle, est d’être un dispositif dynamique pour traiter les environnements non prédictifs.

J.G : L’IA va-t-elle impacter l’ensemble des métiers et plus globalement l’entreprise ?

Oui, il y a vraiment beaucoup à dire sur ce sujet. On pourrait passer cette conférence à débattre de l’enjeu de l’emploi. Il y a plusieurs écoles, celles qui considèrent qu’il n’y a aucun impact de l’intelligence artificielle à attendre sur l’emploi parce que finalement, on n’a pas de révolution productive.

Cela se rattache finalement à la prédiction de Solow qui disait : je vois des ordinateurs partout, sauf dans les statistiques de productivité. Là, on est en 1987 et jusqu’à présent, il a raison. 

Il y a probablement de mon point de vue, discontinuité à cet égard, mais on va en reparler.

Et il y a l’autre école, celle des singularistes qui disent que cette technologie est exponentielle et n’a pas de limite. On n’aura tous plus de travail. 

Ce sont les deux extrêmes, avec évidemment des variations entre les deux. Je fais partie de ceux qui sont des socialistes démocrates modérés à cet égard. Je pense que l’on va avoir des gains de productivité assez importants, dans les années qui viennent, avec des forts déplacements d’emploi, mais je ne crois absolument pas à la fin de l’emploi. 

J.M : Cela passera notamment par la formation des collaborateurs ?

C’est la base. Tout le monde va devoir se former. 

Mais je ne pense pas que l’on évitera, ce que j’appelle une sorte de frottement schumpeterien, c’est-à-dire des gens qui perdent leur boulot. Et d’autres gens qui gagnent beaucoup d’argent, avec ces nouvelles technologies.

C’est ce que l’histoire économique nous apprend. Quand vous construisez une ligne de chemin de fer qui va de Boston à San Francisco, vous détruisez, je crois, 700 000 emplois. C’est beaucoup, avec des gens qui avaient des hôtels ou des diligences sur ce trajet… Vous pouvez dire que c’est horrible mais on voit bien qu’il y a des externalités économiques très importantes par ailleurs, qui ont été permise grâce ce type de technologie. 

C’est vrai, à chaque fois que l’on a une nouvelle technique.

Les deux techniques qui ont fait le plus peur, en matière d’emploi, c’est évidemment l’électricité parce que c’est une technologie systémique, un peu comme l’intelligence artificielle. Elle est partout. 

Et puis, il y a une technologie, dans les années 50, qui a fait un peu la même chose, c’est l’énergie nucléaire. À un moment, on s’est dit que cela allait tout remplacer avec des voitures, des avions, des bateaux qui allaient marcher à l’énergie nucléaire.

Sauf qu’en fait, cela n’a pas été le cas. Mais je trouve que cette technologie est intéressante, parce que c’était aussi une technologie exponentielle, c’est-à-dire que la capacité à produire l’énergie à partir du nucléaire est radicale.

Vous avez beaucoup plus d’énergie dans le nucléaire que nulle part ailleurs. 

J.G : L’IA a-t-il sa place tant dans la stratégie de l’entreprise que sur le recrutement ?

Pour les entreprises, il y a de très nombreux endroits où l’on peut trouver de l’intelligence artificielle, voire une infinité d’endroits.

Effectivement, dans les fonctions support, on voit tout de suite que c’est extrêmement efficace. 

Pour ce qui concerne les fonctions financières, je trouve qu’il y a une analogie intéressante à faire. C’est ce que l’on a toujours dit à l’égard de l’ordinateur et des comptables. J’avais un ami, vieux monsieur maintenant, qui a fait partie de la première gamme des informaticiens. Son premier boulot, en 1966, recruté par une société qui s’appelait Elf, était de faire les paies. Évidemment, on s’est séparé de pas mal de gens qui tapaient des paies. Il y a eu à l’époque, une très grande inquiétude sur le fait que les fonctions de bureautique avaient disparu. C’est également vrai pour les secrétaires qui ont disparu. Il n’empêche que les fonctions support croissent considérablement pour tout un tas de raisons.

Donc, on va avoir des gains de productivité énormes dans ces fonctions mais je pense que l’on va s’en servir pour faire des choses plus sophistiquées, notamment pour avoir un contrôle de gestion plus fin, pour gérer un grand nombre d’obligations, notamment de RSE qui deviennent contraignantes. 

Je ne suis pas très inquiet sur le fait que ces outils de productivité vont permettre de rendre ce métier plus sophistiqué.

J.M : Au-delà de l’entreprise, l’IA a aussi un impact géopolitique. Comment se positionne l’Europe dans cette course à l’IA ?

On pourrait faire cet échange, uniquement sur les enjeux géopolitiques, avec une réelle inquiétude sur le fait que l’Europe est en retard.

Cela a deux conséquences : l’une économique, c’est-à-dire des transferts de valeur, du fait que ce sont des plateformes essentiellement américaines qui vont capitaliser sur cette valeur ajoutée, un peu comme ChatGPT le fait actuellement. 

La deuxième, c’est le fait que les systèmes d’armes de demain vont être aussi fait à partir d’intelligence artificielle, avec la vraie question de savoir si on peut avoir des automates guerriers. Je pense que si l’on était dans un monde un peu plus raisonnable, on essaierait d’éviter ça. Mais ces machines existent et c’est des facteurs potentiels, à moyen terme, de domination, qui sont assez significatifs.

J.M : Comment expliquez-vous ce retard ?

C’est assez simple à expliquer en réalité et ce sont des choses qui ne sont pas consensuelles, donc je les énoncerai quand même. 

En ce qui concerne l’Europe, il y a trois ou quatre facteurs : 

le premier d’entre eux, c’est l’absence de fonds de pension. 

Je sais que, dans un contexte lié à la réforme des retraites, c’est un anathème d’évoquer cette notion-là. Néanmoins, il faut bien voir que si le capital risque est extrêmement développé aux États-Unis, parce qu’il y a une culture du fonds de pension abondé par le système de retraite. Et que ces fonds sont investis dans absolument tout type de supports. Et ils ont une toute petite part, qui est de l’ordre de 1 à 3% de risque fort.

Donc ils investissent eux-mêmes, dans des fonds de fonds, qui eux-mêmes investissent dans des venture funds, qui investissent dans des startups. On se doit, quand on est un gestionnaire de fonds de pension, de répartir son risque et de fait, on se retrouve à avoir aussi un compartiment de ce type-là. Et au-delà de ça, il y a quand même une culture du capital investissement. Il y a cinq fois plus d’argent investis par la veuve de Carpentras américaine que la française.

Le facteur 2 est lié au droit social. Là aussi, c’est absolument scandaleux d’évoquer cela en France mais je vais le faire quand même. Quand vous êtes dans une grande entreprise, vous investissez dans quelque chose. Si vous vous plantez, ça vous coûte 5 fois plus cher que dans une entreprise américaine. Vous licenciez un codeur américain, ça vous coûte, grosso modo, 20 000 dollars aux États-Unis. En France, ça vous coûte 120 000 euros et donc vous ne le faites pas. Vous ne prenez pas de risque. Vous prenez des risques incrémentaux, donc vous ne faites pas ChatGPT.

C’est très manifeste quand vous commencez à regarder les statistiques. On investit à l’échelle européenne aux alentours de 150 milliards dans la R&D, aux États-Unis, c’est 250 milliards.

On n’a que 5% de ce montant qui est investi dans les technologies informationnelles. Aux Etats-Unis, c’est 40%. 

À la fin, vous avez des différences qui sont énormes. 

Je pense qu’il y a, à la fois des sujets de régulation, et un débat à avoir sur : est-ce que les gens qui sont hautement demandés par le marché, doivent avoir le même niveau de protection sociale qu’une femme qui est dans une zone très défavorisée économiquement et qui est peu qualifié ?

Ce débat-là, on devrait raisonnablement être capable de l’ouvrir, aussi difficile soit-il.

Puis encore un ou deux autres facteurs. Il y a le fait que la collaboration entre grandes entreprises, système universitaire et startup est mauvaise. 

Quand vous observez que le MIT crée aux alentours de 1100 startups par an, dont à peu près la moitié ira en Série A, vous avez, pour une seule université, un facteur qui dépasse tout ce que l’on peut imaginer.

Donc, cette culture des systèmes d’université, de recherche qui sont tournés vers l’entrepreneuriat est extrêmement faible en Europe continentale. 

Elle est un peu plus forte au Royaume-Uni où ils ont deux fois plus de licornes qu’en France. La moitié de ces licornes vient du système universitaire. 

J.G : Faudrait-il mettre en place un moratoire ou encore légiférer ?

Je suis contre le moratoire pour une raison simple : ce sont des technologies qui ont des facteurs de dissémination qui sont extrêmement élevés.

Je peux avoir la technologie de ChatGPT sur mon laptop et je peux faire à condition d’acheter des GPU, la même chose que ce que fait OpenAI. Donc la capacité de dissémination de cette technologie est absolue. En faisant un moratoire, vous allez créer une dissymétrie entre ce que l’on appelle les White hats (hacker éthique) à qui vous allez l’interdire et les Black hats qui vont continuer, c’est-à-dire les gentils et les méchants. Cela, c’est justement ce que l’on ne veut pas. Donc je pense que l’on doit éviter de faire un moratoire. 

Ce qui en revanche, devraient nous pousser à réfléchir à l’égard d’un moratoire, ce sont les textes de régulation.  L’Europe pousse une régulation qui s’appelle AI Act et qui est aujourd’hui en phase de rentrer dans le trilogue (Commission européenne, Conseil de l’Union européenne et Parlement européen), c’est-à-dire une phase où vous avez une idée assez précise de ce que contient le texte. Je pense que le texte est très imparfait dans son état et que l’on devrait se donner six mois pour l’enrichir et avoir un texte plus solide.

J.M : Est-ce que l’on vit finalement la suite de la révolution digitale ou est-ce une nouvelle révolution ?

J’ai le sentiment de n’avoir jamais pensé vivre un moment comme celui-ci depuis que j’ai commencé à rentrer dans le domaine de la technologie il y a plus de 30 ans.

J’ai eu une des premières web agency en France. En 1994, on était trois acteurs et on était quand même pas très nombreux à faire ça. 

Je pense que le paradoxe de Solow « je vois des ordinateurs partout mais pas dans les statistiques de productivité » est en passe d’être dépassé. On va commencer à avoir des gains de productivité forts dans beaucoup de secteurs et cela impactera les statistiques de productivité d’ici quelques années.

Il faut bien comprendre que la productivité, c’est vraiment le facteur premier de cohésion civilisationnelle. Si vous baissez la productivité, on se met à se taper dessus.

Les périodes de forte productivité sont aussi les périodes de forte croissance. Ce sont les années 50-60 où il y a une création d’une classe moyenne qui a accès à la consommation, etc… Après, quand cela a commencé à ralentir dans la deuxième partie des années 70 et les années 80. Puis, c’est reparti pour les années 90. Et aujourd’hui, on a de la productivité négative depuis trois ans en France, six ans au Royaume-Uni. 

C’est vraiment très inquiétant parce que cela veut dire que vous êtes moins bon que par le passé. C’est très lié au capital humain.

Je pense que ce facteur va recréer de la productivité et c’est la raison pour laquelle je suis très favorable à cette technologie.

Et on a un grand jeu à résoudre qui nécessite que l’on trouve beaucoup d’argent pour l’environnement.

Si on était raisonnable, on consacrerait 20 % du PIB aux enjeux environnementaux. Mais si vous essayez de faire ne serait-ce que le quart de cela, tout le monde se mettra à se taper dessus.

Donc il nous faut de la productivité et cette productivité pourrait très bien venir de l’intelligence artificielle.

J.G : Quel futur imaginez-vous pour directeurs financiers, DRH, directeurs juridiques et DSI ?

C’est difficile à dire car je ne suis pas DRH, ni directeur financier. Mais ce que j’entends à l’égard de ces métiers me semble faux. Il y a des gens qui disent que vous avez intérêt à vous mettre au code rapidement parce que tout sera fait par des machines, etc… Ce que je vois c’est que ces machines, il faut les piloter, il faut leur donner une orientation, et de manière de plus en plus sophistiqué. Les services rendus ne seront plus les mêmes. 

Par exemple, le fait d’avoir un signal prix sur les externalités, que ce soit du carbone, que ce soit de la pollution de toute nature, que ce soit la dégradation des environnements, vous allez avoir des prix. C’est très compliqué de calculer le Scop 3 dans le domaine de la valeur carbone et vous allez devoir avoir une expertise dans ce domaine. On va massivement s’appuyer sur les outils d’intelligence artificielle pour faire cela. 

Je pense que l’orchestrateur, qui sera le CFO, va devoir choisir ses outils, les mettre en œuvre et comprendre la cohérence qui peut exister entre ces différentes catégories d’outils, entre les flux de données qui arrivent, qui sortent dans l’entreprise, ressouder le scop 3 . C’est un exemple parmi d’autres.

J.G : Et sur la fonction DRH ?

Je trouve que les fonctions DRH sont des fonctions étonnamment maltraitées dans les entreprises. Pour moi, les DRH sont encore dans un effet de traîne des plans sociaux des années 90/2000. En gros, on leur dit que la masse salariale cette année augmente de 3%, et puis, il faut vous débrouiller avec ça.

Et tout ce qui est marque-employeur, attractivité… On fait avec ce que l’on peut.  Mais en réalité, je pense que dans les périodes d’accélération, se battre pour le bon capital humain  va devenir assez déterminant. D’ailleurs aujourd’hui, dans les boîtes que je connais du CAC 40, je vois une claire diffraction entre des boîtes qui sont meilleures que d’autres, des boîtes qui sont en passe de désintermédiations et qui sont assez nombreuses en réalité. 

On va se rendre compte que l’on a besoin d’avoir des bons plus que d’habitude, et là, les outils sont assez puissants.

On voit des pratiques qui évoluent : l’évaluation annuelle disparaît, le mode de recrutement fait appel à des signaux qui sont extrêmement différents… Et l’on se rend compte qu’il y a tout un tas d’outils qui sont extrêmement puissants qui permettent finalement de libérer du temps pour faire des choses plus intelligentes et se concentrer sur la qualité, à la fois de la façon dont les gens travaillent au sein de l’entreprise, et sur la qualité du recrutement avec des outils souvent utilisés de l’intelligence artificielle.

J.M :  Est-ce que demain, l’ensemble des directions de l’entreprise, seront peut-être davantage des centres de services ? 

La notion de centre de service n’est pas récente. Effectivement, on va avoir des ressources qui fonctionneront assez comme ça. 

Il y a une vraie difficulté pour les entreprises traditionnelles, c’est de passer du silo à la plateforme. Ce n’est pas nouveau. 

Le choc est essentiellement culturel. Mais je pense que le paradoxe est que l’on va continuer à avoir des experts métiers, avec une compréhension de ce qui est transverse.

Je travaille beaucoup sur ces sujets-là. La réalité, c’est d’arriver à faire en sorte que les gens sachent rentrer dans un mode projet qui est assez transverse et puis surtout qui peut assez vite évoluer. 

Néanmoins, je ne crois pas à la disparition de l’expertise. Je travaille avec des très grandes entreprises qui sont des leaders mondiaux dans leur domaine, et très clairement, ce qui fait qu’ils continuent à rester, c’est leur capacité à se plateformiser, à rentrer dans des logiques complètement intégrées de supply chain, mais en même temps, avoir une expertise métier qui reste très forte. 

J.G : Quels sont les enjeux financiers et juridiques ? Comment va-t-on pouvoir revaloriser les capitaux ?

Il y a un phénomène qui va être, à mon avis, très important. Une des choses qui fait que l’on n’explique pas très bien pourquoi les gains de productivité s’effondrent est macro-économique. C’est le fait qu’il y a trop d’argent. Quand vous avez une surabondance de capitaux, que l’argent ne coûte rien, le capital va autant à des systèmes improductifs qu’à des systèmes productifs.

Donc il y a tout un tas de gourous qui se sont exprimés à cet égard et dans les phases d’accélération de la productivité, vous désinterminez les capitaux improductifs. Le fait qu’aujourd’hui, il y a moins de capitaux parce qu’on a de l’inflation, et qu’au-delà de ça, on a peut-être le début de productivité, cela devrait accroître ce phénomène schumpeterien de façon assez forte. 

Pour un DAF, le vrai sujet est où sont les rendements des capitaux, notamment pour ceux qui travaillent au sein de conglomérat. Pour quelques entreprises, qui ont des métiers qui sont extrêmement différents, on va avoir des diffractions dans l’efficacité du capital à cet égard, des domaines qui seront très automatisables, où l’on pourra avoir des très grands rendements. Puis pour d’autres, ce ne sera pas possible. 

Je pense que ces enjeux d’optimisation d’affectation des capitaux qui n’ont pas été traités devront l’être. 

C’est vrai aussi dans des métiers qui sont intégrés mais qui sont trop intégrés justement. On a un domaine où l’on peut avoir de la productivité, puis, dans l’autre, on va devoir désinvestir.

Ce phénomène-là, on l’oublie complètement. On a tellement l’habitude de dire que finalement, c’est plus la régulation, une capacité à maîtriser la rente qui fait que l’on continue à faire ce qu’on fait comme avant . Et je suis effaré du nombre d’acteurs qui sont dans cette situation dans les grandes entreprises françaises .

Ce phénomène va commencer à être un peu rugueux . Cela va être difficile de continuer à maintenir ses places.

Pour être un peu plus explicite, je pense que c’est compliqué pour des métiers comme la banque, l’assurance et la distribution. 

J.M : Quel est votre regard sur cette révolution que l’on est en train de vivre ?

D’une part, je pense que la peur n’est jamais bonne conseillère, donc avoir peur ne sert à rien et est plutôt contre-productif d’une façon générale. En m’appuyant sur l’histoire, j’observe qu’à chaque fois que l’on a une grande révolution technologique, cela a provoqué de grandes peurs. 

Il y a un bouquin qui s’appelle Histoire de la fée électricité à Paris qui est assez marrant parce que vous remplacez électricité par intelligence artificielle dans le livre et ça colle assez bien.

On est en 1880, donc le communisme n’existe pas encore, mais il y a des représentants des travailleurs qui se mettent à hurler parce que cette technologie va faire disparaître de l’emploi. Puis, vous avez toute une partie du Conseil de Paris qui se plaint que l’on électrifie l’avenue de l’Opéra en disant que cela ne sert à rien, que c’est une technologie qui ne marchera jamais, qu’elle est moins productive que le gaz, etc.

C’est assez marrant de voir ce genre de choses. Je pense que cette technologie va nous pousser à sortir de façon définitive de l’ère industrielle, de l’ère des silos et de l’absence de prise en compte des externalités et que l’on va réellement rentrer dans une nouvelle forme économique qui sera une forme beaucoup plus plateformisée avec la prise en compte du modèle de Pigou des externalités. 

À cet égard, je pense que cela est bienvenu. On va avoir une gestion du frottement schumpeterien qui sera compliquée et rien ne dit que les Etats-Unis qui sont devant nous y arriveront. Parce que vous avez quand même un vrai enjeu de protection sociale dans ce phénomène. Et là, les Américains ne sont pas très bons.

J.G : Quelles sont les nouvelles compétences que doivent acquérir les jeunes talents qui rejoignent les entreprises ?

Je vous dirais qu’avoir une culture digitale, c’est quand même une bonne chose. Tout le monde devrait avoir une culture digitale. Si vous ne comprenez pas ce qu’est un projet Agile, du no code, du code ou des plateformes, vous êtes quand même un peu handicapé, que vous soyez dans une situation de management ou de staff.

C’est aussi un sujet de culture entrepreneuriale. La génération qui vient a un rapport à l’entreprise qui est assez différent. Je ne crois pas que l’on puisse dire qu’elle ne veuille pas travailler. Je pense qu’elle ne veut pas travailler sans sens.

Je vois des gens qui se défoncent de façon incroyable. Je dirais même que le mot travail est probablement totalement désuet. Je verrai plus le mot de mission en général. 

Vous avez des gens qui sont dans un engagement total parce qu’ils sentent qu’ils ont une mission professionnelle entre guillemets et vous ne la trouvez pas uniquement dans le fait d’aller sauver les bonobos, mais dans le fait de fabriquer de l’alimentation, de l’acier… dans de bonnes conditions et qui participe finalement à une transformation de la société et de l’économie. 

J.M : Quels sont les conseils que vous pourriez donner aujourd’hui aux directeurs qui vont être acteurs de cette nouvelle actualité ?

La première chose : je pense que les Comex doivent faire un travail qui n’a pas été fait dans beaucoup de Comex. C’est-à-dire d’avoir une capacité de repenser de façon radicale leur modèle. Et je parle aussi aux très grandes entreprises. 

Paradoxalement,  je suis assez surpris de voir que dans certaines très grandes entreprises, on ne met pas le nom sur les choses à cet égard. Il y a une forme de logique de l’honneur – celle de Philippe d’IRIBARNE – qui fait que l’on ne pose pas de question et voir que cette notion de plateformisation, cette capacité à intégrer à la fois l’amont et l’aval, devient totalement déterminante.

Imaginer que demain, on fera la même chose mais plus vite avec de la technologie, c’est juste se mettre le doigt dans l’œil jusqu’à l’omoplate. On ne fera pas la même chose. Si vous ne changez pas votre modèle d’affaires, cela veut dire que vous n’avez pas traversé la transformation digitale et sociétale qui nous fait face.

L’accomplissement de cela, c’est une modification assez substantielle du modèle de la répartition de la valeur, avec assez souvent, une intégration verticale qui est – pas toujours – relativement forte. Donc, c’est le conseil numéro 1.

Un autre truc qui me frappe beaucoup quand je prends les grands COMEX français, c’est leur provincialisme. 

Vous prenez le CAC 40, il n’y a que 6 conseils où l’on parle anglais. Je ne dis pas que c’est une nécessité mais c’est le reflet du fait qu’il y a essentiellement des Français dans ces conseils. Et je suis désolé mais ça ne marche pas.

On est aujourd’hui dans un monde qui est extrêmement complexe et on a l’obligation de comprendre la complexité de ce monde si on veut être résilient. Je trouve qu’en général, les débats sont compliqués sur beaucoup de sujets de nature politique, économique parce que finalement la notion de ce qui existe en dehors des frontières n’existe pas, fait que ce phénomène se reproduit dans les entreprises.

Je voudrais quand même ne pas être trop sévère. Il y a quand même un truc qui est extraordinaire, c’est justement cette expertise verticale que l’on a en France. 

Si je prends le monde de l’intelligence artificielle, il y a  une « french IA mafia » qui est juste dingue. 

Il y a une publication qui a été faite sur LLaMA, le concurrent de GPT, où il y a 8 français et un indien. C’est le truc que le monde entier est en train d’utiliser actuellement et c’est mieux que GPT d’ailleurs.

Livres de Gilles Babinet
Livres de Gilles Babinet

La BIO

Gilles Babinet est un multi-entrepreneur français, né en 1967 à Paris. Il représente la France au sein du groupe des Champions du Numérique construit par l’Union européenne depuis 2013. Il est également co-président du Conseil National du Numérique, instance de conseil du Gouvernement français en matière numérique.

Après avoir passé son bac en candidat libre, il a fondé de nombreuses entreprises dans des domaines aussi variés que le conseil (Absolut), la construction (Escalade Industrie), la musique mobile (Musiwave, vendu 139 M€), la co-création (Eyeka, dont la co- communauté de créateurs est la plus importante au monde avec 540 000 membres), des outils d’aide à la décision (CaptainDash)… Depuis, Gilles Babinet a aidé de nombreuses startups à se développer.

En avril 2011, Gilles Babinet est élu premier président du Conseil national du numérique. Après un mandat de 14 mois, il est nommé Digital Champion par la ministre française chargée du numérique, Fleur Pellerin. A ce poste, il représente les enjeux numériques de la France auprès de la Commission européenne. Il reviendra au Conseil national du numérique en septembre 2018 à titre de vice-président et sera de nouveau élu coprésident en 2021.

Gilles Babinet collabore également avec l’Institut Montaigne sur différents projets liés à la compétitivité et au numérique. Il écrit dans divers journaux sur ces thématiques et enseigne dans diverses écoles en France (Sciences Po Paris, INSP, HEC notamment) et à l’étranger (UM6P notamment) pour lesquelles il propose des formations à la transformation numérique. Chaque année, il participe au baromètre eCAC40 de l’agilité numérique des entreprises du CAC40. Il siège également au conseil d’administration d’EY de 2013 à juin 2019 ainsi qu’au conseil d’administration de la fondation EDF et conseille également plusieurs PDG du Fortune 500.

Enfin, Gilles Babinet a publié plusieurs ouvrages, dont Transformation digitale ; l’avènement des plateformes. Histoires de licornes, de données et de nouveaux Barbares (2016) dans lequel il évoque les enjeux de fonctionnement des startups les plus performantes et des modèles de transformation numérique pour les entreprises traditionnelles, et en 2020, Refondre les politiques publiques avec le numérique – Administration territoriale, Etat, citoyens (Ed Dunod).

Plus d’info sur Gilles Babinet

Propos recueillis par Julie Guénard, General Manager de l’Agora ARH, ADJC et ADF et Julien Merali, General Manager du pôle IT – Agora Managers Groupe

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