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Comment trouver le bonheur aujourd’hui ? Par Frédéric LENOIR

« Le bonheur n’est pas une destination, mais un chemin à parcourir ». Comment concilier les exigences professionnelles et l’épanouissement personnel ? Les clés du philosophe, sociologue et écrivain, Frédéric Lenoir.

Spécialisé dans la production d’ouvrages traitant du bonheur, du bien-être, de la spiritualité, Frédéric Lenoir est l’auteur d’une cinquantaine d’essais, de romans, contes, et encyclopédies, traduits dans une vingtaine de langues et vendus à dix millions d’exemplaires dans le monde. Il écrit aussi pour le théâtre, la télévision (documentaires) et la bande dessinée. Dans son dernier ouvrage, L’Odyssée du sacré (Editions Albin Michel – 2023), il se demande Pourquoi sapiens est-il aussi un Homo spiritus : le seul animal qui cherche à donner du sens à sa vie.

Frédéric Lenoir nous offre une réflexion stimulante sur la quête du bien-être et nous invite à nous questionner sur nos priorités, à cultiver notre esprit critique et à repenser notre relation au travail et aux technologies.

  • Le bonheur, un état d’être
  • Équilibre entre vie pro et vie perso : Carpe Diem
  • Le désir mimétique
  • L’emprise des médias et des technologies
  • Technologies et pression à la performance
  • L’entreprise, un lieu d’épanouissement ou de souffrance
  • Des pratiques managériales au service du bien-être

Julie Guénard : Pouvez-vous revenir sur votre parcours et ce qui vous a amené à écrire notamment sur le bonheur ?

Frédéric Lenoir : Je me souviens que mon père, haut fonctionnaire et passionné de philosophie, m’a donné à lire « Le Banquet » de Platon quand j’avais treize ans. Et j’ai attrapé le virus de la philosophie à cet âge-là, et surtout de la philosophie grecque. Même lorsque j’ai fait mes études de philo, après l’université, c’est la philo grecque qui m’a toujours le plus passionné.

Pourquoi ? Parce que c’est une philosophie existentielle. Les Grecs se posent la question : au fond comment bien vivre, comment réussir sa vie ? Pas comment réussir dans la vie. Ils ne se posent pas tellement la question d’avoir une belle situation. Ils se posent la question : comment réussir sa vie en tant qu’être humain ? Et donc j’ai trouvé que c’était une question passionnante, qui était aussi la mienne.

J’ai donc continué, à titre personnel et aussi à titre professionnel, d’essayer d’explorer toutes ces questions. Et l’idée centrale chez les Grecs, c’est qu’à la fois réussir sa vie, c’est réussir sa vie personnelle et d’être utile aux autres. Donc, il y a toujours cette double dimension. 

Comme dit Socrate « Connais-toi toi-même ». Il faut apprendre à se connaître, à faire de l’introspection, à savoir qui nous sommes et on verra que c’est nécessaire pour le bonheur. Et puis, en même temps, il y a la nécessité de s’engager pour les autres, que le bien commun est aussi important que le bien personnel. Il faut toujours lier les deux et aujourd’hui, on verra que ce n’est pas toujours le cas.

J.G : Comment définissez-vous le bonheur ? 

Frédéric Lenoir : Je crois que c’est bien de commencer par poser un peu les concepts pour comprendre de quoi l’on parle. Surtout que l’on fait surtout beaucoup de confusion d’un concept à l’autre. En fait, j’ai envie de dire qu’une bonne manière de comprendre ce que peut être le bonheur, tel que les philosophes de l’Antiquité l’ont très bien défini, c’est de le comparer au plaisir.

Au fond, le plaisir, c’est la satisfaction la plus fréquente que nous avons de l’existence. Ça correspond à la réalisation, la satisfaction d’un besoin ou d’un désir. J’ai soif, je bois, j’ai du plaisir. J’ai le désir de parler à un ami, je lui parle, j’ai du plaisir. J’ai le désir d’écouter un morceau de musique que j’aime, j’ai du plaisir.

Donc le plaisir, au fond, c’est le quotidien de notre satisfaction par plein de petites choses. 

Mais il y a deux problèmes avec le plaisir. Le premier, c’est que ça ne dure pas. C’est une émotion passagère parce que j’aurai soif dans une heure ou une fois que mon ami n’est plus là, je n’ai plus le plaisir d’être avec lui. 

Et la deuxième chose, c’est qu’il est lié aux événements extérieurs, aux choses extérieures : j’ai besoin de l’eau, j’ai besoin de l’ami, j’ai besoin de la musique, j’ai besoin…. Et donc, la question que se sont posés les penseurs de l’Antiquité est de comment faire durer le plaisir ? Comment arriver à quelque chose qui n’est pas simplement passager et extérieur ? Donc la double recherche, c’est une recherche d’être autonome par rapport à la satisfaction, de ne pas dépendre de l’extérieur. Et la deuxième recherche, c’est que ça dure. 

Donc on peut dire que la définition du bonheur, c’est un état global et durable de satisfaction de l’existence. Le plaisir, c’est une satisfaction passagère. Le bonheur, c’est un état d’être, ce n’est pas une émotion. Et cet état d’être, il est à la fois global et durable. 

Par exemple, si tout va bien dans votre vie et en même temps, vous avez un petit désagrément passager, vous allez dire, là je n’ai pas de plaisir, mais je suis heureux globalement.

Et puis, à l’inverse, si votre vie est épouvantable, vous êtes en train de fumer une clope et vous êtes content. Vous allez dire, j’ai du plaisir, mais dans ma vie, je suis malheureux.

Donc finalement, on se rend compte que le bonheur, on le situe toujours dans une globalité, dans une certaine durée. C’est un état d’être. 

Alors, il y a deux types de joie. 

Vous avez la joie comme une émotion, une sorte de plaisir décuplé si vous voulez. Donc une émotion qui ne dure pas non plus, mais beaucoup plus forte et beaucoup plus profonde que le plaisir. Et puis la joie, c’est une émotion qu’on ne programme pas. Vous pouvez vous dire : je vais me faire un petit plaisir. Vous ne dites pas : je vais me faire une petite joie. En fait, la joie vous tombe dessus. La joie est liée à une croissance de la vitalité. Cela peut être lié à une rencontre qui vous bouleverse ou une nouvelle formidable. Donc la joie, c’est toujours lié à une croissance de votre puissance vitale.

La joie peut être plus qu’une émotion, cela peut être un sentiment, c’est-à-dire quelque chose qui dure. La différence entre émotions et sentiments, c’est la durée qui s’installe. La tristesse peut être une émotion ou un sentiment. Vous pouvez être triste ponctuellement ou être triste durablement. Vous pouvez avoir peur ponctuellement, vous pouvez l’avoir pour toujours. Donc c’est ça la différence entre l’émotion et le sentiment. 

Et la joie peut être aussi un sentiment, c’est-à-dire quelque chose de durable. Et c’est ce que visent certaines philosophies, comme par exemple Spinoza qui nous dit que toute sa philosophie vise à une joie permanente, c’est-à-dire d’être en permanence dans cette espèce d’émotion qui fait que c’est un bonheur, mais un bonheur incarné dans le corps.

Et il n’est pas le seul. C’est également le cas du taoïsme et d’autres courants philosophiques comme Montaigne.

Donc ça, c’est déjà la distinction entre plaisir, bonheur et joie. 

Après la question que l’on se pose par rapport au bonheur, une fois qu’on l’a définit comme un état global et durable de satisfaction, c’est au fond d’où vient le bonheur.

Aristote, dans « L’éthique à Nicomaque », nous dit déjà quelque chose de très intéressant. Il dit qu’au fond le bonheur vient très peu des choses extérieures, des conditions extérieures, par exemple le pays où l’on est, la famille, et cetera. Il dit que la proposition du bonheur est quasi présente partout, sauf si on est évidemment, dans un pays en guerre ou en famine. 

Cela dépend ensuite beaucoup de la chance, c’est-à-dire de la constitution physique que l’on va avoir, de notre tempérament, de notre caractère, de notre sensibilité. C’est ce qu’il appelle le destin ou la chance. 

Enfin, et c’est presque aussi important que la chance, il dit que cela dépend des choix que l’on va faire, c’est-à-dire de notre raison, de notre capacité d’orienter notre vie de manière juste ou de manière mauvaise.

Ce qui est intéressant, c’est qu’il y a eu des études sociologiques qui ont été faites à l’Université de Riverside en Californie, qui disent exactement la même chose. Ils quantifient les choses à partir de milliers d’études, en disant, au fond, le bonheur, c’est 10 % qui dépendent des conditions extérieures, 40 % des choix de la personne et 50 % de la génétique.

Et ce qu’ils appellent la génétique, c’est ce qu’Aristote appelle le destin ou la chance, c’est à dire la sensibilité, le caractère. Si vous avez des gènes qui font que vous êtes anxieux, pessimiste, que vous vous attendez toujours au pire, vous avez beaucoup moins de chances d’être heureux que si vous avez des gènes de quelqu’un qui est optimiste.

On voit qu’il y a des enfants qui sont naturellement heureux et des enfants qui ont beaucoup plus de mal. Donc il y a aussi une question de tempérament. Ce qui est intéressant de voir, c’est que ce que nous dit un philosophe antique et ce que nous disent aujourd’hui des statistiques, c’est à peu près la même chose.

C’est à dire que le bonheur est en partie tributaire de ce dont on hérite et en partie lié à la manière dont on va choisir d’orienter notre vie. 

Dernière chose, c’est qu’il y a eu des enquêtes qui ont été faites dans beaucoup de pays du monde, une cinquantaine de pays. On a posé à 3000 personnes la question : qu’est-ce qui vous rend heureux ? C’est-à-dire au fond, c’est quoi les expériences du bonheur ? Et là, tout le monde dit la même chose, que ce soit en Afrique, en Asie, en Europe, aux États-Unis, des pays pauvres, des pays riches. Au fond, les gens vont vous dire que les trois critères fondamentaux du bonheur sont : la santé, c’est-à-dire être en bonne santé ; puis l’amour, c’est-à-dire la qualité des relations avec les autres et enfin, le travail, c’est-à-dire avoir une activité qu’on aime. 

Eh bien, si on a les trois, si on est en bonne santé, qu’on a une qualité de relation affective avec les autres et qu’on aime son boulot, il y a peu de chance d’être malheureux.

J.G : Et dans un monde où la pression sociale et professionnelle est souvent intense, auriez-vous des conseils à donner pour se sentir mieux ? 

Frédéric Lenoir : Alors, dans ce monde d’aujourd’hui, monde hyper-connecté où nous sommes tous à faire plusieurs choses à la fois, ce qui complique le bonheur, c’est le fait que l’on n’est pas attentif à ce que l’on fait. Il y a aussi une chose dont je n’ai pas parlé mais qui est très importante, c’est que les anciens, les stoïciens nous disent tous qu’il faut être présent à ce que l’on fait, être dans l’instant présent et être attentif.

Et le bonheur est lié à la qualité de présence que l’on a dans l’instant. C’est le fameux « cueille le jour », « Carpe Diem » et c’est très juste. Et les neurosciences ont validé aussi ce constat des philosophes. Donc on voit qu’il y a souvent un dialogue entre les intuitions philosophiques des anciens et ce que valide aujourd’hui les neurosciences, en montrant que nous avons une chimie du bonheur qui est liée à la production de sérotonine, de dopamine, de GABA, qui sont des substances chimiques qui se diffusent à partir de notre cerveau cérébral et de notre cerveau qui est dans le ventre, qui se diffusent dans notre corps, qui nous apporte du bien-être.

Et dans quelles conditions ces neuromédiateurs vont nous apporter ce bien-être ? On s’est rendu compte que ça pouvait être dans plein d’activités comme le sport, la musique, l’art, etc. Mais il y a une condition qui est requise dans toutes les expériences pour que ça fonctionne, c’est d’être présent à ce que l’on fait.

Si vous êtes devant un magnifique paysage et que vous pensez à votre feuille d’impôt que vous n’avez pas remplie, vous n’aurez aucune satisfaction. Si vous êtes en train de nager ou de courir et que vous êtes en train de penser à tous vos soucis, il ne se passera rien. Si vous êtes en train d’écouter de la musique et que vous êtes en train de faire autre chose, si à la fois vous faites la cuisine en téléphonant, en écoutant la radio, vous n’obtiendrez aucune satisfaction.

Mais si vous faites la cuisine en étant totalement présent, en regardant les aliments, en les sentant, en étant présent dans votre corps, vous pourrez voir une grande satisfaction. 

Au fond, cela nous dit quelque chose de très important, c’est que les modes de vie contemporains nous rendent malheureux. C’est parce que nous ne sommes pas présents à ce que nous faisons, parce que nous faisons plusieurs choses à la fois, nous perdons une qualité sensorielle de présence au monde qui fait qu’il est beaucoup plus difficile d’avoir du plaisir et d’être heureux.

Et donc, je dirais que le truc, c’est d’essayer de faire les choses les unes après les autres, de ne pas multiplier. Ce n’est pas toujours facile, aussi bien dans la vie professionnelle que personnelle. On a aujourd’hui, un problème de dépression, un problème de burn out qui est beaucoup lié au fait que les personnes font trop de choses à la fois.

Et donc il faut redécouvrir la possibilité des moments où on se met pleinement présent à ce que l’on fait.

J.G : Cela veut dire qu’il faut prioriser sa journée ?

Frédéric Lenoir : Prioriser sa journée, mais surtout, sans rien changer à sa journée, être présent. Je vous donne un exemple. Pour commencer sa journée, on prend une douche, mais on peut prendre sa douche en étant préoccupé. On peut prendre sa douche en simplement savourant l’eau sur son corps, la chaleur, la température, la ressentir. Ça change tout. Prendre votre thé, votre café, vous pouvez le prendre en savourant l’odeur du thé, de café, ou vous pouvez le prendre en regardant les nouvelles de la télé. Et ça change tout. 

Donc, je dirais, dans tous les moments où on peut avoir des petits plaisirs de l’existence, les savourer pleinement.

J.G : Quel rôle jouent les valeurs spirituelles, philosophiques ou encore religieuses dans la recherche de ce bonheur au quotidien ? Et comment peut-on réussir à trouver cet équilibre aussi entre nos valeurs personnelles et la vie professionnelle ?

Frédéric Lenoir : C’est vrai que les valeurs personnelles sont très importantes. Chacun d’entre nous a des valeurs, qu’on le veuille ou non, qu’on le sache ou non, on a des choses qui sont plus importantes que d’autres. Et on va organiser notre vie. On va la hiérarchiser en fonction de ces valeurs et ce ne sera pas la même selon les individus.

Elles ne seront pas les mêmes selon les âges de la vie. C’est à dire qu’à 20 ans, on privilégie la valeur pour les copains et puis à 30, ça peut être la réussite professionnelle et familiale. Et donc effectivement, on organise notre vie autour de nos valeurs et nos valeurs personnelles sont les plus profondes parce qu’elles touchent à l’essence même de notre être, c’est-à-dire qu’on cherche à savoir qui on est, à s’accomplir en tant qu’individu singulier.

Et ça, tous les philosophes, d’Aristote à Spinoza, nous disent que nous avons une nature humaine universelle, c’est-à-dire que les êtres humains ont des points communs. Ils sont heureux à travers la santé, l’activité, les rencontres avec les autres, l’activité qu’ils aiment. Mais en même temps, chacun le fera de manière spécifique, c’est-à-dire que chacun ne sera pas heureux à travers la même activité. Et chacun ne sera pas heureux à travers le même type de relations affectives. 

Il faut que chacun découvre sa nature singulière, qui est le fameux « Connais-toi toi-même », qui est le fondement de la vie heureuse et savoir comment s’accomplir en fonction de qui nous sommes. Et pour certains individus, ce qui les rendra heureux, c’est de contempler la nature, d’autres, c’est d’être super actifs, d’autres, c’est d’être chef d’entreprise, d’autres, c’est d’être musicien.

Donc il n’y a pas une activité qui convienne à tout le monde. Chacun doit découvrir ce pour quoi il est fait et c’est valable dans tous les domaines de sa vie. 

Et le problème, c’est que nous sommes très pris par le désir mimétique. C’est une notion très importante qui a été mise en valeur par les anthropologues, notamment par René Girard, qui nous dit que nous passons notre temps à désirer ce que les autres désirent. Et que nous ne sommes pas à l’écoute de nos propres désirs. Nous ne savons pas vraiment ce qui nous convient, ce qui est bon pour nous et nous imitons. Un enfant va imiter le désir de ses parents. Les adolescents vont imiter le désir de leurs copains ou le désir des influenceurs ou des stars sur Instagram, etc. Le jeune adulte qui va vouloir ressembler à son patron. 

Et donc, finalement, il faut apprendre à résister aux injonctions du bonheur qui sont liées aux désirs collectifs ou aux désirs des autres, et à découvrir pour chacun d’entre nous, ce qui nous convient, ce pour quoi nous sommes faits.

Et ça, cela s’apprend avec la vie. C’est-à-dire qu’au fond, c’est souvent entre 35 et 50 ans que l’on apprend à découvrir par l’expérience, par les échecs. C’est souvent d’ailleurs la crise du milieu de la vie. On peut changer de boulot, de conjoint, parce qu’on s’aperçoit que l’on se connaît mieux, on s’aperçoit de ce qui est juste pour nous, ce qui est bon pour nous.

Et là, on va essayer de trouver un équilibre qui est plus juste, entre nos questions et les valeurs qui sont les plus importantes pour nous, notre vie professionnelle, nos vies personnelles et trouver cet équilibre nécessaire à l’épanouissement.

J.G : Nous nous adressons à des personnes qui managent des équipes. Comment pourraient-elles arriver à cette impulsion à titre individuel, pour chacun des collaborateurs, à leur dire « connaissez-vous vous-même »? Comment feriez-vous à leur place ?

Frédéric Lenoir : Eh bien oui, je crois que ce qui est important, c’est déjà d’avoir une qualité de relation aux autres. Moi, j’ai fait plusieurs fois des visios dans des grandes entreprises du CAC 40 où il y avait de très gros problèmes de burn-out, voire comme il y a 15 ou 20 ans, des suicides chez Orange. J’avais déjà fait ce genre de discussions et quand je posais la question aux gens de savoir quelle était la principale qualité d’un manager, presque tout le monde répondait, la bienveillance. 

Donc le manque de bienveillance, est un vrai problème. Donc, quand on manage des équipes avec bienveillance, sans s’opposer à l’exigence, on respecte l’autre et on le considère.

Et le prendre en compte, c’est être à l’écoute, essayer de lui parler de manière correcte. Et là, je dirais que la bienveillance est évidemment quelque chose qui aide beaucoup à s’épanouir dans la vie professionnelle. Si vous avez un manager bienveillant et qui peut être très exigeant, même si vous vous trompez, il va vous reprendre, il va vous dire, mais il le fera avec bienveillance.

Et là, je dirais que c’est un des principaux problèmes dans l’entreprise, c’est le manque de bienveillance dans le management. Et une des principales qualités, c’est d’arriver à ce qu’il y ait des relations harmonieuses. Et puis je dirais que l’entreprise ou un manager n’est pas là pour faire le bonheur de ses employés, mais il est là pour, en tout cas, ne pas le rendre malheureux par son attitude.

Et donc il y a des comportements vertueux qui permettent de considérer les gens, de créer un climat de travail agréable, de créer de la convivialité, de permettre aux gens d’être dans un cadre de travail qui leur permet de s’épanouir. Et là, il y a plein de choses. Il y a évidemment, lorsqu’on est dans un bureau, d’avoir accès à la lumière, par exemple.

Et puis, il y a l’équilibre qu’il peut y avoir aujourd’hui entre le travail dans un bureau et le travail en télétravail. Tout cela fait partie des choses dont un chef d’entreprise peut tenir compte pour arriver à ce que des personnes qui travaillent pour lui, soient dans une harmonie, dans un équilibre qui permet justement d’allier la vie professionnelle avec une qualité de vie personnelle, qui n’est pas complètement sacrifiée parce qu’ils ont 3 h de transport par jour, parce qu’ils sont dérangés tout le temps, le week-end.

Donc oui, ce sont plein de petites choses qui font que l’on ne demande pas à une entreprise de faire le bonheur de ses salariés, mais en tout cas, de ne pas faire leur malheur. C’est-à-dire de tenir compte des besoins humains, mais qui sont les mêmes pour tout le monde. Et donc, il ne s’agit pas évidemment de s’adapter à chaque personne, mais en même temps, ce que je disais tout à l’heure, c’est que le bonheur est lié à l’expression de ses qualités personnelles et il faut aussi que les gens soient à leur place.

Donc il faut que chacun puisse, comme dans une chorale, être à sa juste place pour que le collectif bénéficie des talents de chacun.

J.G : Comment bien vivre le moment présent alors que nous sommes sans cesse sollicité par notre téléphone, des mails, des informations en permanence. Comment utiliser ces outils pour favoriser notre bonheur personnel ?

Frédéric Lenoir : Alors je distingue vraiment le perso du professionnel. Dans le professionnel, on a absolument besoin de tous ces outils car on ne peut pas s’en passer aujourd’hui. Si vous répondez pas à un mail professionnel, c’est un problème. Si vous n’êtes pas informé de ce qu’il faut connaître en temps réel dans votre métier, c’est un problème. Donc là, je crois qu’on ne peut pas échapper à la pression technologique professionnelle.

Par contre, on peut échapper à la pression de l’information et des technologies dans sa vie personnelle. Et moi, cela fait des années que je dis aux gens d’arrêter de passer des heures, tous les jours, à s’informer de tout ce qui va mal dans le monde. Parce que quand vous rentrez du boulot, vous avez déjà assez de soucis pour voir la guerre ici et là.

On sait, les médias sont là pour vous dire tout ce qui va mal et donc il faut savoir déjà que ce que disent les médias, ce n’est pas ce qui se passe dans le monde, c’est le spectacle médiatisé de tout ce qui va mal dans le monde. On ne va pas vous dire aux JT qu’aujourd’hui, il y a 7 milliards d’êtres humains qui ont été heureux.

On va vous dire un nombre de morts, des attentats, des victimes. Donc en fait, cela alimente tout le négatif et ce n’est pas le reflet de la réalité. Donc se tenir informé en étant simplement à l’écoute de tout ce qui va mal dans le monde, ce n’est pas se tenir informé, c’est avoir une information de ce qui va mal. C’est extrêmement anxiogène.

Et donc je pense que c’est très important de limiter son temps d’information. Il vaut mieux lire quelques articles sur Internet ou dans la presse plutôt que de passer du temps à voir des images en boucle, qui en plus imprègnent notre cerveau de manière très profonde. Parce que le cerveau ne fait pas très bien la distinction entre le virtuel et le réel. Donc vous êtes menacés par tout ce que vous voyez. 

Et puis prendre du temps pour, au contraire, nourrir des expériences positives. Donc, si vous ne consacrez plus que 20 minutes par jour à l’information de ce qui va mal dans le monde, ça ok, vous allez gagner tout le reste du temps.

Utilisez-le pour nourrir le positif, c’est-à-dire faire du sport, prendre du temps avec des amis. Écoutez de la musique, ressourcez-vous dans la nature, jardinez ! Ne faites que des choses qui nourrissent le positif. Eh bien, vous allez aller beaucoup mieux. 

Le problème de notre époque, c’est cette espèce de caractère anxiogène de l’information qui pollue nos vies parce qu’on ne sait pas s’arrêter. Ça, c’est notre cerveau primaire, le striatum. Le cerveau primaire a besoin de se nourrir d’informations parce qu’il se sent menacé et qu’il a besoin de savoir tout ce qui se passe. Mais en fait, ça ne sert à rien. Moi, ça fait dix ans que je n’écoute quasiment plus. Je sais ce qui se passe d’essentiel, mais je passe beaucoup plus de temps à faire autre chose et ça ne m’empêche pas de vivre très bien.

Et donc finalement, je crois qu’il faut plutôt volontairement développer le positif, ce que notre cerveau ne sait pas faire. Et dire à notre striatum de se calmer et qu’il n’a pas besoin d’avoir toutes les informations de tout ce qui va mal, pour être en sécurité.

J.G : L’idée de la réussite professionnelle est souvent associée au bonheur. Cette réussite produit également de l’insatisfaction. Comment peut-on lutter contre cette insatisfaction ?

Frédéric Lenoir : De manière générale, il y a des injonctions au bonheur qui sont liées à toute société, c’est-à-dire chaque société a ses injonctions au bonheur. Ce ne sont pas les mêmes selon les sociétés et selon les époques. Au Moyen Âge, en France, l’injonction au bonheur, c’était faire son salut. Au fond, on était heureux parce que l’on pratiquait la religion de manière juste.

Aujourd’hui, ce n’est plus ça du tout. C’est réussir dans la vie, c’est-à-dire avoir effectivement de l’argent, une belle situation, d’être au fond reconnu, si vous voulez. Et donc le besoin de reconnaissance sociale est extrêmement important de nos jours et ça fait partie aussi des besoins de notre cerveau primaire.

On a besoin de reconnaissance sociale, on se compare beaucoup aux autres. Là, je dirais qu’il faut prendre conscience de ça et essayer de moins se comparer. Et ça, c’est Sénèque qui nous disait déjà, si tu veux être malheureux, compare-toi. Il y aura toujours quelqu’un qui a plus que toi, qui est plus riche que toi, qui a une plus jolie femme que toi, et cetera. Donc à un moment donné, si tu veux être heureux, arrête de te comparer. 

Et c’est pour ça que la comparaison sociale, qui est extrêmement présente dans notre monde, et notamment à travers les réseaux sociaux, prend les jeunes à fond. Les réseaux sociaux ne sont qu’une vitrine, comme une carte de visite de qui nous sommes. Et on essaie de donner la meilleure image de soi. Et l’on voit que le voisin, l’autre, a plus. Et on est dans l’envie en permanence. On est dans la convoitise, on est dans la jalousie, on est dans la rivalité. 

Et donc toutes ces technologies nourrissent, accentuent ce caractère humain universel, qui fait que l’on se compare aux autres en permanence, et il y a plein de jeunes qui sont malheureux, en dépression, voire qui se suicident parce qu’ils ont l’impression qu’ils sont moins que les autres, qu’ils ont moins que les autres et qu’ils n’ont pas ce qu’ils voudraient.

Donc là, effectivement, je dirais qu’il y a une petite éducation à faire pour les jeunes et pour les adultes aussi, d’essayer de se satisfaire au fond, de ce qu’on a, d’un certain nombre de choses qui sont de qualité et ne pas chercher le toujours plus, qui est lié au mimétisme, à la comparaison sociale.

J.G : Et pour revenir sur la réussite professionnelle, que pensez-vous du fait qu’elle soit reliée au bonheur ?

Frédéric Lenoir : Elle fait partie de l’épanouissement. On sait qu’un être humain a besoin de faire une activité pour s’épanouir et il a besoin d’aimer son activité et de ne pas la faire que pour gagner de l’argent. Donc première chose, trouver une activité qui nous correspond, l’aimer et ne pas avoir de pression permanente.

Parce qu’évidemment, ce qui rend les gens malheureux, c’est la pression de la rentabilité. Et aujourd’hui, c’est quand même ça qui est la pression principale, dans un monde qui est entièrement mu par la compétition des entreprises. Il faut être le meilleur, le plus performant, celui qui vend le plus, qui fait le plus gros chiffre d’affaires, et cetera

Et du coup, c’est une pression constante sur tout le monde, du chef d’entreprise aux salariés de base. On doit gagner de l’argent, on doit faire du chiffre, on doit tenir le budget. Donc, c’est une pression très forte, mais à laquelle, dans le monde dans lequel on est, on ne peut pas échapper d’une certaine manière. 

Donc j’ai envie de dire, il faut y échapper dans sa vie personnelle. C’est pour ça que lorsqu’on a la pression, notamment liée à la technologie qui accentue cette pression dans son univers professionnel auquel il est très difficile d’échapper, il faut avoir des bulles de respiration.

Et ces bulles de respiration, c’est sa vie personnelle. C’est le temps de se promener dans la nature, de retrouver les gens qu’on aime. Ce sont des activités qu’il faut faire à côté, qui nous ramènent à ce rythme naturel de la vie, qui est plutôt la qualité, que la quantité.

J.G : C’est l’attente de la jeune génération qui veut donner du sens à sa vie…

Frédéric Lenoir : C’est exactement ce que je viens de dire. Beaucoup de jeunes ne veulent plus que la vie professionnelle bouffe toute leur énergie, tout leur temps. Et beaucoup disent préférer gagner moins d’argent. Et puis faire un truc qui les intéressent avec d’autres, dans un contexte plus convivial.

On préfère créer une start-up, même si on prend des risques et que l’on ne va peut-être pas gagner beaucoup, et tenir compte des valeurs humanistes globales, plutôt que d’être salarié dans une très grosse boîte avec des contraintes professionnelles, une pression de rentabilité qui est extrêmement écrasante.

À HEC, par exemple, c’est sous la pression des étudiants qu’ils ont introduit l’année dernière, des cours sur le défi écologique. Et maintenant, les jeunes de HEC demandent aux entreprises comment ils se comportent par rapport à leur planète, par rapport aux autres. Il y a des valeurs humanistes qui sont en train de devenir essentielles pour s’engager dans une entreprise.

Donc, on s’aperçoit qu’il y a un changement générationnel où effectivement, de plus en plus de jeunes veulent que leur boulot ne les empêche pas de s’épanouir dans leur vie personnelle.

J.G : En tant que manager, comment peut-on pousser ce sens et le démontrer au sein de l’entreprise ?

Frédéric Lenoir : En étant exemplaire. Un manager, s’il n’est pas exemplaire, ça ne sert à rien. S’il ne fait pas du tout ce qu’il dit, ça ne marche pas. Donc c’est vrai qu’un leader, un manager de manière générale et c’est valable pour l’entreprise, c’est valable dans tous les domaines, doit donner l’exemple de ce qu’il prône.

Un philosophe qui vous parle du bonheur et qui a l’air malheureux comme une pierre, on le croit pas. 

Propos recueillis par Julie Guénard, General Manager de l’Agora DAF/CFO, de l’Agora des Directeurs Juridiques et de l’Agora des DRH / Agora Managers Groupe

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