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Espionnage économique : Vous êtes une cible et vous ne le saviez peut-être pas !

Le 9 mars 2023, le Sénat a décidé de faire un bilan de l’organisation de l’intelligence économique en France.

Pourquoi ce contrôle ?

Zéro : c’est le nombre de loi dédiée à l’intelligence économique votée en France, indique le Sénat en préambule.

En près de 30 ans, la France a tenté plusieurs modèles d’organisation publique de l’intelligence économique, sans toutefois parvenir à pérenniser une démarche d’intelligence économique au sein de l’État et des entreprises. Pourtant, dans un contexte de concurrence exacerbée par les tensions géopolitiques internationales, la protection des intérêts économiques de notre pays et de ses entreprises devrait être une priorité nationale.

Avec des questions à la clé : L’intelligence économique est-elle encore une priorité politique ? La structure étatique est-elle suffisamment armée ? La notion pâtit-elle encore d’un manque de cohérence et de précision ? S’agit-il seulement d’un domaine réservé à la recherche universitaire ? Les entreprises françaises s’adaptent-elles suffisamment à leur environnement concurrentiel ? Sont-elles suffisamment protégées face aux investissements étrangers et face à l’extra-territorialité du droit de puissances étrangères ? Les acteurs de l’intelligence économique sont-ils suffisamment soutenus par les pouvoirs publics ?

Alors, si votre entreprise ou vous-même étiez une cible d’un Etat, d’une organisation criminelle ou même d’une entreprise concurrente, quels sont les signaux faibles qui peuvent vous alerter et quelles sont les recommandations pour prévenir ce genre de situation ?

Une ex-légende des services secrets français revenu à la vie civile, nous apporte un éclairage inédit sur l’espionnage et l’intelligence économique. Il nous invite à passer avec lui de l’autre côté du miroir.

Son nom n’a pas d’importance et d’ailleurs, on ne connait que son nom d’auteur, Olivier Mas et son pseudonyme sur sa chaine Youtube « Talk with the spy » : Beryl 614.

Sa légende, aujourd’hui, est 28 ans de carrière dans les armées, et 15 ans à DGSE où il est engagé dans une unité secrète spécialisée dans la clandestinité. Il est diplômé de L’École de guerre, a été analyste, expert en contre-terrorisme, et a servi en Asie et au Moyen-Orient en tant que chef de poste, infiltré dans les ambassades de France. Il finit sa carrière au service de la France, boulevard Mortier à la Direction du renseignement, au contre-espionnage et au renseignement politique.

Aujourd’hui, Olivier Mas est réalisateur, conférencier, youtubeur et auteur de deux livres : « J’étais un autre et vous ne le saviez pas » (Ed : Points) et « Profession espion » (Ed : Hoëbeke).

Brice Girod : Vous avez une vie très riche mais cela devait être un petit peu schizophrénique quand on s’invente une « légende » ? Arrive-t-on à revenir dans sa vraie vie facilement ?

Olivier Mas : Alors ma légende était moins belle que ma vraie vie, donc je revenais avec facilité et plaisir. Mais c’est vrai que certains camarades qui avaient des légendes un peu plus flamboyantes, qui étaient au contact de malfrats avec des grandes soirées champagne, des grands 4×4, quand ils retournaient dans leur vraie vie, dans leur pavillon de banlieue, ils pouvaient se dire qu’ils préféraient leur vie de légende. 

Comment peut-on finalement faire apparaître une part de sincérité sur une légende ?

Olivier Mas : La légende, pour qu’elle marche bien, il faut qu’elle soit le plus proche de ce qu’on est. Et c’est pareil pour les sentiments. Je pense qu’on ne les fabrique pas sinon ça ne marche pas, ce n’est pas sincère.

Donc, en général, dans nos missions, on va se tourner vers les gens avec qui il se passe quelque chose, qu’on aime bien et donc ce sont des vrais sentiments.

Et bien souvent, on a des amitiés fortes et vraies jusqu’à un certain point. Ensuite, quand la mission se termine, on est obligé de couper les ponts et c’est souvent douloureux.

Que se passe-t-il si dans le cadre de votre légende, vous croisez quelqu’un qui vous connaît sous votre vraie identité ?

Olivier Mas : Il faut en effet savoir gérer cette affaire-là. Certains instructeurs nous conseillaient de garder notre vrai prénom de manière à régler ce genre de problème.

Mais si quelqu’un que l’on connaît nous rencontre, on va lui dire par exemple je suis en mission, on ne parle pas maintenant, je ne suis pas là, au revoir !

Mais je pense que de garder son vrai prénom est un mauvais calcul parce que, me concernant, j’ai fait une erreur quand j’étais infiltré en forces spéciales avec mon vrai prénom et j’ai sorti mon vrai nom au bout d’un moment. Car on est entraîné toute sa vie à donner son prénom et son nom.

On se mélange assez facilement les pinceaux, donc je préférais dans ma légende avoir un prénom et un nom complètement différents.

Et quand on est en stress, il faut, dites-vous, adopter la stratégie du canard ?

Olivier Mas : Oui, c’est un instructeur de Saint-Cyr qui me l’a conseillé. Quand vous êtes en situation de stress, en difficulté, vous adoptez la stratégie du canard, qui est très calme en surface, qui file sur sur l’eau, mais quand on regarde sous l’eau, il barbote frénétiquement de manière complètement stressée.

C’est une stratégie que l’on peut aussi appliquer dans l’entreprise et notamment pour les assistantes qui ont des métiers très stressants ?

Olivier Mas : Il faut savoir accepter le stress et dans ces cas-là, il faut barboter, mais il faut que cela se voit le moins possible. A la surface, vous souriez ! Et ça passe toujours mieux. 

Olivier MAS - Béryl 614
Olivier MAS – Béryl 614

Quelles sont la nature et les méthodes de l’espionnage économique ?

Olivier Mas : L’espionnage économique est un domaine très particulier. A la DGSE et dans le monde de l’espionnage, c’est quelque chose qui encore plus secret. Il y a une nouvelle couche de secret par rapport au contre-terrorisme ou au contre-espionnage.

A la DGSE, vous avez, comme en entreprise, la cantine où l’on se retrouve entre midi et deux et où l’on discute. C’est un moment où l’on peut décloisonner un petit peu et chacun parle de ses expériences et on se raconte un peu nos vies et nos dossiers.

C’est ce que l’on voit dans la série “Le bureau des légendes” et c’est très bien fait.

Mais pendant mes 15 ans à la DGSE, je constate que mes camarades qui travaillaient dans le service d’intelligence économique ne parlaient pas. Ils avaient des consignes supplémentaires parce que c’est très sensible, parce que c’est beaucoup d’argent en jeu, parce qu’il y a des réputations de grands groupes qui peuvent en pâtir.

On accepte de dire que l’on fait du renseignement défensif mais on a du mal à assumer l’attaque pour ceux qui ont choisi cette stratégie. C’est très très secret et en même temps, c’est un domaine où l’on ne coopère pas avec les autres services.

En contre-terrorisme, tout le monde coopère, même avec les Russes. Avec les Chinois, c’est plus compliqué, aussi parce que l’on pas travaille pas sur les mêmes terroristes et leurs terroristes ne sont pas les nôtres.

En intelligence économique, il n’y a pas de coopération qui tienne.

Mais si on ne se parle pas avec les gens de l’intelligence économique, malgré tout, on travaille toujours avec les mêmes méthodes. C’est pour cela que je parle de structure cible et comment on la pénètre. Cette structure cible peut être une entreprise, et là, on fait de l’intelligence économique. Mais la cible peut-être aussi un réseau terroriste, un palais présidentiel d’un pays ou un service de renseignement quand on fait du contre-espionnage. 

Une fois que la structure est ciblée, on va l’étudier, on crée un environnement pour savoir quelles sont les personnes qui gravitent dans cette structure. Quels sont les vulnérabilités ? Comment on va travailler pour pénétrer cette structure ? Et donc là, c’est un amalgame de techniques multicapteurs.

Il y a du renseignement humain avec des gens qui vont aller au contact et qui vont essayer de nouer des amitiés. Puis, il y a du renseignement technique avec toute la palette technique qui est très variée.

Il y a les interceptions téléphoniques. Par exemple, les communications internationales vont être captées par des États occidentaux, russe ou chinois qui ont suffisamment d’argent pour acheter cette capacité d’antenne parabolique. 

Ensuite, on a les interceptions internet. C’est compliqué et il y a peu d’Etats dans le monde qui ont cette technicité pour infiltrer et casser les messages d’Internet. Parce que le message part d’une machine en petits morceaux et les petits morceaux se baladent ensuite dans le net avec, chaque fois, des chemins qui sont très difficiles à connaître et très aléatoires. Donc, c’est toute une capacité technique et scientifique de haut niveau qui permet d’intercepter et de reconstituer le message.

Il y a évidemment le cyberespionnage qui est très puissant en matière d’intelligence économique puisque l’on va pénétrer les serveurs par différents hameçons, pièges ou mails. 

Ou bien, on a recruté quelqu’un qui va permettre de rentrer une clé USB verolée avec un piège qui infiltre le réseau. Avec le hacking, on rentre dans le réseau et on récupère toutes les données importantes.

Après, il y a aussi les capacités de cryptage et aussi celle de casser le chiffre comme la NSA sait le faire, même quand on se déplace à l’étranger et que l’on a un ordinateur crypté.

Alors qui espionne qui ?

Olivier Mas : Les plus agressifs dans le trio de tête sont les Chinois, les Russes et les Américains.

Et de manière plus surprenante, les Allemands, même si, dans toute ma carrière, je les ai trouvés assez médiocres ou moins bons, alors que l’on pourrait s’attendre à des services très performants. En contre-terrorisme et en contre-espionnage, on ne coopère pas très bien parce qu’ils ne sont pas très bons curieusement.

Mais peut-être ont-ils fait le bon choix puisqu’ils font beaucoup d’efforts sur le renseignement économique. Ils mettent le paquet là-dessus. Et là, il est possible qu’ils soient très bons, mais comme c’est un domaine où l’on ne coopère pas, on ne peut pas voir le niveau de l’autre. 

En intelligence économique, il n’y a pas d’amis. Il faut se méfier de tout le monde y compris des alliés, y compris entre entreprises françaises.

Concernant l’espionnage humain, qui peut concerner les assistantes, quelles sont les procédures de travail pour collecter du renseignement humain ?

Olivier Mas : Il faut bien se rendre compte qu’un service de renseignement ou une entreprise qui a des moyens financiers, va travailler comme une meute. Il va y avoir plusieurs agents de renseignements qui vont travailler de manière différente.

Donc, on choisit la cible. Alors cela peut être le patron que l’on voudrait recruter ou travailler dessus. Mais on se dit, à tord parfois, que peut-être, il est trop bien payé, qu’il a une carrière en poupe, que tout va bien pour lui, qu’il n’a pas le temps et que ça va être compliqué. 

Donc, on va toucher son conjoint, son chauffeur, sa secrétaire ou son secrétaire qui peuvent peut-être des cibles plus faciles, plus intéressantes.

Un service d’enseignement va avoir tendance à ne pas forcément aller sur la personne numéro 1 mais sur des personnes de son environnement et sur celles où l’on a vu qu’il y avait des faiblesses ou des problèmes.

Les services de renseignement aiment bien trouver une faiblesse : quelqu’un qui a des problèmes d’argent, d’alcool, de famille et sur laquelle on va pouvoir travailler dessus.

A partir de ce moment-là, il va y avoir plusieurs officiers traitants qui vont intervenir à un moment ou un autre sur la cible où chacun va collecter de l’information : cela peut être à l’occasion d’un restaurant, d’un café. Ou bien, on s’aperçoit que la personne fait de la piscine, donc on va faire aussi des cours de piscine. Et, avec toutes les réponses collectées et obtenues ici et là, l’agent va être plus présent et devenir sympathique aux yeux de la cible : ils se rencontrent fortuitement dans le métro, mais dans cette affaire, il n’y a jamais complètement de hasard. Il lit les mêmes choses que moi, fait le même sport, les mêmes voyages et donc on a plein de choses à se raconter. C’est très sympa et vous nouez automatiquement une petite amitié.

Tout cela est possible parce que cela a été travaillé en amont, parce qu’ils ont emmagasiné plein de renseignements, et c’est là que vous devenez vulnérable et que le loup commence à rentrer doucement dans la bergerie.

A partir de ce moment-là, on peut soit faire un recrutement inconscient ; on passe du temps avec cette personne et on peut par exemple véroler son téléphone, son ordinateur portable à son insu. Et elle ne se rend pas compte qu’il y a un problème.

Ou alors, on peut faire le recrutement d’une manière agressive, sous chantage ou compromission.

Mais on peut aussi le faire sur une vraie collaboration : une coopération en lui disant : tiens, ton patron est désagréable quand même, ou il n’a pas été très honnête avec toi pour ta carrière, c’est pas très sympa ; tu peux peut-être lui rendre la monnaie de sa pièce, il mérite peut-être une petite leçon

C’est une coopération consciente, sans que l’on soit obligé de tordre le bras de la cible.

Quels sont les signaux faibles qui peuvent nous alerter et quelles seraient vos recommandations pour prévenir ce genre de situation ? 

J’ai fait du contre-espionnage en Chine et j’ai eu à connaître une affaire où les Américains travaillaient sur une entreprise française sensible et bien implantée.

Et là, on vu comment ils travaillaient : il y avait près de 5 officiers traitants qui travaillaient de concert sur la même cible. Alors, les contacts se sont étalés dans le temps mais mis bout à bout, mine de rien, on se rend compte qu’il y a pas mal d’Américains qui me tournent autour ces temps-ci. Donc, c’est un peu curieux, un peu bizarre.

Ensuite, ce qui doit alerter aussi, lorsqu’il y a une amitié qui se crée, où l’on se parle de choses que l’on aime, que c’est très très sympathique, c’est lorsque votre nouvel ami pose des questions sur votre travail, ou a des questions un peu louches.

Ou bien, lorsque l’agent va jouer sur votre ego : « Quoi !? tu es assistante de direction ; ton patron, c’est le directeur d’Orange ou de Renault, c’est génial, c’est extraordinaire. » Et là, on essaye d’obtenir des confidences sur votre travail.

Aussi, si vous êtes conscient que votre travail est sensible et que vous ne voulez pas trop parler boulot, le signal va être si les questions reviennent toujours au bout d’un moment sur le plan professionnel. Il y a une petite lumière qui doit s’allumer et vous dire : je le sens pas, quelque chose est bizarre dans cette amitié si belle, peut-être qu’elle n’est pas si sincère que ça.

Sur le renseignement humain, les services de renseignement travaillent-ils à peu près tous de la même façon ?

Il y a quelques différences selon les pays : les Chinois, les Russes ou les services pakistanais utilisent par exemple l’arme de la sexualité : Les Anglo-Saxons ont du mal et les Français ne se sentent pas à l’aise. On ne sait plus qui manipule qui dans ce genre de choses.

Mais si la cible est une femme de 50-60 ans, on lui met par exemple un jeune de 30-40 ans qui est très très sympa.

Sinon, tous les services vont essayer de faire une coopération sympathique plutôt que de jouer sur la contrainte qui n’est jamais très efficace parce que la personne va, au bout d’un moment, essayer de sortir de cette boucle et avoir tendance à raconter ce qui se passe. 

Pour conclure, si par exemple une assistante a des petites alertes, qu’est-ce que vous lui conseilleriez ? En parler à son directeur de la sécurité, aux services de l’Etat ?

Oui, dans ce genre de cas, on n’est pas seul. Il faut encourager cette prise de conscience, cette alerte et même si on a fait une petite erreur initiale, c’est très très important d’en parler. On dit : voilà j’ai dit ça, j’ai dit ça et là, je me suis arrêté. Là, je sens vraiment quelque chose de louche. Et là, le travail est à moitié fait.

Ensuite, on peut soit arrêter brutalement le contact avec la personne. Ou alors, si on sent que la personne attaquée – donc l’assistante de direction- a la tête sur les épaules et qu’elle est solide, on peut continuer la manipulation pour essayer de voir combien d’officiers traitants sont impliqués. C’est de faire se développer l’attaque de l’adversaire pour mieux la comprendre et ensuite, non pas couper une branche, mais couper l’ensemble.

Parfois, on ne sait pas trop qui est derrière : si c’est une entreprise, un état et de quelle nationalité ? Parce que parfois, on travaille sous un autre pavillon, comme par exemple des Russes qui vont se présenter comme des Brésiliens, Italiens ou que sais-je encore.

Donc parfois, c’est bien de pouvoir essayer de travailler cette approche et laisser cette attaque se développer.

Mais au final, sachez que l’on n’est pas seul : il y a un responsable de sécurité ; il y a aussi votre patron qui peut comprendre et qui peut être en quelque sorte votre binôme. Il y a également les services de l’État qui sont là pour donner des capacités supplémentaires de surveillance, de contrôle et qui permettent de tirer les choses au clair et vous dire d’où vient l’attaque.

Pour être plus léger, en tant qu’espion, vous avez été un très bon comédien. Pourriez-vous faire de la télévision ou du cinéma ?

Je pense qu’il y a beaucoup de proximité entre ces deux métiers et j’ai beaucoup d’admiration pour Bernard Lecoq qui joue dans Les Patriotes d’Éric Rochant. Je suis toujours en admiration devant son jeu d’espion. Alors, si un réalisateur me propose de faire une apparition dans un film ou dans une série, j’aurais tendance à dire oui. 

Interview réalisée Brice GIROD, Directeur des programmes – Agora Managers Groupe.

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