GRANDS TÉMOINS

Crise énergétique : Le Contexte, les Enjeux et surtout les Solutions

Guillaume DEZOBRY

L’énergie : entre tensions, pénuries et sortie de crise. Guillaume DEZOBRY, Avocat Associé, droit de l’énergie et droit de la régulation chez FIDAL, analyse le contexte de la crise énergétique et les solutions à venir.

C’est la fin de l’énergie pas chère

La crise énergétique, indique Guillaume Dezobry, elle débute à l’été 2021 où les prix du gaz et de l’électricité commencent à monter – le marché de l’électricité étant corrélé au marché du gaz. Les États membres et l’Union européenne pensent alors que c’est une crise conjoncturelle qui va être compliquée pour l’hiver mais qui, finalement, redeviendra normale dès le mois de février-mars.

Ensuite, il y a la guerre en Ukraine qui plonge finalement les marchés de l’électricité et du gaz dans une crise. Mais c’est une crise qui résulte de la combinaison de plusieurs facteurs. Il y a effectivement ces problèmes d’approvisionnement en gaz, liés d’abord à une reprise économique post-covid, puis, à la guerre en Ukraine, mais aussi, avec le problème rencontré sur les centrales nucléaires françaises qui devient un problème européen. Et, on ajoute à cela un problème d’hydroélectricité en raison de la sécheresse.

Enfin, on est dans un contexte de fermeture de centrales nucléaires, Fessenheim, mais aussi en Allemagne et en Belgique.

Cette crise qui se traduit par des prix très élevés sur les marchés de gros se répercutent sur les consommateurs. Donc il y a des enjeux qui sont politiques mais également économiques évidemment puisque ce sont nos industries qui sont en risque.

Dès lors, la question est de savoir si on peut intervenir pour corriger le dysfonctionnement de ces marchés de gros et retrouver un prix de l’électricité qui soit en rapport avec ce que cela coûte à produire.

RTE : Le mix énergétique de l'électricité française
RTE : Le mix énergétique de l’électricité française (à un instant T-25 Nov)

Si on regarde sur le site eco2mix de RTE où l’on peut voir en temps réel la production d’électricité par filière consommation, on voit ici (image) que le nucléaire représente 62 % de la consommation d’électricité et que la part des énergies fossiles dans le mix électrique est très faible : c’est-à-dire que là, on est à 10% de gaz, plus 1% de charbon. Eh bien, ce sont ces 11% qui génèrent 100% des problèmes.

Alors on attend la remontada du parc nucléaire français, mais cela tarde un peu…

Il y a donc un risque de repli de chaque État européen, comme on l’a vu avec l’Allemagne qui, avec un plan de 200 milliards d’euros, décide de choisir une solution nationale plutôt qu’européenne…

La France, elle, pousse une mesure qui a été mise en oeuvre par l’Espagne et le Portugal et qui consiste à caper le prix (fixer un taux, une limite haute) que payent les producteurs d’électricité avec des centrales à gaz. (La hausse de l’électricité est contenue grâce au plafonnement du prix du gaz – subvention du prix du gaz entrant dans la production de l’électricité – dans le cadre de la “dérogation ibérique” en raison de leur enclavement).

C’est une sorte de bouclier et ils ont pu le faire parce qu’ils sont très peu interconnectés avec leurs voisins et qu’il n’y a pas ce risque de fuite que nous pourrions avoir. Pour que la France mette cette solution en œuvre, il faut qu’elle soit mise en oeuvre au niveau européen parce que nous sommes au carrefour de la plaque européenne. Un plan européen de plafonnement des prix du gaz est en discussion ainsi que d’une task force européenne pour mutualiser les achats de gaz.

Il va falloir trouver une solution à terme parce que cette crise qui dure conduit à mettre en danger un certain nombre de nos industries et plus généralement tous les consommateurs.

Si on n’arrive pas à régler la question du marché de l’électricité, cela veut dire que d’un côté, les consommateurs vont voir une augmentation de leur facture de 100, 200, 500 %, et les producteurs vont gagner de l’argent – c’est ce qu’on appelle la rente infra marginale. Donc l’enjeu des pouvoirs publics est de réorganiser un transfert en sens inverse, c’est-à-dire d’aller capter via un impôts, via une contribution. Tout cela est en discussion aujourd’hui dans le projet de la Loi de finances.

Il y a également des pistes qui sont étudiées sur l’amortissement des charges énergétiques. Il y a eu des mesures qui ont été prises par le gouvernement dans le cadre du bouclier tarifaire, dans le cadre de la compensation des surcoûts pour les industriels. C’était des mesures mises en place pour passer l’année 2022 qui avaient le mérite d’exister.

Là, aujourd’hui, on se place dans un problème dont la durée est plus importante que prévue et il ne faut pas oublier que cette crise énergétique arrive aussi à un moment où l’on a une obligation de décarboner nos sociétés pour lutter contre les effets du changement climatique…

Il faut que le contexte géopolitique se stabilise pour que l’on retrouve un peu de rationalité, même si on sait, qu’aujourd’hui, on entre dans un nouveau monde où l’énergie va occuper une place beaucoup plus importante que ce qu’elle occupait ces derniers temps.

C’est la fin d’une certaine manière de l’énergie pas chère et il va falloir avoir une appréhension différente à ces questions énergétiques, réaliser des investissements massifs dans les solutions décarbonées et mettre en place les bons cadres juridiques pour permettre de sécuriser ces investissements.

La BIO

Avocat of Counsel, droit de l’énergie et droit de la régulation, Guillaume DEZOBRY intervient pour des opérateurs privés et publics sur les problématiques suivantes:

– Régulation des marchés de l’électricité (fonctionnement des marchés de gros et de détails, mécanisme de capacité, mécanisme d’ajustement, agrégation).

– Régulation des réseaux de transport et de distribution (électricité et gaz) et des grandes infrastructures énergétiques (terminaux méthaniers, interconnexions transfrontalières…).

– Développement des énergies renouvelables: audits de parcs éoliens et PV, procédures de raccordement, différends avec le gestionnaire de réseau, renouvellement des concessions hydroélectriques, dispositifs de soutien aux EnR, garanties d’origine.

Guillaume est également Maitre de conférences en droit public et enseigne le droit de l’énergie à Sciences Po Paris, à l’Université Paris Dauphine et à l’Université d’Amiens.

Il est membre du Conseil d’administration de l’Association Française de Droit de l’Energie (AFDEN) et du comité scientifique de l’European Federation of Energy Law Associations (EFELA).

Interview réalisée par Sébastien Guénard, Coprésident et cofondateur d’Agora Managers Groupe.

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