Etat des lieux de la crise économique et sanitaire par Nicolas BOUZOU, économiste et entrepreneur, habitué des cabinets ministériels, qui nous livre les clefs d’une sortie de crise sanitaire et économique.
Invité de l’Agora des Directeurs Juridiques et de la Compliance, Nicolas BOUZOU est interviewé par Sébastien Guénard, Coprésident d’Agora Manager Groupe.
Sébastien Guénard : quelles perspectives économique pour 2021 ?
Nicolas Bouzou : La situation économique dépend de la situation sanitaire. En 2008, on avait vraiment une crise économique endogène qui prenait racine dans des dysfonctionnements monétaires financiers. Au fond, en 2020, la politique économique a consisté à soutenir au maximum les entreprises et les salariés et puis aussi, un peu les indépendants et petits commerçants via le fonds de solidarité, PGE, chômage partiel…
Mais ces mesures, elles fonctionnent à rendements décroissants. Ce que je veux dire par là, c’est que pour le chômage partiel, d’activité partielle de longue durée, cela marche bien pendant une période de temps qui est relativement limitée. Mais quand ça dure 9 mois, c’est très difficile parce que les salariés sont démotivés, parce qu’ils s’éloignent un peu de leur emploi, parce qu’ils peuvent aussi se déqualifier, parce que le système de formation continue ne fonctionne pas encore exactement comme il devrait fonctionner.
Les PGE (Prêt Garanti par l’Etat), c’est très bien quand on en prend un pour sécuriser sa trésorerie. Quand on en prend un deuxième et que l’on commence à utiliser l’argent du PGE, c’est moins bien. Et puis les PGE, il faudra les rembourser même s’il y a des différés de remboursement. Mais à partir du mois de mars, il y a des entreprises qui vont commencer à rembourser des PGE, donc il faudra aussi financer ce remboursement.
Ces deux mesures ont des rendements qui sont décroissants et c’est la raison pour laquelle, pour moi, la politique économique en 2021 – je passais une partie de l’après midi avec le ministre de l’Economie qui faisait sa réunion des économistes – et ce que je dis, c’est qu’en 2021, il faut avoir une politique économique qui soit beaucoup plus intégrée, c’est-à-dire qui prenne en compte les données et les actions sanitaires.
Et je répète jour et nuit depuis six semaines que le meilleur outil de politique économique, c’est le vaccin !
Au fond, les aides, elles fonctionnent à rendements décroissants mais le vaccin et l’immunité ne fonctionnent pas à rendements décroissants.
Quand on aura vacciné 30 millions personnes, ce n’est malheureusement pas tout de suite, ce qui m’a beaucoup mis en colère ces derniers jours, mais quand on aura vacciner 30 millions de personnes, là on pourra rouvrir les restaurants et là on pourra commencer à dire : progressivement on diminue les aides et là, on aura vraiment une perspective de retour à la normale pour les entreprises.
Ce vaccin : problème de supply chain ou sommes-nous en attente d’un Lab français ?
Nicolas Bouzou : Le Président et le Premier ministre dès le début ont considéré que le vaccin était quelque chose d’important mais que ça n’était pas le plus important. Donc je pense qu’on a manqué d’impulsion politique !
Et là, pour le coup, j’ai un désaccord de fond, le plus gros désaccord depuis le début de ce mandat que j’ai eu avec le Président de la République et avec le Premier ministre.
La deuxième chose, c’est que très concrètement, il y a eu des problèmes de supply chain, de logistique, qui n’ont pas été traités. Ce qui là aussi, m’a mis en colère puisque ça fait six semaines que je dis à l’opinion publique, au gouvernement qu’il y a un problème qui n’a pas été traité.
Bon, dès le début, j’avais proposé de confier cette question, soit à des gens comme vous, soit à l’armée ! En tout cas, à des gens qui savent faire de la logistique. Le professeur Alain Fisher, le Monsieur Vaccin, qui s’occupe de la campagne de vaccination est quelqu’un de formidable, très estimable, qui a un niveau scientifique très important, mais j’avais considéré qu’on n’avait pas besoin d’un scientifique puisqu’il s’agissait de faire venir le vaccin et de le mettre dans le bras des gens et non pas de le trouver puisqu’il est déjà trouvé !
Donc oui, problème de logistique très important au-delà même des tracasseries de l’administration. Le maire de Cannes m’a expliqué ce matin qu’il a acheté deux congélateurs et que l’Etat vient de lui dire qu’il n’avait pas le droit de les utiliser. Donc là, ce sont des petites choses qui font le charme de notre pays. Ça, c’est un problème administratif.
Bref, pour bien comprendre, c’est que la sortie de la crise économique, elle est sanitaire !
On revient sur perspective 2021, d’où vient l’argent ?
Nicolas Bouzou : Alors l’argent, il vient de l’endettement puisque en 2020 – ce qui est historique – la plus grosse partie des ressources publiques est venue de l’endettement et non pas de la fiscalité. Donc cet argent, il n’est pas magique, il ne vient pas de nulle part, c’est de l’argent que l’on nous prête.
La bonne nouvelle, c’est que la Banque Centrale Européenne qui appartient en dernier recours aux Etats de la zone Euro, nous prête énormément d’argent. Alors elle ne le fait pas directement parce que quand l’Etat Français émet une obligation, la Banque Centrale Européenne n’a pas le droit de souscrire directement cette obligation. Mais ce n’est pas grave, c’est une banque ou une compagnie d’assurances qui souscrit cette obligation et cette obligation est ensuite rachetée par la BCE qui la met à son actif.
La BCE achète cette obligation avec de l’argent qu’elle crée car elle a le pouvoir de créer de la monnaie et donc, en réalité, on a aujourd’hui un phénomène de création monétaire massive, la planche à billets, qui permet de financer ce nouvel endettement.
Pour vous donner un ordre de grandeur, 70 % du nouvel endettement des pays de la zone Euro se retrouvent à l’actif de la Banque Centrale Européenne. Donc on a vraiment un mécanisme de planche à billets. Alors la planche à billets n’est pas quelque chose de magique ; c’est quelque chose qui a un coût mais ce coup, ce n’est pas la solvabilité de l’Etat.
Ce qu’il ne faut pas craindre, c’est le fait que les Etats auraient des difficultés à se financer parce que, tant que la BCE nous prête de l’argent, on n’a pas de difficulté.
Est-ce rassurant pour autant ?
Nicolas Bouzou : Oui ça peut nous rassurer. Cette planche à billets va générer de l’inflation sous une forme ou sous une autre à un moyen long terme. On l’a déjà cette inflation sur les prix de l’immobilier, sur les prix des actions.
Mais le risque, c’est que cette phrase de l’inflation sur les prix des biens et des services à l’horizon dure quelques années. On n’y est pas du tout mais c’est quelque chose qui pourrait arriver.
Deuxième effet pervers, c’est que cette politique monétaire s’accompagne de taux d’intérêt zéro, c’est-à-dire qu’elle dérègle complètement la finance. Taux d’intérêt zéro, cela veut dire que le risque n’est pas rémunéré, n’a pas de prix, ce qui évidemment est quelque chose d’absurde et qui amène à faire de grosses bêtises.
Est-ce que la France fait pire que les autres ?
Nicolas Bouzou : La différence est liée à la situation sanitaire, c’est à dire que les pays qui ont été les plus frappés par la crise sanitaire sont ceux qui ont la récession la plus forte. La France a été très frappée donc on a eu une récession très forte, de moins 10% .
Mais qui est comparable avec ce qu’on a eu en Italie ou en Espagne, un peu moins au Royaume-Uni, mais on est un peu dans un ordre de grandeur. En Allemagne où la crise sanitaire a été en 2020 deux fois moins forte, il y a une récession deux fois moins forte.
En revanche, quand on regarde l’effort budgétaire qui a été engendré par cette crise, on voit que la France ne s’en sort pas trop mal. Quand on fait la somme ; plan de relance, soutien aux entreprises, rapportés au PIB et que l’on fait des comparaisons internationales, on voit en réalité que le Royaume-Uni, l’Italie et l’Allemagne ont fait plus que nous.
La France a été assez efficace parce qu’on a fait les PGE qui n’est pas de la dépense publique : alors sauf pour évidemment les prêts qui ne seront pas remboursés. On a fait un truc qui est quand même assez astucieux, c’est qu’on est passé par les banques, on a décentralisé le process. L’idée c’était de se dire : plutôt que ce soit l’Etat qui fasse des aides, il vaut mieux que ce soit les banques qui prêtent. Alors certes, pour les entreprises, ce n’est pas un don parce que ces prêts, il faudra les rembourser.
En réalité, ces prêts ne seront pas remboursés en totalité. Mais ça a permis d’aller vite et d’être très très efficace.
Cela a permis de sauver 10, 20% d’entreprises ?
Nicolas Bouzou : C’est plus que ça ! Mais en réalité, on a sauvé trop d’entreprises. Les faillites ont diminué en 2020 par rapport à 2019, ce qui du point de vue économique est absurde, ça n’a pas de sens car ces faillites sont devant nous.
Parce que la contrepartie négative de cette politique, c’est que l’endettement des entreprises en France est très important. C’est le plus élevé des pays de l’Union européenne rapporté au PIB et c’est celui qui a le plus progressé en 2020. Donc il faut l’avoir en tête !
Ça veut dire que devant nous, on a une problématique de restructuration de dette des entreprises qui est absolument massive et qui se fera entreprise par entreprise ou de façon massive mais je pense que le ministre de l’Economie prendra une part des dettes. Ce n’est pas du tout une annonce ou une confidence, mais je pense que 10 à 25% des PGE seront récupérés par l’Etat – ça sort du passif des entreprises et ça sort de l’actif des banques. Je pense qu’on ira vers ça.
Ils font des scénarios mais ce sont toujours des scénarios qui sont assis sur la crise sanitaire d’où mon obsession des vaccins. Plus vite on sera sorti de la crise sanitaire, moins on aura à couper dans les PGE.
Mais la part des PGE qui ne sera pas remboursé aujourd’hui est très faible. Donc il n’y a pas de problème massif. On a quand même bien protégé notre économie.
Je mets de côté les petits commerçants, les indépendants, les professions libérales qui n’ont pas pu travailler. Mais pour le reste, on a plutôt bien protégé l’économie et on va continuer puisque je vous fais une confidence : le ministre de l’Economie annoncera une extension assez sensible du fonds de solidarité dès la semaine prochaine notamment pour permettre aux petites entreprises de payer leur loyer. Parce qu’on a demandé un effort aux bailleurs avec le crédit d’impôt mais bon, tous les bailleurs ne peuvent pas faire cet effort et donc on va donner de l’argent aux entreprises pour qu’elle puisse payer leur loyer….
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