La culture et la fresque client
Pourquoi est-il fondamental de développer sa culture client ? Pourquoi est-ce parfois compliqué ? Quelle méthode pour développer une philosophie d’entreprise qui met l’accent sur la satisfaction, l’expérience et les besoins du client ?
Guillaume Antonietti, cofondateur et CEO de Cos System avec Alexandre Carré, Directeur de la Rédaction d’ANews Expérience Client, mettent en lumière l’importance de la culture client en entreprise. Selon Antonietti, seulement 10 % des entreprises françaises atteignent un niveau optimal de culture client, alors que 30 % en ont une très faible. Cos System mesure cette culture à travers le Customer Orientation Score (COS), développé scientifiquement pour évaluer les croyances et valeurs des employés.
Antonietti souligne que la culture client ne concerne pas uniquement les actions mais l’état d’esprit des équipes. Pour développer cette culture, il faut des actions managériales cohérentes, une écoute active des clients, et une autonomisation des collaborateurs. Il plaide également pour une transformation en profondeur, menée par un leadership fort. Enfin, il mentionne la Fresque Client, un outil ludique conçu pour sensibiliser les équipes à la culture client.
Alexandre Carré : Déjà en quelques mots, qu’est-ce que veut dire COS ?
Guillaume Antonietti : C’est l’acronyme de Customer Orientation Score, qui est un score de mesure de l’orientation client des entreprises que l’on a mis en œuvre il y a dix ans, en 2014, avec une équipe de chercheurs et Daniel Rey qui était à l’origine de cette réflexion-là. Personne à l’époque ne parlait de culture client. On a nourri la conviction que ça allait devenir majeur.
C’est un travail scientifique mis en œuvre pour aboutir à ce fameux questionnaire qui permet de mesurer un indicateur synthétique. On rêverait que ça ait le même succès que le NPS. On en est pas là, mais en tout cas, on ne mesure pas la satisfaction client. On mesure la culture des entreprises. Aujourd’hui, on a plus de 200 entreprises auditées et ce qu’on a pu voir, en dehors des 30 % des entreprises qui ont un faible niveau de culture client, c’est que 10 % seulement atteignent un niveau totalement conforme à ce qu’on aimerait obtenir.
Donc on a encore un peu de travail.
Donc ce score est atteint grâce à des outils mais aussi des méthodes scientifiques ?
Guillaume Antonietti : On mesure scientifiquement. En revanche, avoir un bon score, c’est juste du management.
Vous permettez aux organisations de développer une vraie culture client. Mais on entend tout et n’importe quoi sur cette culture client. Quelle définition claire peut-on donner en quelques mots.
Guillaume Antonietti : Effectivement j’entends tout et n’importe quoi. En fait, c’est normal parce qu’aujourd’hui, le mot culture client est devenu une sorte de buzzword pour remplacer qualité de service délivrée, satisfaction client, expérience client.
Et maintenant, il faut trouver autre chose pour vendre des missions, donc on va sauter sur l’occasion et inventer la culture client.
La culture client, ce n’est pas l’expérience client. La culture client concernant l’entreprise ne concerne pas les clients. Et donc, si vous voulez une définition scientifique, même si on regarde la définition de la culture, c’est un ensemble de croyances et de valeurs que nous partageons.
Dans une entreprise, collectivement, nous partageons un ensemble de croyances et de valeurs. On est dans le monde des attitudes. Des attitudes, c’est ce que l’on pense. Comportement, c’est ce que l’on fait. Donc, quand on parle de culture client, on ne s’intéresse pas à ce qu’on fait, on s’intéresse à ce que les équipes pensent.
Quel est l’état d’esprit de nos équipes ? Et là, comment mesurons-nous l’état d’esprit des équipes ? Quand on dit que l’on va faire un test de culture client, on fait un audit mais on ne fait pas de la culture client. On audite des comportements, des process, des pratiques qui peuvent ou pas donner à voir aux collaborateurs des convictions ou des croyances, des valeurs qui constituent une attitude. Donc si on n’interroge pas les équipes, on ne peut pas connaître la culture client.
D’autant plus que ces convictions et ces valeurs, pour certaines ou certains, elles sont innées, pour d’autres non.
Guillaume Antonietti : D’où viennent ces croyances et ces valeurs ? De votre éducation et de vos expériences qui mettent le client au centre de vos préoccupations.
Et elles sont plus ou moins fortes chez chacun d’entre-nous. C’est un sujet majeur pour une organisation de s’assurer que ses collaborateurs ont cette culture client, qu’ils ont ces croyances et ces valeurs personnelles. Donc il faut savoir les mesurer.
Vous vivez tous les jours dans une entreprise : vous avez des collègues, un patron, des process, des outils, On vous dit des choses de façon officielle ou à la machine à café qui constituent une sorte de bruit qui compose une sorte de filtre, qui vient opérer sur comment je dois agir dans cette entreprise.
Et nous convoquons tous au quotidien des croyances et les valeurs selon lesquelles on sait ce qu’il faut faire dans cette entreprise. Non pas qu’on me l’a dit, mais je l’ai vu, je l’ai compris, je l’ai interprété, je le vis. Et donc il y a parfois des incohérences entre le discours officiel et ce que je comprends être cette entreprise.
Et donc je me conforme tout le temps à ce que je comprends être cette entreprise.
Un petit exemple : il y a deux téléphones qui sonnent en même temps. Je n’ai pas le temps de répondre aux deux. Le premier, c’est un très gros client en entreprise et il est très mécontent. Je sais que je vais passer un mauvais quart d’heure.
Le deuxième, c’est un très gros client prospect. On rêve d’avoir ce client-là. Je ne peux pas répondre aux deux et donc c’est la culture qui vous guide à choisir, même si on vous a expliqué qu’il faut fidéliser les clients. Et la plupart du temps, on va répondre au prospect.
Qu’est-ce que cela rapporte à l’entreprise de développer cette culture client ?
Guillaume Antonietti : C’est simple : Imaginons que l’on vous ordonne d’embrasser une personne que vous n’aimez pas. Pourtant, on vous a formé. On vous a expliqué comment il fallait exécuter ce geste. Vous vous conformez à un ordre d’un manager. Vous exécutez ce geste-là sans aimer. Forcément, la satisfaction ne va pas être au rendez-vous, même si vous exécutez les choses correctement.
L’excellence opérationnelle est au rendez-vous mais le résultat final est un ressenti négatif de la part du client. Et on ne comprend pas. La qualité de service est pourtant nickel mais le client n’est pas content.
Le problème, c’est que l’on n’a jamais managé les attitudes mais toujours managé les comportements. On vous dit : « fait » ! Mais on ne vous dit pas : « pense » ! Pourtant, c’est parce qu’ils pensent, qu’ils font. Donc l’enjeu de demain, c’est comment mon manager va créer cette envie de penser client, du souci du client sans devoir passer par « fait ». Parce que les comportements en injonctions peuvent être suivis, parce que c’est un ordre. Mais s’ils ne sont pas liés à une attitude positive, alors le résultat final n’est pas au rendez-vous. Donc l’intérêt pour une entreprise de la culture client, c’est le R.O.I. de tous les problèmes de l’expérience client.
On passe du temps avec des consultants à pondre des points d’excellence et former les équipes. Mais souvent, on est déçus parce qu’il nous manque un élément de l’équation qui est la culture client qui va rendre rentable tous nos efforts : c’est l’expérience client.
Alors, quelles sont vos solutions pour mettre en place et bien la piloter cette culture client ?
Guillaume Antonietti : Il faut déjà bien savoir d’où l’on part et où sont les forces et les faiblesses. Parce qu’aucune entreprise est totalement nulle en culture client, ni au très haut niveau. Donc on a des forces et des faiblesses qui peuvent être sur différents registres.
Soit c’est de l’ordre de l’organisation. Vous avez des entreprises qui ne mettent jamais le client au centre de leurs préoccupations. Et il y a trois leviers qui nous intéressent dans l’entreprise : c’est l’exemplarité managériale à travers différentes thématiques. La connexion client, cette capacité d’une organisation à se brancher sur les clients, à comprendre les besoins, à partager avec les équipes et décider pour agir et se transformer.
Ça, c’est un levier d’action client. Quand vous vivez dans une entreprise où vous observez qu’on est super à l’écoute des clients, qu’on a transformé nos process, nos pratiques, nos outils, pourquoi pas nos produits, nos prix, etc, suite à ce qu’on a appris des clients, alors on vit dans un bain culturel orienté client.
Et troisième levier, l’autonomie et la responsabilisation du collaborateur.
Il y a des organisations qui ont tellement peur de laisser des marges de manoeuvres des équipes, qu’ils les font rentrer dans une espèce de process. Le monde de l’assurance et de la banque est ainsi très formaté par la compliance, qui a bon dos pour le coup, parce que les managers se ruent derrière. Tu n’as pas le droit, tu ne peux pas.
En fait, on confond pratiques et règlements.
Si je considère que mon patron ou manager s’en foutent, qu’on a des indicateurs de performance qui parlent de tout sauf de satisfaction client, que l’on a bien des NPS qui existent mais que l’on ne pilote pas, que les clients ont des reproches mais que les choses ne changent pas, que j’aimerais prendre des initiatives, mais que j’ai vu Bertrand, l’autre jour, recevoir un blâme, parce qu’il n’a pas respecté un process… cela vous met dans un bain culturel qui est lié à l’organisation du management et qui ne vous amène pas à penser client.
Et parfois aussi, vous avez des organisations qui font des efforts sur l’expérience client et malgré tout, les collaborateurs n’ont pas goût à ce sens du client. Là, c’est un peu plus complexe. Mais il existe des méthodes pour prendre nos collaborateurs les moins sensibles aux clients et les faire monter.
Cela ne veut pas dire qu’on élimine ceux qui ont le moins d’atomes crochus mais qu’on va les aider à s’upgrader.
Guillaume Antonietti : Si jamais on élimine, on perdrait entre 25 et 30 % des équipes. C’est ce que l’on a mesuré.
Cette philosophie interne doit donc venir du top management.
Guillaume Antonietti : Oui, je pense que ce n’est pas une surprise. Les collaborateurs ont besoin que la flamme s’allume et après, ils peuvent nourrir le feu. Il faut au moins que cela vienne du comité de direction.
Mais avez-vous l’impression que les comités de direction ou des dirigeants en aient conscience ?
Guillaume Antonietti : Oui, de plus en plus, mais ce qui manque, c’est du courage managérial pour aller jusqu’à la transformation des modèles d’entreprise. Et parfois, ils essayent de nourrir cette prise de conscience par des petits trucs. On va créer une équipe dédiée à l’excellence client. On va créer un programme de fidélité. Je ne dis pas que c’est inintéressant. Mais ce sont des petits pas qui ne sont pas suffisamment transformationnels pour que les équipes vibrent au point de penser que cela change dans l’entreprise.
Je trouve qu’il manque aux dirigeants de la force et donc du risque pour mettre à plat leur façon de faire, même parfois leur business model qui doit évoluer. La façon de vendre, son tarif, etc. Mais ça, c’est plus complexe.
Cela veut dire qu‘avant toute chose, il faut quand même tenir compte de la valeur de l’entreprise, de sa culture, de son histoire et du style de management.
Guillaume Antonietti : D’abord, tout le monde est orienté client, plus ou moins. Dans notre benchmark, on en a que deux qui sont négatifs, c’est-à-dire que le client est considéré en interne comme un problème. Donc ça peut arriver, mais c’est quand même rare.
La plupart sont a minima orienté client. Mais on a voulu comprendre la différence entre celles qui le sont beaucoup et celles qui ne le sont pas du tout.
Comme on a 200 entreprises de tous secteurs, de toutes tailles, on s’est dit qu’il devait y avoir une logique. Est-ce que c’est la construction du capital ? Est-ce que c’est la taille de l’entreprise ? Est-ce que c’est le secteur ? Est-ce que c’est le modèle B2C2B ? En fait, on a regardé toutes ces variables-là.
Et il n’y a aucune logique.
Il y a ceux qui veulent et ceux qui ne veulent pas. Alors il y a ceux qui ont démarré plus tôt et ceux qui sont un peu en retard. Mais ce qui caractérise fortement les très bons, les 10 % qui sont au top par rapport à la moyenne des autres, c’est l’engagement du management. Et c’est ce qui fait la différence.
Alors justement, qu’est-ce que vous pouvez conseiller pour un bon management et une amélioration de cette culture client?
Guillaume Antonietti : Alors évidemment, on en aurait pour deux jours, mais, en résumé, il y a des étapes. Nous, ce que l’on observe, c’est que l’on ne peut pas tout faire d’un coup. Et il y a des choses qui doivent être les plus simples à faire en premier. D’abord, il y a tout un travail sur la voix du client.
Ce n’est pas parce qu’on a fait un NPS que ça y est. Il faut bien recenser l’ensemble de la captation de la voix du client, notre capacité à la synthétiser, à la partager et à l’utiliser pour progresser en amélioration continue. C’est l’étape numéro un.
L’étape suivante, un peu plus complexe, va être liée à l’autonomisation et la responsabilisation des collaborateurs. Comment vais-je faire ?
Peut-être le faire de façon non-uniforme, parce que les collaborateurs n’ont pas tous le même niveau de jeu. Peut-être donner des responsabilités et de l’autonomisation différenciées à mes équipes pour telle personne ou tel type d’équipe, celles qui vont être autorisées à dépasser les types de process pour faire jouer le bon sens client dans l’organisation.
Ensuite, c’est de travailler sur les profils, les mentalités, les états d’esprit individuels… Tout un tas d’étapes à passer pour que mon organisation mettent les collaborateurs dans un bain culturel et fondamental.
Et enfin, comment je vais faire pour que mon collaborateur ait le sens du client.
C’est un bon professionnel, il a envie, il aime ça, mais il n’y arrive pas. C’est plus fort que lui. Parce qu’il y a aussi des choses qui nous dépassent : les automatismes, nos associations implicites, nos biais cognitifs comme disent les chercheur. Comment est-ce qu’on travaille ça ? Là, on est au bout du bout. Et le jour où on aura réussi à faire en sorte que nos équipes en majorité aient le goût du client de façon automatique, on a gagné la guerre.
Cette trajectoire de transformation peut-elle se modifier au fur et à mesure ?
Guillaume Antonietti : Il faut en tout cas bien s’assurer que ce que l’on est en train de mettre en œuvre porte ses fruits. Cela veut dire que l’état d’esprit de nos collaborateurs est en train d’évoluer et qu’ils adhèrent.
Et donc, c’est pour cela que leur profil est extrêmement important.
Pour terminer, vous parliez de niveau de jeu. Vous avez développé justement la fresque client qui est un outil pédagogique mais aussi un jeu.
Oui, parce que je peux discourir sur plein de conférences mais je me suis rendu compte que mes conférences, elles glissent. Ça rentre dans une oreille et ça sort par l’autre. Et on a eu l’idée avec mes équipes de dire, on va les faire jouer.
Tout ce que l’on raconte sur la chaîne satisfaction, fidélité, profit et la culture client qui est un maillon nécessaire à la réussite de cette chaîne-là, eh bien, toutes ces notions-là, 25 au total, on les a mélangées dans un jeu de cartes. On les balance sur la table et on va les organiser de façon logique, chacune ayant une conséquence sur une autre, de manière à les faire réfléchir sur leur positionnement et trouver leur feuille de route.
Après, il faut se mettre au travail et c’est au responsable de l’expérience client de prendre le relais.
Propos recueillis par Alexandre Carré, Directeur de la rédaction ANEWS Expérience Client