Quelles perspectives économiques en 2023 ?
Philippe Waechter
L’économie mondiale paie au prix fort la guerre menée par la Russie contre l’Ukraine. Conjuguée aux effets de la pandémie, elle vient ralentir la croissance et ajoute aux tensions sur les prix notamment de l’alimentation et de l’énergie. Le PIB mondial a stagné au deuxième trimestre 2022 et la production a reculé dans les économies du G20. L’inflation a atteint, au premier semestre 2022, un pic inédit depuis les années 1980. Au vu de la dégradation des indicateurs récents, les perspectives économiques mondiales s’assombrissent, indique l’OCDE.
Alors, quelles perspectives économiques en 2023 ?
Retex de Philippe Waechter, Chef Economiste d’Ostrum Asset Management*.
Philippe Waechter, avant d’aborder 2023, pourriez-vous nous faire une rétrospective sur l’année 2022.
Philippe Waechter : Les ruptures s’observent au printemps 2021 : on sort de la pandémie et on a partout une accélération de la croissance. Et il y a une accélération de l’inflation liée à cette reprise : les prix des matières premières et du pétrole augmentent très fortement.
Et on a des tensions particulières aux États-Unis avec une relance faite par Joe Biden en mars 2021, avec 400 milliards de dollars versés aux ménages américains (chèque de 1400 dollars par personne aux foyers américains gagnant moins de 75 000 dollars par an et moins de 150 000 dollars pour les couples mariés). Cela s’est traduit immédiatement par des Américains qui sont allés dans la boutique du coin acheter un ordinateur ou une voiture. Donc les tensions sur l’économie américaine ont été très fortes. Cela a été un facteur absolument considérable.
On a donc eu une demande qui n’a jamais été aussi forte sur les biens dans un contexte où les entreprises étaient un peu en retrait. On sortait de la pandémie donc les stocks étaient très faibles. Les entreprises minières avaient fermé les mines. Donc, il a fallu tout remettre en place mais la demande était tellement violente que cela s’est traduit par des délais de livraison très longs, par des pénuries, par des rationnements et in fine, par de l’inflation.
L’inflation vient de ces tensions et de la hausse du prix des matières premières.
En Europe, on n’a pas eu les 400 milliards de dollars de relance comme aux Etats-Unis. Mais, avec la reprise liée à la sortie de pandémie, il y a eu une demande plus forte de pétrole, de plus d’énergie. Donc, on a une source d’inflation qui n’est pas tout à fait la même.
C’est cette dynamique-là que l’on a observé tout au long de l’année 2021 avec des chiffres de croissance plutôt robustes et des créations d’emplois qui ont été considérables, notamment en France.
Ce phénomène nous portait sur 2022 avec un enthousiasme, un optimisme assez fort, jusqu’au 24 février, au moment où la Russie envahit l’Ukraine. Et là, ça change la donne, parce que, d’un seul coup, on a un choc sur les matières premières, un choc sur le prix du pétrole, sur le prix du gaz et donc sur le prix de l’électricité qui est considérable.
Un exemple pour illustrer ce phénomène : quand on regarde la balance énergétique de la zone euro, elle s’est dégradée entre la fin de l’année 2021 et le deuxième trimestre 2022, soit en l’espace de 6 mois, de 2.6% du PIB. C’est comparable au choc pétrolier.
Donc le choc a été d’une brutalité phénoménale avec l’obligation pour les ménages et pour les entreprises d’être plus attentifs à leurs dépenses.
Et là où la chose est un peu asymétrique, c’est que l’on a subi cette situation en Europe où l’on était très dépendant du gaz russe alors qu’aux États-Unis, la balance énergétique est à l’équilibre. Donc, une des explications de l’appréciation du dollar ou de la faiblesse de l’euro, c’est que, d’un seul coup, est apparu aux yeux des investisseurs, le fait que l’Europe n’était pas autonome en matière de croissance, qu’elle était très dépendante de l’énergie qui venait avant de Russie et maintenant, sur le gaz des États-Unis, soit d’une dépendance à une autre.
Face à cela, les banques centrales, la Fed aux États-Unis et la BCE en Europe ont réagi parce que l’inflation est devenue très élevée au mois de septembre en Europe. En zone euro, on est à 10%, ce qui est très élevé.
Et là-dessus, les banques centrales ont une approche très spéciale mais assez rationnelle de s’appuyer sur la seule expérience que l’on avait en matière d’inflation, les années 70 après le choc pétrolier. Une inflation qui avait duré une dizaine d’années suivie par une récession aux États-Unis et une eurosclérose, c’est-à-dire une période de croissance très médiocre.
Les banquiers centraux veulent donc réduire cette période d’inflation au minimum. Probablement qu’il y aura une récession qui sera associée parce que l’on va choquer les comportements avec des conditions financières beaucoup plus restrictives mais on réduira le temps de l’inflation.
C’est pour cela que la Fed remonte très vite ses taux d’intérêt, que la BCE suit les mêmes dynamiques, même si les raisons de l’inflation en Europe et aux États-Unis ne sont pas du même ordre.
La préoccupation aujourd’hui est une inflation qui reste très élevée, des banques centrales qui continuent de durcir le ton, une baisse de pouvoir d’achat pour chacun d’entre nous.
La hausse des taux d’intérêt est une contrainte pour les entreprises, pour les ménages et donc, on est en train de basculer peu ou prou dans une situation de ralentissement, voire de récession à l’horizon de la fin de l’année 2022.
Alors 2023, quelles sont les projections de croissance économique mondiale ?
Les chiffres de la croissance en 2022 seront bons partout, même s’il y a de la récession. Mais… Pour la France, l’acquis de croissance à la fin 2021 était de 2,4%. C’est-à-dire que s’il ne se passait rien en 2022, en termes d’élévation de l’activité, on aurait eu 2,4 % de croissance. Donc, quand Bruno Le Maire nous dit : on va faire 2,7% de croissance, c’est joli, mais en fait, la contribution spécifique de l’année 2022 n’est que de 0,3%.
Alors en 2023, cela risque d’être plus compliqué parce que l’on voit des ralentissements dans de nombreux pays. Le modèle allemand est en train d’être revisité : l’Allemagne, c’était deux dépendances ; une impulsion qui venait de Chine et des matières premières très bon marché en provenance de Russie. La Chine ne fonctionne plus de façon similaire à celle observée par le passé et l’énergie russe n’alimente plus le modèle allemand. Donc l’Allemagne va être en récession très rapidement. Il est probable que les chiffres de croissance en 2023 seront très faibles.
On imagine même qu’ils puissent être négatifs sur l’ensemble de l’année.
Après, il faut distinguer les États-Unis de l’Europe. Aux États-Unis, on est dans une phase où la FED et le gouvernement américain doivent gérer une crise inflationniste parce que les pressions, que j’évoquais tout à l’heure, après la relance se sont traduites par des tensions salariales très importantes.
Les salaires progressent entre 6 et 8% par an et Jerome Powell, le patron de la Fed dit : moi, ce que je veux, c’est réduire la durée de cette inflation. Donc je suis prêt à remonter les taux de façon importante pour que l’activité ralentisse et les tensions du marché du travail se réduisent et que l’on ait quelque chose de plus normée sur les salaires.
En Europe, la problématique est que l’on n’a pas eu de relance et on n’a pas de tensions salariales excessives. On a effectivement des pertes de pouvoir d’achat. On a des salaires qui s’ajustent à la hausse mais on n’a pas les hausses salariales observées aux États-Unis. On est loin d’une indexation similaire à celle des années 70 et la question de l’inflation n’est pas fondamentalement liée au salaire. Elle est davantage liée aux questions énergétiques.
Quand on regarde l’inflation européenne, on a un taux d’inflation qui est expliqué pour moitié par l’évolution des prix de l’énergie.
Ce qui est nouveau dans la question européenne, c’est comment on va réussir à gérer le prix du gaz et de l’électricité en 2023. On a réussi en 2022 à colmater les brèches en récupérant du gaz, à remplir les stocks, etc. Mais à des prix extrêmement élevés parce que l’on n’avait pas de contrat à long terme.
Pour 2023, on va rester dans une situation où l’on craint de manquer de gaz, donc les prix vont rester élevés. La Banque centrale européenne va continuer de durcir le ton mais elle ne pourra pas aller très loin parce qu’elle ne maîtrise pas le prix de l’énergie. Mais nous, en tant que ménage, consommateur ou entreprise, on va être en première ligne pour gérer ce prix du gaz et on va être pénalisé encore sur l’activité.
Jusqu’où va aller cette inflation ?
Ce que l’on observe depuis quelques mois, c’est que la contribution de l’énergie se stabilise. Mais ce que l’on voit apparaître de façon très importante en Europe, c’est l’augmentation des prix alimentaires sur deux points :
le premier, c’est l’augmentation des prix des céréales qui a été forte au printemps mais qui s’est un peu tassée. Le second est sur le prix des engrais qui a explosé puisqu’il est directement lié au prix du gaz.
Pour vous donner une idée, si je prends une base 100 en 2021 sur le prix du gaz en euros, on est aujourd’hui à 300. Donc, on a fait x 3.
Et ce qu’il faut avoir en tête sur le marché européen de l’énergie, c’est que le prix de l’électricité est totalement conditionné par le prix du gaz. Sans entrer dans le détail, la difficulté à trouver du gaz en volume suffisant se traduit par des tensions et sur les prix du gaz et donc, sur les prix de l’électricité.
Cette question-là n’est pas encore réglée et on a vu qu’à l’échelle européenne, on n’a pas encore trouvé de solutions. Donc on a du mal à être complètement optimiste sur 2023.
Alors, ce qui a été évoqué, c’est de plafonner le prix du gaz par exemple pour plafonner le prix de l’électricité. Mais les Allemands ont dit non. C’est-à-dire que les Allemands exportent beaucoup d’électricité en France parce qu’on a des centrales nucléaires qui ne sont pas au top de leur forme même si EDF nous a dit que ça allait revenir correctement dans les semaines qui viennent. Mais on importe beaucoup et les Allemands produisent cette électricité avec des centrales au gaz. Donc ils disent qu’ils ne veulent pas subventionner l’électricité française.
Les Allemands ont mis en place un plan de 200 milliards pour aider les entreprises, pour aider les ménages allemands face à cette flambée des prix. Et l’interprétation que tout le monde a, est que ce plan est protectionniste vis-à-vis des autres pays européens.
Et un autre point extrêmement important sur l’Europe, c’est que dans une crise financière, il y a toujours une banque centrale qui est là pour rajouter des liquidités pour une institution financière en difficulté. Sur la question du gaz, s’il n’y a pas de gaz, cela devient beaucoup plus compliqué.
Donc, je pense que le risque de fragilité européenne est peut-être plus important qu’au moment de la crise financière de 2008 ou de la récession en 2012.
Il va y avoir deux-trois années qui vont être un petit peu chahutées et c’est pour cela que les Européens doivent trouver rapidement des solutions…
Une note positive ?
Alors ce qui est intéressant de noter, c’est que le marché de l’emploi est dynamique et que, lorsqu’on interroge les chefs d’entreprise, dans tous les secteurs, ils nous disent qu’ils veulent encore créer des emplois. Les taux d’emplois vacants sont à des niveaux historiquement élevés en France, mais aussi à l’échelle européenne.
Cela veut dire que dans la crise de pandémie, dans la crise énergétique, les structures bougent et que l’économie d’aujourd’hui n’est pas celle de 2019. Il y a des technologies, des supports d’activités qui ont changé. Des secteurs qui ont plus le vent en poupe que d’autres. On a une reformulation du process économique qui peut être très porteur et je trouve cela extrêmement intéressant.
Par exemple, quand on regarde la géographie des territoires, on s’aperçoit qu’il se passe des choses un peu partout en France et pas en seulement dans les métropoles.
Donc, il y a une redistribution des cartes, une façon de repenser l’économie qui n’est pas celle d’avant mais qui est une nouvelle phase à construire. Et je pense que les chefs d’entreprise ont un rôle à jouer.
Et si on doit trouver une solution à la crise énergétique, c’est pour permettre à ces entreprises de renouveler le tissu économique en France, en Europe, pour que la dynamique d’emploi aujourd’hui, demain et après-demain, pour nous, pour nos enfants, reste favorable.
On voit donc des choses plutôt optimistes et positives sur ces points-là. Il ne faudrait pas que la crise énergétique, par une sorte d’inaction à l’échelle européenne, se traduise par un basculement.
Interview réalisée par Sylvie Nhansana, Membre du Comité de Pilotage de l’Agora des Directeurs Financiers et CFO & Partner de SERENA et Julie GUÉNARD, General Manager de l’Agora des Directeurs financiers et des Directeurs achats.
Ostrum Asset Management est une entreprise de gestion d’actifs financiers créée en 2007. Ostrum AM est une filiale de Natixis Investment Managers, banque de financement et d’investissement du groupe BPCE, créée en 2007, après la fusion de Natixis Asset Management et Ixis Asset Management
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