Mobilité : le point sur les aides, le co-voiturage, la réglementation
Le secteur des flottes, déjà impacté par la fiscalité verte, la suppression du bonus écologique et l’inflation, est face à une nouvelle loi visant à accélérer et à contrôler le verdissement des flottes automobiles. Ce texte, porté par le député de la Renaissance Damien Adam, sera discuté en séance publique le 30 avril prochain.
Quelles conséquences pour les flottes auto, pour les acteurs de la LLD et la mobilité ? Et quelles sont les priorités des entreprises en termes de gestion des parcs automobiles, de transition énergétique, d’évolution vers de nouvelles mobilités à travers le Baromètre des flottes et de la mobilité 2024 d’Arval (enquête menée dans 30 pays auprès de 8 605 entreprises).
Pour en débattre : Anne-Claire FOREL, Secrétaire Générale du SESAMLLD (Syndicat des entreprises des services automobiles en LLD et des mobilités) et Régis MASERA, Directeur Arval Mobilités Observatory et Consulting, France.
Lionel Cottin : Qu’est-ce que le Sesamlld, en quelques mots ?
Anne-Claire Forel : Sesamlld, c’est le syndicat qui représente les sociétés de location de voitures en France. A elles toutes, elles représentent plus de 2 millions de véhicules gérés, 29 % des immatriculations en France, soit 1 véhicule sur 3 en LLD.
À l’année, on est à un peu plus de 500 000 immatriculations et 62 % des immatriculations en entreprise se font en LLD, soit près de 2 véhicules sur 3.
Nous avons 38 adhérents qui représentent 91 % du marché de la location en France.
Lionel Cottin : Régis, quelques mots pour présenter Arval.
Régis Masera : Arval est une filiale du groupe BNP-Paribas, avec un parc de presque 360 000 véhicules à la route en France.
Historiquement, nous opérions sur le marché de la location longue durée mais depuis quelques années, le périmètre s’élargit avec l’évolution des mobilités pour proposer toutes les formes de mobilité qui s’intègrent dans l’entreprise, y compris le report modal vers des mobilités douces. Et nous sommes membre du Sesamlld.
Lionel Cottin : Comment a évolué ce marché des flottes auto récemment ?
Régis Masera : Le marché a été marqué par un bon dynamisme en 2023 puisque l’on fait plus 17,4 % de croissance. Mais il faut le pondérer un peu puisque par rapport à la vitesse de croisière, notre point de repère en 2019 de l’avant crise, il manque encore 75 000 véhicules. On parle d’un marché global d’un peu plus de 830 000 véhicules sur l’ensemble des entreprises.
Donc, c’est un marché qui reprend et qui est plus dynamique que le marché national en 2023. C’est une bonne nouvelle avec un tiers des immatriculations que l’on peut classer dans les véhicules électrifiés, c’est-à-dire hybrides simples, rechargeables et full électriques avec des véhicules particuliers et utilitaires confondus.
Et cette progression s’est faite majoritairement au détriment des modèles diesel.
La part véhicules utilitaires légers a vraiment été tractée par les véhicules particuliers. Dans les grandes lignes, ce sont deux tiers de véhicules particuliers, un tiers de véhicules utilitaires sur les 830 000 mis à la route.
On est malgré tout sur un marché un peu en trompe l’oeil, au sens où ce sont les mises à la route, c’est-à-dire les véhicules livrés. Ce ne sont les commandes. Et les commandes se sont plutôt tassées sur la fin de l’année 2023 et un peu moroses en début d’année. Jusqu’à fin février, on restait sur un marché dynamique où l’on était à plus 12 %. Mais là, le marché du mois de mars a été très mauvais. Et donc, pour l’instant, on est sur une progression par rapport à 2023 de 4,5%.
Ça reste en croissance mais le point que l’on doit surveiller et accompagner, c’est toujours ce sujet de l’électrification où l’on voit que l’on a gagné trois points de part de marché. Mais ces trois points sont majoritairement tractés par des hybrides simples, là où le full électrique est au même niveau qu’en fin d’année dernière. C’est atypique puisque jusqu’à maintenant, on progressait à peu près de deux points par an. Mais l’arrêt des bonus pour les entreprises y a contribué.
Est-ce que l’on peut faire un rapide récap du contexte réglementaire qui a beaucoup bougé ces derniers mois ?
Anne-Claire Forel : Et qui va continuer à bouger ! Aujourd’hui, ce qui s’applique, c’est la LOM, la loi d’orientation des mobilités, qui oblige les entreprises qui gèrent un parc directement ou indirectement de plus de 100 véhicules, à avoir un taux de renouvellement de véhicules à faible émission d’un certain pourcentage qui évolue tous les ans. Sur 2024, on est à 20 %.
Pour 2027, 30 % de véhicules à faible émission sont attendus dans les renouvellements de flotte. Donc, ce qui est quand même important.
Et les entreprises sont tenues en plus de faire une déclaration du renouvellement de leur parc, ce qui n’est pas fait aujourd’hui. Il n’y a pas encore de sanction mais il y a quelque chose dans les tuyaux.
En revanche, si on fait un petit focus sur le marché LLD uniquement en entreprise et si on se base sur la loi telle qu’elle est – donc en intégrant les véhicules à faible émissions au niveau LLD en entreprise – on est à 25,5 % sur les chiffres à fin 2003.
L’obligation pour cette année était de 20 % de véhicules électriques, véhicules hybrides inclus. Donc jusque-là, on est dans les clous.
C’est là la petite subtilité. Est-ce qu’on inclut ou pas les hybrides ?
Anne-Claire Forel : C’est ça. Alors le gouvernement souhaite accélérer le verdissement des flottes. C’est une pression qui vient aussi au niveau européen avec la fin du véhicule thermique en 2035. Et donc, effectivement, on est en présence d’une propositions de loi, du député Damien Adam avec une deuxième version qui rentre en discussion la semaine prochaine.
Le député propose une accélération du calendrier. C’est-à-dire qu’au lieu de passer à 35 % en 2027, il propose de passer déjà à 40 % en 2026 et 50 % en 2027 puis une progressivité de 10 en 10, jusqu’à 90 % en 2032.
Mais ce qui est le plus impactant, c’est que le projet de loi ne s’appliquerait qu’au renouvellement de véhicules électriques. On ne prend plus en compte les véhicules à faibles émissions hybrides et hybrides rechargeables. Donc la donne est complètement différente puisque si on s’en tient au marché et aux résultats que l’on a aujourd’hui des immatriculations sur le marché entreprises LLD, on est à 11 %.
Donc la marche est énorme et cela fait une énorme pression pour les entreprises, pour les loueurs y compris parce qu’on ne peut forcer personne à rouler en électrique si on n’a pas l’usage qui correspond.
Se pose également, la question d’être en capacité de livrer ces véhicules et le prix des véhicules, des bornes de recharge, parce que, pour les entreprises, c’est quand même un coût supplémentaire. Même si grâce au loueur, ça permet d’avoir un loyer lissé.
Et il y a dans ce projet de loi éventuellement des sanctions.
Anne-Claire Forel : Des sanctions de deux ordres : pour non-déclaration de parc. Ça, ça peut s’entendre. Mais il y a également une forte proposition de sanctions en cas de non atteinte de quotas qui peut aller de 1 % du chiffre d’affaires français (La sanction envisagé en cas de manquement à l’obligation de reportage par l’entreprise est de 0,1 % du chiffre d’affaires français hors taxes du dernier exercice clos réalisé.)
Là encore, c’est quand même énorme. Et évidemment, beaucoup d’acteurs sont en train de voir comment on peut moduler ces sanctions. Et on peut même d’être éjectés des marchés publics.
Quelle la position du SesamLLD sur cette proposition de loi ?
Anne-Claire Forel : On œuvre pour convaincre un maximum d’interlocuteurs, que ce soit le député lui-même, mais aussi d’autres députés. Et donc, notre position est de dire attention, n’allons pas trop vite. On ne peut pas forcer les entreprises à prendre de l’électrique à tout bout de champ.
Il faut prendre en compte la réalité du terrain, du marché, du besoin, des recharges. Le loueur aujourd’hui est impacté sur l’ensemble de son parc, ainsi que les entreprises qui ne sont pas soumises à la LOM. Donc là-aussi, il y a des subtilités d’écriture qu’on essaie de revoir et de corriger.
Régis Masera : Aujourd’hui, le fait basculer sur l’électrique a un intérêt pour un bon nombre d’entreprises notamment autour de la fiscalité. Et c’est un enjeu majeur. Donc on partage la vision du gouvernement. La question, c’est que le chemin pris pour y arriver, notamment ce choc de calendrier et de rapidité de la montée en puissance de l’imposition nous amène à penser quand même qu’on a plus de risque à avoir des effets contreproductifs.
En France, on a quelques exemples quand même derrière nous qui montrent que quand on va trop vite, trop fort, on a des effets rebonds, et des volontés d’attentisme ou de désengagement.
D’attentisme, parce que ça bloque les marchés : le fait de savoir si on est ou pas exposé et à quel niveau. Puis de créer la matière première pour pouvoir électrifier ou obtenir ces 20 %.
De désengagement aussi, si ça devient trop compliqué à gérer. Et dans ces deux cas de figure, ce ne sont pas des éléments qui vont dans le sens de la décarbonation.
Cela va plutôt dans le sens du vieillissement du parc et du report de mobilité vers des particuliers dont on sait qu’ils sont plus tendus que les entreprises sur la trésorerie et donc plutôt acheteurs de vélo.
Et il y a également la fin du bonus.
Anne-Claire Forel : Fin du bonus pour les personnes morales. Un coup d’arrêt du jour au lendemain, donc on le sent sur le marché. Et il y a une baisse de 1 000 € sur le bonus pour les camionnettes. Donc ça aussi a un impact.
De plus, il y a un renforcement très fort du malus. Au niveau des hybrides, il y a encore des abattements pour cette année. Et la taxe annuelle sur le CO2 augmente également très fortement. On passe de 40 à 500 euros sur un diesel entre 2023 et 2024. C’est énorme pour les entreprises qui ne peuvent pas s’équiper autrement ou qui ont prévu des plans de transports.
Et on prend en compte la pastille critère et également la norme euro du véhicule qui rentrent dans dans le nouveau barème.
La transition énergétique aujourd’hui dans les textes, répond à une électrification du parc. Il n’y a pas que l’électrique qui aide à réduire l’impact carbone, il y a d’autres énergies alternatives comme le bio GNV comme le 85, mais aujourd’hui, c’est le choix de l’électrification pur qui est fait.
L’évolution de cette fiscalité a un impact direct sur le coût total de possession. Il faut refaire ses calculs. Alors comment est impacté ce fameux TCO ?
Régis Masera : Si on regarde les tendances, sur trois familles, citadines, compacts et familiales et le coût global de détention moyen par énergie sur la fin d’année 2023 et début 2024, on se dit deux choses.
D’une part, tous les critères du TCO ont été impactés. après trois années de très fortes hausses puisque grosso modo, les coûts globaux de détention ont pris plus de 30 % liés au phénomène de crise, de hausse des prix catalogue, de baisse des remises.
2024 est une année sur laquelle l’inflation ralentit, où l’on retrouve des pratiques de marché qui normalement doivent tirer les prix vers le bas. Néanmoins, avec le poids de la fiscalité, ce marché, en tout cas sur le premier trimestre, continue à augmenter légèrement, de l’ordre de 4 % sur le panier que l’on suit. Donc ça maintient quand même quelque part une hausse du coût pour les entreprises.
Deuxième élément, c’est de se demander si finalement, cette nouvelle fiscalité, notamment avec la suppression du bonus aux personnes morales pour les VP, a un impact significatif ou non sachant que les véhicules électriques étaient aussi une solution pour maîtriser la hausse des coûts ou pour faire des économies. Cela ne change pas complètement la tendance de fond. Mais fin 2023, entre une citadine full électrique et sa sœur en thermique, on était sur des gains de 5 à 6 % en faveur de l’électrique sur cette catégorie qui est la plus impactée par les bonus. Avec la suppression des bonus, on revient à l’équilibre, voire à un léger surcoût.
Donc à voir derrière comment cela va être compensé par des logiques de remises, mais pour le moment ce n’est pas très bon, d’autant que ça représente des volumes très importants sur le marché de l’entreprise que sont les citadines et les compacts.
Le prix du véhicules lui a flambé et aujourd’hui, avoir la trésorerie nécessaire pour financer des véhicules full électriques, cela fait partie des problématiques des entreprises pour conduire le changement.
L’allocation de durée permet de lisser les coûts, néanmoins, il faut bien avoir une vision en coût global de détention pour savoir où se situent les seuils de rentabilité pour les entreprises.
Face à tous ces coûts, que peuvent apporter les loueurs ?
Anne-Claire Forel : En passant par la location longue durée, cela permet déjà de s’engager sur huit ans. Cela permet de bénéficier d’un véhicule le plus récent, qui répond aux nouvelles normes, aux nouvelles réglementations. C’est encore le loueur qui assume les risques de la revente du véhicule en fin de contrat.
Et en LLD, le loyer étant lissé, on connaît donc le coût sur toute la durée du contrat et c’est une option économique intéressante, notamment dans un contexte inflationniste comme aujourd’hui.
Régis Masera : Le loueur a aussi un rôle de conseil. Il a le pouvoir de capter des opportunités de marché, liés à des politiques commerciales de constructeurs très divers, ce qui a aussi ouvert le marché à de nouvelles marques.
Ensuite, c’est l’externalisation du risque. Avec la transition énergétique, on voit bien que, sur les véhicules électriques, avec les chocs de génération des technologies, ce point là est devenu crucial. Parce qu’aujourd’hui, les véhicules électriques qu’on rentre en ce moment ne permettent pas forcément de retrouver le surcoût qu’on avait à l’achat il y a deux, trois, cinq ans en arrière.
Régis, vous êtes à la tête du Baromètre des flottes et des mobilités Arval, quels sont les principaux défis à venir ?
Régis Masera : La prise de conscience dans les entreprises sur l’importance de la transition énergétique est bien là. Le problème, c’est la conversion. C’est leur premier challenge et c’est une tendance européenne.
C’est un peu plus fort en France parce qu’on a un cadre réglementaire également plus plus resserré. Le deuxième point est assez proche du premier : se mettre en conformité avec les politiques publiques.
Si les prix sont bien adressés, mesurés, pris en charge par les entreprises, le sujet maintenant, c’est de passer à des volumes à une échelle supérieure. Ce qui bloque dans cet effet volume, c’est que les entreprises ont trois niveaux adressés qu’elles n’ont jamais connu auparavant. D’abord le besoin d’identifier leur potentiel et leur correspondance produit ; le sujet des infrastructures ; la conduite du changement auprès des collaborateurs. Donc ça fait beaucoup de chose et ça prend du temps.
Pour l’instant, on n’a pas encore trouvé de substituts aux véhicules, notamment sur la partie des véhicules utilitaires qui représentent le plus gros potentiel de croissance. Parce que l’activité des entreprises, et notamment tout ce qui est le sujet de la gestion à domicile, prend de l’ampleur et nécessite des véhicules pour ça.
Pour les véhicules particuliers, plutôt liés à la hausse des prix, ça devient de moins en moins accessible aux titres des particuliers. Donc on retrouve les leviers historiques de location longue durée qui représente un avantage très significatif pour le collaborateur et plus intéressant d’un point de vue économique pour l’entreprise. Mais il va falloir surveiller ça de très près en fonction de l’évolution du cadre réglementaire.
Et dans ce monde un peu incertain finalement, on est effectivement sur une accélération des parts de marché des formules locatives.
Toujours dans votre baromètre, quand on s’intéresse à la répartition des énergies par flotte sur trois ans, on voit que le full électrique va représenter pas loin d’un quart.
Régis Masera : Un quart sur des véhicules particuliers. On est un peu en dessous sur les véhicules utilitaires.
Et deux informations intéressantes. Pour la France, les décideurs interrogés estime à 3 ans qu’ils seront à 45 % pour les véhicules thermiques.
La deuxième information, c’est qu’il n’y a pas de disparité entre les tailles d’entreprises, alors que la LOM et le nouveau cadre réglementaire proposé par le député Adam touchent les flottes de plus de 100 véhicules. Or, là, on voit bien que ce sujet est pris en compte par l’ensemble des entreprises.
Pourquoi ? Parce qu’il y a aussi un phénomène de cohérence entre le métier que vous réalisez et les valeurs que vous portez et la défense de la marque et les moyens que vous utilisez.
Autre indicateur, l’entreprise prend de la responsabilité et est impacté dans le trajet domicile travail, avec par exemple la mise en place du forfait mobilité durable qui peine un peu à progresser ou encore sur des enjeux de décarbonation sur certains secteurs d’activité.
Enfin, la progression les plus attendus sont : un, la location courte et moyenne durée. Là, on est beaucoup plus sur un sujet de conduite du changement justement, vers l’électrification des flottes, c’est-à-dire de voir si on est en correspondance avec les métier, faire un test, s’assurer que les collaborateurs y adhèrent, etc. Donc ça, c’est un premier champ.
Deux, sur le trajet domicile travail : on a vu une montée en puissance assez forte de tout ce qui est lié au covoiturage, solutions partagée et vélo, ceci étant lié à des phénomènes de coûts et d’économies.
Je note que le budget mobilité fait son apparition.
Régis Masera : Il est en développement. Ça fait partie des choses sur lequel on aimerait pouvoir être entendu par les pouvoirs publics. Parce que, pour l’instant, ce qui bloque le développement de ces crédits mobilité, c’est la fiscalité qui aujourd’hui n’est pas étale par rapport à une offre de véhicules. Cela nécessite de faire effectivement quelques efforts d’ajustement pour pouvoir le développer de manière plus massive dans les pratiques des entreprises.
Propos recueillis par Lionel Cottin, Directeur de la Rédaction d’ANews Workwell.