Évolutions et perspectives du métier de DAF
Retex de Sophie Macieira-Coelho, Directrice de mission luxe, retail et retournement d’entreprise chez Delville Management, sur les évolutions permanentes du métier de Directeur administratif et financier, qu’elles soient conjoncturelles ou structurelles.
Et tour d’horizon sur les perspectives de carrière du DAF, du Comex à CEO, du conseil stratégique à Manager de transition.
Julie Guénard : Avant d‘aborder notre thématique, est-ce que vous pourriez revenir sur votre parcours ?
Sophie Macieira-Coelho : Oui, volontiers. J’ai quinze années de direction financière groupe dans des groupes cotés, principalement. Un peu de groupe familial dans le secteur du luxe essentiellement, et suivi d’une dizaine d’années de direction générale, secrétaire général dans des secteurs un peu différents, industrie médicale par exemple, et dans des sociétés sous LBO.
J.G : Comment êtes-vous arrivée chez Delville ?
Sophie Macieira-Coelho : En quittant mon dernier poste, j’ai souhaité, après réflexion, revenir dans le secteur du luxe et du retail dans lequel j’ai passé l’essentiel de mon parcours professionnel. Et par hasard, en rencontrant Delville, parce que j’ai été moi-même manager de transition dans le passé, Delville m’a proposé de les rejoindre pour travailler sur la practice luxe et retail et retournement d’entreprise, de par mon passé.
J.G : Quelles sont les grandes évolutions auxquelles le métier de DAF a fait face et surtout, l’évolution de ses responsabilités que l’on a pu observer ces dernières années ?
Sophie Macieira-Coelho : Oui, mais avant de parler d’évolution, il faut peut-être parler du rôle des responsabilités du DAF. Qu’est-ce qu’un DAF ? C’est difficile d’y répondre parce que d’une société à une autre, le scope peut être différent et les responsabilités différentes.
Je pense qu’il y a un socle de base qui reste. On peut dire que le directeur financier garantit tout ce qui est une bonne et rigoureuse gestion administrative et financière de l’entreprise avec différents pans : la compta évidemment, le respect des règles comptables et fiscales, tout ce qui est contrôle financier, avec tout ce qui est business performance, management, le pilotage de la performance de l’entreprise, les outils d’aide à la décision avec le déploiement de ces outils, la fiabilité et l’intégrité des données.
Il y a également le cash, avec tout ce qui est pilotage de la trésorerie, le financement de l’entreprise, le suivi du cash, donc le prévisionnel nécessairement, tout ce qui est budget forecast et autres.
Et enfin, tout ce qui touche aux risques de l’entreprise, gestion des taux, gestion du change et des risques plus généraux.
Donc, c’est globalement ce qui fait l’unanimité. Ce sont les basiques, le socle de base. Mais le DAF est au cœur du Comex. Il est en interaction avec les différentes directions de l’entreprise et il est le garant, en quelque sorte du déploiement de la stratégie, du déploiement opérationnel, de la stratégie qui est fixée par la direction générale.
Maintenant, le rôle du DAF peut évoluer d’une société à une autre avec des pôles différents.
Pour revenir à la question sur les évolutions, j’ai regardé sur internet l’histoire du DAF. En fait, la fonction est née au début du XXᵉ siècle et n’a pas cessé d’évoluer depuis. Au début, c’était purement administratif.
Après la Seconde guerre mondiale, la fonction est devenue beaucoup plus autonome, beaucoup plus importante. Et c’est surtout après les années 70 où l’on a vu le rôle de business partner, accompagnement des orientations stratégiques, se développer.
Au cours des dernières années, il y a des évolutions permanentes, qu’elles soient conjoncturelles ou structurelles.
En fait, on accompagne l’évolution de l’environnement.
Par exemple, on a vu la mondialisation au cours des 20 dernières années de l’économie. Dans ce cadre-là, le métier du DAF a évolué. La mondialisation a impliqué la délocalisation de la fonction comptable par exemple, et on a vu la création de centres de services partagés à l’étranger. Dès lors, le scope de responsabilités du directeur financier s’est réduit sur cet aspect-là.
Donc ça, ce sont des évolutions structurelles.
Il y en a aussi des évolutions conjoncturelles. Aujourd’hui, nous sommes en période d’inflation. Donc le rôle du directeur financier est davantage orienté sur la préservation du résultat, c’est-à-dire du Cost Killing, accompagner peut être les directions commerciales sur tout ce qui est Price Positioning, augmentation des prix et accompagner les calculs de marge en période d’inflation.
Nous sommes aussi en post crise sanitaire. Dans ce cadre-là, beaucoup d’entreprises se trouvent endettées, voire très endettées. Le cash redevient une priorité. Le pilotage par le cash que l’on a déjà connu dans les années passées, aujourd’hui est toujours là, avec en plus des taux d’intérêt qui augmentent. Et les sujets de financement deviennent aussi importants. Donc tout évolue en fonction de la conjoncture.
J.G : On parle beaucoup de numérisation et d’automatisation. Comment ces deux sujets ont impacté le métier du DAF et quelles sont les tendances à venir dans ce domaine ?
Sophie Macieira-Coelho : C’est une bonne question, qui n’est pas nouvelle parce que la digitalisation de la fonction finance, on en parle depuis une vingtaine d’années maintenant. Elle a commencé sur les fonctions comptables, avec tout d’abord la dématérialisation, le développement de processus order to cash.
Donc ça, c’était une première étape qui, après, s’est transformée vers une automatisation de tout ce qui est process et tâches répétitives, avec ce que l’on a appelé le RPA, Robotic Process Automation. Du coup, cette fonction comptable a été beaucoup bouleversée.
Et aujourd’hui, avec l’IA, on commence à voir le métier de contrôleur de gestion changer. Parce que tout ce qui est Machine Learning, prédictive analytics va commencer à remplacer les calculs de prévisions, de scénarios, de reforecast.
On est en plein cœur de cette mutation du métier de contrôleur de gestion.
Et dans ce cadre-là, le rôle du DAF évolue. Et au cours des quinze dernières années, je dirais qu’il a eu un rôle de pilote de la transformation dans bon nombre d’entreprises.
Qu’est-ce que ça veut dire ? Ça veut dire revoir les process, revoir l’organisation, revoir les flux en lien, non seulement avec l’IT, mais aussi avec toutes les directions de l’entreprise. Accompagner la transformation avec la dimension humaine.
C’est vrai que le DAF du début du XXᵉ siècle, qui gérait les fonctions administratives dans sa tour, n’est plus là. Aujourd’hui, il y a une vraie dimension managériale, d’accompagnement, de transformation, qui est très importante et qui va se poursuivre de façon accélérée avec le développement de l’IA.
J.G : Quelles sont les perspectives pour le métier de DAF, notamment en ce qui concerne les tendances en matière de développement durable et de responsabilité sociale des entreprises ?
Sophie Macieira-Coelho : Ça, c’est une autre évolution structurelle du métier du directeur financier qui, là encore, n’est pas nouvelle. Ça a commencé il y a une vingtaine d’années. Je me souviens des premiers rapports dans les groupes cotés avec la CSR, je ne parle pas de la CSRD dont on parle beaucoup aujourd’hui, mais de la CSR de l’époque qui était le Corporate Social Responsability, où dans les groupes cotés, on commençait à faire des reportings extra-financiers.
Là, c’était bien souvent sous la responsabilité du directeur financier. Et aujourd’hui, avec la CSRD (Corporate Sustainability Reporting Directive) que l’on attend à la fin de l’année, ça ne va qu’accélérer cette dimension de reporting extra-financier.
Quand bien même il y a des fonctions qui se créent, de sustainability Director, directeur du développement durable ou ce genre de choses, la responsabilité de la production des chiffres reste bien souvent sous le prisme du directeur financier.
J.G : Et vous qui êtes souvent avec des directeurs financiers, quelles compétences et formations sont devenues essentielles pour que le métier continue d’évoluer ?
Sophie Macieira-Coelho : Un directeur financier doit par la base de son métier, rester rigoureux, organisé et fiable. Ça, c’est le socle.
Mais avec les évolutions que l’on vient d’évoquer, que ce soit avec l’IA, le CSRD et toutes les mutations que l’on a pu observer, il y a véritablement une capacité d’adaptation, une agilité qui est primordiale.
Ensuite, la capacité d’apprentissage rapide, parce qu’un directeur financier a un rôle variable d’une entreprise à une autre, avec un scope très large. Mais il ne peut pas être technicien sur tout. Donc c’est plus une capacité d’apprentissage rapide pour avoir un overview et être capable de discuter avec n’importe quel technicien qui rentre dans son scope. Donc ça, c’est le deuxième point.
Je pense aussi que c’est clairement un communicant. Il doit aujourd’hui être communicant de par son rôle central pour accompagner une transformation, pour communiquer.
Et bien sûr, un manager, un animateur d’équipe pour emmener et piloter ces transformations.
J.G : Et comment les directeurs financiers gèrent-ils la transition vers la fin de carrière ou vers un autre rôle au sein de l’entreprise ?
Sophie Macieira-Coelho : Les évolutions, j’en vois plusieurs.
En entreprise, il y a effectivement l’élargissement du scope. Je citerai mon exemple, de directeur financier groupe, je suis devenue directeur général adjoint en charge de toutes les fonctions support, en supervisant le DAF, la DRH, la DSI, la direction juridique, la DV, les services généraux. Donc ça, c’est une évolution du scope
Cela peut être une évolution, non pas du scope, mais de taille d’entreprise, avec une exposition peut être plus internationale pour certains. Donc ça, ce sont des évolutions dans l’entreprise.
Ensuite aujourd’hui, en tant que directeur de mission chez Delville Management, je vois des directeurs financiers qui sont devenus CEO. Je vois des directeurs financiers qui sont devenus directeurs des sustainability dans des grands groupes. Alors dans ces grands groupes-là, on peut se poser la question du rôle du directeur financier demain parce que c’est un ancien directeur financier qui prend cette responsabilité. Donc là, il y a quand même une interrogation à avoir.
Et enfin, le management de transition, c’est aussi une bonne évolution pour les directeurs financiers en fin de carrière. Aujourd’hui, on a des statistiques sur le premier semestre 2023 et 27 % des missions sont sur des fonctions de directeur financier. Donc c’est quand même un scope important sur l’ensemble des fonctions.
Là où je voudrais mettre un petit bémol, c’est qu’on parle d’évolution en fin de carrière. On a quand même aussi de plus en plus de directeurs financiers plus jeunes qui se tournent dans le management de transition.
On a aujourd’hui un petit 30 % qui ont moins de 50 ans. Et cette tendance est en augmentation.
J.G : Et quelle est la raison de passer au management de transition ?
Sophie Macieira-Coelho : Alors il y en a plusieurs mais le principal intérêt, c’est de passer en mode projet. Finalement, les entreprises font appel à nous dans deux cas de figure : du management de relais, avec une notion d’urgence, parfois de crise, ou pour gérer des projets de transformation importants tels que ceux cités tout à l’heure. Donc, c’est l’idée de contribuer sur une période courte, limitée, dans une situation d’urgence managériale et avec des constructions de mise en place. Il y a un rôle important.
J.G : Et quelles sont les compétences et l’expérience clés qu’un directeur financier en fin de carrière peut apporter à des postes de conseil d’administration, de mentorat ou de conseil stratégique ?
Sophie Macieira-Coelho : Il peut apporter une vision à 360 de l’entreprise. Ça, c’est un premier point.
Ensuite, une dimension stratégique et en même temps opérationnelle. Un directeur financier, dans un conseil d’administration, s’il voit un projet qui ne tient pas la route, en termes de budget ou en termes de réalité ou de mise en place, le verra rapidement. C’est une dimension à la fois stratégique et opérationnelle.
Il apporte aussi une vision sur l’approche des risques : l’approche par les risques au niveau de l’entreprise globale et bien évidemment, le cash aussi, parce que c’est vital pour l’entreprise. Et s’il y a des décisions ou des sujets qui mettent en péril le cash, ça met en péril la viabilité de l’entreprise. Et là, il peut avoir un rôle de conseil intéressant.