Depuis leur première mise en circulation sur le marché en 2009, le bitcoin et crypto-actifs ont connu un véritable succès, notamment grâce à leur accessibilité. Partagés entre fantasme, crainte et méconnaissance, il semble donc urgent, annonce le Sénat français dans sa proposition d’une commission d’enquête sénatoriale, de mieux connaitre ces dispositifs et peut-être de les encadrer.
En 2021, selon les données du ministère de l’Économie et des Finances, on dénombrait « 5 023 cryptomonnaies en circulation dans le monde ». Crypto Parrot, un simulateur de trading, estimait quant à lui que le volume des crypto-actifs en circulation avait augmenté de 68 % entre les mois de septembre 2020 et de septembre 2021, pour une valeur totale de 2 600 milliards de dollars en 2021.
Romain SAGUY, Chief Revenue Officer à COINHOUSE* dresse un état des lieux des usages et des opportunités des crypto-actifs et de la blockchain pour les entreprises (paiement, investissement, placements et trésorerie – Efficacité, traçabilité et sécurité – Législation, compliance et juridique, fiscal et comptable…)
Est-ce que vous pouvez nous expliquer tout d’abord le Bitcoin ?
Romain Saguy : Ce sont deux choses en réalité. C’est à la fois un actif et un réseau de paiement.
C’est un actif qui peut être créé, échangé et conservé sans avoir besoin d’un intermédiaire, ni de banque, ni de banque centrale ou d’entreprise.
C’est un réseau décentralisé qui vous permet d’avoir des Bitcoins sur un portefeuille et de les échanger. Ce sont les principes fondamentaux.
Ensuite, quand on parle de protocole décentralisé, on parle d’un code informatique qui a un certain nombre de règles. Cet actif qui est le Bitcoin a deux règles fondamentales.
La première, c’est qu’il n’y en aura jamais plus de 21 millions d’unités émises et on atteindra ce chiffre en 2140. Et cette émission est divisée par deux tous les quatre ans. Donc, on a de moins en moins de Bitcoins qui sont mis sur le marché tous les jours jusqu’en 2140.
Vous avez donc un actif, qualifié d’actif numérique en France par la loi française qui peut être échangé sans banque centrale, qui est limité dans le nombre d’unités disponibles, qui est rare intrinsèquement et donc lorsque vous avez une demande pour un actif rare, vous avez une valeur qui va monter dans la durée.
Quel est l’utilité du Bitcoin ?
Romain Saguy : Alors souvent, quand vous entendez parler de Bitcoin dans les médias, vous en entendez parler sous l’angle de l’évolution de son prix : « le Bitcoin est à 20 000 dollars, il est passé à 60 000. Superbe montée ou super crash… » Mais en réalité, le Bitcoin n’a pas été créé pour avoir un prix en Euro, en Dollar. Il a été créé d’abord comme une promesse technologique avec trois utilités :
la première, je l’ai dit juste avant, si c’est un actif rare et que vous avez de la demande, sa valeur va augmenter dans le temps et notamment par rapport aux monnaies traditionnelles comme l’Euro ou le Dollar qui elles, peuvent être créées à l’infini.
Si vous avez un actif rare, alors vous avez une réserve de valeur, en tout cas, sur le long terme où vous pouvez aller conserver une partie de votre épargne ou de votre actif en tant qu’entreprise. Ça, c’est la première utilité.
Aujourd’hui d’ailleurs, on le voit avec des pays comme l’Argentine ou la Turquie qui ont des inflations à 60, 80, 120% et où les populations se tournent vers ce type d’actifs pour protéger leur épargne.
Mais on l’a dit aussi, c’est un réseau de paiement puisque vous pouvez échanger des Bitcoins à travers le monde. Donc, si vous êtes une entreprise et que vous souhaitez payer des fournisseurs à l’international, passer par le réseau Bitcoin a deux intérêts :
c’est beaucoup moins cher que les systèmes financiers traditionnels et votre paiement va arriver en 10 minutes. Il n’y a pas de soirée, week-end ou jours fériés. Il n’y a pas de délai bancaire pour ajouter l’IBAN de votre fournisseur et vous êtes sûr que le virement arrive.
Donc, cela a un intérêt en tant que système de paiement pour les entreprises.
Après, si vous êtes un particulier, il y a un intérêt dans des pays où le système bancaire est peu développé. Par exemple au Nigeria où le Bitcoin va servir de système de bancarisation alternatif.
Puis le troisième intérêt est que ce réseau décentralisé est résistant à la censure.
Il ne peut pas être contrôlé par un particulier fortuné, un État ou une entreprise. A travers le monde, il y a des populations qui l’ont utilisé pour se prémunir par exemple d’un dictateur ou d’une situation géopolitique tendue. Les Ukrainiens en 2014, lors de la révolution du Maïdan, ont utilisé le Bitcoin parce que l’État avait coupé les virements internationaux rentrant dans le pays.
Cela vous fait trois utilités finalement qui ont une valeur quel que soit le prix du Bitcoin sur les marchés, en euros, en dollars.
Derrière le Bitcoin, il y a la blockchain ! Comment cela fonctionne et pourquoi est-ce important de s’y intéresser en tant qu’entreprise ?
Romain Saguy : Une blockchain n’est rien d’autre qu’une base de données distribuées. Si je résume, c’est comme votre gros fichier Excel avec un tas d’onglets et lorsque vous avez rempli un onglet, vous le sauvegardez, vous le figez, etc. et vous avez des blocs de données. Sauf qu’une blockchain a deux particularités :
la première est qu’une fois que vous avez figé un bloc de données, vous ne pouvez plus revenir dessus et la deuxième, c’est qu’elle doit être distribuée ; c’est-à-dire que vous avez des copies à des milliers d’exemplaires à travers le monde si bien que personne ne peut prendre la main pour changer les données ou avoir tout pouvoir sur les données qui sont inscrites dans cette blockchain.
Cela veut dire que le nombre de cas d’usages est à la fois très important mais aussi limité. Limité, parce que dès lors que vous voulez avoir un cas d’usage centralisé, vous n’avez pas besoin d’une blockchain.
En effet, si vous voulez avoir une base de données dans votre entreprise, Oracle ou Amazon que sais-je, elle fonctionnera très bien et sera beaucoup plus performante.
En revanche, si vous voulez décentraliser un usage, le rendre notamment public, transparent, que chacun puisse avoir accès aux données et contribuer à la validation des données, alors une blockchain a du sens.
Et quel est l’intérêt pour une entreprise de diversifier son portefeuille en crypto-actifs ?
Romain Saguy : Sur l’investissement, en tant qu’entreprise, vous avez deux intérêts majeurs :
c’est de la diversification d’une petite partie de l’actif, 1 à 2%, 5% grand maximum pour aller chercher une performance à long terme. Des entreprises comme MicroStrategy ou Tesla ont investi une partie de l’actif à un horizon d’au moins 4 ou 5 ans.
L’autre cas d’usage est de profiter de ce coffre – aujourd’hui la finance décentralisée (DeFi) – c’est-à-dire la possibilité d’avoir accès à des rendements sur ce que l’on appelle des stablecoins, des cryptos qui sont non volatiles comme l’USDT qui est indexé sur le dollar ou l’EURL sur l’euro.
Ces stablecoins peuvent être placés pour générer 3, 4, 6% de rendement annualisé. Ce qui vous permet de dynamiser votre placement de trésorerie.
Quel est le process que vous conseillez à une entreprise qui souhaite investir ?
Romain Saguy : En France, depuis la loi Pacte de mai 2019, une réglementation permet à l’Autorité des Marchés Financiers (AMF) d’enregistrer des acteurs qu’elle contrôle, sur l’aval de l’ACPR (Autorité de contrôle prudentiel et de résolution).
Et Coinhouse a été le premier acteur enregistré en mars 2020 et ces acteurs s’appellent des PSAN, des prestataires de services sur actifs numériques.
Donc la première règle, c’est déjà de travailler avec un acteur qui est PSAN c’est-à-dire régulé en France, soumis à l’AMF et au contrôle de l’ACPR.
Ensuite, la question est de savoir quel acteur va répondre à votre besoin. Est-ce que vous venez pour une question d’investissement sur des cryptos et de conservation ? Est-ce que vous venez parce que vous voulez avoir accès à des rendements ? Est-ce que vous avez un besoin pour des paiements internationaux, pour payer des fournisseurs ou recevoir des paiements ? Ou parce que vous êtes un grand groupe et que vous voulez procéder à des paiements entre vos filiales. Par exemple, remonter des flux d’argent qui viennent d’Argentine, de Turquie ou de Chine et les ramener à votre siège en France. Aujourd’hui, vous pouvez le faire avec des réseaux blockchains et c’est ce que fait aujourd’hui Coinhouse.
Comment évangéliser en interne, les entreprises sur ce type d’investissement ?
Romain Saguy : Il y a de plus en plus d’entreprises qui ont en conscience. Ce n’est pas encore la majorité mais 35% à 40% de notre chiffre d’affaires chez Coinhouse est réalisé avec des entreprises.
Sur ces entreprises, 85 % sont des TPE-PME, des promoteurs immobiliers, des logisticiens, des cabinets d’avocats qui viennent investir une partie de leur trésorerie. Donc là, vous êtes plutôt dans une entreprise mono dirigeant et c’est le dirigeant ou la dirigeante qui va faire le choix de s’exposer.
Mais on travaille aujourd’hui avec une dizaine de groupes du CAC 40 sur les use cases que j’évoquais précédemment.
Cela prend plus de temps en interne mais généralement cela passe d’abord et avant tout par de l’explication et de la pédagogie auprès des différentes directions.
D’abord sur ; qu’est-ce que la blockchain et les cryptos ? Pourquoi est-ce intéressant en tant qu’investissement ou en tant que solution de paiement ? Comprendre l’intérêt ! Il y a une dimension évidemment de compliance et juridique. Il faut montrer que cela se fait dans un cadre réglementaire clair.
Il y a aussi une dimension fiscale et comptable et donc, il y a des experts comptables et fiscalistes qui peuvent accompagner ces groupes pour savoir comment le gérer.
Une fois que tous les acteurs dirigeants de l’entreprise ont compris comment s’approprier ce sujet, alors on peut déployer un projet.
Au-delà de la blockchain et de l’investissement, quels sont les autres cas d’usage de cette technologie ?
Romain Saguy : Alors, on a parlé des paiements tout à l’heure, c’en est un, qui n’est pas forcément de l’investissement : si vous faites des paiements en stablecoins, vous n’êtes pas exposé à la volatilité.
Et on a eu l’émergence des NFT en 2021 qui ont conduit des entreprises à proposer des collections de NFT, soit à vocation artistique ou à vocation d’engagement communautaire. Par exemple, si vous avez un NFT, vous avez un droit d’accès au backstage dans un concert ou bien, un événement à tarif préférentiel. C’est une façon d’animer sa communauté, soit clients, soit de passionnés.
Mais vous avez tout un tas de cas d’usages dont on parle peu ; par exemple, en traçabilité logistique. Aujourd’hui, des NFT permettent de mieux tracer une chaîne logistique pour diminuer de 90 à 95% les pertes de livraison par exemple quand vous êtes un e-commerçant et que vous suivez vos livraisons.
Vous avez aussi des cas d’usages industriels qui se mettent en place ou dans les objets connectés également qui sont construits sur des blockchains.
Interview réalisée par Julie GUÉNARD, General Manager de l’Agora des directeurs financiers et des directeurs achats.
Coinhouse est une entreprise française qui propose des services de gestion et de transactions de cryptomonnaies depuis 2015. Romain Saguy, CRO de Coinhouse, romain@coinhouse.com / 06 46 45 76 36
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