Présentation de France Invest : vers un modèle du capital-investissement plus vert et plus inclusif ?
France Invest
Présentation de France Invest par Sophie POURQUERY, sa Vice-Présidente, une organisation professionnelle rassemblant plus de 400 sociétés de gestion françaises ainsi que près de 180 sociétés de conseil.
L’occasion de découvrir l’étude prospectiviste à 20 ans de France Invest sur des sociétés de gestion de plus en plus nombreuses à intégrer pleinement les enjeux ESG dans leurs décisions d’investissement et leur accompagnement, à démocratiser l’accès au capital-investissement, à être plus inclusif dans le recrutement dans un besoin d’ouverture sur le monde, un besoin de diversité, et de mixité, ou encore, à automatiser les tâches administratives, les tâches de reporting, les tâches de contrôle et de sourcing grâce à L’IA.
Julie GUÉNARD : Présentez-nous France Invest ?
Sophie Pourquery : France Invest est une association française rassemblant plus de 400 sociétés de gestion françaises dont un certain nombre de fonds d’investissement.
En 2021, les adhérents de France Invest ont collecté au total auprès de leurs souscripteurs un total de 50,9 milliards d’euros et investi 50,3 milliards d’euros dans l’économie française.
C’est un peu plus de 9 000 entreprises dans lesquelles les sociétés de capital investissement sont actionnaires et environ 7 400 en France.
Cela représente un vrai pan de l’économie et on a un certain impact aujourd’hui dans les discussions qu’on peut avoir sur les orientations économiques et de financement des entreprises.
On représente, si on prend le cycle de vie d’une entreprise, les fonds Venture, les fonds de capital développement pour financer des projets de développement, les fonds de transmission qu’on appelle le capital transmission et puis, depuis peu, les fonds d’infrastructure et les fonds de dettes.
Donc là, on représente une profession dans son ensemble, en accompagnant les entreprises dans leur financement, dans leur transmission, dans leur développement et dans leur début évidemment, pour partir à zéro.
Je suis vice-présidente depuis deux ans, juste après le Covid, dans un monde qui s’est vraiment accéléré. On a traité un certain nombre de sujets pour accompagner les entreprises pendant et après le Covid : la digitalisation, la transformation du travail. Ça nous a donné l’idée de nous dire qu’il y avait beaucoup de mutations, d’accélérations et de prendre un pas de recul pour se projeter 20 ans en avant.
Aussi, beaucoup de travail avec les comités stratégiques de filière et j’invite les directeurs financiers à aller voir quel est le comité stratégique de filière qui est adressé du côté de l’État. Cela vous permet de voir dans les projets que vous allez développer ce que l’État va accompagner, sur lesquels il y aura de l’impulsion sur le recrutement.
Toujours sur la notion de filière, nous travaillons à comment faire grandir une PME. Comment peut-elle devenir un acteur de son secteur d’activité ou de sa filière, en travaillant avec les grands groupes, les ETI, l’État, les collectivités et les centres de recherche ? C’est vraiment un projet d’ensemble.
Nous faisons également un gros travail de fond avec les grands groupes, leurs acheteurs, les acheteurs des ETI et puis le travail de maillage territorial au niveau des collectivités. Voilà la façon de travailler pour repérer les PME qu’il faut accompagner dans leur croissance.
Sylvie NHANSANA : France Invest est une véritable institution incontournable dans le monde du capital investissement et Serena est membre de France invest. D’ailleurs, je ne connais aucun fonds qui ne soit pas membre.
Oui, comme toute association, les fonds sont agréés par l’AMF. L’inscription à une association est obligatoire et France Invest est la plus grosse association qui regroupe ses acteurs. On a 33 clubs et commissions, donc c’est une vraie institution, qui sont sur des thématiques du moment : le réglementaire et le fiscal depuis toujours et on a quatre commissions sur la finance durable, l’impact…
J.G : Cela fait combien de temps que France Invest existe ?
Plus de trente ans. Elle est née avec le métier, en fait.
S.N : Elle insuffle vraiment des changements et c’est vraiment un exemple d’institution tournée vers l’avenir et qui réfléchit vraiment sur le métier de l’investissement et des entrepreneurs. Donc on va rentrer du coup dans le vif du sujet.
France Invest a réuni il y a quelques mois une quarantaine d’acteurs français du capital investissement, des entrepreneurs et des experts pour réaliser un brainstorming géant et réfléchir autour du métier de l’investissement :
Quelles sont les grandes lignes de cette réflexion et que deviendra le métier d’investisseur du capital investissement dans 20 ans en 2042 ?
On se projette 20 ans en avant. Qu’est-ce qu’un fond d’investissement dans 20 ans ? Qui va y travailler ? Dans quoi est-ce que l’on va investir ? Y aura-t-il encore des fonds ? Est-ce que ce sont des fonds verts et quels seront les outils avec lesquels on va travailler ?
On a dressé cela sur trois piliers que l’on peut retrouver dans toute bonne littérature de science-fiction : l’homme, la terre, la machine. On a décliné l’humain pour l’homme, l’environnement pour la terre et puis les nouvelles technologies ou la technologie pour la partie machine.
Pour arriver à traiter ce sujet, nous avons ouvert la réflexion à des univers qui ne sont pas les nôtres. Faisons-nous aider par des experts de chacun de ces grands piliers de réflexion. On est allés chercher des personnes qui travaillaient sur l’accompagnement des ouvriers sur l’automatisation des chaînes, l’intelligence artificielle, la réalité augmentée, des experts de l’environnement…
Un tiers des personnes présentes étaient des experts, un tiers étaient des chefs d’entreprises, pas forcément d’ailleurs des chefs d’entreprises qui avaient des fonds capital, dans un souci d’élargissement de l’accès à ce financement et puis, un tiers quand même de membres du capital investissement parce qu’il fallait aussi qu’ils puissent porter la bonne parole.
Dans la composition des gens du capital-investissement qui acceptent de venir réfléchir, ce sont déjà un petit peu des innovateurs, ils sont à la recherche et ce sont des pionniers.
On a quand même fait attention à mettre dans le panel, des personnes qui étaient plutôt assez prudentes, avec les pieds sur terre, pour ne pas partir dans quelque chose qui allait échapper au métier.
Sur l’homme, on a été assez surpris. Il y a vraiment des attentes très précises sur ce que seront les personnes qui travailleront dans les fonds d’investissement dans 20 ans. On a senti vraiment un besoin d’ouverture sur le monde, un besoin de diversité, de mixité, de personnes qui travaillent dans des pays différents, qui ont des cultures différentes. Ça a été assez étonnant et à l’inverse d’une création d’une sorte de financier parfait.
C’était une grande ouverture d’esprit, avec tout ce que cela peut impliquer comme difficulté de travailler ensemble. Pour pouvoir travailler, plus on est différent, plus il faut apprendre à écouter et il n’y a pas que les outils qui marchent, il y a aussi beaucoup de relationnel à travailler.
Donc dans notre feuille de route, est apparue une nécessité de formation et notamment de communication, ce qu’on appelle la communication non violente ou la communication positive parce que sinon on ne peut pas se comprendre. Il faut trouver une langue commune.
La deuxième chose, c’était quel sens les personnes vont donner à leur travail. Ce qui a émergé, c’est la nécessité de régénérer la planète. On investit dans quelque chose qui régénère, on ne fait pas que protéger mais on régénère. C’est une idée assez forte.
Le troisième point qui concerne l’humain au sein des fonds, c’est l’organisation. Pour la gouvernance, c’est la même chose : ouvert sur le monde, des profils très différents, une envie d’avoir la voix donnée à la planète au sein de la gouvernance.
Il peut y avoir un droit de veto donné à une fondation par exemple qui représenterait la planète et qui pourrait dire je ne suis pas d’accord avec la politique d’investissement que vous suivez.
C’est aussi qu’il y ait une représentation citoyenne dans les fonds d’investissement. Il faut qu’il n’y ait pas que la planète, il faut aussi que le citoyen du monde soit représenté dans les décisions et l’élaboration de la stratégie.
SN : C’est vraiment faire rentrer dans ce milieu de l’investissement, pas seulement des financiers mais des personnes qui vont contribuer à la gouvernance. Je trouve ça super intéressant ces personnes tierces qui ne sont pas dans le métier et qui ont un droit de veto sur la manière dont on doit faire des investissements.
Un mois après, on est allé présenter les grandes caractéristiques du fonds d’investissement dans 20 ans aux acteurs du capital investissement lors d’une grande soirée. On a fait réagir sur le droit de veto et cette proposition est celle qui a remporté le plus de voix. C’est à la fois étonnant dans le résultat et dans l’inspiration de cette mesure.
S.N : Sur le sujet de l’environnement, est-ce que tous les fonds seront verts ? Demain, est-ce que sont opposables performance financière et performance haute extra-financière et notamment environnementale ?
Le sujet ne s’est quasiment pas posé. Les trois groupes de travail qui représentaient ces 40 personnes ont été assez unanimes. Les fonds seront forcément verts. Ce sera complètement inclus dans la politique d’investissement. On investit dans des sujets qui protègent la planète ou qui la régénèrent.
Il y a eu pas mal de discussions sur l’exclusion ou l’investissement dans des activités pour les faire progresser et qu’elles deviennent durables et régénératives. Là, il y a eu pas mal de débats.
Troisième leçon qu’on a pu tirer sur la question des fonds verts, c’est le rendement financier et le mode de rémunération à l’intérieur de ces fonds.
On se projette dans un monde où le rendement sera certes financier mais dans lequel on va rajouter un critère bien-être au travail, bien-être et qualité de vie dans les entreprises dans lesquelles on va investir et un rendement sur l’environnement.
Ce nouveau taux va être composé de ces trois éléments.
Troisième chose évidemment, c’est la rémunération des équipes au sein de ces fonds et ça je pense que c’est intéressant peut-être de le décliner pour les directeurs financiers. L’idée a émergé que les rémunérations ne soient pas que sur le rendement mais également sur l’atteinte de critères de durabilité, de régénération, de trajectoire carbone atteinte… C’était complètement unanime et aucun groupe n’a tenté de revenir en arrière.
A vraiment émergé aussi l’idée que les fonds de demain seront multi-activités, multi-durées. Les investisseurs seront tous très différents les uns des autres c’est-à-dire qu’un même fond pourra accueillir les investisseurs institutionnels, ce qui est déjà le cas aujourd’hui mais également des particuliers épargnants, pourquoi pas la bourse.
C’est faire un appel public à l’épargne. Et tout cela est rendu possible par la partie technologie que l’on va aborder dans le troisième pilier.
Autre chose, c’est la durée. Un fond d’investissement, c’est souvent cinq ans donc quand on investit au capital d’une société, il faut que le projet soit calibré sur cinq ans. Là on voit très bien que les projets d’aujourd’hui sont multiples.
Si on doit transformer par exemple une usine et ses produits, on sait bien que certains projets d’infrastructures vont être sur une trentaine d’années et le lancement d’un ou plusieurs produits va être sur cinq ans. Donc a émergé l’idée qu’au sein d’un même fond, on serait capable de gérer ces différences de durées et de gérer la liquidité des personnes qui nous confie leur argent. Donc hybride, ouvert sur le monde, complexe.
S.N : Comment l’intelligence artificielle peut-elle changer le métier d’investisseur ?
Un fond d’investissement, c’est extrêmement réglementé et ce d’autant plus avec les normes environnementales, la compliance.
Les directeurs financiers ont énormément de contraintes mais nous-mêmes, on a aussi beaucoup de contraintes. Donc ce qui a émergé, c’est que la technologie va nous permettre d’automatiser l’ensemble de cette réglementation et l’application de la réglementation et la mesure du respect de la réglementation.
Deuxième chose, toutes les tâches administratives seront automatisées. Il y a des plateformes qui ont mis un certain budget d’investissement pour commencer à automatiser les tâches administratives, les tâches de reporting, les tâches de contrôle. On y est, ça y est.
Deuxième sujet dans la techno, c’est tout le flux d’information. Un fond doit faire du sourcing, aller chercher des entreprises dans lesquelles investir puis il doit aussi récupérer de l’information pour analyser les opportunités qu’il a su générer.
Avec l’intelligence artificielle, le data mining, ces tâches vont pouvoir être complètement externalisées et on aura moins de temps à consacrer au sourcing, à l’analyse des dossiers ou à la collecte des informations.
Il y a des outils très récents, comme ChatGPT, qui pour l’instant vous permettent effectivement d’écrire un texte sur n’importe quel sujet. On peut imaginer de notre côté, de la récupération d’informations, de l’analyse de marché à partir des données existantes.
Tout ce temps-là qui est gagné, permet de passer plus de temps à travailler ensemble puisqu’on aura des profils différents. C’était le souhait : plus d’intelligence effectivement collective, plus de collaboratif, plus de temps passé à réfléchir sur des thèses d’investissement qui n’existent pas parce que l’intelligence artificielle, c’est sur des éléments qui existent.
J.G : Cette étude a été menée il y a quelques mois déjà, est-ce que certains projets sont déjà devenus réalité ?
On a fait ce brainstorming en mai 2022 et en septembre 2022 , il y a Patagonia dont le fondateur a tout simplement transmis ses actions à une fondation dont les bénéfices seront réinvestis dans la régénération de la planète, la décarbonation. C’est une énorme initiative donc je me suis dit que c’était déjà un premier signe.
Dans ce brainstorming, il y avait vraiment une envie d’être bien au travail et d’insérer des profils différents qui ne sont pas de la finance forcément, des ingénieurs, des acheteurs, des gens qui viennent du digital, des personnes qui viennent de l’humanitaire et qui viennent apporter « leur brique » pour un temps court.
On sait maintenant qu’il y a beaucoup plus de turnover chez les plus jeunes. Les personnes viennent pour une mission et puis repartent si ça ne les intéresse plus. Donc toute cette notion de délai court, il faut pouvoir l’adresser.
Aussi, les personnes qui sont là depuis longtemps, il faut qu’elles aillent s’aérer l’esprit si elles veulent apporter et contribuer à des nouveaux modèles. Il faut qu’à un moment donné, elles ne soient plus dans le quotidien.
Dans les nouveautés, ça c’est réel : un fonds anglo-saxon mais qui a une filiale en France oblige ses « partners » à prendre six mois de congé sabbatique et surtout, à présenter un projet mais qui n’ait aucun lien avec la finance et on parle de partenaire de fonds. Ce qui est assez nouveau.
Dernière chose peut-être sur la partie rémunération des personnes qui travaillent dans les fonds :
on parlait de faire coller la rémunération avec l’atteinte d’indicateurs de décarbonation, de trajectoire carbone au sein des entreprises dans lesquelles on investit.
La BPI commence, dans les nouvelles levées de fonds, à demander à ce que 50% à peu près des sociétés dans lesquelles le fonds va investir, s’engagent dans une trajectoire carbone dans les 12, 18, 24 mois après l’investissement. Et en contrepartie, demande à ce que les rémunérations variables ne soient plus sur la plus-value mais que ce soit sur une quote-part sur l’atteinte du respect de cette trajectoire carbone ou que cette rémunération soit mise de côté, le temps d’avoir une trajectoire carbone qui soit lancée ou respectée.
S.N : On voit que cette transformation du métier de capital investissement est déjà enclenchée. Comment cela peut impacter les DAF au quotidien ?
Tout ce que l’on est en train de mettre en œuvre dans les fonds va demander, dans les échanges, à réfléchir à des déclinaisons dans les entreprises. Je pense que l’automatisation des tâches administratives, financières est déjà prise en compte par les directeurs financiers et nous, nous commençons à pas de géant. C’est avec grand plaisir si nous pouvons les accompagner.
Les directeurs financiers devront intégrer dans leurs interlocuteurs, cette pluralité de profils. De même, cette pluralité de modes de financement est un vrai sujet positif pour eux.
Et puis, si le fonds d’investissement actionnaire – jusqu’ici intéressé par l’atteinte d’un TRI, la mesure de la plus-value sur un temps donné – se rémunère sur l’atteinte de critères extra-financiers, on va sans doute leur demander de s’engager sur des critères extra-financiers. C’est à mon avis, à très court terme, qu’ils doivent se préparer à cette question-là.
Depuis le 1er janvier, on doit travailler avec les entreprises qui ont un fonds d’investissement capital, sur une trajectoire carbone – pas sur une durée, ni sur où est-ce qu’on va – mais au moins sur le lancement d’une trajectoire carbone.
Les directeurs financiers doivent s’attendre à ce que l’on commence, si ce n’est pas déjà fait, à les interroger sur : c’est quoi le plan à 5 ans, à 3 ans ? Quels sont les CATEX et les OPEX à mettre en face pour y arriver ? C’est de revisiter la notion du budget avec cette vision transversale qui est la régénération de la planète.
Interview réalisée par Sylvie NHANSANA, CFO & Partner de SERENA et Julie GUÉNARD, General Manager de l’Agora des Directeurs financiers.