La diversification des mobilités en entreprise
Les évolutions réglementaires (LOM-ZFE), technologiques et sociétales conduisent les entreprises à envisager la mobilité dans une approche plus multimodale et à repenser les politiques de mobilités professionnelles et personnelles des collaborateurs.
Retour d’expérience de Mélaine Pouchain, Responsable Service Care chez METRO FRANCE et d’Alexandre Nepveu, Chargé de projets Mobilité chez ORANGE qui reviennent sur les dispositifs et les divers offres de mobilité engagés.
Christophe Bourroux : Mélaine Pouchain, un mot de présentation sur Metro et sur sa flotte automobile.
Mélaine Pouchain : C’est le premier fournisseur de la restauration indépendante. Nous avons 9 000 collaborateurs dans 99 halles, plus le siège de Nanterre. Nous faisons un chiffre d’affaires de 5 milliards d’euros et on sert 40 000 clients de métiers de bouche.
La flotte représente 1300 véhicules dont 850 véhicules de fonction, soit une quote-part de quasi 70 %. On n’a quasi plus de diesel dans notre flotte puisqu’on est passé sur du véhicule électrifié, de l’hybride et de l’électrique à 100 %.
Christophe Bourroux : En quelques mots, Orange. Et que représente votre flotte ?
Alexandre Nepveu : Orange, opérateur de télécom, est implanté dans un nombre de pays très important. En France, c’est à peu près 60 000 personnes et la flotte chez nous représente environ 15 000 véhicules. Alors on a beaucoup de véhicules utilitaires légers dont 50 % de la flotte pour les techniciens.
Et on a beaucoup de véhicules d’entreprise à deux places, ce qu’on appelle chez nous les DVP, les dérivés de VP, de véhicules particuliers. On avance sur l’électrification de la flotte puisqu’on a près de 900 véhicules électriques et sur les véhicules en autopartage, on est à 100 % de véhicules électriques.
À ce jour, on a à peu près 20 % de notre flotte en électrique et une part de diesel qui diminue très fortement.
Pour les véhicules des techniciens, on est encore sur du diesel et de l’essence parce que l’offre constructeur sur les VU est très pauvre en termes électrique.
Quand on doit changer un véhicule, on regarde sur ses dernières années de vie combien de kilomètres il fait par jour et au maximum dans une journée, puisque tous nos véhicules sont équipés de boîtiers télématiques Océan.
Et donc la règle que l’on s’est donnée, c’est que toutes les personnes qui font moins de 80 kilomètres par jour en moyenne en jours ouvrés, ou un maximum de 250 kilomètres sur une journée passent en électrique. Mais on garde dans la car policy, des véhicules hybrides non rechargeables et quelques véhicules thermiques, notamment les véhicules industriels, dès lors qu’il n’y a pas d’autres offres disponibles.
CB : L’autopartage est très très important chez Orange. Vous êtes parmi les leaders dans ce domaine !
Alexandre Nepveu : Exactement. On a la plus grosse flotte d’autopartage privée en Europe puisqu’on a à peu près 3600 véhicules en autopartage. C’est un projet que nous avons lancé il y a une dizaine d’années et qui nous permet de proposer aux salariés une voiture qu’ils peuvent effectivement partager.
Donc, on a plusieurs utilisateurs sur la journée, ce qui nous permet d’optimiser et de diminuer le parc, en faisant la chasse aux véhicules peu utilisés.
Et grâce à Orange Autopartage, cela nous permet d’appréhender les usages du véhicule électrique puisque depuis l’année dernière, on ne met que des véhicules full électriques en autopartage. Et c’est un bon moyen pour nos collaborateurs d’apprendre à utiliser un véhicule électrique ; le brancher, l’utiliser, le rebrancher, utiliser une boîte automatique.
On s’aperçoit que les gens ont aussi une appréhension à conduire une voiture automatique. Donc, l’autopartage nous aide beaucoup à travailler sur ces nouveaux usages.
Et on a même ouvert l’autopartage en usage soirée et week end pour les salariés qui n’ont pas de véhicule et qui veulent faire un déménagement ou partir en week-end.
CB : C’est un peu le monde merveilleux de l’autopartage que vous nous vendez. Mais j’imagine que dans la réalité, c’est peut-être un peu différent. C’est intéressant d’avoir votre point de vue.
La mobilité, c’est un peu tarte à la crème, un mot un peu fourre-tout. Concrètement, comment cela se traduit dans votre entreprise ?
Mélaine Pouchain : Derrière le mot « mobilité », j’entends « stratégie ». Chez Métro, depuis 2019, on travaille sur une stratégie de mobilité, pour nos véhicules de fonctions, de service, etc. Mais également, sur une stratégie de mobilité pour tous les usages de tous nos collaborateurs, qu’ils aient un véhicule ou pas.
Et donc là, on commence par l’autopartage. Mais l’objectif, c’est d’arriver à trouver le moyen de déplacement le plus approprié pour tous nos collaborateurs.
CB : Par exemple, je n’ai pas de voiture. Qu’est-ce que vous me proposez ?
Mélaine Pouchain : On peut vous proposer le forfait mobilité durable par exemple ou de l’autopartage. Nous avons l’autopartage pro et effectivement, c’est super intéressant parce que c’est très facile d’utilisation. Mais il y a aussi le perso. OK, je n’ai pas de véhicule mais, à un moment donné, j’ai potentiellement besoin d’un vélo, d’un bus, d’une trottinette électrique, d’un covoiturage, de moyens partagés, etc.
Donc l’idée, c’est de se dire : « qu’est-ce que l’on peut proposer à nos collaborateurs à un instant T ». En somme, avoir un moyen de déplacement à la carte pour nos collaborateurs.
CB : Et j’imagine que cela a un coût si on individualise chaque moyen de transport ?
Mélaine Pouchain : Potentiellement, ça n’a pas de coût parce que l’on parle stratégie. On évoque bien évidemment le coût puisque l’objectif de l’entreprise, c’est faire du résultat. Mais on regarde l’usage, l’expérience du collaborateur, ce dont il a besoin.
Mais également on regarde la partie planète et décarbonation de nos moyens de déplacements. L’objectif, c’est aussi en mettant ces dispositifs, de les maîtriser et de les cadrer.
CB : Alexandre, on peut être à la fois vertueux et rentable ?
Alexandre Nepveu : Je pense que l’on peut être vertueux et rentable. Chez Orange, on travaille aussi pour répondre à un besoin de déplacement à un instant T. Soit les salariés utilisent le forfait mobilité durable où vous allez vous faire rembourser à hauteur de 400 € par an le moyen de transport que vous utilisez. Donc un jour, vous pouvez louez un vélo, le lendemain, une trottinette, le surlendemain, le métro.
CB : Et cela fonctionne ?
Alexandre Nepveu : Oui, actuellement, on a à peu près 11 % des salariés qui utilisent le forfait mobilité durable. Et sur ces 11 % de salariés, on a 5 300 personnes qui viennent au bureau à vélo et qui se font rembourser jusqu’à 400 € par an de frais kilométriques vélo.
Mélaine Pouchain : Chez Métro, nous avons mis en place un autopartage de vélo et trottinette sur notre siège, et leur utilisation augmente. Et nous avons également des indemnités kilométriques pour les collaborateurs qui viennent en vélo mais aussi en trottinette.
CB : Est-ce que je peux mixer voiture de fonction et autres moyen de déplacement ?
Mélaine Pouchain : Oui, avec le crédit mobilité et c’est ce qui est intéressant aussi au niveau de l’usage. On peut avoir un crédit mobilité où l’on n’a plus de véhicule de fonction. Et on peut avoir un crédit mobilité où l’on a un véhicule de fonction électrique, de plus petite catégorie, plus une enveloppe budgétaire de mobilité.
Ce n’est pas une augmentation de salaire, c’est une enveloppe budgétaire de mobilité pour se déplacer par exemple en vélo, parce que le salarié n’a pas besoin de son véhicule électrique ou de louer un véhicule pour ses vacances puisqu’il n’en a besoin que pour ses vacances.
CB : Alors pour mes vacances, je passe par vous ?
Mélaine Pouchain : Alors attention, le véhicule de fonction, c’est pro et perso. Avec le crédit mobilité, on peut partir en vacances avec son véhicule de fonction, ou choisir de prendre des billets de train ou de louer un véhicule.
CB : Sur le passage à l’électrique, y-a-t-il eu un accompagnement pour des collaborateurs réticents ?
Mélaine Pouchain : Quand on a dû changer notre catalogue, on a réalisé un sondage auprès de nos collaborateurs sur l’électrification, sur les usages, sur les moyens de déplacement. Ça, c’était la première chose avec les remontées.
Après, on a mis en place un nouveau catalogue d’électrification, mais également de crédit mobilité. Sur l’adhérence du crédit mobilité, on est assez content.
Et nous sommes à 20 % sur l’électrification, sur des personnes qui font du domicile-travail. On aimerait avoir plus, mais effectivement, il faut vraiment avoir un accompagnement plus poussé que ce que l’on fait aujourd’hui, à la fois pour le crédit mobilité, mais aussi pour l’électrification.
CB : On a encore des réticences ?
Mélaine Pouchain : Oui, oui, les collaborateurs ont encore peur de l’électrique.
CB : Faut-il aussi accompagner le Comex, la direction ?
Mélaine Pouchain : Oui, il faut accompagner effectivement toute la partie managériale.
CB : Alexandre, quel est votre retour d’expérience sur l’autopartage ? Parce que le Français aime être tout seul dans sa voiture ! L’autosolisme est encore hyper développé. Comment arrivez-vous à infuser l’autopartage ?
Alexandre Nepveu : L’usage de l’autopartage chez nous reste de l’autosolisme. Ça ne change pas. Mais là, on va lancer un un module de covoiturage en autopartage.
Sur l’autopartage, c’est un produit lancé il y a une dizaine d’années et qui nous a vraiment permis d’optimiser l’usage des véhicules. On s’apercevait que l’on avait beaucoup de véhicules qui ne roulaient pas ou qui prenaient la poussière parce que les gens changeaient de fonction.
Ça nous a vraiment permis de diminuer la flotte et de la faire plus rouler. Après, le fait de partager ces véhicules s’est fait assez naturellement. L’application est simple : vous réservez sur un intranet ou sur l’application mobile. Vous pouvez ouvrir le véhicule avec votre téléphone. Si vous avez un rendez-vous qui se prolonge, vous modifiez votre réservation.
En revanche, il faut accompagner au début parce que c’est vrai qu’il y a un besoin d’explication et de formation.
CB : Est-ce que l’on rend la voiture à l’heure, en bon état, propre ? Je pense notamment à Autolib. Comment cela se passe-t-il ?
Alexandre Nepveu : Ça, c’est un peu compliqué effectivement. Il y a beaucoup de gens qui les rendent sales.
Pour contrer ça, on essaie de taper là où ça fait mal, au portefeuille. Donc, depuis le 1ᵉʳ janvier 2023, on a changé le mode de facturation de l’usage de l’autopartage. Maintenant, on va facturer l’entité de la personne qui l’utilise. Ça monte ainsi au contrôleur de gestion qui tape sur le service ou sur la personne qui utilise mal la voiture.
CB : Ces pénalités peuvent être importantes ?
Oui, on est à 100 € par jour si la voiture n’a pas été rendue en temps et en heure. Et ça peut monter très très vite. Et là, on va contrer les mauvais usages à partir de l’année prochaine ; on va obliger les utilisateurs de prendre des photos avant l’utilisation du véhicule, comme pour une location classique, pour voir si la voiture est accidentée ou pas.
CB : Chez Metro, c’est le même schéma ?
Mélaine Pouchain : Oui, ce sont les mêmes problèmes, mais on n’est pas pour l’instant sur des pénalités. Et effectivement, tous les coûts tombent dans notre direction.
Il faut beaucoup d’accompagnement et de responsabilisation.
CB : Est-ce que vous avez des prestataires extérieurs ?
Mélaine Pouchain : Oui, des prestataires extérieurs sur toutes les solutions de mobilité.
Alexandre Nepveu : Nous, c’est un peu différent parce qu’on a une couverture nationale qui est assez importante. On a ce qu’on appelle des correspondants locaux de transport qui sont sur toute la France, à peu près 80. Mais on a pas mal de personnes chez nous qui partent à la retraite. Donc on commence à utiliser de plus en plus de prestataires extérieurs pour l’entretien courant des véhicules, le nettoyage ou les amener en révision.
CB : L’essence à plus de 2 €, est-ce que cela change quelque chose ?
Alexandre Nepveu : Depuis le Covid, le nombre de déplacements chez Orange a fortement diminué, de l’ordre de 40 % avec un télétravail qui s’est imposé comme les réunions en visio.
Et on promeut l’ensemble des déplacements avec le forfait mobilité durable, avec le covoiturage. Donc, les gens se déplacent moins et le fait d’avoir un nombre de véhicules électriques important nous a fait diminuer notre consommation de carburant.
Mélaine Pouchain : On est en pleine transformation, à la fois sur la partie électrification et sur toutes les nouvelles mobilités. Alors, il y a de la demande sur de l’électrique, il y a de la prise de conscience. Maintenant, entre la demande, la prise de conscience et le passage à l’acte, il y a encore un écart.
CB : Y compris chez les plus jeunes qui arrivent dans l’entreprise ? Ou est-ce une question de génération ?
Mélaine Pouchain : Effectivement les plus jeunes poussent sur la partie environnementale et usages. Après, sur le crédit mobilité par exemple, on a vraiment tous les âges.
CB : Est-ce que vous auriez un conseil à donner sur l’accompagnement des collaborateurs à ces changements de mobilité ?
Alexandre Nepveu : La clé de voûte, c’est que l’on n’a pas le choix, donc on y va. Mais il faut accompagner. Et nous avons mis en place des formations aussi bien en tutoriel sur intranet, mais aussi des formations en physique pour apprendre à maîtriser un véhicule hybride ou un véhicule électrique.
Il faut accompagner, expliquer, donner des exemples et faire tester. Tous les gens qui vous disent « non, l’électrique, c’est nul », quand vous leur posez la question s’ils ont déjà conduit un véhicule électrique, la réponse est non à 99 %. Vous leur mettez un véhicule électrique, ils vont faire un tour, ça change le comportement et ils disent : « Ah oui, c’est génial, ça ne fait pas de bruit ».
Mais il faut beaucoup de pédagogie et d’accompagnement. Ça, c’est sûr.
Mélaine Pouchain : Effectivement beaucoup d’accompagnement. On n’a pas le choix avec le légal mais l’objectif est d’anticiper aussi. Et comme je le disais tout à l’heure, si on a une vraie stratégie, c’est bénéfique pour le collaborateur, pour le profit de l’entreprise et pour la décarbonation.
Et il y a aussi la marque employeur derrière. On parlait des jeunes, on parle du turn-over aussi. Voilà, il faut arriver à faire venir les collaborateurs dans nos entreprises et c’est aussi un moyen de pouvoir le faire.