MOBILITÉ - FLOTTE AUTO

Verdissement des flottes auto : y a-t-il des alternatives en dehors de l’électrique ?

Alors que les 27 États membres de l’UE devaient entériner l’interdiction de la vente de voitures neuves à moteur thermique en 2035, l’Allemagne, en s’abstenant, a repoussé un accord qui devait réconcilier l’automobile et le climat

Marc Mortureux, Directeur Général de PFA, revient sur ce Nein outre-Rhin et nous livre la stratégie et les défis de la filière automobile française, notamment en matière de carburant. 

Christophe Bourroux : Marc, une présentation de PFA, La PLATEFORME AUTOMOBILE ?

Marc Mortureux : PFA, c’est une association qui regroupe les constructeurs automobiles qui sont présents en France : Renault, Stellantis, mais aussi Toyota avec son usine. On a Renault Trucks mais aussi Iveco puisqu’on couvre les véhicules industriels.

Puis on a les grands équipementiers, le Groupe Michelin, Valeo, Plastic Omnium, Faurecia. 

Et on a, au travers des fédérations (CCFA, FIEV, Fédérations métier – FFC, FIM, GPA, SNCP), l’ensemble de près de 4 000 entreprises de la filière, beaucoup de PME de TPI qui constituent un ensemble de 350 000 emplois directs sur cette filière industrielle de l’automobile en France.

Christophe Bourroux : C’est une filière en pleine mutation, à la fois dans les industries, dans les entreprises et pour les particuliers.  C’est une véritable révolution qui se vit aujourd’hui !

Marc Mortureux : En quelques mots, on passe du véhicule thermique au véhicule électrique. On passe d’un produit qui était avant tout du hardware à beaucoup de software. Et on passe de la vente de produits à la fourniture de services. Donc effectivement, on est servi dans les transformations.

Christophe Bourroux : Alors, première question d’actualité, l’Allemagne, véritable coup de tonnerre, pose son veto sur l’électrification en 2035 du parc automobile européen ! Qu’est-ce que cela veut dire ?

Marc Mortureux : Alors, ce coup de tonnerre, c’est que cela arrive totalement en fin de processus, dans une phase totalement formelle de ratification dans laquelle le trilogue (la Commission européenne, le Conseil de l’Union européenne et le Parlement européen) avait décidé de ce fameux ban en 2035, de n’avoir plus que des véhicules dit zéro émission, soit électrique à batterie, soit à hydrogène. 

Et là, on a l’Italie d’abord qui s’est inquiétée puis l’Allemagne avec un certain nombre d’autres pays qui sont susceptibles de faire une minorité de blocage au dernier moment par rapport à ce ban.

Alors très honnêtement, je ne sais pas exactement à quoi cela va aboutir. Est-ce qu’il va y avoir une remise en cause complète ou pas ? En ce qui nous concerne, on avait plaidé pour garder ce qu’on appelle un peu de neutralité technologique, c’est-à-dire un peu de diversité de solutions. Parce que fondamentalement, pour certains types d’usages, de l’hybride ou de l’hybride rechargeable bien utilisés, cela peut avoir du sens, même sur un plan purement environnemental. Tout simplement parce que cela permet d’avoir des batteries plus petites. Or les batteries, c’est une grosse empreinte carbone dans leur fabrication.

On n’a pas été complètement entendu et ce ban avait été acté. 

Et donc là, on se retrouve dans une situation qui est à la fois, vue par nous, comme une opportunité de revenir un petit peu sur une plus grande ouverture. Mais d’un autre côté, ce sont beaucoup d’interrogations des industriels. Parce que l’on besoin de cap. On a besoin de décision quand des investissements considérables ont été faits.

Je ne vous cache pas que l’on est effectivement un peu interpellé. Le gouvernement français semble confirmer sa volonté du ban 2035 alors qu’il y a encore un an, il était d’accord pour nous suivre dans notre demande d’autoriser les hybrides ou hybrides rechargeables un peu plus longtemps que 2035.

Donc, nous sommes dans une situation qui amène encore, un certain nombre d’interrogations en termes de réglementation.

Christophe Bourroux : Du coup, quelles solutions pour les flottes automobiles ?

 

On a concrètement à ce stade encore la liberté d’une certaine diversité de solutions d’ici à 2035 : le 100% électrique va continuer à accélérer. Les hybrides rechargeables peuvent continuer jusqu’en 2035 mais c’est moins intéressant. Après, il y a la panoplie des autres thermiques hybrides.

Mais nous sommes de toute façon dans une trajectoire de décarbonation globale de la filière automobile, du transport routier. 

Après, il y a à côté de ça, tout le débat sur des carburants qui ont un contenu carbone plus faible qu’aujourd’hui, avec le développement des biocarburants, voire des carburants synthétiques qui pourraient être totalement neutres en carbone et qui, si on pouvait les mettre à disposition sur le marché dans les années à venir, permettraient à la fois de réduire plus rapidement les émissions de CO2 globale du parc mais aussi de préparer peut-être des alternatives au 100% électrique en 2035. 

Christophe Bourroux : Justement, les Allemands s’intéressent à l’eFuel (carburant synthétique). Est-ce que c’est une piste intéressante pour vous ?

Marc Mortureux : L’eFuel, dans un cycle global, est considéré comme neutre.

Alors il y a certains constructeurs qui poussent assez fort, par exemple Porsche.

La difficulté aujourd’hui, c’est que un, c’est quand même très coûteux comme process. Deux, il faudrait s’appuyer sur de la biomasse et donc il y a pas mal de questions pour savoir s’il y a suffisamment de gisements de biomasse.

Parce qu’il y a énormément de secteurs qui souhaitent s’appuyer sur de la biomasse pour justement décarboner leur process.

Il y a donc pas mal d’interrogations autour de cela. 

Et là encore, nous sommes un peu partagés sur le fait que tout ce qui peut permettre de garder un petit peu de diversité technologique est plutôt une bonne chose et d’un autre côté, de grandes interrogations sur la capacité de fournir à un prix raisonnable des carburants synthétiques à grande échelle.

Christophe Bourroux : Et avec l’hydrogène, on est sur le même schéma que l’eFuel ou vous y croyez un peu plus ?

Marc Mortureux : Alors l’hydrogène, c’est clair qu’il y a beaucoup d’investissements qui ont déjà été engagés. On y croit sur des usages intensifs de type VUL ou des véhicules industriels, parce que la batterie a ses limites en taille et en poids. 

Et il y a l’intérêt aussi en termes de conditions d’usage. C’est que l’on peut le remplir à peu près à la même vitesse que les autres carburants.

C’est un peu moins complexe à produire à partir de l’électrolyse de l’eau que les carburants synthétiques puisqu’ils vont avoir besoin d’hydrogène mais avec d’autres étapes plus complexes. 

L’inconvénient, c’est que l’hydrogène, c’est gazeux et qu’il est très compliqué de le rendre liquide à très très très basse température et qu’il est toujours moins maniable qu’un carburant liquide. 

On a des avantages et des inconvénients et c’est pour cela que nous étions plutôt dans l’idée qu’une certaine diversité de solutions pouvait avoir du sens.

Christophe Bourroux : Les Français Michelin, Stellantis, Renault vont sur le créneau de l’hydrogène. Donc, on y va !?

Marc Mortureux : Sur le créneau du VUL et du véhicule industriel, on pense qu’il y a à la fois besoin de véhicule électrique à batterie et de véhicule à hydrogène.

Parce que, si on passe tout par des batteries, ce sont des explosions en besoin de matériaux critiques – cobalt, nickel, lithium – pour répondre à toutes les demandes.

Donc, on pense que c’est utile d’avoir les deux et de développer cette filière hydrogène maintenant.

Christophe Bourroux : Le 85 fait un carton en France et le GPL aussi. Ce sont des carburants qui sont relativement bon marché. Est-ce que pour vous, c’est intéressant ?

Marc Mortureux : C’est clair que pour le consommateur, cela a du sens aujourd’hui à court terme. A moyen-long terme, un peu moins, car en 2035, tout cela sera interdit.

Le Superéthanol-E85 va se développer encore pour un certain nombre d’années, mais c’est clair qu’aujourd’hui, les constructeurs, compte tenu du cadre réglementaire, ont déjà investi massivement vers l’électrique et vont continuer à le faire.

Christophe Bourroux : Alors, le nerf de la guerre, c’est l’argent. Les véhicules électriques sont trop chers. Même Carlos Tavares, patron de Stellantis le dit. Cela nécessite des investissements très lourds. Est-ce que l’on peut espérer que le prix de ces voitures baisse et à quelle échéance ?

Oui, cela va baisser. Il y a quand même eu des progrès incroyables : le prix des batteries a baissé plus vite qu’on ne le pensait. 

Et cela va continuer à baisser parce que l’intérêt, c’est le TCO en coût d’usage global sur la durée de vie du véhicule.

Aujourd’hui, si on peut recharger le véhicule électrique par exemple à domicile au tarif du domicile, c’est vite intéressant.

En entreprise, pour les flottes d’entreprise, il y a des usages pour lesquels d’ores et déjà aujourd’hui, ça se calcule. L’équilibre peut être trouvé : plus cher à l’achat, c’est certain. Mais plus intéressant à l’usage !

Avec notamment la guerre en Ukraine, on a connu une flambée des prix des matières premières et de l’énergie qui impactent encore plus fortement les véhicules électriques que les véhicules thermiques.

Au lieu d’avoir progressivement la convergence des prix, on a eu au contraire une augmentation d’écart. Mais, en même temps, on voit qu’aujourd’hui les prix de ces matériaux critiques se sont de nouveau un peu effondrés.

On sait bien que l’on va beaucoup dépendre de matières premières que l’on ne maîtrise pas. C’est l’une des difficultés que l’on a parce que les prix risquent effectivement d’évoluer fortement au cours du temps.

Mais le fait de développer en masse et de faire des évolutions technologiques doit amener à ce que les utilisateurs ou les gestionnaires de flottes puissent s’y retrouver pour toute une série d’usages. 

La convergence des prix va se faire de plus en plus au travers de formules de leasing ou de location dans lesquels on intègre le coût d’usage au travers notamment du coût de l’énergie, du coût de l’entretien, de la maintenance.

Mais je ne me risquerais pas à donner une date précise puisque l’on voit bien que l’on dépend tellement d’éléments extérieurs qui ne dépendent pas de la filière automobile.

Par exemple, on ne sait pas dans quelle mesure l’État ne sera pas obligé de mettre en place une certaine fiscalité sur l’utilisation de l’électricité pour les véhicules pour compenser les pertes de recettes de la TICPE qui vont être assez importantes. 

Mais qu’il y ait le débat sur une remise en cause ou pas de 2035, de toute façon, on va massivement vers l’électrification. Ça, c’est certain ! 

Christophe Bourroux : Sur les ZFE, on a l’impression que l’on y va moins vite que prévu. Les entreprises doivent-elles quand même aller vite vers l’électrique pour rentrer dans les centres-villes où pensez-vous qu’il y aura un moment de flottement ?

Marc Mortureux : On voit bien aujourd’hui qu’il y a un certain nombre de décisions pour décaler des dates qui avaient été fixées parce que l’on voit la réalité des choses.

Concernant les flottes d’entreprise, il y a, d’une certaine façon, d’abord des exigences particulières. La loi d’orientation des mobilités fixe un certain nombre d’objectifs que les flottes d’entreprises doivent respecter. Et le comportement des entreprises au niveau de leur gestion de flotte va être un élément qui va être assez regardé.

S’il n’y a pas progressivement une dynamique qui se crée, il n’est pas exclu – en tout cas, on en parle à Bruxelles – qu’il y ait une réglementation européenne qui puisse imposer et pas seulement fixer des objectifs.

Donc, je pense que fondamentalement, le mouvement est là.

Aller assez massivement vers l’électrique, c’est incontournable pour aller vers la décarbonation du transport routier.

Christophe Bourroux : Si je vous entends bien, à part l’électrique, il n’y a pas grand chose !

En tout cas, l’offre se développe quand même beaucoup, de 100% électrique à l’hybride rechargeable. 

C’est effectivement compliqué pour une entreprise, pour une flotte d’entreprise, de basculer comme ça et cela doit s’inscrire dans une stratégie globale. Les engagements RSE vont aussi amener à bouger assez rapidement.

Je pense qu’il y a tout intérêt à anticiper le plus possible. Après, il y a la valeur résiduelle des véhicules qui peut poser question mais je pense que beaucoup de monde va avoir de l’appétit pour des véhicules électriques d’occasion. 

La demande va être forte et c’est d’ailleurs un élément majeur si on veut réussir cette transition que de créer ce marché de l’occasion qui est en train de se développer mais qui va devoir se développer encore davantage.

Et je pense que le « rôle » des flottes d’entreprises, même si ce n’est pas leur motivation première, est de mettre sur le marché des véhicules électriques d’occasion. Cela va être un élément important aussi dans l’ensemble de la dynamique.

Interview réalisée par Christophe Bourroux.

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