MOBILITÉ - FLOTTE AUTO

Energies de verdissement, hydrogène : où en sommes-nous ?

L’hydrogène est souvent présenté comme une solution prometteuse pour décarboner les transports. Mais est-il vraiment à la hauteur des attentes ?

Pour le savoir, deux experts du domaine, Gilles Haon, Directeur de Projets Hydrogène chez ENGIE Cofely France, et Florentin de Loppinot, Chief Executive Officer de TEAL MOBILITY reviennent sur les enjeux majeurs de l’hydrogène pour les transports, un défi technologique et économique à relever, une opportunité à saisir avec discernement et responsabilité, une transition énergétique ambitieuse, une promesse d’une mobilité propre et performante.

Un tour d’horizon clair et concis des enjeux et des progrès de l’hydrogène en matière réglementaire, technologique, de production, de véhicules, d’usage, de coût, d’infrastructure et réseau, de flottes auto (TCO), de cycle de vie (Retrofit…). 

Laurent Courtois : Face à l’objectif fixé par l’Union européenne de ne plus vendre de véhicules neufs émettant du CO2 d’ici 2035, où en sommes-nous en termes de véhicules propres sur la partie réglementaire ?

Florentin de Loppinot : Sur la partie réglementaire, je pense que ce qui est important de dire, c’est que le secteur du transport aujourd’hui, c’est 98 % de produit fossile. Donc qui émet du CO2. Et le secteur du transport représente un quart des émissions de CO2 en Europe. Donc le secteur du transport fait partie évidemment de l’enjeu de la décarbonation et du changement climatique.

Et c’est pour cela que l’Union européenne s’est donnée des objectifs qui ont été dans le temps durcis. (Entre 2030 et 2034, les émissions devront être réduites de 55 % pour les voitures neuves et de 50 % pour les camionnettes neuves par rapport aux objectifs de 2021.) Pour le transport poids lourds, l’UE a relevé les objectifs de réduction des émissions à l’horizon 2030 (-45 %) et a introduit de nouveaux objectifs pour 2035 (-65 %) et 2040 (-90 %).

Ceci nous permettra d’être à neutralité carbone avant 2050. 

Chez Teal Mobility, ce que l’on essaye de faire, c’est de se donner des objectifs à plus court terme sur les prochaines années. 2030 me semble être un objectif à plus court terme sur lequel on a des moyens d’action aujourd’hui.

Quand on écoute l’Association des constructeurs européens d’automobiles (ACEA), ils appellent de leurs vœux la construction de 700 stations hydrogène pour arriver aux objectifs de 2030 et l’AFIR (Régulation sur l’Infrastructure des Carburants Alternatifs) qui est la réglementation européenne pour les carburants alternatifs, parle de construire une station hydrogène tous les 200 kilomètres à horizon 2030.

Ce sont les objectifs qui nous semble intéressant à voir en tête. Évidemment, c’est un chemin. On part d’un niveau beaucoup plus bas aujourd’hui puisque on est sur quelques dizaines de stations poids lourds pour l’hydrogène en Europe. 

On a des stations plus importantes pour les véhicules légers, mais l’enjeu, ça va être de construire pour la mobilité longue distance des stations dans les prochaines années afin de créer un réseau et des corridors qui permettront la décarbonation et le verdissement.

Il y a deux sujets effectivement : la partie flotte auto et la partie transports 3PL et tout ce qui est lié, notamment le transport routier. En termes de calendrier, vous pensez que c’est réalisable ou tenable ?

Florentin de Loppinot : Tout l’enjeu, c’est la vitesse à laquelle on souhaite avancer. Aller trop vite, c’est sans doute prendre le risque d’être peu abordable et de ne pas forcément être compétitif, puisque les énergies de verdissement, les énergies nouvelles, sont plus onéreuses que les énergies traditionnelles. Donc, aller trop vite, c’est prendre le risque d’impacter la compétitivité des entreprises, de l’industrie européenne et de tous les agents économiques.

Aller trop lentement, c’est rater ou ne pas répondre aux challenges du changement climatique. Donc cet enjeu de vitesse est critique. Ce n’est pas qu’une décision réglementaire, il faut aussi que les acteurs économiques y trouvent leur compte en termes de financement, en termes de coût de l’énergie, en termes de technologies disponibles, en termes d’infrastructures. Il faut que les modèles de véhicules, que ce soit des véhicules légers mais également des poids lourds, soient à disposition et que l’énergie soit à leur disposition tout au long de leur parcours.

Donc, cet enjeu de vitesse est important. Ni trop vite, ni trop lentement.

Gilles, chez Engie, votre avis sur ce calendrier ?

Gilles Haon : La date a été donnée par le politique, donc on est tous au courant depuis maintenant de nombreuses années, qui est une échéance à 2035 avec la cible de 2050. J’aurais tendance à dire que l’on n’a pas beaucoup avancé et que, au plus on prend un virage trop tard, au plus, il est serré.

Donc l’enjeu, c’est la dégradation du climat qui va avoir un impact sur l’économie en général et que l’on va ressentir sur les assurances.

Donc, comment on attaque cette transition ? On a le temps de se préparer, on a le temps d’avancer et ça fait longue date que le groupe Engie s’est lancé pour aller sur ces objectifs, notamment en mettant des stations de biogaz en stations BioGNC pour tout ce qui est bus, transport en commun, BOM, etc. 

Sur la partie hydrogène, il va falloir mettre les bouchées doubles parce ce sont les premiers pas qui sont les plus compliqués, parce qu’il va falloir lancer une nouvelle technologie. Il va falloir qu’on apprenne, que l’on ouvre une brèche. On a vu que pour l’électrique batterie, ça a commencé avec Tesla ou avec les Chinois en 2007 et ça commence seulement à décoller avec une technologie qui date de plus de quinze ans.

Est-ce qu’il y a au niveau de l’état et des collectivités, un accompagnement financier sur le maillage et les infrastructures ?

Florentin de Loppinot : C’est effectivement un point important que le financement et les subventions. Il faut souligner, qu’à terme, les subventions s’arrêtent et il faut que l’on arrive à générer suffisamment d’économie d’échelle à long terme sur la production des véhicules, sur la mise en place d’infrastructures et sur le coût de l’énergie pour que les acteurs économiques soient capables de payer les vrais coûts de l’énergie dont ils disposeront.

Ça ne veut pas dire qu’on y sera tout de suite, mais le verdissement et les énergies nouvelles ont déjà au départ un coût supplémentaire par rapport aux énergies traditionnelles.

L’État et l’Union européenne ont mis en place énormément de schémas de subventions. Typiquement, des stations de distribution d’hydrogène construites et qui sont en train d’être construites sont subventionnées à hauteur de 30 % par l’Union européenne.

À cela, on peut rajouter des subventions nationales, parfois également régionales et locales qui permettent de couvrir une part supplémentaire du coût de ces infrastructures. On peut aller dans certains pays jusqu’à 70 voire 80 % de subventions sur les capacités de production et de distribution d’hydrogène.

En France, on a un système initié cette année par l’Ademe, qui permet même de solliciter une couverture quasi complète du coût d’investissement pour les infrastructures, mais avec des enchères inversées. C’est-à-dire que si vous êtes un acteur et que vous demandez 100 % de subventions et quelqu’un d’autre demande 80 % ou 30 %, l’Ademe ira choisir le projet qui permet de décarboner à un coût unitaire le plus faible possible.

Donc ce système-là est une manière intelligente d’accompagner les acteurs économiques qui décident de construire des infrastructures. Donc ceci est valable pour les dépenses d’investissement et pour créer des infrastructures. 

Teal Mobility, qui est une joint-venture entre Air Liquide et Total Énergies pour déployer une infrastructure hydrogène en Europe, a été capable de créer des infrastructures avec des subventions européennes, des subventions nationales, voire des subventions régionales.

Ensuite, ce n’est qu’une partie de l’équation puisque l’autre sujet de votre question, c’est le véhicule et le coût de l’énergie. 

Donc les véhicules à hydrogène restent très onéreux parce que, pour l’instant, ils sont produits en toute petite série. Mais un véhicule hydrogène, c’est déjà un véhicule électrique avec un réservoir d’hydrogène qui permet de générer de l’électricité à partir de l’hydrogène embarqué et de l’oxygène. Donc, à mesure que l’électrique se développe, le véhicule hydrogène en profite. Donc on va arriver vers des cadences industrielles qui permettront d’abaisser le coût des véhicules.

Aujourd’hui, on est sur des cadences de quelques centaines de véhicules, mais on a des acteurs comme Stellantis qui a mis sur le marché des fourgons et des fourgonnettes, et qui est capable de les produire à plus de 1000 unités désormais. Il y a aussi Renault avec l’entreprise HYVIA.

Je pense également à Iveco sur les longs porteurs qui met à disposition des véhicules hydrogène à partir du mois de septembre sur des cadences de 1000 unités par an.

Donc avec ces chaînes de production qui sont mises en service, les coûts unitaires des véhicules vont être réduits. Donc ça, ça va aider. 

Et le dernier sujet, c’est le coût de l’énergie, le coût de l’hydrogène. Et c’est vrai que l’hydrogène, c’est fait soit à partir de gaz naturel – donc quelque part, cela sera plus cher que du gaz puisque c’est fait à partir de. 

Soit à partir d’électrolyse, donc on a besoin d’eau mais surtout d’électricité pour casser la molécule d’eau. Et l’électricité, ça a un coût. Donc on est sur une énergie qui sera chère.

Mais là encore, en Europe, on a des mécanismes incitatifs. En France, on a la TIRUERT qui permet de réduire le prix à la pompe pour le client final. Donc en mettant tout ça bout à bout, en ayant des subventions sur la production, sur la création d’infrastructures, en ayant des économies d’échelle sur la production massive de véhicules et ces mécanismes incitatifs sur le coût de l’énergie, on doit être capable d’y arriver d’ici 2030.

En tout cas, on travaille à des coûts pour le client qui soient acceptables et qui lui permettent de raisonnablement s’engager dans la décarbonation vers l’hydrogène.

Quelle est votre collaboration avec les constructeurs ?

Gilles Haon : Le groupe Engie a annoncé récemment qu’il avait un partenariat avec Stellantis (proposer aux clients professionnels Peugeot et Citroën, une offre comprenant les véhicules utilitaires et la station hydrogène adaptée à la taille de leur flottes).

Le lancement de l’hydrogène énergie pour la mobilité a besoin d’avoir une aide de l’État et de l’Europe.

Il faut bien voir que les États-Unis avec l’IRA (Subventions à la production, obligation d’acheter américain…) ou la Chine ont des logiques très fortes de subvention de leur mobilité. En Chine, ils sont allés très tôt sur la partie subvention et coordination de la mobilité de leur transition énergétique.

Si je peux revenir sur un exemple très concret, il y avait un ingénieur qui travaillait sur les piles à combustible chez Audi qui s’appelait Wan Gang. Quand il est retourné en Chine en au début des années 2000 pour être nommé ministre des Sciences et de la Technologie, il a dit en 2007, « nous avons 30 ans de retard sur le moteur thermique. On passe tout sur l’électrique ». 

La Chine va sur l’électrique et en 2019, ils ont 85 % du marché. Et là, ils arrêtent de financer les batteries électriques pour financer l’hydrogène.

Ils ont changé le cap et c’est fait par quelqu’un qui connaît le métier puisque c’était un chercheur dans les piles à combustible. Donc c’est parti en Asie. La Corée, j’en parle pas parce qu’ils sont aussi en avance.

Les Américains avancent très, très vite. Ils ont une capacité à lever des fonds juste extraordinaire. La capitalisation boursière de Plug Power valait, à un moment donné, celle de Renault et Fiat réunis. Maintenant, ils ont plus de difficulté ces temps-ci.

Ensuite, ce qui est attendu également, c’est la baisse des composants. C’est-à-dire qu’un réservoir qui vaut aujourd’hui 1 000 € du kW transporté, on va divisé le prix par 2, 2,5. Les piles à combustible qui étaient à 1 000 € du kW vont baisser petit à petit pour passer en dessous de la barre des 100 € du kilowatt.

Il faut savoir les enjeux. Pour un camion qui fait 200 kW, il faut juste imaginer qu’un euro du kilowatt, ça fait 200 000 €. C’est juste pas accessible. C’est deux fois le prix d’un camion neuf. Dès lors que l’on va arriver aux alentours de 50 € du kilowatt, la donne ne sera plus du tout la même.

Donc pour lancer toute cette industrie, il faut des aides, des subventions pour l’amorçage, parce qu’effectivement il y a une compétition. 

Et un gestionnaire de flotte, ce qui va l’intéresser, c’est le TCO. Donc dans une logique de TCO, s’il y a une distorsion trop importante, il préfèrera rester sur le système ancien plutôt que le nouveau. 

Enfin, il y a une nécessaire concertation à faire entre les différents acteurs. A un moment donné, il faut un chef d’orchestre qui puisse dire : il faut aligner les stations, les véhicules, les usages. Parce sinon, on revient sur l’éternel problématique de l’oeuf et la poule : on ne fait pas de stations parce qu’il y a pas de véhicules, on ne fait pas de véhicules parce que l’on n’a pas de stations.

Et la transition risque d’attendre. Les pays asiatiques sont beaucoup plus directifs.

Tesla aussi a fait un choix.

Gilles Haon : Alors Tesla est allé très tôt sur électrique et je pense qu’effectivement sans Tesla qui cassent un peu le marché avec son véhicule électrique, ça aurait été compliqué d’aller sur une transition sur le véhicule électrique. 

Pour revenir un peu sur l’équilibrage entre le tout électrique ou l’électrique batterie ou l’hydrogène, etc, il y a une très belle lettre de Luca de Meo (CEO Renault Group) qui appelle l’Europe à faire attention, en disant qu’il faut laisser aux usagers le choix de la technologie qui est la plus adaptée.

Et je pense que c’est du bon sens, c’est très pragmatique et en même temps, c’est l’avis d’un expert du marché de l’automobile. 

Et Carlos Tavares (Directeur général de Stellantis) disait déjà : Ne nous forcez pas à aller dans une voie qui serait une impasse. 

Donc oui, il y a besoin effectivement d’avancer, de se concerter, d’y aller ensemble, parce qu’une équipe qui gagne, c’est une équipe qui joue collectif. 

Est-ce qu’au niveau européen, il y a au moins des alliances ? 

Florentin de Loppinot : Pour revenir à l’oeuf et la poule, chez Teal Mobility, on a choisi de construire un poulailler, pour permettre et à l’oeuf et à la poule de se retrouver puisque on a décidé de construire une infrastructure européenne et non pas nationale mais pour construire des corridors de décarbonation par l’hydrogène. 

Donc aujourd’hui, c’est 16 stations au sein de notre réseau, 4 en construction, donc 20 d’ici la fin de l’année. Elles sont présentes en France, en Allemagne, au Benelux. 

En construisant ces corridors, on est capable d’offrir une solution qui opère déjà et qui permet aux acteurs de s’engager et de ne plus avoir à se poser la question des infrastructures.

Les véhicules arrivent progressivement, vous en parliez, sur des cadences industrielles. Iveco, Scania, Volvo, Daimler ont tous annoncé la mise à disposition de camions hydrogène. 

Il y a également des constructeurs qui réfléchissent sur l’utilisation en combustion directe d’hydrogène, ce qui permettra de garder une partie de la compétitivité de la connaissance des motoristes européens, puisqu’on a quand même développé une expertise dans les moteurs à combustion.

Ce serait dommage de l’abandonner complètement. Donc on peut utiliser l’hydrogène en combustion directe sans émettre de CO2. Ça peut être intéressant pour certaines applications qui ont besoin d’une énergie mobilisable rapidement, par exemple dans les travaux publics. 

Donc les écosystèmes sont en train de se construire, les infrastructures le sont. Mais évidemment, il faut en revenir au sujet du TCO. Quelles que soient les subventions que l’on mobilisera au départ, à un moment donné, les décisions sont prises par les gestionnaires de flottes sur la base du TCO.

Et ce n’est pas le TCO de demain qui est intéressant, c’est celui des cinq, six, sept, dix prochaines années, c’est-à-dire d’être capable de regarder usage par usage, ce que l’on est capable de proposer à un gestionnaire de flotte pour qu’il soit compétitif dans la durée. Parce que les subventions, on les a déjà vu démarrer et s’arrêter selon les lois de finances. 

Gilles Haon : Le TCO, tel qu’il est construit, il se fait déjà un peu dans la durée puisque qu’un véhicule, quand on le prend, c’est pour trois, quatre ou cinq ans. Donc souvent, ce sont des flottes en location longue durée. On va travailler sur la VR. Donc il est clair qu’aujourd’hui parier sur certaines VR, ça va être un peu délicat parce qu’elles risquent, même si elles se maintiennent à peu près, de rencontrer des difficultés à terme et devenir un actif échoué. Donc ça, c’est le problème du loueur.

Après, il y a également la comparaison des différents carburants, c’est-à-dire que le fossile aurait tendance globalement à monter alors qu’effectivement la cible des carburants alternatifs devrait se stabiliser, voire baisser puisque c’est un peu l’intérêt de l’activité. 

Dans le BTP, il y a le JCB de LIEBHERR qui travaillent sur des moteurs à hydrogène thermique. J’ai même lu que Ferrari travaillait dessus également. 

Et pour accélérer cette transition, il y a aussi pas mal de gens qui s’intéressent au rétrofit. Le rétrofit électrique a ouvert la voie et en hydrogène, on peut prendre un véhicule thermique qui a plus de cinq ans d’âge et le rétrofiter. Ce sont souvent des carrossiers, qui ne sont pas motoristes à l’origine, qui sont partis sur la partie hydrogène comme VDL, comme Caetano qui travaillent avec des piles Toyota.

Enfin, l’avantage de l’hydrogène, c’est qu’elle va couvrir un spectre qui est beaucoup plus large que la simple mobilité. C’est-à-dire que l’on va aller de l’hydrogène énergie, au groupe électrogène, au BTP, à tous les moyens de transports. Et il y en a même certains qui travaillent sur le chauffage individuel. Donc on est sur une source d’énergie qui va être capable de s’adapter à différents usages.

La poche d’hydrogène découverte en Moselle peut-elle changer la donne ? 

Florentin de Loppinot : Il y a de l’hydrogène dans certains anciens sites de production de charbon. Mais cet hydrogène est associé à du gaz naturel et il a donc un contenu carbone, un contenu CO2. Donc ce n’est pas forcément l’hydrogène le plus intéressant si on réfléchit en termes de décarbonation et de changement climatique.

Il se trouve également qu’il y a en Lorraine, de l’hydrogène qu’on appelle blanc, mais qui est quand même associé à d’autres gaz, inertes certes, mais c’est de l’argon et de l’azote. Et ces gaz-là doivent être séparés. Et quand on sépare des gaz, c’est compliqué, c’est énergivore, donc ce n’est pas comme si on avait de l’hydrogène à 100 % de pureté qui sortait de la terre. C’est en général de 15 à 40 %. Mais cette séparation-là, elle a un coût.

Si on regarde les quantités produisibles aujourd’hui, on serait sur six mois de consommation mondiale d’hydrogène. On parle ici de consommation actuelle, pas celle de demain. 

Donc on n’est pas vraiment sur un dépôt qui serait abordable ni suffisamment massif pour en faire l’Arabie Saoudite de l’hydrogène. Donc je suis personnellement mesuré quant à l’intérêt de ces poches.

Gilles Haon : C’est une ressource qui est aujourd’hui accessible et ce qui convient, c’est aujourd’hui d’analyser la pertinence économique derrière : c’est le coût d’extraction, le coût de purification et de voir ensuite comment on peut le traiter, voire le transporter, le stocker. Donc c’est pour cela qu’il y a des travaux qui se font également sur les pipes et sur les stockages de gaz.

Ensuite, si on les trouve, c’est parce qu’on commence à les chercher. Et il y a d’autres sources qui sont en train d’être découvertes parce qu’on commence à s’y intéresser. Donc la question va être : ça peut être une solution, mais à quel coût ?

L’argon, c’est assez intéressant à récupérer. L’azote, ce n’est pas trop rare puisqu’il y en a dans l’air. 

Il faut savoir aussi que l’on a déjà fabriqué des systèmes qui filtrent l’hydrogène par rapport au gaz. Ça existe déjà. Il était même en réflexion d’utiliser les tuyaux de GRT Gaz pour transporter et du gaz et de l’hydrogène et de faire la séparation à l’arrivée. Aujourd’hui, ça crée plus de perturbation que de solution et ça n’a pas été fait, mais il y a des systèmes qui existent pour le faire. Donc la solution technique existe.

Florentin de Loppinot : Massifier la production d’hydrogène est évidemment de nature à abaisser son coût et donc son prix à la pompe pour un utilisateur ou un gestionnaire de flotte.

Et l’hydrogène est évidemment exploitable et intéressant en tant que gaz industriel pour décarboner l’industrie, le métallurgie, la cimenterie. Et donc les investissements de production ont un intérêt pour les filières industrielles, mais également un intérêt dans la baisse du coût unitaire pour la mobilité.

Il y a énormément de gros projets industriels de production d’hydrogène d’origine renouvelable, d’hydrogène vert avec des électrolyseurs de 100MW, voire 500 mégawatts, voire du gigawatt, qui sont à l’étude ou lancés et qui sont de nature à changer la donne dans les prochaines années. Davantage à mon sens que l’exploitation de l’hydrogène blanc.

Gilles Haon : Juste pour mettre en perspective, je pense qu’il faut quand même travailler en parallèle sur cette solution d’hydrogène blanc, commencer à travailler avec des technologies que l’on maîtrise et étudier cette piste-là et avancer sur les deux modes de productions.

C’est un canal à analyser comme un autre.

Où en sommes-nous sur les énergies troisième génération, de synthèse ?

Gilles Haon : Alors tous les pays travaillent sur ces sujets-là. On travaillé sur le biogaz, sur la partie électrique hydrogène, l’hydrogène liquéfié, les SAF (carburant d’aviation durable), donc tout ce qui est carburants de synthèse. 

Tous ces sujets sont en train d’être étudiés en même temps parce que l’on doit trouver des solutions pour chacun des usages.

Et il y a des usages qui conviennent plus dans certaines régions du monde que dans d’autres. Par exemple, Toyota nous dit qu’ils ne peuvent pas faire des véhicules électriques à batterie sur des pays sur lesquels il n’y a pas de réseau électrique.

Pour les avions, on sait que sur le long courrier, cela ne fonctionnera pas, même avec de l’hydrogène liquide. Les SAF ou kérosène de synthèse vont servir à les alimenter. L’hydrogène liquide pourrait faire du moyen courrier, et pour le court courrier, ce sera peut-être de l’hydrogène gazeux.

Il y a de solutions mais aujourd’hui on est dans une phase où il faut tester tout cela. C’est un peu comme à la création de l’aviation, c’est-à-dire que l’on est dans une phase où il y a une vraie révolution dans laquelle on lance de nouvelles technologies.

Quelles sont les tendances de production de véhicules Hydrogène ? 

Florentin de Loppinot : En France, sur les véhicules légers hydrogène, on est essentiellement sur des taxis à Paris. Donc il y a plusieurs flottes de véhicules. 

Stellantis a annoncé une mise à disposition de véhicules utilitaires légers produits à Valenciennes et en Pologne, sur des cadences de plusieurs milliers de véhicules utilitaires et donc que l’on va avoir assez vite en France et en Europe occidentale, 

Sur les poids lourds, on a cinq constructeurs qui se sont engagés sur la mise à disposition de véhicules. Le premier au rendez-vous est Iveco, avec des capacités de 1000 unités par an à partir du mois de septembre, qui peuvent passer à 2 ou 3000.

Ensuite, on a plusieurs autres constructeurs qui mettent des véhicules à disposition. Donc si on met tout cela en commun, on peut s’attendre en 2030 à quelques dizaines de milliers de véhicules en circulation entre les véhicules utilitaires légers, les véhicules particuliers, et les poids lourds. Je dirais environ 15 000 sur l’Europe occidentale et un gros quart en France.

Ce serait mon pronostic mais cela va dépendre évidemment de ce que font nos clients, de notre capacité à construire des infrastructures, à abaisser le coût unitaire de l’hydrogène et de la capacité des constructeurs à vraiment mettre à disposition ces véhicules à des tarifs de plus en plus intéressants.

Gilles Haon : Je vais prendre la chose volontairement sur un autre plan. Le parc voiture, grosso modo, c’est 35 millions de voitures. Même s’il y a 1% de véhicules qui passent à l’hydrogène, il y a du boulot. 

Sur le parc véhicules utilitaires légers, on est à 6 millions. Bon, effectivement, une grosse partie va être des Kangoo, avec des besoins moindres en termes de consommation énergétique. Mais pareil, si on arrive à avoir 5 % de véhicules, il va falloir qu’il y ait des productions qui s’accélèrent. 

Et sur le parc camion, on est à 600 000 poids lourds à peu près en France. Si on dit que l’on va avoir 20 % de véhicules poids lourds, les constructeurs vont devoir monter en cadence et cela va prendre un certain temps. 

Et il y a beaucoup de garages aujourd’hui qui vont avoir des difficultés. Parce que, qui dit électrique batterie, dit moindre maintenance. Ça veut dire qu’il y a beaucoup d’acteurs qui vont rester sur le chemin.

Je parlais du retrofit et il y a des acteurs qui vont se lancer vers la transformation des véhicules déjà à la route. C’est une activité qui est plutôt vertueuse dans le sens du cycle de vie. 

C’est de l’économie circulaire, c’est de l’activité, c’est de l’emploi. Et effectivement, quelqu’un qui a un pont, qui a des compétences en mécanique et en électrotechnique et des certifications est en mesure de se lancer.

Et d’ailleurs, il y a beaucoup d’acteurs qui sont en train de se lancer sur cette branche du retrofit comme le groupe GCK, Vensys ou Safra. Donc ça peut prendre une proportion qui permette que l’ensemble des acteurs convergent très bien.

Interview réalisée par Laurent Courtois, Général Manger du Pôle Flotte Auto, Mobilité et Supply Chain d’Agora Managers Groupe

 

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