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Comment prévenir la distraction et somnolence au volant ?

En 2021, 38 % des personnes décédées dans un accident de la route l’ont été lors d’un accident impliquant une personne en trajet lié au travail. Soit 454 personnes tuées dont les deux tiers (308) lors d’un trajet domicile-travail (*OSNIR).

Et le risque routier professionnel était un accident de la route lié au travail toutes les 10 minutes. Des accidents souvent liés au manque d’attention, à la fatigue ou à la somnolence.

En 2016, une étude, conduite par l’Observatoire national de la sécurité routière, a mis au jour des comportements problématiques chez les conducteurs de véhicules professionnels et dans la gestion de flotte : 52 % d’entre eux conduisent en état de fatigue, 80 % utilisent leur téléphone au volant, et près de 40 % envoient des SMS. 

Comment prévenir et se prémunir de ces facteurs accidentogènes ? 

Pour en parler, Alice de Sanctis, Pneumologue Praticien Hospitalier-Unité du Sommeil au Centre Hospitalier de Versailles, Raphael Kerdraon, Directeur Flottes Automobiles chez Verlingue et Simon Desbois, Directeur des Marchés Entreprises chez Carglass.

Alexandre Carré : Alice, vous traitez par an 2000 malades et faîtes un millier d’examens de sommeil. Que peut-on dire sur la somnolence ?

Alice de Sanctis : La somnolence, c’est une incapacité à rester éveillé, alerte. Cela arrive souvent dans des situations monotones, et cela donne une envie incoercible de dormir sans préavis. Et donc, nous arrivons à la conduite dans une situation monotone en autoroute avec la difficulté d’être alerte et d’éviter les obstacles. Et ce, parfois, sans prévenir et sans la possibilité de se mettre sur le bas côté.

La somnolence est à traiter au niveau de la prévention.

Alexandre Carré : Raphael, côté distraction au volant, on connait le téléphone. Quoi d’autres ?

Raphael Kerdraon : Il y a le téléphone, mais la distraction finalement, elle existe depuis longtemps avec la personne qui vous parle à côté de vous. Ou lorsque vous récupérez quelque chose qui est tombée. La distraction finalement, c’est presque un peu l’opposé de la somnolence puisque l’on est en action mais pas concentré sur sa conduite, avec tous les conséquences que cela peut avoir sur le maintien de la direction, sur la vitesse, et sur la vision que l’on a des risques qui nous entourent.

Alexandre Carré : Simon, toutes les nouvelles technologies à disposition du conducteur, Facetime, des films, peuvent également poser des problèmes de concentration.

Simon Desbois : Les technologies sont aussi une opportunité mais on y reviendra. Mais c’est aux entreprises de sensibiliser leurs collaborateurs à ne pas téléphoner au volant et même, en kit bluetooth.

Alexandre Carré : Docteur, les maladies du sommeil sont-elles nombreuses ?

Alice de Sanctis : Elles sont très nombreuses : il y a plus de 80 maladies de sommeil, mais il y en a trois en particulier. Plus évidemment, la mauvaise hygiène de sommeil qui touche les Français.

Il s’agit de l’insomnie qui touche entre 20 et 30% de la population.

Il y a le syndrome d’apnée du sommeil qui concerne entre 5 et 8% de la population.

Il y a le syndrome de jambes sans repos (SJSR) qui est assez méconnu. Ce sont des personnes qui ont des impatiences le soir, un trouble caractérisé par un besoin impérieux de bouger les jambes et qui touchent environ 8% des Français.

Donc, si on veut parler du syndrome d’apnée du sommeil, cela concerne 5% de la population : imaginez en Île-de-France, sur 12 millions de personnes, il y aurait 600 000 personnes touchées avec potentiellement de la somnolence.

15% des Français ont de la somnolence modérée et environ 5% de sévère.

Alexandre Carré : Raphaël, en termes de sinistralité, est-ce qu’on a des chiffres précis à donner ?

Raphael Kerdraon : Alors, souvent, les accidents sont avec de multiples facteurs. Il est donc difficile de dire ce qui est à l’origine de l’accident. En revanche, la distraction au volant, c’est 25% des tués sur la route l’année dernière. 

C’est l’Observatoire national interministériel de la sécurité routière qui nous donne ces chiffres. C’est quasiment 900 morts sur les routes en 2022. 

Lorsque l’on parle de somnolence, c’est associé aussi à d’autres risques mais c’est plutôt sur des longues distances où l’on va rouler plus de deux heures et lorsque l’on ne s’est pas suffisamment reposé ou que l’on a déjà cumulé ce que l’on appelle la dette de sommeil.

Ce que j’ai trouvé comme données, c’est un tiers des tués sur l’autoroute. Cela ne veut pas dire que l’on n’a pas d’accident sur les départementales, mais c’est plus difficile d’avoir ces données-là.

On a 138 morts sur l’autoroute en 2022, donc quasiment, une cinquantaine liées à des problèmes de somnolence.

Alexandre Carré : Si la nuit, on conduit plus de deux heures sans faire de pause, cela correspond à 0,5 gramme d’alcool dans le sang ?

Alice de Sanctis : Oui et si l’on reste réveillé 17 h, on a les réflexes de quelqu’un qui a également 0,5 g d’alcool dans le sang. Cela a été testé avec des simulateurs de conduite. Donc le risque d’accident augmente.

Alexandre Carré : Quelles sont les solutions pour les responsables de flottes pour sécuriser leurs collaborateurs ?

Simon Desbois : La technologie des véhicules aident à prévenir à la fois la distraction et la somnolence, du moins leurs conséquences sur les accidents de la route.

Dans les flottes d’entreprise, un véhicule sur deux a des équipements de sécurité. Par exemple, le capteur anti-somnolence qui est localisé sur le tableau de bord du véhicule.

C’est un capteur qui vise le conducteur et qui va lui envoyer un message du type « attention, risque de somnolence, ça fait deux heures que tu conduis, une pause s’impose ». C’est juste de l’information.

Ensuite, il y a aussi les systèmes d’aide à la conduite ADAS comme notamment la caméra derrière le pare-brise. Si le véhicule louvoie ou change de fil de manière intempestive, le dispositif va remettre le véhicule dans la file et peut alerter le conducteur.

Il existe aussi le freinage d’urgence. Si le conducteur s’endort ou regarde son téléphone et que son véhicule se rapproche du bas-côté de la route ou d’un autre véhicule, cela peut engendrer un freinage d’urgence. Donc encore un signal pour qu’il s’arrête et se repose.

En 2024, tous les nouveaux modèles seront équipés de caméra ADAS derrière le pare-brise qui déclenche le freinage d’urgence et le maintien dans la voie.

Cela peut être accompagné de signaux sonores ou de vibration sur le volant. Et il y a un nouveau dispositif qui vient en complément, c’est l’affichage tête haute où des informations de conduite vont être projetées sur le pare-brise.

Donc, en cas de distraction, cela peut aider le conducteur à se recentrer sur sa conduite puisqu’il a les informations essentielles dans son axe de vision.

Aujourd’hui, c’est moins 2% du parc français qui a ce dispositif affichage tête haute. Cela augmente fortement mais cela reste faible aujourd’hui.

Alexandre Carré : Peut-on s’attendre à d’autres nouveautés technologiques ? 

Simon Desbois : Avec la multitude de capteurs sur le véhicule, il sera bientôt autonome, ou en tout cas, il prendra de plus en plus la main sur la conduite.

Raphael Kerdraon : La LOM impose un certain nombre de contraintes et donc les parcs vont se renouveler un peu plus vite au niveau des entreprises. Mais ils ne seront pas tous renouvelés et donc, il est possible aussi d’avoir des ajouts de matériel pour des véhicules qui ne sont pas équipés de façon native. 

Des entreprises qui sont soumises à une certaine sinistralité avec cette somnolence – le transport routier longues distances ou transport régional – s’équipent de ce type de système avec des caméras fixées à l’intérieur du véhicule et qui vont interagir avec les conducteurs. On n’est pas obligé d’attendre ces renouvellements et on peut agir concrètement dès aujourd’hui. 

Alexandre Carré : Cela veut dire que les particuliers qui nous regardent peuvent aussi se munir de ce type d’équipement. Les entreprises ont-elles d’autres solutions ?

Raphael Kerdraon : L’entreprise a une obligation de sensibilisation des collaborateurs sur la prévention et notamment les actions les plus importantes qui concernent l’alcoolémie, la drogue et on y vient sur la somnolence et sur les distractions.

C’est aussi peut-être rappeler les dimension cognitives, auditives, visuelles avec des exemples concrets pour leur montrer négativement, la distraction et la somnolence.

C’est peut-être aussi rappelé les sanctions : lorsque l’on conduit avec un téléphone au volant, c’est 135 euros d’amende et on perd trois points sur le permis.

Avec une tablette ou un écran, c’est 1 500 euros d’amende et toujours trois points de permis. Mais cela peut aller jusqu’à la suspension de permis pendant six mois, si c’est additionner avec d’autres infractions.

Alexandre Carré : Les entreprises en font-elles assez sur ces aspects communication et sensibilisation ?

Raphael Kerdraon : Les entreprises doivent déjà rédiger un document unique qui recense tous les risques auxquels l’entreprise est exposée et le risque automobile est important puisque c’est l’un des risques où il y a le plus d’accident de travail.

Après, les entreprises font souvent plus fortement de la sensibilisation lorsqu’elles ont été déjà exposées à un drame. Je l’ai constaté souvent avec des dirigeants qui, du coup, embarquent tout le monde.

Il y a aussi des entreprises qui ont cette culture de la sécurité et qui vont accentuer cette dimension.

Et puis, il y a un ventre mou qui n’est pas suffisamment investi dans la prévention.

Même si on a réduit drastiquement le nombre de décès sur les routes, on a encore 3 500 morts en 2022, plus le nombre de blessés, c’est toujours énorme.

Alexandre Carré : Donnez-nous quelques règles d’hygiène et de conduite ?

Alice de Sanctis : Déjà, merci de parler de prévention parce que c’est vraiment très important : d’une part de prévenir sur la somnolence, d’autre part d’agir sur la prévention et le diagnostic des malades avec le médecin du travail et le médecin traitant.

Il y a aussi l’utilité des campagnes de prévention du grand public parce que, quelqu’un qui ronfle, qui est fatigué le matin, qui se réveille deux-trois fois la nuit, qui ne se réveille pas en forme, qui a des envies de sommeil la journée, il doit pouvoir se demander, grâce aux campagnes de prévention, s’il n’a pas un syndrome d’apnée du sommeil.

C’est déjà la première étape. La deuxième étape, c’est d’agir sur la dette du sommeil qui devient de plus en plus importante.

Sur les 50 dernières années, on a perdu environ une heure et demi de sommeil.

Aujourd’hui, les Français dorment en moyenne 6 heures 41 par nuit. 30% des Français dorment moins de 6 heures par nuit, donc ça c’est très inquiétant. 

On a toujours de plus en plus besoin de récupérer notre sommeil. 4 français sur 10 font une sieste d’au moins une heure pendant la journée. Ce qui est trop.

Il faut bien connaître le nombre d’heures de sommeil dont on a besoin. Donc si on a besoin de 8 h, essayez de dormir au moins dormir 7h30. Essayez d’avoir des horaires de coucher et de lever réguliers parce que notre horloge biologique a besoin d’être synchronisée. Et pour la synchroniser, on peut utiliser la lumière. On doit s’exposer à la lumière plutôt le matin et éviter les écrans le soir. 

45% de français aujourd’hui utilisent les écrans avant de se coucher. 16% de Français sont réveillés par des notifications pendant la nuit. Donc ça aussi, c’est assez inquiétant car cela provoque une dette du sommeil ou en tous les cas, un mauvais sommeil.

On doit avoir une chambre confortable, une chambre sombre, dormir dans l’obscurité, utiliser des régulateurs de température pour pouvoir dormir entre 18 et 20 degrés pendant la nuit.

Ensuite, il faut savoir se nourrir convenablement avant de prendre la route. Il ne faut pas faire de repas trop lourd ou trop sucré. Le sucre est un faux ami comme la barre chocolatée que l’on prend pour rester éveillé.

Il faut donc des repas plutôt protéinés que sucrés.

Et pour revenir à la sieste ou quand on a besoin de sommeil sur la route, il faut faire ce qu’on appelle la power-nap, une sieste entre 10 et 20 minutes. C’est une sieste rafraîchissante qui ne nous amène pas dans le sommeil profond dans lequel on a parfois des difficultés à ressortir, soit un comportement confusionnel au réveil qui s’appelle l’ivresse du sommeil.

Il ne faut donc pas dormir plus de 20 minutes mais pas moins de 10 minutes parce que sinon, on ne rentre pas dans le sommeil stade 2 et la sieste ne nous sert pas à redevenir alerte.

Raphael Kerdraon : En complément, les entreprises ont aussi une responsabilité dans l’organisation du travail, dans les tournées des collaborateurs qui ont parfois des distances trop longues.

Elles doivent aussi influer sur les usages du téléphone dans l’entreprise : est-ce que l’on accepte qu’un manager appelle son collaborateur alors que l’on le sait sur la route ?

Simon Desbois : Le comportement des conducteurs est également fondamental pour la sécurité au volant et si la technologie est une aide précieuse, il ne faut pas se réfugier derrière elle. Il faut donc appuyer sur la sensibilisation.

Alexandre Carré : Est-ce que l’on a quelques astuces pour rester éveillé ?

Alice de Sanctis : Si l’on est fatigué au boulot ou avant de prendre la route, on peut aussi s’exposer 20 minutes à de la lumière blanche avec des lampes de luminothérapie. La nature est bien faite parce que l’aube a souvent une lumière bleue donc plutôt blanche et le coucher de soleil a une lumière rouge, et la lumière rouge est l’endormissement. 

Le café et le thé empêchent l’endormissement. C’est efficace environ 30 minutes après la prise, donc ne pas les prendre trop tard le soir pour éviter d’avoir du mal à s’endormir.

Après, il faut savoir s’arrêter et faire des siestes de 10-20 minutes quand c’est nécessaire.

Il faudrait que les entreprises autorisent les micro-siestes, donc la possibilité de se déconnecter et de prendre le temps de se reposer.

Enfin, il faut savoir s’écouter : sentir quand on a les yeux qui picotent, les bâillements, la nuque qui devient raide, la tête qui tombe, le regard fixe. On ne fait pas assez attention à ces signes-là, on essaie de lutter et il est parfois trop tard.

Le meilleur remède à la somnolence, c’est le sommeil.

CQFD

Interview réalisée par Alexandre Carré, Agora Médias

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