Réseau et infrastructures électriques : « quelles perspectives pour l’électrification des parcs automobiles ?
D’ici 2030, il sera nécessaire de déployer entre 330 et 480 000 points de recharge ouverts au public rien que pour les véhicules légers. Aujourd’hui, plus d’un million de véhicules électriques et hybrides rechargeables sont en circulation ; ils seront 17 millions en 2035 selon les estimations à se recharger directement ou indirectement via le réseau électrique de distribution.
Le réseau autoroutier comme celui de la distribution publique d’électricité participent au déploiement des points de recharge et anticipent tant les impacts de ce nouvel usage sur le réseau (foncier, puissance) que les nouvelles formes de mobilités électriques.
Retex de Véronique TALLON, Directrice Clientèle d’APRR, et de Pierre DE FIRMAS, Directeur Mobilité Électrique d’ENEDIS.
Christophe Bourroux : APRR, ce sont les autoroutes bien connues en France. Votre réseau, c‘est combien de kilomètres en France ?
Véronique Tallon : Nous avons deux réseaux autoroutiers de près de 2400 km : le réseau APRR, principalement avec l’axe Paris-Lyon et le réseau AREA. Et c’est 25% du réseau concédé.
Christophe Bourroux : ENEDIS, en deux mots ?
Pierre de Firmas : ENEDIS est une filiale d’EDF qui a en charge la gestion, l’opération du réseau de distribution publique d’électricité sur 95% du territoire.
Là aussi, il y a des kilomètres de lignes : 1,4 millions de kilomètres. C’est le réseau d’électricité de distribution dans l’Hexagone.
C.B : Chez APRR, combien avez-vous de véhicules dans votre flotte ?
Véronique Tallon : On en a plus de 1 000. Je parle uniquement des véhicules légers.
Sur les camions ou les camions de patrouilleur qui interviennent sur notre réseau, pour l’instant, on ne s’intéresse pas encore à l’électrification. On s’intéressera plutôt à l’hydrogène quand cette énergie sera prête.
Sur la partie véhicules légers, on a un axe très fort de décarbonation avec un objectif très ambitieux de 75% d’électrification de notre flotte d’ici 2025.
On devrait être dans les prochains mois à un peu plus de 30% d’électrification de notre flotte.
C.B : Et chez ENEDIS ?
Pierre de Firmas : Nous avons 18 000 véhicules légers dans la flotte et à peu près 3 000 camions et engins. On a aussi des objectifs.
Pour l’instant, nous sommes à 26%, donc cela veut dire que l’on a plus d’un véhicule léger sur 4 en « full » électrique.
Il n’y a pas d’hybride. Notre objectif, c’est d’être à 100% en 2030 sur les véhicules légers et à 70% en 2030 sur les engins et camions.
C.B : Quand on présente une voiture électrique comme voiture de fonction, est-ce bien accepté ?
Véronique Tallon : La conduite du changement n’est pas évidente. On s’appuie beaucoup sur l’encadrement, sur le management et le top management également.
Il faut plusieurs choses. Il faut un nombre suffisant de bornes sur vos propres parkings pour que votre collaborateur n’ait pas l’angoisse, quand il arrive au bureau, de ne pas pouvoir se connecter.
Il faut lui proposer également des véhicules qui soient intéressants en termes d’autonomie.
Ce sont aussi des messages quotidiens et c’est de la pédagogie. C’est une philosophie qui s’installe également dans l’entreprise.
C.B : Chez ENEDIS, distributeur d’électricité, j’imagine que pour les collaborateurs, c’est plus facile d’accepter l’électrique ?
Pierre de Firmas : Il y a une approche plus favorable mais on a exactement les mêmes freins. Le véhicule est l’outil de travail et il faut que ça marche. Avec un véhicule électrique, il y a beaucoup de choses qui changent. C’est un véhicule qui doit avoir une solution de recharge adaptée au cas d’usage.
La conduite du changement, c’est l’accompagnement dans les équipes sur tous les sites Enedis. C’est une entreprise très régionale : il y a 25 régions.
Dans ce genre d’approche, on a un peu le handicap du pionnier.
Quand on a démarré en 2012, c’était un peu la préhistoire pour le véhicule électrique. On a démarré notamment avec des Kangoo qui avaient très peu d’autonomie. Cela a pu être un peu une contre-référence et cela nous a pénalisé au début.
Maintenant, on est vraiment dans une dynamique où cela prend très bien. Les collaborateurs qui ont adopté le véhicule électrique, sont très enthousiastes. Il y a énormément d’avantages, de bruit, de confort de conduite, etc … Donc, c’est vrai que c’est exigeant en accompagnement mais chez Enedis, ça a vraiment bien pris.
Maintenant, on arrive un peu dans le dur car chez Enedis, ce sont des véhicules qui sont équipés d’outillage, des véhicules d’intervention, présents aussi en milieu rural où il faut des autonomies importantes. Dans le quart de la flotte que l’on a électrifiée, on a fait le plus facile. C’est maintenant que l’on arrive un défi plus grand.
C.B : Vous avez évoqué l’hydrogène pour les véhicules d’intervention chez APRR, avez-vous déjà mis en place des choses ?
Véronique Tallon : On va expérimenter, dans les prochaines années, la décarbonation des moteurs, passer des moteurs thermiques à l’hydrogène. C’est un de nos projets, à titre expérimental même si je vois que les poids lourds électriques montent en flèche sur nos aires. Pour l’instant, chez APRR, ce n’est pas une orientation que nous prenons pour nos propres poids lourds.
C.B : Vous avez beaucoup de camions électriques sur le réseau ?
Véronique Tallon : Pour l’instant, assez peu mais c’est comme toujours, s’il n’y a pas d’infrastructure donc vous n’avez pas de véhicule. C’est pourquoi nous venons de signer un partenariat avec Engie pour installer 6 stations IRVE PL sur l’axe de l’A6 entre Paris et Lyon.
Ce ne seront pas des stations avec 10 points de charge. Une station, c’est trois points de charge. Mais déjà, on initie quelque chose.
Donc oui, le PL électrique, on le sent vraiment venir.
C.B : Comment acheminez-vous l’électricité sur une aire d’autoroute par exemple ? Comment cela se matérialise ?
Pierre de Firmas : Ce sont effectivement des câbles. On a, avec APRR, expérimenté une première phase d’équipement qui s’est bien passée. Notre rôle chez Enedis, c’est ce qu’on appelle le raccordement.
Le réseau de distribution existe déjà mais pour aller alimenter la borne de recharge ou la station de recharge qui est en train de se monter sur l’aire des volcans d’Auvergne par exemple, il faut tirer ce bout de câble. Selon les configurations, c’est plus ou moins compliqué, plus ou moins long, plus ou moins cher. Cela dépend où passe le réseau. C’est le réseau moyenne tension qui est concerné, ce que l’on appelle HTA.
Il y a aussi toute la question du Permitting, donc il faut obtenir des autorisations pour traverser telle et telle parcelle. Mais ensuite, ce sont des questions physiques, de distance au poste source par exemple, distance au réseau moyenne tension qui passe à peu près partout.
Il y a également la question de la puissance disponible, c’est-à-dire qu’il faut que ce câble soit rattaché à un poste de distribution publique qui ait la capacité de fournir la puissance que va demander cette station de recharge.
C’est pour cela que je disais que cette première phase finalement a été assez facile puisque on a raccordé 1,7 mégawatts en moyenne pour chacune de ces aires de service.
C.B : Qu’est-ce que cela représente 1,7 mégawatts en nombre de points de charge ?
Véronique Tallon : Globalement, sur une aire de services, vous avez en moyenne 8 points de charge, toujours de la très haute puissance, donc on est entre 150 et 300 kilowatts. Parfois, les bornes sont en load balancing, c’est-à-dire que si tous les points de charge sont pris, vous allez être limités dans la puissance. Par contre, si vous êtes tout seul et que votre voiture l’accepte, vous allez prendre les 300 kg.
Sur nos aires de services, pour APRR et Area, on en a tout juste 100 et on est sur 2 mégawatts par aire.
Pierre de Firmas : Progressivement, les besoins vont augmenter et on a une estimation de ces besoins. Nous avons fait une étude avec RTE sur chacune des 415 aires d’autoroute du territoire, et on sait dire, selon nos hypothèses, selon le taux de pénétration du véhicule électrique, etc… qu’en 2035, il y aura à peu près 40% du parc qui sera converti à l’électrique. Cela fait 17 millions de véhicules légers. On sait dire à Montélimar ou aux volcans d’Auvergne, d’après nos hypothèses, qu’il faudra tant de mégawatts, quel type de travaux et à quel coût.
On a publié cette étude, et elle est accessible.
Véronique Tallon : Sur les réseaux APRR et AREA, nous avons équipé 100 % de nos aires au 31-12-2022.
Tous les réseaux ne sont pas parvenus à tenir cet engagement parce que, comme Pierre l’a dit, il a été très compliqué de tout raccorder dans un temps record et d’avoir les équipements. N’oublions pas que nous sortons du Covid, qu’il y a la guerre en Ukraine et que les choses se sont complexifiées. On a tenu nos engagements et donc, en moyenne, on est sur 8 points de charge et uniquement de la très haute puissance.
C.B : Qui s’occupe de la maintenance ?
Véronique Tallon : Sur les réseaux autoroutiers, nous sommes aménageurs dans un modèle de sous-concession avec huit opérateurs comme Total EV Charge, Allego, Spie, Engie, etc, et ce sont eux qui assistent les clients avec des hotlines 24/24.
C.B : Est-ce aussi vertueux que cela l’électricité que je vais avoir à ma borne de recharge sur autoroute ?
Pierre de Firmas : Je crois que maintenant, il y a une convergence sur la manière d’aborder cette question. Les hypothèses que l’on retient, pour faire ce que l’on appelle les analyses en y intégrant tout, montrent que le véhicule électrique est vraiment de façon générale le plus performant du point de vue de la réduction des émissions de CO2.
En France, on bénéficie d’un mix de production d’électricité qui est déjà très décarboné puisqu’entre le nucléaire qui est très présent, l’hydraulique et les EnR, aussi beaucoup développées, on a un contenu carbone de l’électricité utilisée dans la borne de recharge qui est très faible.
Du coup, je ne dirais pas que le véhicule électrique c’est parfait, parce qu’il y a effectivement des impacts sur l’environnement pour construire la batterie, extraire les minéraux qui vont être nécessaires, etc… Mais l’analyse globale montre que, par rapport à un véhicule thermique et même par rapport à tous les autres modes de mobilité, les autres carburants, c’est vraiment le plus performant de ce point de vue.
Je veux aussi revenir sur la mobilité lourde, parce c’est un fait marquant de l’année qui s’est écoulée. Elle aussi est en train de démarrer son électrification de masse et le camion à batterie, y compris sur longue distance, est en train de s’imposer chez tous les constructeurs.
C.B : J’ai vu des projets de voies de circulation sur autoroute à induction, est-ce de la science-fiction ?
Pierre de Firmas : C’est en expérimentation dans certains pays. On a fait d’ailleurs une expérimentation avec un de vos confrères. Cela présente des avantages mais cela sera compliqué pour s’imposer parce que c’est très coûteux en investissement.
Véronique Tallon : Il ne faut pas oublier que l’on est un pays très traversé par les transports internationaux, donc, cela serait intéressant d’avoir aussi cette même logique sur toute l’Europe.
C.B : Côté consommateur, est-ce que sur les aires d’autoroute, on paiera le même tarif ?
Véronique Tallon : Il est vrai que sur l’autoroute, on paye plus cher le carburant mais à ce jour, il y a un peu une confusion. On a le sentiment sur autoroute de payer plus cher sa recharge électrique. Mais non, c’est juste que sur autoroute, ce ne sont que des bornes très haute puissance et quand vous allez vous recharger sur autoroute ou vous recharger dans une station de recharge sur un parking de grande distribution, vous payez exactement le même prix. La différence de prix, elle se fait sur la puissance de recharge d’une borne en 22 kg ou une borne en 150 kg. Vous n’avez pas le même service à la fin.
C.B : Peut-il y avoir des charges lentes sur autoroute ou ce sont forcément des charges rapides ?
Véronique Tallon : On a encore quelques bornes à 50 kg. En revanche, on acceptera toutes les prises.
C.B : Quelles est l’échéance de l’équipement en bornes de toutes les aires ?
Véronique Tallon : C’est pour cet été. Je pense que tout le monde y arrivera pour cet été.
C.B : Pour cet été, a-t-on suffisamment de bornes et de puissance ?
Pierre de Firmas : On peut être optimiste pour l’été qui vient parce qu’il y a un niveau assez correct.
Interview réalisée par Christophe Bourroux, journaliste.