Quel avenir pour le Véhicule Utilitaire (VU) ?
Face aux exigences de ZFE et des nouvelles normes européennes, les constructeurs passent à l’offensive dans l’utilitaire électrique et les responsables flotte auto accélèrent le renouvellement de leur flotte en tentant de trouver le meilleur équilibre entre prix du véhicule, coûts d’usage, utilisation… et délais de livraison.
Le VU de demain, quels défis et opportunités ? Quel choix du véhicule ; thermique, électrique ou hydrogène ? A quelle échéance ? Quelles sont les offres constructeurs ? Et demain, faudra-t-il changer nos usages ?
Débat entre Delphine Hanquier, Responsable Parc Automobile des CAFÉ RICHARD qui compte 400 VU Diésel sur 500 véhicules et Thibault Macé, Senior Brand Manager gamme VU de RENAULT GROUP, leader sur le marché de l’utilitaire en France.
Thibault, que représente le marché VU en France et pour Renault ?
Thibault Macé : Le marché VU est extrêmement dynamique et représente un peu plus de 400 000 unités par an : On est sur un marché mature, de renouvellement et 30% du marché est représenté par Renault. On a trois sites principaux de production : à Maubeuge sur lequel on fabrique notre Kangoo et Kangoo Van et Batilly (Meurthe-et-Moselle) et Sandouville (Seine-Maritime) où l’on produit Trafic et Master.
Delphine, quelles sont vos craintes pour l’avenir avec les ZFE et le passage à l’électrique ?
Delphine Hanquier : C’est une grosse problématique puisque on a le couperet de la ZFE avec plus de gasoil sur Paris en 2024. Aujourd’hui, c’est le grand point d’interrogation puisque nos conducteurs ne sont pas éligibles à l’électrique. La plus grosse autonomie en WLTP, c’est environ 300 km alors que nous faisons 400 km par jour. Ma grande majorité de véhicules est du Jumper l3h2 diésel.
Alors, il y a bien l’hydrogène mais se pose alors le problème de l’infrastructure ; il y a très peu de stations et le maillage n’est pas suffisant. On va le tester mais cela va être sur une petite partie du parc car on ne peut pas se tourner vers cette solution-là aujourd’hui.
Du côté constructeur, quelle est votre vision sur la réglementation et sur les ZFE ?
Thibault Macé : Ce qui est à peu près sûr, c’est que l’on va vivre une révolution dans le monde du véhicule utilitaire avec les nouvelles réglementations, avec l’arrêt des véhicules thermiques VU comme VP d’ici 2035.
Aujourd’hui, on est passé à la norme Euro 6D Full. Et nous avons à court terme, la norme antipollution Euro 7 qui est un durcissement des normes de pollution (Le calcul des particules fines et ultrafines prendra ainsi en compte la poussière qu’émettent les freins…)
La norme Euro 7, dont les contours sont encore à définir, va arriver en 2026-2027 et les moteurs thermiques continueront d’exister avec cette nouvelle réglementation. On va donc continuer à développer des moteurs thermiques sur le véhicule utilitaire pour passer ces nouvelles normes jusqu’à l’horizon de 2035. Cela implique de nouvelles briques technologiques pour rendre le véhicule de moins en moins polluant.
Il y a aussi un volet décarbonation avec une échéance à 2030 imposée au constructeur qui nous oblige à réduire de 50% nos émissions de CO2. C’est une alternative sur laquelle Renault est engagé depuis 10 ans et qui passe par l’électrique.
Sur la ZFE, qui concerne aujourd’hui à peu près 11 villes, c’est un peu plus complexe pour les usagers comme pour les constructeurs puisqu’il n’y a pas de politique nationale en matière d’application puisque cela diffère selon les villes et avec des échéances qui ne sont pas en ligne avec ce que la réglementation européenne nous impose.
Nous avons d’un côté une échéance à moyen ou long terme avec 2030 et 2035 et les ZFE pour certaines qui commencent avec Paris en 2024.
Il ne faut pas oublier que le secteur automobile vit une crise industrielle mondiale depuis plus de 18 mois avec la crise de semi-conducteurs. Certains constructeurs ont des délais de production de plus d’un an. Donc, de fait, quand un client passe une commande en début d’année 2022, il sait qu’il aura le véhicule qu’en fin d’année 2023. Et on va arriver finalement à la date d’application de ZFE pour Paris par exemple.
Il y a donc une incohérence certaine entre la date d’application et la réalité.
Delphine, cela veut dire que vous allez devoir changer votre parc ?
Delphine Hanquier : On a un projet sur la table mais nous n’avons pas d’offres en rapport avec nos besoins ou alors, difficile à mettre en application. On se pose des questions sur la réorganisation des tournées. Pour Paris, on étudie la livraison du dernier kilomètre en vélo cargo. Cela remet vraiment notre organisation en question puisqu’il va falloir trouver des solutions.
On fait donc un état des lieux de notre parc pour que la direction puisse prendre des décisions.
Est-ce que Renault répond à cette problématique de l’électrique et du kilométrage ?
Thibault Macé : Je le répète, Renault n’abandonne pas le thermique sur du court terme et nous avons des véhicules disponibles dans notre gamme en essence comme en diesel.
Mais c’est une volonté de notre part d’étendre notre gamme électrique et de proposer dès le début de l’année prochaine, une gamme complète qui va de 3 à 22 mètres cubes en 100% électrique pour pouvoir répondre finalement à l’ensemble des besoins.
L’électrique sur le VU, ce n’est que 3,5% de marché parce qu’il ne répond pas à l’ensemble des usages mais on va améliorer l’autonomie des batteries.
Pour vous donner un exemple, sur un Master, il y a encore un an, on avait une autonomie d’à peu près 120 km. Là, on passe à un peu plus de 200 km. Donc, on a quasiment doublé l’autonomie. Sur un Kangoo, on est passé de 200 à 300 km d’autonomie. Donc cela augmente.
Après, il y a aussi une question de coût. On peut demain mettre une batterie avec une autonomie de 500 km, mais ça va changer fondamentalement les notions de charge utile. Plus une batterie est importante et lourde, plus la charge utile dans un véhicule utilitaire va conditionner l’usage.
Delphine, l’idéal n’est-il pas de mixer votre parc avec des véhicules électriques pour des courtes distances et du thermique pour les longues ?
Delphine Hanquier : Sur Paris, ça ne me pose pas de problème car les tournées font peu de kilomètres. Café Richard est d’ailleurs passé de 20 à 40% de véhicules électriques.
En revanche, en province, nos rouleurs sont de 30 000 à 40 000 km par an. Donc là, le véhicule électrique n’est pas du tout adapté.
La loi LOM nous impose de commander 10% de nos véhicules en propre. Cette année, je vais réussir à les atteindre mais l’année prochaine, je ne pense pas.
Le GPL, GNL et GNV peuvent-ils être une solution de transition pour les véhicules utilitaires ?
Thibault Macé : Par rapport à la norme Euro7 et des échéances à venir, cela nécessite des investissements trop importants et chez Renault, on préfère se concentrer sur le développement de l’électrique et sur l’amélioration de l’autonomie de nos véhicules.
Les constructeurs français travaillent sur l’hydrogène. Où en est Renault ?
Thibault Macé : Il y a deux axes : le 100% électrique, c’est notre priorité mais pour compléter notre offre de zéro émission, on travaille avec notre partenaire HYVIA sur la commercialisation d’un véhicule hydrogène qui permet d’augmenter l’autonomie de manière drastique avec près de 500 km d’autonomie sur un véhicule hydrogène.
La commercialisation se fera courant 2023 avec un master 100% électrique hydrogène. C’est demain.
Au-delà des constructeurs, il faut maintenant que les infrastructures puissent se développer aujourd’hui. On constate que ça fonctionne très bien lorsqu’il y a une pompe à proximité puisque la recharge se fait entre 5 et 7 minutes.
Un véhicule hydrogène à un prix forcément plus cher !?
Thibault Macé : Ce sont des briques technologiques qui coûtent plus cher. Néanmoins, il y a beaucoup d’aides qui sont à la fois nationales ou régionales pour aider ce type de développement.
Certains clients pourront retrouver finalement une équation qui devraient leur permettre d’être assez proches de l’offre électrique.
Alors Thibault, que pouvez-vous proposer à Delphine et Café Richard ?
Thibault Macé : La solution électrique existe sur l’ensemble de la volumétrie pour répondre à un certain nombre d’usages. Mais Delphine a dit quelque chose qui est fondamentale, c’est que finalement, il va falloir aussi apprendre à changer nos usages pour s’adapter à cette révolution. Nous, en tant que constructeur, nous allons arriver avec des nouvelles technologies qui, finalement, imposent aux utilisateurs de changer leur mode de fonctionnement.
En tant que constructeur, vous pourriez faire de la pédagogie, expliquer comment on utilise ces véhicules de façon optimale, faire des formations ?!
Thibault Macé : On y réfléchit, absolument. On voit très bien que l’on ne peut plus vivre dans le monde d’avant avec une utilisation du véhicule thermique comme on l’a connu depuis plus de 50 ans.
Malgré toutes les briques technologiques qui vont arriver et avec l’évolution des batteries, il va quand même falloir passer par ces nouveaux usages, et repenser sa flotte en intégrant finalement dans son cahier des charges, les lois et nouveaux usages.
Il va falloir aussi intégrer dans sa réflexion, la taille du véhicule où des fourgons type L2 ou L3 ne pourront plus intégrer les hypercentres.
On travaille aujourd’hui à des solutions de livraison du dernier kilomètre avec des véhicules beaucoup plus compacts, 100% électrique.
Delphine, allez-vous rester sur du véhicule thermique Euro 7 ? Et êtes-vous inquiète sur l’avenir ?
Delphine Hanquier : On ne connaît pas encore les contours de cette nouvelle norme et le jumper L3 H2 ne se fait pas en essence sur cette taille-là, donc je pense que l’on va abandonner le diesel.
Et oui, je suis très inquiète car je vois les renouvellements arriver et je n’ai pas de réponse à nos besoins.
Thibault, pour terminer, pouvez-vous rassurer les entreprises ?
Thibault Macé : On va les accompagner parce que nous avons déjà ce recul sur l’électrique avec plus de 10 ans de commercialisation et on a des nouvelles solutions comme l’hydrogène.
Mais le point important, au-delà du constructeur, c’est de pouvoir aussi intégrer la modification des usages pour que cela puisse fonctionner avec des échéances que l’on connaît aujourd’hui.
Nous avons à peu près une dizaine d’années devant nous pour pouvoir finalement faire cette transition énergétique.
Interview réalisé par Christophe Bourroux, journaliste