Vers une Green Supply Chain ?
Chaque jour, 100 millions d’ours d’or HARIBO quittent ses usines.
Retour d’expérience d’Anne VALLET, Directrice Achats et Supply Chain d’HARIBO FRANCE sur la stratégie RSE du groupe allemand présent dans plus de 100 pays.
Le célèbre fabricant de bonbons s’est en effet engagé à améliorer sa durabilité et son impact environnemental : réduction de sucre et d’emballages plastiques, colorants naturels ; sachet recyclable, sourcing et approvisionnement responsable en matières premières ; ou encore, réduction de son empreinte carbone sur le transport avec du rail route et des alternatives au diesel.
Jean-Philippe Guillaume : Comment devient-on directrice Achats & Supply Chain d’une société comme Haribo France ?
Anne Vallet : Je pense des opportunités. Je suis ingénieur de formation et j’ai commencé en qualité puis en production et j’ai évolué petit à petit en supply chain. J’ai commencé chez Danone, puis chez L’Oréal et enfin chez Haribo France.
JPG : Des secteurs d’activité vraiment très différents, de l’agroalimentaire à la cosmétique et retour à l’agroalimentaire.
Anne Vallet : Et j’ai fait ça en France puis au Canada, durant onze ans, et je suis revenue en France où depuis quatre ans et demi, j’ai intégré le groupe Haribo, au siège basé à Marseille.
JPG : Peut-être quelques mots sur Haribo pour présenter la société, une vieille dame de 100 ans d’existence.
Anne Vallet : C’est exact. Haribo est né en 1920 en Allemagne. C’est une entreprise allemande créée par un confiseur, Hans Riegel, qui a commencé dans son arrière-cour, dans sa cuisine, avec pas beaucoup de capital, un chaudron, un kilo de sucre. Et il s’est mis à faire des bonbons.
Donc, en 1920, il se dit : qui je suis ? Hans Riegel ! Où je suis ? À Bonn. Et il devient Haribo. Sa première employée est sa femme Gertrude en 1921, qui s’occupe de la supply chain et de la vente. Et elle va faire vraiment le tour du quartier avec sa bicyclette. Et ça devient une histoire de famille puisque c’est la troisième génération qui est à la tête du groupe avec 7 000 salariés.
C’est un groupe créé en Allemagne, qui s’est développé en Europe et qui, petit à petit, à commencer à traverser les océans. C’était un groupe qui était une somme de petits pays, avant de devenir une holding en 2015.
JPG : Alors votre périmètre, c’est la France avec des usines qui sont implantées en France.
Anne Vallet : Oui, il y a deux usines. Donc ne me parlez pas de barycentre. Mes deux usines sont dans le Sud de la France, à Marseille et à Uzès. Pourquoi Marseille ? Parce que quand Haribo a voulu commencer à se développer en Europe, il a d’abord envoyé un émissaire au Danemark puis en France en 1967, où il a acheté d’abord les réglisseries Lorette à Marseille et 20 ans plus tard, la société française Ricqlès-Zan à Uzès.
JPG : Alors, le sujet du jour, c’est la green supply chain. Quand on regarde les bonbons Haribo de toutes les couleurs, on se dit que cela ne doit pas être très green. Pourtant, vous avez beaucoup travaillé sur l’offre produits et fait en sorte que le green soit également partie prenante du produit.
Anne Vallet : Alors de quoi parle-t-on avec la green supply chain ? On parle de décarbonation, de limiter notre impact sur l’environnement, du sourcing jusqu’à nos consommateurs. On parle de end-to-end supply chain. Vous soulignez donc un très bon point puisqu’une de nos valeurs, en tant qu’entreprise, c’est la qualité.
On ne transige pas sur la qualité et on amène de plus en plus de naturalité dans nos produits. Vous évoquez les colorants, eh bien, les colorants cette année seront 100 % naturel. Et nos produits sont très sains, bien avant que la législation entre en vigueur. Nous avons enlevé le dioxyde de titane, et en fin d’année, tous nos produits seront en colorants naturels.
JPG : Il y a beaucoup de sucre quand même dedans.
Anne Vallet : Tout à fait. On vend des bonbons, pas des pommes, on est d’accord. En revanche, on a sorti une gamme à moins 30 % de sucre sur nos piliers, donc on a cette préoccupation de toujours pouvoir offrir une gamme à tous nos consommateurs.
Avec notre slogan, « c’est beau la vie pour les grands et les petits », on est là sur de l’universalisme. Par exemple, on a 30 % de notre gamme qui est sans gélatine de porc, donc qui convient à des confessions religieuses mais également à des végétariens.
JPG : Alors quand on parle d’impact environnemental, de la chaîne logistique, que faites-vous pour faire en sorte que cette solution soit plus verte ?
Anne Vallet : Le premier pilier, c’est travailler sur le sourcing, travailler sur la naturalité de nos ingrédients. Le deuxième, ça va être de travailler pour limiter notre empreinte carbone sur l’environnement. Et on commence par nos emballages. Toute la partie packaging est retravaillée à la fois entre la supply chain, les opérations, le développement.
On pratique en fait ce qu’on appelle tout simplement les trois R : dans le packaging – on limite la taille de nos sachets. On limite le poids de nos sachets en termes de plastique. Et on va donc cette année réussir à faire 100 tonnes de plastique en moins par an.
On va travailler sur le deuxième R, la recyclabilité. On a développé le premier sachet doypack en mono PE 100 % recyclable.
Et on est fier d’avoir développé un sachet 90 % papier. Et on va développer trois produits 100 % papier.
La deuxième partie va concerner la logistique. Ça va être le travail sur le transport avec différents leviers et actions. Nous avons une action qui est de mutualiser notre transport, le pooling. Donc, entre industriels, on va pouvoir mutualiser le transport pour mieux remplir nos camions.
JPG : Il y a un prestataire, c’est ça ?
Anne Vallet : Oui, FM Logistic, mais on s’organise entre industriels en amont du prestataire. Puis, on a développé par exemple le rail route. Donc aujourd’hui, 90 % de notre transport qui montent sur Paris se fait en rail, avec une accroche à Avignon.
On l’a étendu sur le Nord et l’Est de la France. Et puis, petit à petit, on essaye de verdir notre transport. Quand je suis arrivé chez Haribo, on a passé toutes nos navettes fixes entre nos usines et notre prestataire logistique, en biogaz.
Et on travaille aussi sur le transport aval, qui est, en alternative du diesel, à peu près à 45 % d’huiles végétales mais aussi du biogaz.
JPG : Dans RSE, il y a le S de social. Que faites-vous pour que vos collaborateurs se sentent bien dans leur environnement de travail ?
Anne Vallet : On va travailler sur du basique. La formation, l’engagement, le leadership et puis, l’animation de nos valeurs. Et on va faire des journées citoyennes, des journées de ramassage avec des entreprises, des associations.
On va également faire de la formation sur la sensibilisation à la RSE. On a par exemple formé cette année 50 collaborateurs à La fresque du climat.
Puis, la motivation pour certaines personnes, c’est aussi la rémunération. Outre les bonus sur la performance que nous donnons, nous avons décidé en comité de direction depuis quelques années, d’avoir un intéressement égalitaire.
Donc aujourd’hui, de l’opérateur au président de Haribo France, qui est Monsieur Jean-Philippe André, tout le monde touche la même chose en termes d’intéressement.
JPG : Du côté de vos fournisseurs, prestataires, sous-traitants, que faites-vous pour les inciter à être plus green ?
Anne Vallet : On va travailler par exemple avec nos fournisseurs. J’ai formé l’année dernière toute mon équipe aux achats responsables. Cela veut dire qu’aujourd’hui, dans nos choix d’un fournisseur, nous n’allons plus seulement évaluer le coût, la qualité, les délais, mais nous allons aussi intégrer un indicateur RSE :
Cela peut être la géographie : est-ce que c’est un partenaire local, en région PACA ou en Occitanie ? Est-ce que c’est un partenaire qui nous propose des l’alternative au diesel, si c’est un transporteur ? Est-ce que c’est un partenaire qui va proposer une réduction de consommation d’énergie, si c’est dans les achats techniques, par exemple.
JPG : Ce sont des critères de choix ?
Anne Vallet : Oui, exactement. Ensuite, nous allons travailler en aval avec nos clients, parce qu’il sont demandeurs. On va, par exemple, leur proposer des mises en avant qui sont en matériaux recyclables.
Et on va travailler avec les territoires, à la fois avec des partenariats, avec du mécénat, avec l’engagement de personnes qui sont peut-être plus défavorisés.
Donc, la décarbonation va se faire sur toute la filière.
Alors vous vous êtes fixés un objectif ambitieux de neutralité carbone pour l’ensemble de la filière en associant l’ensemble des parties prenantes.
Anne Vallet : Ma conviction, c’est que la décarbonation demandée par l’Union européenne en 2050 passera que si on travaille par filière. Donc pour notre bilan carbone, on regarde nos émissions sur trois scopes :
Scope 1, la production.
Scope 2, l’énergie, qui n’est pas directe à la production. Donc ça va être par exemple l’électricité dans les bureaux, les ordinateurs, nos boutiques en propre.
Scope 3, tout ce qui est le reste de la production. Donc c’est l’amont et l’aval : c’est le transport, c’est nous, les clients, c’est ce que nous consommons, ce sont les déchets que l’on va générer, etc. Et donc, c’est le scope 3 qu’il faut aller chercher. Pourquoi ? Parce que plus de 90 % de nos émissions de carbone se font par le scope 3.
JPG : Finalement, c’est le plus dur à aller chercher.
Anne Vallet : Oui, et il ne faut pas oublier que l’on est tous le scope 3 de quelqu’un.
Propos recueillis par Jean-Philippe Guillaume, Directeur de la rédaction de Supply Chain Village