SUPPLY CHAIN MANAGEMENT

Comment gérer les évolutions réglementaires dans la Supply Chain ?

Face aux enjeux RSE et à des dispositifs légaux et réglementaires de plus en plus nombreux, les entreprises de transport et flux logistiques doivent sans cesse faire évoluer les processus, répondre aux perturbations du marché, atténuer les risques, maintenir la continuité des activités et intégrer une culture de la conformité.

Joël Glusman, Vice-président de TLF et Président de TLF OVERSEAS, souligne, lors de ce rendez-vous de l’Agora Supply Chain Management, l’importance d’une surveillance proactive et stratégique de la conformité réglementaire et douanière.

Sa fédération, qui réunit transporteurs, logisticiens, commissionnaires de transport et Représentants en Douane Enregistré (RDE), fournit à ses membres des outils de veille et d’alerte en matière de compliance, tout en menant un lobbying en faveur de la profession Transport et Logistique.

Laurent Courtois : Présentez-nous TLF Overseas ?

Joël Glusman : TLF Overseas est la fédération professionnelle qui regroupe la quasi totalité des commissionnaires en transports aériens, maritimes et les RDE que l’on appelait avant les commissionnaires en douane. Et donc, on a une représentativité quasi exclusive puisqu’il n’y a pas d’autres fédérations professionnelles. Mais TLF Overseas est également membre de l’Union TLF, qui regroupe d’une façon plus importante l’ensemble des acteurs du transport et de la logistique contractuelle.

C’est à peu près 2 000 entreprises et environ 200 000 salariés. Donc cela veut dire que sur un secteur d’activité qui aujourd’hui emploie à peu près 800 000 collaborateurs, cols blancs et cols bleus confondus, c’est 1/3 des effectifs de la branche.

Je suis président élu par mes pairs de la partie Overseas et j’entame mon deuxième mandat. Et je suis plus à l’aise sur la partie internationale qui va intégrer la partie douane, un peu moins à l’aise sur la partie transport routier et logistique contractuelle.

Ce qui est intéressant également de dire, c’est que l’Union TLF – TLF Overseas est membre de Fédérations européennes et on va parler de tout ce qui est réglementation et compliance.

Il y a un certain nombre de réglementations purement nationales, mais il y a de plus en plus de communautaires. Et donc là, on est membre du Comité de Liaison Européen des Commissionnaires et Auxiliaires de Transport (CLECAT) qui regroupe l’ensemble des fédérations professionnelles. Et c’est un instrument de lobbying auprès des instances, bruxelloises en particulier.

Laurent Courtois : Comment font vos adhérents pour maîtriser les évolutions réglementaires, notamment européennes, et en tenir compte dans la gestion de leur supply ?

Joël Glusman : Il y a quasiment une nouvelle réglementation tous les jours, soit elle est nationale, communautaire, soit internationale. Donc, aujourd’hui, on a une responsabilité de veille. On doit s’approprier et connaître ces réglementations. Et il n’y a pas que celles qui sont liées au transport et à la logistique.

Ainsi, on parle de la RGPD par exemple. Ça concerne pas du tout la logistique, mais ça concerne aussi la logistique. Et il y a des réglementations qui sont propres au métier du commerce international.

Par exemple, ce sont des interdictions d’importation des biens issus de déforestation. On doit savoir, lorsqu’on va accompagner un importateur de produits, où les produits ont été fabriqués et quelle est la réglementation. Il y a également des interdictions d’importation de biens qui sont issus du travail forcé. Et des interdictions d’importation de gaz dégradant la couche d’ozone.

Donc, il y en a de plus en plus. Et aujourd’hui, on s’aperçoit que tout ce qui touche aux contraintes environnementales et décarbonations, vient impacter au quotidien, l’activité de nos clients chargeurs. Et donc, on est obligé de connaître cette réglementation internationale. Et on a un devoir de conseil.

Ensuite, on a également un certain nombre de ces réglementations qui sont contrôlées au moment du passage en frontière. Et là, notre rôle de RDE, représentant en douane enregistré, nous oblige à vérifier que ces réglementations sont connues de la part de nos clients chargeurs, et s’ils ne le sont pas, on a cette obligation de les informer. Mais la responsabilité n’est pas forcément la nôtre.

Elle est souvent celle du chargeur qui ne peut pas se dégager d’une partie de ses responsabilités.

Quels services TLF apporte-t-elle à ces adhérents ? Est-ce qu’il y a des outils de veille, d’alerte ?

Joël Glusman : Alors il y a des outils de veille et d’alerte. Et puis, il y a la façon dont fonctionne TLF. Il y a une trentaine de salariés permanents qui, chacun, va être spécialisé sur un secteur particulier et ses permanents vont travailler avec des commissions qui sont composés d’élus et d’adhérents qui vont travailler ensemble et qui ont pour objet de travailler en profondeur les différents sujets qu’ils vont avoir sur cette réglementation.

Donc notre devoir, c’est d’abord de s’approprier ces réglementations au travers de ces commissions, au travers du travail qui est fait par nos salariés permanents et ensuite de les rendre comestibles et accessibles à l’ensemble de nos adhérents pour qu’ils puissent, eux aussi, se les approprier et ensuite les diffuser auprès de leurs clients chargeurs.

Nous sommes également en relation avec de nombreuses écoles à qui l’on transmet ce savoir le plus près possible de la phase d’apprentissage.

Dans cette période mouvementée, y-a-t-il des réglementations un peu spécifiques, des pays sous embargo ?

Joël Glusman : On ne peut pas ignorer la situation géopolitique. Aujourd’hui, il y a des embargos, il y a des réglementations qui datent depuis longtemps. Quand on parle à l’export, il y a les biens qui sont à double usage, civil ou militaire. Donc là, il y a une réglementation qu’il faut absolument connaître.

Il y a aussi des réglementations conjoncturelles et non pas structurelles.
Nos clients chargeurs doivent être tenus au courant des sanctions contre la Russie. Aujourd’hui, il est quasiment impossible d’exporter des marchandises vers des pays comme la Russie.

Est-ce qu’il y a des cas d’usage de collaboration entre chargeurs et transporteurs ?

Joël Glusman : Je voudrais illustrer par une anecdote qui remonte au dernier SiTL, donc le salon de la supply chain, du transport et de la logistique. J’ai participé à une table ronde dans laquelle on évoquait le MACF, qui est, en gros, le mécanisme d’ajustement du carbone aux frontières.

Le MACF, c’est une nouvelle réglementation qui a été décidée au niveau européen, qui s’inscrit dans les contraintes environnementales pour contrôler les échanges internationaux. Et à cette table ronde, il y avait le patron de la compliance de L’Oréal, donc quelqu’un qui a la structure qu’il faut, qui nous expliquait comment, dans son activité import ou export, il allait mettre en place cette réglementation.

Il faut savoir que cette réglementation s’applique en mode test depuis le 1ᵉʳ janvier de cette année. Et donc, il y avait également à cette table ronde, un représentant du ministère de l’Environnement qui, pendant trois quarts d’heure, nous a expliqué à quel point il était difficile de mettre en place cette application qui va devenir obligatoire dans quelques mois.

Et en fait, ce que je me suis rendu compte, c’est qu’une des principales difficultés concernant cette réglementation très importante, c’est que c’est le secret le mieux gardé de la supply chain.

Cela veut dire que ça impacte dans un premier temps une certaine catégorie de marchandises, que cette liste va s’allonger au fur et à mesure et qu’aujourd’hui, personne ne connaît cette réglementation.

Et on est au SITL, et on s’attend à ce que les représentants de notre fédération viennent informer le grand public et les chargeurs de cette réglementation. Ce n’est pas notre rôle mais celui de l’Etat. On peut accompagner mais aujourd’hui, le MACF, qui est une réglementation européenne dont la France a l’obligation d’appliquer, n’est pas encore suffisamment connue.

Est-ce que les chargeurs sont conscients des risques juridiques encourus si jamais ils enfreignent la loi par rapport à ces différents items ?

Joël Glusman : Les grands groupes, très probablement. Oui, ils sont structurés. J’ai évoqué le cas de L’Oréal tout à l’heure, mais une grande partie du commerce international n’est pas forcément fait par de grands groupes. Il y a des PME-PMI qui vont se retourner vers nous en disant :  » je ne sais pas, expliquez-nous ! »

Quand le régalien fait défaut, c’est notre rôle aussi de sensibiliser.

Identifiez-vous des secteurs ou des industries qui sont plus exposées à ce type de risque ou de réglementation ?

Joël Glusman : Alors si on parle du mécanisme d’ajustement du contrôle aux frontières, ça ne concerne pas tout type de produits. Ça va arriver progressivement. Dans quelques temps, la totalité des marchandises seront concernées. Ce qui est intéressant, c’est de se dire qu’une bonne maîtrise de la compliance ou de la réglementation, ça a aussi un effet bénéfique.

Ce que je veux dire, c’est que ça oblige d’abord les prestataires de services que nous sommes, mais également les chargeurs en amont à se structurer. Aujourd’hui il y a des compliance officers dans les grands groupes et c’est un job qui n’existait pas il y a quelque temps.

Ce que je veux dire, c’est que cela permet de mettre en place des process dans lesquels on s’approprie une réglementation, mais également des process de contrôle en interne de l’application de ces réglementations.

L’entreprise se structure avec des certifications.

Quels services apportent les services de douane dans ce jeu d’import-export ?

Joël Glusman : Le service des douanes, dans son rôle extrêmement régalien, c’est celui de contrôler au passage en frontière, de s’assurer que la réglementation est bien respectée, et si elle ne l’est pas, c’est aussi de sanctionner. Et là, le représentant en douane enregistré et les déclarants en douane doivent être certain d’avoir fait correctement le travail, et d’avoir bien échangé sur le sujet avec leurs clients chargeurs.

Il y a beaucoup de réglementations liées au commerce international qui sont contrôlées par une administration des douanes qui sanctionne avec des amendes lorsque cela est justifié. Maintenant, au-delà de la partie contrôle et sanction, une entreprise qui apporte des marchandises issues du travail forcé, risque non seulement des sanctions, mais aussi des préjudices en terme d’image et de notoriété.

Dans le secteur de la fast fashion, il y a quelques entreprises qui, en ce moment, sont particulièrement visées par des ONG, à la fois parce que le produit est issu de travail forcé, de déforestation et parce qu’elles ont une empreinte carbone qui n’est absolument plus acceptable.

Donc, soit on subit la compliance, soit au contraire, on la connaît, on la maîtrise et on s’organise de façon à ne pas avoir de contraintes.

Plus globalement, et là, c’est le citoyen qui parle et non plus le professionnel, je pense qu’il y a beaucoup de réglementations qui sont de nature à vivre mieux ensemble, à protéger notre planète, et en tant que père et grand père, je ne peux que m’en féliciter.

La compliance, ce n’est pas que des contraintes. C’en est, mais ce n’est pas que ça. Il y a un côté prévoyance que j’aime bien.

Les entreprises sont-elles bien structurées au niveau de cette compliance et vous sollicitent-elles ?

Joël Glusman : Alors les entreprises que je connais le mieux sont celles de mon secteur, davantage que celles de nos clients chargeurs. Mais si on pense à la période difficile du Covid, il y avait des réglementations qui changeaient souvent, des interdictions qui s’additionnaient les unes aux autres. Et là, je peux vous dire que nous avons été incroyablement sollicités pour mettre en place des systèmes.

Par exemple, on a eu à transporter au tout début de la crise du Covid, des masques en provenance d’Asie. On s’est aperçu qu’il y avait des masques qui n’étaient pas conformes, d’autres qui l’étaient, et on a été obligé de faire preuve d’agilité pour réagir et pour répondre aux besoins du moment.

Maintenant, nos entreprises, celles de notre fédération, sont en grande partie déjà certifiée ISO 9000. Une grande partie ont des services RSE et sont très sensibilisés sur tout ce qui est réglementation.

Si elles ne le sont pas, c’est aussi une des missions d’une fédération comme la nôtre, de les sensibiliser. On a des bulletins, on communique régulièrement avec nos adhérents et on échange régulièrement.

TLF est-elle en relation avec des organismes internationaux pour échanger sur les bonnes pratiques ?

Joël Glusman : TLF fait partie du CLECAT, qui est un porte-parole de l’ensemble des professionnels de l’Union européenne et qui va aller le moment venu, s’adresser aux pouvoirs publics. Donc là, on est sur la Commission de Bruxelles pour essayer de faire passer nos messages.

Mais aussi, on travaille sur des réglementations en amont pour sensibiliser nos députés sur nos sujets et qu’ils comprennent qu’il y a des choses qui ne peuvent pas être appliquées sur le terrain ou leur expliquer un peu comment cela fonctionne.

Et ce n’est pas quelque chose de facile mais c’est le rôle d’une fédération comme la nôtre.

Propos recueillis par Laurent Courtois, General Manager de l’Agora Supply Chain Management

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