Fondatrice du bureau 121*, Cabinet de conseil en stratégie et communication, Amélie Blanckaert, est l’auteure de Votre Parole Vaut de l’Or (Editions Plon), une bible de 25 leçons d’éloquence pour convaincre, destinés à tous les dirigeants et managers devenus aussi des leaders advocacy.
Face à cette communication interne et externe tous azimuts, Amélie nous donne ainsi quelques conseils afin que l’on puisse s’exprimer oralement avec clarté, aisance, précision et naturel, que ce soit pour un discours, une keynote, un webinaire, un workshop, un podcast, une visio, une réunion, une présentations de projet, une prises de parole en réunion…
L’éloquence est un art qui s’apprend. La confiance se nourrit dans l’action.
Julie Guénard : Amélie, pouvez-vous nous présenter le parcours qui vous a conduit à cette expertise sur la communication et la parole en particulier ?
Amélie Blanckaert : J’ai commencé comme professeur de littérature du 16e siècle, une matière assez académique et éloignée du monde de l’entreprise.
Mais le point commun, c’est qu’au 16e siècle, le protestantisme fait son apparition et on se bat, dans la littérature, à coup d’arguments pour savoir où est la vérité.
D’un côté, il y a des protestants, de l’autre les catholiques, chacun essayant de prouver qu’il a raison. C’est intéressant parce que l’on essaye encore aujourd’hui, de prouver sur certains sujets, que l’on a raison. L’enjeu n’est pas toujours de prouver que l’on a raison, parce que convaincre, c’est autre chose : convaincre, c’est laisser une empreinte. On y reviendra.
J’ai commencé comme professeur et j’ai continué à enseigner l’art oratoire et l’art du débat. Parallèlement, j’ai créé cette agence qui s’appelle Bureau 121, avec l’envie d’accompagner des dirigeants pour les aider à être plus convaincants parce que cela se travaille.
Julie Guénard : Il y a la qualité de l’écrit mais il faut aussi que le discours soit suffisamment rédigé. Que se passe-t-il entre l’oral et l’écrit ?
Amélie Blanckaert : L’écrit et l’oral sont deux exercices différents, les codes ne sont pas les mêmes. À l’écrit, par exemple, vous pouvez interrompre votre lecture, faire un café et revenir sur un texte pour le comprendre. À l’oral, on est dans du direct. Si cela n’est pas compris tout de suite, c’est perdu. Votre interlocuteur va chercher ce que vous vouliez dire et il va rester en mode pause ou en mode figé, si je puis dire. Vous allez continuer à parler, mais le problème c’est qu’il ne vous suit plus.
Donc il y a une exigence de clarté à l’oral qui est encore plus forte qu’à l’écrit. C’est une première différence.
Parmi les autres différences, ce sont bien sûr les outils pour convaincre. À l’écrit, vous allez convaincre avec des mots et à l’oral aussi. Mais à l’oral, il faut ajouter le corps, le regard… Là, nous communiquons toutes les deux, avant même de nous parler, nous nous regardons. Les anciens disaient que l’on apprenait par le regard. Le regard est le fil invisible qui nous relie, qui va créer notre dialogue et qui va créer l’interaction qui nous lie.
C’est extrêmement intéressant de voir que l’on ne peut pas parler comme on écrit mais évidemment ça se prépare. Vous avez d’ailleurs préparé des questions que vous avez rédigé pour qu’elles soient plus claires. Il peut donc y avoir cette étape préliminaire d’écrire son discours.
On le fait la plupart du temps parce qu’on a besoin de se préparer. Mais il ne s’agit pas de le lire. L’écrit se distingue de l’oral, l’écrit peut être une base de l’oral mais il s’agit de s’en détacher.
Si vous n’êtes que dans la lecture, vous n’êtes plus avec moi. Et ce que l’on recherche, c’est ce dialogue. On perd le côté naturel quand on est tributaire d’un texte, or personne n’ira vérifier si vous avez oublié un mot ou un argument. L’important, c’est d’être soi-même et d’être en interaction avec l’autre.
Julie Guénard : Est-ce que vous auriez des conseils à donner aux directeurs juridiques qui nous regardent, pour convaincre leur auditoire, faire face à leurs clients, à leur direction générale ?
Amélie Blanckaert : D’abord je constate que beaucoup de directeurs juridiques sont aujourd’hui dans des Comex. Ils sont de plus en plus reconnus comme des personnes clés dans l’entreprise. Ils jouent un rôle fondamental et ils ont cette agora, pour reprendre votre beau terme, cette arène dans laquelle ils sont invités à s’exprimer.
Mais la parole, on la prend. La parole, on ne vous la donne pas toujours. Cela n’est pas parce qu’on est autour de la table que l’on va forcément parler. Mon premier conseil serait donc d’oser prendre la parole. Car vous avez un métier qui a souvent été cantonné dans l’ombre, car la matière juridique est complexe, elle est fine et subtile. En plus, cette matière évolue.
Le rôle des directeurs juridiques a aussi changé. Il s’est beaucoup transformé et il a grandi en termes d’importance stratégique pour le groupe puisque le directeur juridique défend les intérêts du monde.
Donc je leur dirais d’oser parler, de faire mieux connaître leur métier, l’évolution et la transformation de leurs activités. Il ne s’agit pas seulement d’être dans le savoir-faire mais dans le faire-savoir.
On a besoin de les entendre sur des sujets clés qui peuvent être liés à la gouvernance, à la compliance, à la RSE, aux Affaires publiques…
Et puis, il y a des tas de conseils que l’on pourrait donner à tout un chacun qui est de simplifier. On sait aussi que la matière juridique est aride, complexe, précise mais il s’agit d’éviter toute lourdeur. Il ne s’agit pas de tout expliquer parce qu’à l’oral, on a très peu de temps pour convaincre. C’est un phénomène de société. Donc un juriste peut être frustré dans son art de s’exprimer mais il faut assumer cette frustration de ne pas tout dire. Il faut synthétiser et dire ce qui est essentiel.
Un autre conseil qui me vient à l’esprit, c’est l’art d’adapter son discours. On ne parle pas de la même manière selon les audiences. Parfois, vous allez avoir le temps de développer, parfois c’est un temps très court qui vous est attribué, parfois les gens connaissent un peu votre matière, parfois pas du tout.
C’est important de se dire : mais finalement, qu’est-ce qu’ils savent ? Et de ne pas hésiter non plus, à vérifier la compréhension de ce qu’on dit. Puisque la matière est complexe, n’hésitez pas à poser des questions, à vérifier qu’on a compris et à simplifier encore et encore. On est toujours trop compliqué.
On ne s’en rend pas compte parce qu’on baigne dans un sujet et quand on est passionné par sa matière, on peut en parler des heures. Il y a donc un risque de longueur et de complexité. Et quand on est conscient de cela, on arrive davantage à dialoguer puisque on va parler moins. On va simplifier, vulgariser, être plus direct et au fond les messages vont passer plus facilement. Et c’est cela que l’on recherche.
Julie Guénard : Comment un directeur juridique peut-il être un bon communicant que ce soit à l’intérieur de son entreprise ou à l’extérieur ?
Amélie Blanckaert : C’est intéressant que vous parliez de communication interne et externe parce qu’aujourd’hui, le directeur juridique n’est plus seulement un expert, il est un partenaire du business, un défenseur du groupe, comme un avocat, et un partenaire de la réussite d’une entreprise.
En interne, il faut parler à toutes les unités, parler à toutes les Business Units, parler à chacun, pour jouer ce rôle de partenaire et expliquer en quoi vous accompagnez le groupe et sa réussite.
Et en externe, je trouve intéressant que le directeur juridique ne se cantonne pas à des médias spécialisés. Il ne faut pas avoir peur de s’exprimer dans des médias à plus large audience, de faire des podcasts parfois, pour expliquer ce que l’on fait. Que ce soit en interne ou en externe, je crois qu’il faut sortir du bois, tout en gardant ce devoir de réserve sur certains sujets puisqu’on sait que la matière juridique touche à des sujets aussi confidentiels.
Donc, il ne s’agit pas de parler sur des sujets qu’on ne peut pas partager mais de partager sur les sujets qu’on a le droit de partager. J’insiste sur cette idée de droit, de légitimité qui évidemment incombe au directeur juridique. Et je crois qu’il faut s’autoriser.
C’est intéressant d’ailleurs, cette notion de s’autoriser. L’autre jour, je travaillais sur la notion d’autorité : qu’est-ce que c’est qu’avoir de l’autorité ? Et peut-être qu’une des premières définitions de l’autorité, c’est « s’autoriser à » avec assurance. Ça veut dire que ça se prépare et que ça s’anticipe.
Et puis, plus on parle, plus c’est aisé aussi de s’exprimer. Il ne faut pas avoir peur de le faire et il faut plonger dans la piscine régulièrement, au Comex ou dans son Codir ou avec ses équipes. Finalement, la confiance se nourrit dans l’action. Donc, plus on le fait, plus c’est facile d’oser.
« Vous sentez quand l’autre décroche lorsqu’il change de fesses ».
Julie Guénard : Est-ce que le regard est aussi important que l’éloquence ?
Amélie Blanckaert : Oui, car le regard fait partie de l’éloquence. L’éloquence, ce n’est pas seulement des mots, ce n’est pas seulement le choix des arguments. Et le regard fait partie du langage du corps. C’est étonnant de voir à quel point on arrive à capter l’attention de l’autre en le regardant. Le regard, c’est ce fil invisible qui fait que nous sommes ensemble.
Vous regarder, c’est une marque d’attention. C’est aussi la preuve que je n’ai pas peur. Vous ne pouvez pas tellement échapper à mon envie de communiquer avec vous, puisque je viens vous chercher.
Il faut toujours, je crois, aller chercher l’autre. Il n’y a pas de mauvais public, il n’y a que des peurs que l’on a, qui font que l’on ne va pas chercher l’autre. Or, dès lors que l’on comprend que c’est à nous d’être le chef d’orchestre et d’aller chercher l’attention de l’autre, c’est dur de résister à ça.
C’est dur de résister à un regard qui est bienveillant. Cela crée une envie de dialogue et je trouve qu’il y a aussi peut-être une marque de respect. Il faut toujours donner le sentiment à l’autre qu’il est unique.
Julie Guénard : Est-ce que l’on peut avoir les mêmes techniques d’éloquence en visio ? Auriez-vous des astuces ?
Amélie Blanckaert : La première chose que vous pouvez demander, c’est que les gens allument leur caméra. C’est une première belle étape parce que plus nous sommes connectés, plus le lien est difficile. Si, en plus de ne pas être avec vous, je ne vous vois pas, je réduis notre capacité à être ensemble. Le fait de vous voir est fondamental. C’est comme cela d’ailleurs que je vais sentir si je continue à vous intéresser ou pas.
Le regard n’est pas seulement une marque de respect, c’est un baromètre. C’est ce qui me permet de savoir si vous êtes avec moi ou si vous êtes parti dans vos rêves et dans vos pensées.
Mouloudji avait cette phrase géniale qui disait : « vous sentez quand l’autre décroche lorsqu’il change de fesses ». Au début, j’ai eu du mal à comprendre cette phrase. Et en fait, j’ai compris que quand quelqu’un commence à bouger sur sa chaise, c’est que tout à coup, il y a quelque chose qui ne connecte plus.
Ça aussi, c’est un indicateur. Parfois, de tout petits gestes nous indiquent que l’autre n’est plus là.
Quels conseils donner ? Premièrement, mettez tout de votre côté en termes d’image et de voix.
Deuxièmement, faites exactement la même chose qu’en face à face mais de façon accentuée. On aurait tendance à oublier que l’autre est là malgré tout, en se disant : je peux être en jogging ou je peux être mal assis, ça n’a pas tellement d’importance. Alors que même si vous ne branchez pas votre caméra, on va sentir si vous êtes là ou si vous n’êtes pas vraiment là. Et le risque c’est qu’effectivement les gens fassent autre chose et ne soient plus dans l’interaction.
Paradoxalement, il y a aussi des introvertis qui ont trouvé un bénéfice à cette communication digitale. Cela leur a donné la force de parler davantage, avec plus de courage, parce qu’ils n’étaient plus en face à face. Il y a des personnes qui rayonnent dans cette communication digitale.
Je crois qu’il faut aussi faire plus court encore. C’est beaucoup plus fatigant de se parler par écran interposé.
Julie Guénard : Faisons un focus sur l’expression en public des femmes. Est-ce que vous auriez encore quelques conseils pour les directrices juridiques ?
Amélie Blanckaert : J’ai du mal à parler de l’éloquence des femmes ou de l’éloquence des hommes, parce que je crois que l’éloquence nous concerne tous.
Mais je constate, néanmoins, quelques éléments : souvent, sans généralité excessive, les femmes ont tendance à tout justifier et à être très scolaires. Sans doute, parce que pendant des siècles, elles ont eu des difficultés à trouver une place.
Un des travers, c’est de faire des plans avec trois parties, trois sous parties et de bien vérifier que surtout, on ne dit pas de bêtises. On a raison d’être attentive au fait de dire des choses intelligentes et je crois qu’on a tort de vouloir tout justifier.
Il faut expliquer certaines choses mais il ne faut pas sur-expliquer parce que sinon, vous perdez votre auditoire. Les hommes ont davantage cette facilité, généralement, à aller droit au but, à être plus direct, à commencer par la conclusion. Donc inspirons-nous des hommes de ce point de vue-là .
Le deuxième conseil pour une directrice juridique, c’est de ne pas avoir peur de parler de soi, ne pas avoir peur de prendre la parole y compris dans un milieu d’hommes.
Déjà, être directeur juridique ou directrice juridique, c’est souvent être réservé parce que c’est un métier d’ombre. En plus, les femmes ont tendance à l’être d’autant plus. Donc, la double réserve, c’est parfois trop.
André Putman, qui était architecte d’intérieur disait : « ne pas oser, c’est déjà perdre ». Donc il faut oser parler, oser parler fort aussi et sortir de sa réserve.
Par ailleurs, soyez vous-même. On a une chance incroyable aujourd’hui que n’avait pas, je crois, les femmes il y a quelques décennies, c’est que l’on n’est pas obligé de se déguiser. On n’est pas obligée de ressembler à des hommes. Alors, on peut être un peu masculin-féminin, avoir une veste comme un homme, une chemise comme un homme qui est sans doute un style. Mais ce qui me frappe, c’est qu’une femme peut être aujourd’hui extrêmement féminine et oser le montrer.
Dans tous les cas, je dirais à un homme comme à une femme, soyez vous-même et assumez-le. Vous serez beaucoup plus naturelle et beaucoup plus convaincante.
Prenez Mercedes Erra, femme dans la com, elle a les cheveux ultra courts, elle est ultra blonde et elle est ultra intelligente et ultra respectée. Chez elle, tout est superlatif et en même temps, tout est finesse.
C’est une femme qui s’assume comme un homme s’assume.
Il y a des codes dans les entreprises et c’est important de les connaître, mais on peut aujourd’hui avoir cette chance formidable d’être soi.
J’ajouterai aussi qu’il y a plusieurs formes d’éloquence. On peut avoir la puissance de la douceur comme disait la philosophe Anne Dufourmantelle. On peut avoir l’art d’être cash. Je pense à Catherine Guillouard, présidente autrefois de la RATP, avec qui j’ai eu la chance de travailler. Elle avait un art d’être extrêmement directe.
Donc, il n’y a pas une forme d’éloquence pour les hommes ou pour les femmes. L’important, c’est de trouver son élément, son ingrédient, sa valeur ajoutée. C’est là-dessus que je travaille quand j’ai la chance de travailler avec des chefs d’entreprise ou leurs équipes dirigeantes. C’est d’essayer de déceler les pépites qu’il y a en nous.
C’est de se dire : quel est votre force ? Est-ce que c’est votre voix ? Est-ce que c’est votre bienveillance ? Est-ce que c’est votre autorité ? Est-ce que c’est tout ça à la fois ? Est-ce que c’est votre art d’être direct ? Et nous allons travailler là-dessus, pour que ce soit votre armure et votre force. C’est ça qui est intéressant.
Propos recueillis par Julie Guénard, General Managers de l’Agora des Directeurs Juridiques et de la Compliance et de L’Agora des Directeurs Financiers’ Agora Managers Groupe.
BUREAU 121 EST UN CABINET DE CONSEIL EN STRATÉGIE ET COMMUNICATION QUI A DÉJÀ ACCOMPAGNÉ PLUS D’UNE CENTAINE DE DIRIGEANTS ET LEURS ÉQUIPES EN FRANCE ET À L’ÉTRANGER DANS L’ÉLABORATION ET LA RÉALISATION DE LEUR STRATÉGIE DE COMMUNICATION.