IT : DSI/CIO - RSSI/CISO - CDOGRANDS TÉMOINS

Le numérique au coeur de la relance

Nicolas BOUZOU

Retex de Nicolas BOUZOU, Economiste, Directeur-Fondateur d’ASTERES  sur la situation économique, les tensions du marché de l’emploi, de l’énergie, dans les organisations et sur les solutions de relance.

Julien Merali : Avant de parler des pistes de relance, où en sommes-nous aujourd’hui sur la situation économique européenne et mondiale ?

Nicolas Bouzou : C’est moins pire que ce que l’on pouvait imaginer. Sur l’économie française, au troisième trimestre, au vue des difficultés d’un environnement marqué par la pandémie en Chine et par la guerre en Ukraine, l’investissement des entreprises résistent bien, les exportations françaises remontent, le pouvoir d’achat n’est pas mauvais et l’emploi est bon.

Ça, c’est lié aux protections mis en place en France et, en particulier, le bouclier tarifaire qui fait plus que compenser partiellement l’inflation.

Donc, les choses résistent plutôt bien.

Après, au-delà de ces éléments conjoncturels, il me semble que ce qu’il faut comprendre, c’est que la nature de l’économie a changé.

Au fond, on a vécu ces 20 dernières années dans une économie où les principaux problèmes qui se posaient aux entreprises étaient des problèmes commerciaux, soit, “comment on trouve du business”.

Aujourd’hui, mon principal sujet, c’est : si je suis dans l’industrie, je ne trouve pas de semi-conducteurs. Si je suis dans le bâtiment, je ne trouve pas de ciment. Et si je suis dans les services, je ne trouve pas de gens à recruter.

Pourquoi a-t-on cette tension sur le marché de l’emploi, notamment dans l’IT, en France ou en Europe ?

On l’a partout dans le monde. Cela s’explique tout simplement par le fait qu’on est en plein emploi. Quand vous avez un taux de chômage de 3% ou de 3,5 %, on comprend bien qu’on ait du mal à trouver du monde et ce sont les salaires qui augmentent rapidement.

Alors en France, on est dans une situation qui, en apparence, est un peu paradoxale parce que l’on a à peu près les mêmes problèmes de recrutement qu’aux États-Unis mais on a 7% de chômage de la population active.

Je ne vais pas vous noyer sous les chiffres, mais il y a à peu près 5 millions de personnes qui sont à Pôle Emploi. 3 millions qui ne travaillent jamais et 1,5 million qui sont indemnisés. Donc, tout cela représente beaucoup de monde.

Alors 2 pistes de réflexion : 

On a un système d’assurance chômage qui est assez généreux. En tout cas, le système français indemnise longtemps. C’est la raison pour laquelle le gouvernement vient de mettre en place une mesure qui stipule que quand le taux de chômage est inférieur à 9 % de la population active – ce qui est le cas aujourd’hui – ou si le taux de chômage baisse rapidement, on a une diminution de 25% de la durée d’indemnisation.

C’est en train d’entrer en œuvre et c’est réversible. C’est-à-dire que si le taux de chômage repasse au dessus de 9% ou même, s’il ne repasse pas au dessus de 9% mais qu’il augmente rapidement, on reviendra aux conditions d’indemnisation actuelle.

Ensuite, c’est comment rendre nos entreprises plus désirables parce qu’il y a une vraie crise du travail en France.

Par exemple, le quiet quitting. Ce sont des gens qui s’en tiennent à la fiche de poste et hors de question qu’ils fassent une heure de plus ou un truc qui n’est pas strictement dans son contrat de travail.

Le quiet quitting, selon l’Ifop, représente entre 30 et 40 % des gens en France.

Alors ce ne sont pas les plus jeunes qui, eux, bossent, mais la tranche des 25-40 ans où l’on est à 60%.

Donc, on voit bien que les gens ne sont pas très motivés pour bosser dans nos entreprises. 

Je pense qu’il faut mettre tous les problèmes sur la table et notamment nos entreprises qui n’ont pas su se rendre suffisamment désirables.

Parce qu’il y a des problèmes de management, des process qui sont excessifs, parce qu’il y a trop de réunions. Et tout un tas de choses qui font que les entreprises ne sont pas désirables.

Est-ce qu’avec l’inflation, les entreprises vont devoir payer plus leurs salariés ?

C’est sûr et c’est déjà le cas. Pour vous donner des ordres de grandeur, l’inflation, apparemment qui se stabilise, est actuellement autour de 6% d’inflation – il y a un peu moins d’inflation sur l’énergie et un peu plus sur l’alimentation.

On reste à un niveau relativement élevé d’inflation par rapport à ces 20 dernières années. Les salaires de base – hors prime, intéressement, participation, etc – sont sur une pente d’augmentation de l’ordre de 3,5 %. 

Cela ne compense pas l’inflation mais c’est quand même plus rapide que ce que l’on avait avant. Il y a vraiment des revalorisations salariales pour les niveaux de salaire les plus faibles, mais, à cela, il faut ajouter les primes, la prime Macron par exemple.

Donc, pour répondre à votre question, oui, il va falloir augmenter les salaires. Mais c’est un mouvement qui a déjà commencé.

Concernant le secteur IT, on est sur un marché du travail qui est au plein emploi. Après, il n’y a pas que la question du salaire mais il y a la question de la désirabilité.

Il y a également une demande de plus de télétravail ! 

C’est acceptable comme demande. Alors pas d’être tout le temps à la maison. Mais l’articulation entre la vie professionnelle et la vie privée fait partie des demandes des collaborateurs.

Cela part des plus jeunes mais en fait, ça percole dans toute l’entreprise.

Je trouve que c’est légitime. Honnêtement, quand j’étais jeune, j’appréciais beaucoup de pouvoir aller chercher mes enfants à la crèche ou à l’école.

Je pense qu’en termes de management – alors je suis pas un spécialiste du management – mais, au fond, on peut dire aux salariés: « Oui, on a des ambitions dans notre boîte. Donc, on va vous demander de travailler et même, à certains moments de travailler beaucoup, mais en contrepartie, on vous laisse suffisamment de flexibilité pour que vous puissiez gérer, de façon flexible, votre articulation entre votre vie professionnelle et votre vie privée. »

Et le télétravail en fait partie. Alors quand on regarde les accords de télétravail depuis la sortie des confinements qui ont été faits par les entreprises – parce que maintenant, on peut faire des accords individuels au niveau de l’entreprise – je trouve que c’est assez intelligent.

En fait, grosso modo, dans beaucoup de boîtes, on est à deux jours, deux jours et demi de télétravail par semaine. Et je pense que c’est bien. Au-delà, honnêtement, je trouve que c’est beaucoup parce qu’il y a une espèce d’éloignement de l’entreprise qui peut être défavorable aussi à l’appartenance ou à la productivité de l’entreprise.

Il y a de la croissance, du business et pour autant, selon des managers, les entreprises coupent les budgets.

Oui, il y a des coupures budgétaires qui sont vraiment directement liées à l’augmentation des prix de l’énergie. En fait, les entreprises sont sorties du covid dans une situation financière excellente – on n’avait jamais vu cela, à la fois en termes de rentabilité et de liquidités avec les Prêts Garantis par l’État.

Mais maintenant, depuis 6 mois, la rentabilité a été dégradée par les augmentations des prix de matières premières dans l’industrie et plus généralement, des prix de l’énergie.

Baisse de rentabilité, éventuellement tension sur la trésorerie, remboursement des PGE, rétention sur la trésorerie, et donc, réduction des budgets.

Mais on n’est jamais à l’abri d’une bonne nouvelle, d’une décrue l’année prochaine des factures de gaz, de chauffage et même d’électricité. Sans revenir au monde d’avant, on voit bien que les tensions sont là mais qu’elles se relâchent. 

Donc il ne faut pas commencer à paniquer et se dire que tout est foutu.

On voit que l’État injecte de plus en plus d’argent dans les aides, Covid, essence… Est-ce inquiétant de voir l’État prendre de plus en plus d’importance dans le portefeuille des Français et des entreprises ?

C’est une excellente question et je me la pose d’ailleurs. Sur les boucliers tarifaires sur les deux exercices 2022 et 2023, c’est 150 milliards d’euros, donc des sommes qui sont colossales, deux fois le budget de l’Éducation nationale par exemple. Mais il fallait le faire. 

Mais je pense qu’il faut avoir le courage de débrancher ces dispositifs quand les choses vont mieux… Il faut faire attention et surveiller nos finances publiques parce qu’on dépense énormément d’argent et on ne peut pas le faire indéfiniment. Parce que c’est de la planche à billets, de l’inflation et cela peut inquiéter nos créanciers.

Et en plus, il ne faut pas habituer les entreprises et les ménages à être en permanence subventionnés. Il faut donc trouver le juste milieu. En France, on est plutôt du côté du soutien, peut-être un peu excessif parfois, et dans d’autres pays, pour le coup, on n’en fait pas assez.

Pourquoi la France n’arrive pas à avoir des géants du numérique ?

C’est la question qui m’obsède parce que si l’on a un peu d’ambition pour son pays – et pour son continent parce que le problème est européen – on a besoin d’avoir de très grosses entreprises qui produisent les technologies parce que l’on n’est pas mauvais pour utiliser les technologies.

On avait un certain retard en matière de numérique, d’intelligence artificielle, de robotique et on voit que ce retard est en train de se combler.

OVH, par exemple, est une magnifique entreprise qui fait notre fierté mais ce n’est pas Google. On n’a pas de Google, d’Amazon, d’Apple, de Meta, d’Alibaba, de Baidu, de Tencent. Même si ces entreprises souffrent un peu en ce moment avec une capitalisation boursière qui a été divisé par 5, néanmoins, elles restent énormes.

Je pense que l’on a 3 problèmes.

On a un problème financier :

Un manque de capitaux – pas pour les start-up car la BPI fait bien son travail et qu’il y a du capital risque pour le début— pour un 3-4e tour de table de levées de fonds vraiment importantes pour passer à l’échelle.

On a un problème d’accès au marché :

Faire du numérique capitalistique, cela demande de l’argent. En Chine ou aux États-Unis, si ça marche, on amortit sur un marché immense. Or il n’y a pas de marché européen !

Et la commande publique dans l’Union européenne, c’est encore un peu dogmatique. Un peu moins maintenant mais on passera encore par une boîte indienne plutôt qu’une boîte européenne si elle est moins chère.

Il faut donc continuer à unifier notre marché du numérique en Europe pour qu’une boîte française puisse vendre en France, en Allemagne, en Autriche, au Benelux, etc.

Il faut aussi que la commande publique se focalise un peu moins uniquement sur la question des prix et un peu plus sur la qualité. Et puis même, pourquoi pas, sur l’encouragement d’un écosystème français.

Et un dernier sujet qui est d’ordre culturel :

Et là, il faut que l’on se décoince ! On voit les choses en petit ! 

Je vois assez peu d’entrepreneurs qui me disent qu’ils vont faire une entreprise géante. On n’est pas mauvais en France et c’est ça qui est idiot. Les américains voient tout de suite en très grand et ils survendent tout. 

Nous, on est toujours timoré alors qu’il y a des trucs que l’on fait super bien.

Il faut donc plus de capital investissement, un marché unique européen, une espèce de déclic intellectuel et c’est à notre portée. C’est possible.

Propos recueillis par Julien Merali, Général Manager du Pôle IT d’Agora Managers

Afficher plus

Agora DSI et CIO

L'Agora des DSI & CIO est l'une des 17 communautés d'Agora Managers Clubs, le premier réseau français permettant aux décideurs exerçant la même fonction au sein d'une entreprise de plus de 500 salariés, de créer un lieu permanent d'échanges et de partages d'expériences pour mutualiser leurs compétences et trouver ensemble, les meilleures solutions.

Articles similaires

Bouton retour en haut de la page