JURIDIQUE ET COMPLIANCE

La mutation de l’information par les réseaux sociaux : enjeux éthiques, juridiques et économiques

Giuseppe de Martino

Retex de Giuseppe de Martino, P.-D.G. et cofondateur de LOOPSIDER, un pure player vidéo exclusivement dédié aux réseaux sociaux.

A travers son expérience et ses 1,5 milliard de vues par an, il apporte un éclairage averti sur ces réseaux sociaux qui tendent à transformer le marché de l’information grâce à l’émergence de nouveaux acteurs et moyens de diffusion.

En tant que président de l’Association des Services Internet Communautaires (ASIC)*, Giuseppe de Martino donne également sont point de vue de lobbyist sur le Digital Services Act (DSA) et le Digital Markets Act (DMA).

Comment est né Loopsider ?

On est dans les années 2016-2017. J’ai deux associés : un qui était le directeur de la rédaction de Libération, Johan Hufnagel, et l’autre, Arnaud Maillard qui était le directeur numérique d’Eurosport et moi-même, à Dailymotion. Et on voit vraiment exploser aux États-Unis, des nouveaux médias, vidéo, texte à l’écran, format très court, uniquement sur les réseaux sociaux.

Et on voyait autour de nous, nos enfants, notre entourage, les plus jeunes passer des heures sur les réseaux sociaux. Et notre pari, c’était de dire que si on est une jeune fille, on n’est pas condamné à regarder des tutos maquillage et si on est un jeune homme à regarder des « Chats » sur des skateboards.

Si on apporte une histoire pertinente, une histoire inspirante, on est persuadé qu’on va pouvoir retenir l’attention. Et c’est comme cela qu’on a levé un peu d’argent pour se lancer uniquement en vidéo et uniquement sur les réseaux sociaux.

Cela a très vite bien fonctionné et aujourd’hui, on doit faire un milliard et demi de vues annuellement, 5 millions d’abonnés sur les différents réseaux sociaux et 7 millions de Français qui, chaque jour, voient une vidéo Loopsider, avec une ligne éditoriale assez simple.

Ce sont des histoires inspirantes, exigeantes, du « journalisme de solution » ou comment on donne des clés pour mieux comprendre le monde qui nous entoure et comment essayer de changer ce monde autour de soi parce qu’il faut rester positif.

Vous avez une grosse audience mais comment la rentabilisez-vous ? 

On a d’abord lancé une plateforme technologique qui nous permet grâce à des Data Scientist de comprendre les tendances de ces différents réseaux et de produire en fonction de chacun d’eux et de rester souvent sous le radar pour ne pas être coupé par la publicité.

Notre modèle économique est fondé sur ce que l’on appelle le contenu de marque, le brand content, de la coproduction de contenu en partenariat avec des marques.

On a levé de l’argent pour rester indépendant et les trois fondateurs ont la majorité de la société. On a mis la technologie au cœur de notre développement et on a 50 personnes qui travaillent pour nous dont un tiers de Data Scientist.

On a également développé Period, un média pour les femmes sur Instagram et sur Facebook. Ce sont deux jeunes femmes qui opèrent ce média et pour vous donner une idée de ce que la technique apporte, ce média fait plus d’audience sur les réseaux sociaux que Aufeminin, Elle, Grazia ou Marie-Claire.

On a donc un pool d’une cinquantaine de journalistes et on en fait intervenir une quinzaine chaque jour, en fonction de l’actualité, de ce que l’on a envie de traiter et aussi en fonction des partenariats que l’on peut nouer avec nos annonceurs qui ont envie de porter un message grâce à Loopsider…

On voit que beaucoup de gens s’informent et commentent l’actualité sur les réseaux sociaux. Quel est votre vision sur cette mutation de l’information ?

Notre choix a été de ne pas croire à la puissance d’un site internet mais simplement, miser sur les réseaux sociaux et sur leurs usages.

On dit que 27 ou 28 millions de Français chaque jour se connectent à Facebook par exemple. Donc on voit de plus en plus les médias dits traditionnels suivre notre route et poster des images, des textes pour être là où cela se passe.

Notre plus grande surprise, pour revenir à notre lancement, c’est que tous les âges nous ont suivis. Aujourd’hui, sur Facebook, on a les plus de 40 ans qui nous suivent majoritairement. Plus jeune, ils sont sur Instagram, encore plus jeune, sur Snapchat et Tik Tok.

Donc, on produit différemment en fonction des plateformes. On est complètement à côté de la plaque si on croit encore aujourd’hui, en 2023, que les réseaux sociaux, c’est pour les jeunes ados boutonneux qui s’ennuient dans leur chambre.

Tout le monde y est et tout le monde agit et réagit.

Les marques fortes traditionnelles que ce soit Le Monde, Le Figaro ou Libération y sont désormais comme les pure players comme Loopsider, Konbini ou Brut par exemple, qui ont tous un positionnement différent.

Nous, nous sommes une structure basée sur la data, sur les journalistes et sur le changement positif du monde. Konbini est sur l’infotainment, l’actualité people et Brut, ce sont des anciens de Canal+, donc une approche plus « petit bout de la lorgnette ».

Mais, en tous les cas, tous ces pure players participent au fait, et c’est clair pour les nouvelles générations, que l’information, c’est aussi sur les réseaux sociaux.

Quel est vous votre vision sur la liberté d’expression sur les réseaux sociaux ? Doit-il y avoir des limites pour contenir cette violence d’expression ?

Avant Loopsider, j’étais DG de Dailymotion et j’ai lancé l’Association des Services Internet Communautaires (ASIC)* que je préside encore avec Facebook, Google, Microsoft et j’en passe.

Et on a lancé cette association pour lutter contre des positions notamment sur la neutralité du net qui était pour nous dangereux et notamment sur le statut d’hébergeur…

Je continue à penser que ce ne sont pas des opérateurs privés comme les plateformes qui doivent être rendues responsables en amont de ce qui y figure.

En revanche, la responsabilité est importante et cruciale après publication.

C’est à dire que n’importe qui doit être capable de demander le retrait du contenu et ces plateformes ont une obligation de réaction rapide et de retirer le contenu.

Et si elle refuse ? Alors qui dira le droit ? Cela sera toujours le juge.

Mais ce n’est pas aux plateformes de juger en amont de ce qui serait licite ou de ce qui ne le serait pas.

Je pense que c’est une notion universelle qui doit être vraiment maintenue et les derniers développements que l’on a pu connaître, notamment les règlements européens DMA et DSA, vont dans ce sens de responsabilisation et sur l’utilisation d’outils.

Mais on ne doit pas remettre en cause cette notion essentielle de liberté publique, de liberté d’expression qui doit être protégée, ce qui ne doit pas être évidemment l’occasion de dire tout et n’importe quoi.

Encore une fois, mieux vaut une liberté d’expression encadrée, surveillée qu’une dictature et d’un filtrage a priori…

Qu’en est-il de l’information sur le métavers ?

… On se rend compte que l’usage n’est pas encore là mais c’est une perspective formidable. Préparons-nous, mais tirons les leçons du passé, de Second Life qui a capoté le jour où ils se sont rendus compte qu’ils n’avaient pas les moyens pour assurer un usage conforme à ce que le plus grand nombre en attendait.

Donc tirons des leçons, adaptons-nous et gardons en bon juriste, « juriste un jour, juriste toujours ». Gardons notre rigueur dans notre analyse et appliquons les règles existantes…

  • * L’Association des Services Internet Communautaires est un lobby créé en décembre 2007 par AOL, Dailymotion, Google, PriceMinister et Yahoo! et réunit également AirBnb, Amazon, Deezer, eBay, Facebook, Microsoft, Twitter, Netflix, Meetic et Loopsider.

Propos recueillis par Brice Girod, Directeurs des Programmes d’Agora Managers Groupe.

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