Face aux crises, aux enjeux RSE, aux nouvelle règlementations… le rôle du directeur juridique prend un nouveau tournant, une autre dimension dans laquelle il doit avoir un rôle curatif, de support, une spécialisation plus poussée et une grande implication dans la stratégie globale de l’entreprise.
Retex de François REYNTENS, Consultant chez SPENCER STUART PARIS sur les tendances du marché du recrutement : sur le profil type du directeur juridique et de l’évolution de son rôle, notamment en matière d’ESG, d’anti-trust, de privacy, de droits de l’homme, d’éthique, de Legal Ops ou encore commerciale. Jusqu’à sa capacité à faire évoluer la loi…
Julie Guénard : Est-ce que vous pourriez nous rappeler un peu votre parcours ?
François Reyntens : J’ai commencé ma carrière comme avocat dans des cabinets internationaux. D’abord à Bruxelles, ensuite à Londres dans les deux barreaux. Ensuite, j’ai fait du conseil en stratégie à The Boston Consulting Group, puis je suis devenu directeur juridique d’Elia, une grande société côté, et ce pendant 5 ans jusqu’à ce que je décide de bouger dans les ressources humaines et devenir consultant chez Spencer Stuart où je suis responsable de la pratique Legal compliance et Affaires publiques en Europe continental, de Stockholm à Madrid, de Bruxelles à Vienne.
Marie Avon : Quelles sont les tendances actuelles qui impactent le rôle du directeur juridique ? A quoi une personne qui candidate, doit-elle faire attention ?
Je pense qu’il faut regarder les tendances actuelles sur leur rôle qui évolue. On sent huit tendances assez claires.
La première, c’est qu’il y a plus de ESG, on fait beaucoup plus attention à ce point-là. On fait plus attention à l’anti-trust, à la privacy. Les droits de l’homme deviennent une tendance qui n’existait pas avant et que l’on recherche. On va aller plus vers de l’éthique.
Reste important et même plus qu’avant, ce sont les Legal Ops, le digital mais également la capacité à faire évoluer la loi plutôt qu’à simplement l’interpréter.
Et enfin, et ça c’est de tout le temps mais très fort maintenant, c’est un esprit commercial et bien comprendre les affaires de ses clients.
Donc le premier point, l’ESG est clairement un sujet qui est important et avec une double tendance ; au niveau du conseil d’administration où les gens se rendent compte que l’on ne peut plus faire sans et que la réputation de l’entreprise peut être mis à mal si vous ne respectez pas les tendances. On en parle de plus en plus et il y a une vraie pression sur le directeur juridique pour apporter et driver ces éléments-là.
Inversement, il y a aussi un problème de rétention des talents. Parce qu’il y a la jeune génération qui ne veut plus travailler pour une société qui ne va pas respecter ces principes-là. Il est donc très important que la société prenne en compte l’ESG.
La second tendance est l’anti-trust. Ça, c’est une guerre économique importante entre la Chine et les États-Unis où il y a de plus en plus de protectionnisme économique. L’anti-trust devient une arme pour les entreprises pour défendre et même augmenter leur marché.
La privacy. Je crois que l’on connaît. Les problématiques de TiK ToK, on en parle beaucoup. On sait vraiment ce point-là et on le sent très fort.
Les droits de l’homme, c’est une nouveauté. Je pense que quand nous avons fait nos études, les droits de l’homme étaient du droit international public ou pour des professeurs d’université ou éventuellement ceux qui travaillent pour le CICR à Genève.
De nos jours, c’est devenu vraiment quelque chose important. Il n’y a plus un seul « due diligence » qui est fait sans qu’il y ait une section droits de l’homme.
Le cinquième point concernant l’éthique et que je trouve assez essentiel, est que l’on est passé d’un système de ce qui est juridiquement correct à ce qui est éthiquement acceptable. Et ce qui est éthiquement acceptable aujourd’hui ne le sera peut-être pas demain. On attend du directeur juridique qu’il sente beaucoup plus les tendances et qu’il informe le conseil d’administration.
Legal Ops et digital, c’est connu, mais c’est vraiment très important. Il n’y a pas une seule recherche où l’on ne nous en parle pas.
La capacité à faire évoluer la loi est également un nouveau système. On va demander au directeur juridique d’aider en amont à faire ce qu’on appelle du lobby qui était avant réservé aux affaires publiques.
Et enfin, sa capacité commerciale.
Julie Guénard : Quel est le profil type du directeur juridique dans un grand groupe ?
Ce que l’on remarque, c’est qu’il y a quatre grands profils de directeur juridique. Si on prend les grands groupes internationaux et globaux, on voit que ce sont des personnes très internationales, c’est-à-dire des gens qui ont travaillé, vécu sur plusieurs continents, qui parlent plusieurs langues, qui comprennent plusieurs cultures. Ce sont des vrais leaders. Donc des gens qui ont des équipes larges, de plusieurs dizaines voire de centaines de personnes et que l’on peut faire évoluer. Ce sont des gens qui impactent non seulement l’organisation juridique mais aussi du groupe et qui contribuent au business au-delà de ce qui est du juridique simple.
Ce sont des personnes qui ne sont pas tellement rattachées à un système juridique précis mais comme une compréhension « legal international ».
Donc clairement, avoir une bonne compréhension du système de common law et du système de droit civil est devenu absolument primordial.
Et le dernier point, c’est la capacité à travailler directement avec des leaders de très haut niveau, que ce soit au niveau exécutif ou non exécutif – et ça, ce n’est malheureusement pas donné à tout le monde et c’est vraiment une expertise qui se gagne au fur et à mesure et qui n’est pas simple à trouver.
Le marché est devenu totalement international et lorsque l’on fait une recherche pour un grand groupe, on recherche partout. Par exemple, j’ai déplacé une américaine pour un groupe à Gand ou une Brésilienne à Amsterdam.
C’est quelqu’un qui sait s’adapter à différentes cultures, à différents groupes et qui sait prendre les enjeux en main. Ce n’est pas tant la nationalité qui va compter que l’ensemble de l’expérience et sa capacité à s’adapter.
En fait, ce qui compte, ce n’est pas ce qu’on sait. C’est comment on va agir quand on ne sait pas.
Marie Avon : Quelles sont les tendances actuelles du marché ?
On remarque sept grandes tendances actuellement.
La première est que le marché extrêmement actif l’est resté.
Le second point, c’est qu’il y a clairement plus d’intérêt pour des fonctions spécifiques alors qu’avant, on avait des recherches plus généralistes. On cherche un juriste qui a des connaissances particulières.
Il y a aussi une inflation salariale et cela a créé des problèmes car il y a beaucoup plus de mobilité de marché, pas seulement internationale. Les gens, suite à la crise du covid, ont moins peur de bouger et souhaitent changer parce qu’ils en ont assez d’un environnement dans lequel ils étaient.
Je pense qu’il va falloir aussi que les organisations juridiques, que les directeurs juridiques s’habituent à ne pas avoir une armée de gens qui étaient extrêmement bien formés de façon super rigoureuse dans des grands cabinets d’avocats.
Et donc, il va falloir qu’on les forme et que l’on accepte aussi qu’ils soient peut-être moins rigoureux sur certains aspects mais qu’ils aient développé d’autres capacités, d’autres techniques ou d’autres attitudes et qualités qui sont très utiles.
La quête de sens est devenue essentielle. On ne travaille plus pour n’importe qui.
Et les derniers points vraiment importants, ce sont la diversité, l’équité et l’inclusion. Ce sont des thématiques essentielles dans les directions juridiques. Et ça, c’est un point que l’on sent très fort dans le marché.
Ensuite il y a le groupe coté, intermédiaire, l’ETI où l’organisation est assez complexe. On va avoir tendance à chercher plutôt un juriste, un directeur juridique du pays qui va connaître le système juridique.
Pourquoi ? Parce que le conseil d’administration va s’attendre à ce qu’il ait une bonne connaissance de la gouvernance. Un gourou de la gouvernance qui va comprendre, si l’entreprise est cotée, les problématiques locales du marché des capitaux et qui va être capable de faire avancer et évoluer l’équipe de la même façon. Ce sera plus quelqu’un de local, avec une ouverture globale, qu’une personne vraiment totalement globale.
Le troisième profil que l’on voit de plus en plus, dans les sociétés en portefeuille de fonds d’investissement, est clairement la capacité à faire du M&A, de la croissance externe ainsi que la capacité à faire un événement de liquidités, donc une IPO globalement…
Et le dernier profil que l’on voit de plus en plus, c’est en fait le classique chef de service juridique dans une filiale française ou une société locale privée. Et là, c’est super intéressant. On va plus chercher quelqu’un qui va avoir un parcours de commercialiste.
Et, alors que dans les trois premiers cas, on a de l’expérience Corporate ou de M&A qui était primordiale, ici, cela va être moins le cas.
On va plutôt chercher quelqu’un qui aurait une connaissance en IP, en concurrence, en droit de la distribution, en accords commerciaux et qui aura grandi au fur et à mesure et qui aura une bonne capacité à la négociation contractuelle, à des problématiques de contentieux locales…
Propos recueillis par Julie Guénard, General Manager de l’Agora des Directeurs Juridiques et de la Compliance et Marie AVON, Head of Legal France – GRAND M GROUP.
Directeurs des Programmes d’Agora Managers Groupe.