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L’Enfer numérique : Voyage au bout d’un like

La question du Green IT et de l’empreinte carbone des technologies de l’information étaient au rendez-vous du VIP de l’Agora des DSI, animé par Julien Merali dans lequel Guillaume Pitron, journaliste et auteur de L’Enfer numérique : Voyage au bout d’un like (Édition LLL), et Lahcen Binoumar, Head of New Customers and Middle Market chez SAP France, partagent leurs visions sur l’avenir d’un numérique durable et comment l’engagement des entreprises comme SAP peuvent aligner transformation numérique avec les impératifs de durabilité environnementale.

Avec comme points clés au débat :

  • Le Voyage de la Data et son Impact Environnemental.
  • SAP, leader des ERP, transition vers le net zéro.
  • Durabilité de l’IT : les enjeux environnementaux, sociaux et humains.
  • Cybersécurité et RSE – Redondance des Datacenters et Coût Carbone.
  • Private Cloud vs Public Cloud.
  • IA et réduction de l’Empreinte Carbone.
  • Génération Greta et l’Exigence de Responsabilité Environnementale dans l’IT.
  • Câbles sous-marins et défis géopolitiques

Extraits :

Julien Merali : Pour poser le débat et entrer en profondeur sur notre sujet de l’enfer numérique, je vais commencer par lire quelques lignes du début de votre livre :

« Vous avez liké une photo de votre charmante collègue de travail sur son profil Facebook. Or, pour parvenir jusqu’au portable de l’être aimé, le like a voyagé à travers les sept couches de fonctionnement d’Internet. Votre notification amoureuse s’est donc enfoncée dans les strates intermédiaires du Net jusqu’à atteindre la première couche physique d’Internet composée notamment de câbles sous marins.

Entre les deux, la notification a emprunté, l’antenne 4G d’un opérateur mobile ou une box Internet, glissé le long des parties communes de l’immeuble pour atteindre des tuyaux de cuivre enfouis 80 cm sous les trottoirs. Puis elle a parcouru les câbles le long des grandes voies de communication, autoroutes, fleuves, chemins, voies ferrées pour rejoindre d’autres like dans les locaux techniques de l’opérateur. Il lui a ensuite fallu traverser les mers et transiter par un centre de données des tréfonds du Net. Le like a pris le chemin inverse jusqu’à la septième couche, le téléphone du sujet de votre désir. Il y a donc bien une géographie d’un Like… »

Qu’est-ce qui vous a amené à vouloir aller voir l’invisible ?

Guillaume Pitron : Parce que l’invisible n’est pas invisible. L’Invisible est très visible et l’immatériel est très matériel. J’avais écrit un premier livre, La guerre des métaux rares : La face cachée de la transition énergétique et numérique, sur les matières premières de la transition énergétique, puisque les technologies vertes requièrent du cuivre, du lithium, du nickel, des terres rares.

Et je concluais ce livre par ce constat que notre monde bas carbone est un monde haut métaux. C’est-à-dire que pour émettre moins de carbone, il va falloir produire plus de métaux pour pouvoir les mettre dans les technologies vertes. Donc, ce que l’on gagne d’un côté, évidemment, on leur perd un peu de l’autre et le discours est à la dématérialisation et à la réalité virtuelle et au cloud.

Et je sentais comme un paradoxe entre la réalité matérielle de notre monde actuelle et futur et en même temps le fait que l’on parle de tous ces mots de dématérialisation. J’ai proposé à mon éditeur une enquête sur la route de la donnée qui est en fait une route très concrète pour pouvoir raconter toute l’infrastructure de nos vies connectées.

Une donnée, ce n’est pas du tout immatériel, c’est très matériel. La vraie distance entre moi et Lahcen en face de moi, si je lui envoie un like, ce n’est pas deux mètres, c’est 10 00 ou 15 000 kilomètres. 

C’est donc le voyage de la donnée pour arriver au téléphone de cette personne avec laquelle je communique et pour raconter tous les défis matériels et énergétiques, environnementaux, sociaux et humains de l’infrastructure sans laquelle je ne peux pas être en ligne.

Lahcen, SAP, on connaît tous la marque mais rappelez-nous ce que vous faites ?

Lahcen Binoumar : SAP est leader des ERP dans le monde, donc des systèmes d’applications pour les entreprises. On sait donc gérer des process qui vont du procurement jusqu’au delivery. D’origine allemande, SAP est la première entreprise technologique européenne, la deuxième étant française, Dassault Systèmes. 

SAP est reconnu sur ce marché puisque l’on couvre 95 % du Forbes Global 2000. C’est-à-dire que quand vous prenez les 2 000 plus grandes entreprises dans le monde, 95 % utilisent SAP. On gère 80 % des transactions dans le monde, que ce soit le transport, la production, la vente, etc. 

Donc on couvre les processus des entreprises et on simplifie au travers nos systèmes, l’usage, dans une complexité qui est très forte. 

Que vous inspire cette transformation évoqué par Guillaume ?

Lahcen Binoumar : Je fais effectivement le parallèle avec Guillaume parce qu’on était une entreprise qui était très on-premise, c’est-à-dire que l’on vendait de la propriété intellectuelle, on vendait un produit et le client installait le produit chez lui avec ses propres serveurs et donc la donnée était enfermée dans les serveurs de l’entreprise.

Et on a basculé à ce que cette donnée nécessite d’interagir avec le monde, si je puis dire, et d’avoir l’obligation d’avoir des systèmes beaucoup plus ouverts et de pouvoir aller chercher peut-être la vérité ailleurs ou d’aller chercher des paramètres avec le monde pour que derrière, on puisse mieux forcaster, avoir une meilleure visibilité sur son activité, sur ses concurrents, sur le marché, etc. 

Et cela nous a obligés à nous transformer parce on est passé d’une entreprise qui vendait de la propriété intellectuelle de la technologie à de la vente de services dans un modèle qu’on appelle SaaS (Software-as-a-Service). C’est-à-dire qu’on est dans un modèle où le client va ne plus avoir la responsabilité des serveurs de l’administration, de ses serveurs, de toute la partie technique, il va acheter un service et dans ce service, nous allons prendre en charge l’hébergement, toute la partie technique et administrer ce voyage de la donnée. 

Est-ce qu’il y a toujours un prix à payer pour une transformation ? Est-ce que l’on a anticipé ces problèmes que vous pointez du doigt à la fois dans votre livre sur La guerre des métaux, mais aussi dans ce voyage au bout d’un like ?

Guillaume Pitron : La valeur ajoutée a effectivement basculé du hardware vers le software et vers la donnée du software et d’ailleurs, c’est là-dessus très certainement que votre société SAP a créé son succès. Les grands entreprises du numérique à l’époque, il y a 20 ans, étaient IBM et des fabricants de matériel.

Aujourd’hui ils ne valent plus rien. Mais, à force de s’intéresser, pour des raisons économiques, à la valeur ajoutée de l’immatériel, on a oublié qu’en fait, il y avait un sous-jacent matériel à cela et on ne l’a pas bien perçu. On l’a oublié parce que le sous-jacent est un hardware.

Et le hardware, ça commence dans une mine. Il faut de l’électricité pour les mines. Et puis, il faut des réseaux logistiques pour transporter la matière d’un point à l’autre du globe pour pouvoir être intégrée dans un composant, qui lui-même nécessite d’autres réseaux logistiques et des réseaux d’information pour pouvoir terminer sur une chaîne d’assemblage et fabriquer une puce ou un téléphone portable.

Et c’est toute cette dimension, ce sous-jacent physique que l’on a oublié de regarder parce qu’il a été délocalisé ces dernières décennies vers des pays du Sud, des emplois à basse valeur ajoutée qui vont de la mine jusqu’à la fabrication du hardware. Et nous, pays du Nord, on s’est concentré sur la très haute valeur ajoutée. 

En faisant cela, on a complètement perdu de vue ce sous-jacent matériel au point qu’on ne sait plus vraiment de quoi nos téléphones sont faits.

On ne sait plus vraiment tout ce qu’il y a derrière ce hardware. On n’a pas très bien connaissance de tous les enjeux écologiques et les limites que cela peut représenter sur le terrain. C’est-à-dire qu’il y a comme un paradoxe :

Internet a fait de moi un demi-dieu qui commande des armées de gens du bout de mon téléphone : je commande un livreur de pizza, je commande un taxi, je peux rencontrer l’âme sœur, et je peux même les commander. Mais j’en oublie qu’il y a un autre niveau de relations sociales et d’interactions sociales et hiérarchiques entre moi et le mineur au bout de la mine. Et toutes ces personnes qui travaillent dans l’infrastructure.

C’est donc aussi ce niveau hiérarchique-là où se nouent d’autres relations sociales et humaines plus complexes, qu’il faut analyser quand on regarde ce qui se passe dans une mine, jusque dans la façon dont fonctionne un Data center. Parce que gérer un data center, c’est aussi une aventure humaine.

Lahcen, un mot sur la problématique de l’empreinte carbone de l’IT.

Lahcen Binoumar : Je pense que la problématique principale et essentielle, c’est de dire  : on a un coût aujourd’hui qui est déporté sur des hyperscalers du marché (géants du cloud computing), sur les éditeurs de logiciels qui doivent prendre en charge ce fameux poids carbone.

C’est devenu un critère essentiel. Aujourd’hui, vous n’avez plus un appel d’offres qui ne vous demande pas quelle est la politique RSE de l’entreprise, quels sont ses résultats, quels sont ses objectifs.

Donc c’est un critère de sélection et c’est une obligation. Ensuite, par rapport à la directive CSRD et textes réglementaires qui arrivent, le fait de disposer d’outils qui permettent d’évaluer le coût carbone de son IT est considéré et est un sujet essentiel. On parle aujourd’hui de données chaudes, de données froides, de données tièdes.

C’est-à-dire qu’on est en train de regarder comment on va optimiser la gestion de ces données pour qu’elle pèse moins dans l’entreprise. Par exemple, pour l’obligation d’archivage, on va la stocker différemment parce qu’on n’a pas besoin d’avoir cette donnée tous les jours, contrairement à une donnée chaude essentielle dans votre activité.

Cette segmentation, cette recherche d’optimisation, elle est essentielle pour des raisons de communication mais aussi tout simplement pour des raisons économiques. Parce que le coût de l’énergie et des matières premières explose et qu’on a besoin de maîtriser les coûts. Donc on a besoin de maîtriser toutes ces données et le poids de ces données et de chercher de l’optimisation.

Guillaume Est-ce que les entreprises se sont débarrassées du problème de l’empreinte carbone IT en le déplaçant sur le cloud.

Guillaume Pitron : Oui, en partie. Comme on sait que tout va vers le cloud, tout converge en amont vers les grosses entreprises du cloud : Amazon Web Services, Microsoft Azure, OVH , etc.

Mais finalement, les entreprises utilisatrices du service cloud sont un peu rattrapées par cela, c’est-à-dire qu’elles veulent savoir. J’en vois un paquet qui disent : maintenant, lorsque je signe un service de cloud, je veux savoir où est la donnée. Et je veux aussi savoir quelle est l’empreinte carbone du stockage de cette donnée par ce fournisseur de services.

Mais c’est difficile de le savoir parce que le fournisseur de services est une entreprise californienne qui pèse des milliards. Et vous, vous êtes le petit David qui vient demander une information qu’elle n’a pas forcément envie de vous fournir. Mais de plus en plus, on voit que le sujet revient dans l’escarcelle de l’entreprise qui a pourtant confié ces données parce que ça rentre dans l’appréciation de son empreinte carbone.

Et je vois ce sujet monter dans l’entreprise sous trois angles : Un, le prix du service. Deux, l’enjeu de réputation et on le voit de plus en plus. Trois, un enjeu de ressources humaines.

On a des entreprises qui disent : je ne peux pas embaucher des jeunes de la génération Greta (Thunberg) dont les valeurs écologiques sont différentes de la génération précédente, si je n’ai pas un discours et des actions qui sont parfaitement claires sur ces sujets là. Et donc je dois me ressaisir de ce problème que je pensais avoir refourgué à mon fournisseur cloud, le réinternaliser parce que moi, je suis comptable devant mes salariés de ces sujets là. 

Et si je veux avoir les meilleurs cerveaux, il faut que je sois capable d’avoir une communication claire sur ces sujets-là… 

Propos recueillis par Julien Merali, Général Manager du Pôle IT d’Agora Manager

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