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La gestion du risque et de l’imprévu 

Dans la voile comme dans la gestion des systèmes d’information, l’imprévu est une constante. Goulven Marie, skipper professionnel, de la Transat Jacques Vabre à La Route du Rhum, compare volontiers son monde de la mer à celui de l’entreprise.

Entre scénarios imprévus, gestion des incidents et adaptation en temps réel, la clé réside dans l’équilibre entre procédures solides et capacité d’improvisation. Tout comme un DSI doit anticiper et sécuriser les infrastructures critiques, le skipper doit pouvoir s’appuyer sur une équipe, sur des systèmes redondants, des outils performants pour maintenir le cap, même en pleine tempête. 

Goulven Marie, qui navigue sur un Class 40 sponsorisé par Qwanza, est également président d’Opa Riviera Regata, une entreprise de régate et de croisière sur la Méditerranée.

INTERVIEW

Julien Merali : Goulven, vous avez fait de la voile, votre projet de vie. Vos aïeux étaient d’ailleurs des cap-horniers. Faites-vous parfois des rapprochements entre ce que vous vivez en mer et le monde de l’entreprise ?

Goulven Marie : On a les mêmes contraintes. On va retrouver beaucoup de choses en commun avec le monde de l’entreprise que ce soit au niveau de la gestion des équipes, au niveau de la prise de risque, au niveau des choix stratégiques. 

Nous sommes dans un milieu naturel avec des conditions qui peuvent changer assez rapidement mais que l’on peut retrouver aussi dans le monde de l’entreprise. Donc s’adapter, se projeter, faire avec les moyens du bord aussi de temps en temps.

Comment prépare-t-on une course quand on sait qu’il y a des choses que l’on ne maîtrise pas ? 

Goulven Marie : On a quelques scénarios quand même. On sait que l’on va pouvoir se rattacher à des choses qui nous sont déjà arrivées et qui permettent d’anticiper certaines situations. Mais évidemment, il va falloir à un moment composer avec les éléments, composer avec les adversaires, composer avec la situation qui ne se déroule pas comme prévue.

Donc c’est vrai que c’est une grande préparation et c’est aussi une fiabilisation du bateau et du matériel qui fait que l’on part plus ou moins serein, sachant que l’on part rarement totalement prêt.

Quels sont les différents scénarios que vous préparez en amont ?

Goulven Marie : Une casse matériel, un problème humain, la blessure d’une personne de l’équipage. Mais aussi, on doit avoir une anticipation permanente des phénomènes météo. Parce ce que lorsqu’on va configurer le bateau avec une certaine surface de voile, si la météo n’est pas celle prévue, cela peut nous mettre en retard ou en danger.

Quand on fait une course comme la Jacques Vabre, combien de personnes sont monopolisées sur ce projet-là ?

Goulven Marie : Sur l’équipage, on a un skipper et un co-skipper. Après, si on élargit l’équipe, on est une dizaine. Il y a des personnes qui vont gérer les réseaux sociaux, une personne qui va gérer le matériel, une autre, l’avitaillement. Ce sont des petites équipes, mais chacun a son rôle car les conséquences peuvent être dramatiques.

Finalement, vous avez un rôle de directeur général. Comment accompagnez-vous les équipes dans l’imprévu ?

Goulven Marie : Chacun a ses particularités, mais moi, je suis plutôt calme. Du coup, je ne vais pas retransmettre mes peurs mais plutôt rassurer.

Et inversement, vos équipes peuvent-elles aussi vous rassurer ?

Oui, notamment sur le matériel. Quand on navigue, on est un peu en mode dégradé, c’est-à-dire que l’on n’est jamais totalement reposé. On dort par petites tranches et on ne dort jamais dans un sommeil très profond. Donc on va très vite être dégradé. Alors quand on a une petit message qui vous dit « t’as tout bon, continue ! », ça nous suffit.

Quel est le quotidien d’un skipper au long cours ?

Goulven Marie : On a plusieurs casquettes donc on doit s’entraîner physiquement. On doit également rencontrer les partenaires, fiabiliser le bateau, s’entraîner dessus pour en connaître les moindres recoins. Après, on a aussi des problèmes de logistique lorsque l’on doit amener le bateau basé en Méditerranée sur la zone de départ, en général sur la façade Atlantique ou La Manche. Les journées sont souvent bien remplies.

Est-ce que, comme à l’Agora des DSI, vous échangez avec vos pairs malgré la concurrence ?

Goulven Marie : Tout à fait. Souvent sur les grandes courses, les bateaux sont à disposition de l’organisation une semaine avant le départ et les skippers se retrouvent, échangent sur les améliorations que certains ont pu apporter ou faire des retours d’expérience. Et c’est très enrichissant.

Par exemple, sur la Transat CIC Lorient-New York en solitaire, j’ai cassé le mat au bout d’une semaine et je me suis servi des expériences de skippers qui l’avaient vécue sur la Route du Rhum en 2022. Je n’ai donc pas lâcher le mât. J’en ai récupéré un petit bout pour en faire un de fortune qui m’a permis de rentrer tout seul par mes propres moyens. Sur La Route du Rhum, ils avaient absolument tout enlevé sur le bateau pour éviter que le mat ne revienne percuter le bateau avec les vagues. Mais du coup, ça leur avait posé des problèmes pour pouvoir rentrer à bon port.

On parle aujourd’hui de gestion du risque et d’imprévu. Est-ce que vous avez des exemples concrets à nous donner ?

Goulven Marie : Avec le changement climatique, les phénomènes sont vraiment de plus en plus violents et de plus en plus fréquents. Et très récemment, sur la Middle Sea Race, course en équipage autour de la Sicile, il y avait des orages annoncés au départ de Malte. Donc tout le monde savait qu’il y avait des orages et on avait tous réduit la voile. Sauf qu’en cinq minutes, cela s’est dégradé fortement et on s’est retrouvé avec des vents de plus de 100 kilomètres heure. Il a fallu agir, en cinq minutes, et ça a été la guerre.

Sur nos bateaux, on a peut avoir 300 mètres carrés de surface de voile, donc ça fait un bel appartement. Il faut donc savoir les gérer et commencer à faire les manoeuvres dans l’ordre. Quand cela se dégrade, a minima, on casse le matériel mais après, on peut très vite se faire mal.

Ces actions sont-elles processées ?

Goulven Marie : Procédure est un mot qui revient souvent. Il faut respecter les procédures, de la plus petite à la plus grande.

Comment faites-vous la part entre la procédure et votre instinct ?

Goulven Marie : Quand on est en mode dégradé, quand on est fatigué, la procédure permet de se rattacher à des ajustements. Évidemment, on va tempérer avec l’instinct mais cela nous permet de faire les choses dans l’ordre et d’aller vers des automatismes. Faire tout à l’instinct ne va pas forcément donner un bon résultat à la fin.

Comment gérez-vous l’alliage de la performance et de la sécurité puisque vous êtes quand même là pour gagner ? 

Goulven Marie : C’est là où on se différencie du plaisancier moyen. Dans la compétition, on veut absolument arriver vite et on va aller dans les extrêmes ou dans les limites. On peut aller à cinq mètres de la côte alors qu’il peut y avoir des cailloux. Et quand on prend une dépression, on va aller là où il y a le plus de vent. 

Et c’est là où il faut placer le curseur au bon endroit. On peut se raccourcir le chemin mais forcément, fatiguer le bateau et le bonhomme plus qu’il ne faut. 

Sur le Vendée Globe par exemple, ils placent justement le curseur entre aller vite ou aller longtemps. Et celui qui a raison, c’est celui qui arrive devant.

Et comment préparez-vous les équipes au risque ? 

Goulven Marie : Tout le monde sait qu’à partir du moment où l’on prend la mer, il peut y avoir des conséquences. Aller en mer, c’est faire preuve de maturité dans sa démarche. Après, l’équipe, on l’a prépare.

On a des chaînes de décisions. On a par exemple boat captain (à terre) qui gère le bateau et il va être appelé s’il y a un souci. S’il y a une balise qui se déclenche, il va faire le lien entre le bateau et les services de secours. Et s’il n’a pas de réponse du bateau, il envoie la cavalerie.

C’est vraiment une pièce centrale dans l’organisation car il a ce recul que n’ont pas forcément les gens à bord qui peuvent être submergés par leurs émotions. Il connaît le bateau, il connaît les bonhommes et il va pouvoir les piloter en cas de danger.

Comment l’informatique vous aide-t-elle aujourd’hui ? 

Goulven Marie : On ne peut pas faire sans avec les vitesses que l’on a. On a un logiciel de routage que l’on va alimenter avec les performances théoriques du bateau et avec la météo, et il va nous tracer une route idéale, que l’on va suivre ou pas. On a quand même le choix.

Mais clairement, sur une journée de 24 h, on va passer presque 12 h à regarder les fichiers, à tracer la trajectoire du bateau. Après, on a des systèmes de sécurité avec l’Iridium qui est une liaison satellitaire de sécurité avec la terre. Et on a une antenne satellite Starlink, qui nous permet d’avoir des communications comme à la maison.

Ensuite, on a tout le système qui pilote le bateau quand on n’est pas à la barre. Et récemment justement, sur la Jacques Vabre, on a cassé la girouette et ça nous fait sauter tout le système. En deux jours de réparation, on a perdu toutes nos chances de figurer sur le classement.

On n’a pas failli abandonner, mais on s’est quand même posé la question parce que traverser avec le sextant et la boussole, c’est jouable. Mais ce n’est plus du tout la même aventure.

Les DSI le savent, l’informatique peut tomber en panne à un moment donné. Mais qu’est-ce que l’on fait sur un bateau ?

Goulven Marie : On a en général tout en double, voire en triple avec des marques et des systèmes différents. Pour piloter le bateau, on a inclus des vérins de deux systèmes complètement indépendants et de marques différentes. C’est un peu comme dans l’aviation. 

Après, on gère aussi l’énergie parce que l’on a des systèmes énergivores. Donc on a des sources d’énergie avec différents systèmes : un panneau solaire, une petite turbine qui tourne dans l’eau quand le bateau avance. On a aussi une pile à combustible et on gère tout cela de manière à arriver au bout dans les meilleures conditions.

Est-ce que demain, vous pensez que l’on ira plus loin dans l’intégration de l’informatique dans la navigation ?

Goulven Marie : Oui et ça va aller encore plus loin avec des systèmes plus pointus. Le logiciel va apprendre au fur et à mesure les performances du bateau. On n’a pas le droit à de l’assistance extérieure mais les logiciels de plus en plus performants vont pouvoir bientôt nous donner des conseils.

De même que la météo qui est de plus en plus pointue et performante. On arrive à avoir des météos à un kilomètre carré. C’est très très très petit.

Alors quelles sont vos prochaines courses ?

Goulven Marie : En 2025 va se dérouler la Transat Café-L’Or, l’ancienne Transat Jacques Vabre. C’est une course en double entre le Havre et la Martinique. Et en 2026, il y aura la Route du Rhum. Et entre les deux, il y aura une transat retour en équipage. On va passer un peu de temps sur l’eau.

Propos recueillis par Julien Merali, Général Manager du Pôle IT d’Agora Managers Groupe

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