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Comment lier les impératifs de qualité et de gouvernance de la donnée ?

Invitée de l’Agora CDO, Emeline FABRE, Head of Data Management & Advanced Analytics chez HEINEKEN revient sur la vision de l’entreprise néerlandaise, de devenir le brasseur-distributeur le mieux connecté, et sur son paysage de la donnée.

Comment garantir une bonne cohérence de la gouvernance de la donnée ? La réponse passe par une organisation solide du data office, une culture data ancrée au sein de l’entreprise et une mesure rigoureuse de la qualité de la donnée. Pour Emeline Fabre, il est ainsi essentiel de démontrer le retour sur investissement de ces initiatives, de s’adapter aux évolutions technologiques, de choisir les bons outils, d’être proche des métiers, d’acculturer les collaborateurs, et de tirer parti des nouvelles technologies comme l’IA générative.

L’interview

Julien Merali : On connaît le produit phare de la marque, mais peux-tu nous présenter la galaxie Heineken.

Emeline Fabre : Heineken est une entreprise fantastique. Elle a une particularité. Heineken, c’est à la fois le nom d’une marque, d’une entreprise et d’un créateur. Cette entreprise est gérée depuis quatre générations. C’est en effet en 1873 que Gerard Adriaan Heineken décide d’ouvrir sa brasserie dans le centre ville d’Amsterdam. Il avait un rêve, c’était de produire la meilleure lager au monde.

Il faut savoir qu’il a été le premier à mettre en place dans sa brasserie, un laboratoire qualité. Ça lui a porté chance puisqu’en 1889, il a obtenu le Grand Prix à L’Exposition universelle.

Heineken Groupe, c’est 25 millions de bières servies chaque jour dans 190 pays. C’est la première marque internationale de bière. Le groupe Heineken, c’est 85 000 collaborateurs répartis dans 80 Operational Company, société opérationnelle commerciale, et nous distribuons dans le monde 300 marques de bière locales, internationales et aussi des marques de cidre.

Heineken France a aussi une particularité. C’est une filiale depuis 1972, d’Heineken Groupe qui est donc néerlandais. Il y a deux sociétés Heineken Entreprise, le brasseur qui fait à peu près 1300 collaborateurs, et France Boissons, le distributeur qui a 2650 collaborateurs.

Quelle était la maturité du groupe au niveau de la data à ton arrivée en 2021 ?

Emeline Fabre : Quand je suis arrivée en 2021, une étude avait été lancée à Heineken France et en lien avec le programme Global Data et Analytics qui s’appelle Data Prime. L’objectif de Data Prime était de mettre en place une plateforme technologique. C’est le cloud. C’était aussi mettre à disposition les outils de gestion des données. Nous avons aujourd’hui trois outils qui sont utilisés respectivement pour la gouvernance des données (Collibra), la qualité des données (Ataccama) et un autre pour le suivi du cycle de vie des données.

Il y avait aussi les capacités de gestion. Il nous fallait un modèle de données, l’Entreprise Data Model, et derrière, un accompagnement et une formation pour mettre en place l’ensemble de Data Prime. 

L’étude réalisée a révélé qu’il y avait à peu près 285 usages au sein d’Heineken Entreprise et Heineken France. L’objectif de cette étude était de savoir quels usages on allait pouvoir intégrer à la plateforme Azure. Et il s’est trouvé qu’au travers de cette étude, il y a eu des remontées d’informations sur la notion de management de la donnée. Et 45 % de ces cas d’usage présentaient une problématique de gestion de la donnée.

Alors ce data office, comment est-il organisé et de qui dépend-il ?

Emeline Fabre : Au niveau du groupe, le programme Data et Analytics est entièrement intégré à la D&T, c’est-à-dire Digital et Technology. Il faut savoir qu’il y a une particularité, c’est que nous sommes pleinement intégrés à la stratégie définie par le groupe qui s’appelle EverGreen. C’est une stratégie de croissance supérieure et équilibrée. Il y a cinq piliers dans cette stratégie, dont un pilier qui nous intéresse tout particulièrement, devenir le brasseur-distributeur le mieux connecté.

Il se trouve que la D&T en France a, de cette stratégie groupe, déterminé sa propre stratégie. Et elle a elle-aussi déterminé cinq piliers, dont le pilier Data Driven, Insight and Foresight. Donc des informations et des prévisions basées sur les données. Nous nous intégrons complètement dans ces piliers stratégiques de l’organisation.

Alors, une fois qu’on a défini ces piliers, quels sont aujourd’hui vos grands défis ?

Emeline Fabre : Quand je suis arrivée, j’avais un défi majeur. C’était de montrer que le programme data apportait de la valeur, qu’il était ROIste.

La problématique de tous les CDO !

Emeline Fabre : Exactement, et encore plus aujourd’hui, avec l’intelligence artificielle. Donc pour ça, j’ai choisi une méthodologie de rapprocher la notion de qualité des données aux cas d’usage Business Intelligence, qui était développée par le Data Lab. Il était en effet beaucoup plus aisé pour les métiers de comprendre l’intérêt de disposer d’une donnée de qualité pour assurer la viabilité de leur rapport power BI.

Deuxième objectif ; les programmes data sont toujours difficiles à cranter dans une organisation, il faut sans cesse communiquer, acculturer et il y a beaucoup de questions sur l’utilité de tels programmes. Aussi, même si le digital et l’IA apportent certaines réponses. Aujourd’hui, nous communiquons et nous acculturons sans cesse à la fois sur les canaux internes, sur les écrans, sur le système de communication interne, sur les newsletters digitalisées.

Mais nous avons aussi mené un Challenge Data pour Heineken Entreprise en 2023 et qui a reçu la note de 4,5 sur cinq. C’est un véritable succès.

Alors, quels sont les premier métiers qui ont profité de ces usages data ?

Emeline Fabre : Quand nous sommes arrivés, nous avons choisi un panel de business au niveau de France Boissons. Il fallait bien commencer par quelque chose et je voulais commencer par le plus petit possible avec deux ou trois cas d’usage maximum, donc des cas d’usages BI. Donc, nous avions notamment la performance de distribution et commerce au niveau de France Boissons.

Donc on a commencé par trois cas d’usage que nous avons élargi Heineken Entreprise l’année dernière. Et aujourd’hui, nous sommes complètement transversal entre Heineken Entreprise et France Boissons sur le cas d’usage adressé.

Le Power BI fonctionne, la data remonte, mais comment prouve-t-on le R.O.I ?

Emeline Fabre : Je suis responsable à la fois du Data management office pour la gouvernance et la qualité, du Data Lab pour les cas d’usage BI mais aussi analytiques et avancés dont l’intelligence artificielle. Et j’ai la chance d’avoir la responsabilité du département data pour les données de référence au niveau Heineken Entreprise. Donc pour l’intégralité de ces départements, nous mesurons la valeur apportée par l’ensemble de nos projets. Nous avons différents axes de mesure. Le premier va être les gains financiers au niveau du chiffre d’affaires. Ou alors les coûts évités en général. Ce sont des gains directs.

Nous avons, après la notion d’efficacité opérationnelle ; quel est le temps que nous faisons gagner au business ? Nous avons la réglementation. Quels sont les risques potentiels du fait de la non implémentation d’une loi du secteur ? Et derrière, nous avons bien évidemment le risque de notoriété. Donc nous avons ces gains directs et indirects. Par exemple, sur la performance de la distribution que j’évoquais tout à l’heure pour France Boissons, au niveau des coûts indirects, nous avons réalisé une décroissance au niveau des problématiques de distribution et par voie de conséquence, on évite ainsi une surcharge et un surcoût au niveau de l’activité. Donc on augmente la rentabilité de la tournée. Ça va être les coûts indirects et on augmente la satisfaction des clients.

Quelles sont les typologies de données que vous traitez ?

Emeline Fabre : Nous traitons tous les types de données de l’organisation. Nous avons un Entreprise Data Model, donc un modèle de données avec 18 data domaines. Donc on va retrouver le consommateur. On va retrouver le client, le marketing, les achats et j’en passe. Nous appuyons pleinement sur cette Entreprise Data Model pour travailler avec les métiers sur les données par rapport à leur périmètre.

Alors, une fois qu’on a qualifié cette donnée-là, quel est le mode d’emploi pour maintenir cette gouvernance ? 

Emeline Fabre : J’ai fait le choix d’être au plus proche des métiers, de travailler avec eux sur la qualité grâce à ces cas d’usage, ce qui leur a permis d’avoir une vision au niveau du scope des données dont ils étaient directement concernés. Ensuite, ce n’est pas suffisant. Pour la gouvernance, nous utilisons donc ce modèle de données, ce qui permet d’affiner le périmètre des données qu’ils vont devoir adresser ensuite et selon leurs propres responsabilités. 

Nous avons aussi dressé une trajectoire de nomination au niveau des différents rôles et responsabilités en interne au niveau de l’organisation. Et à titre d’exemple, pour les nominations, nous utilisons notre workplace interne de communication. C’est le choix qui a été fait par l’entreprise.

Alors justement, comment on a acculture les collaborateurs ? Comment leur fait-on comprendre l’importance de la qualité de la donnée parce que là-aussi, c’est un peu le problème récurrent des collaborateurs qui disent que ce n’est pas leur sujet de qualifier la donnée ?

Emeline Fabre : Je suis toujours pour la preuve par l’exemple. Au départ, quand je suis arrivée, effectivement le programme Data n’avait pas été créé au sein de l’organisation. C’est pourquoi je suis très proche d’eux dès le départ, à prendre en compte leur considération, leurs problèmes et leur apporter des solutions via la méthodologie de gestion de la donnée.

Et en parallèle, on fait des challenges, on communique énormément au sein de l’organisation. Tous les mois, nous communiquons au travers du workplace. Nous avons inventé des késako qui est un petit message très rapide en cinq lignes sur une thématique data. Demain, nous allons passer plutôt sur des films de deux minutes qui sont beaucoup plus impactants.

Dès que nous avons un succès au niveau de nos rapports BI, nous communiquons aussi sur ces succès sur les écrans de l’organisation et nous faisons des formations. Et nous avons l’objectif de nommer aussi des data champions dans l’organisation en 2025. Tout cela se fait en parallèle. 

Et c’est finalement ce travail quotidien répété – qui ne se fait pas en un seul jour – et cette visibilité en interne qui font que nous avons aujourd’hui une très bonne adhésion de l’ensemble des collaborateurs de l’organisation.

Comment mesure-t-on cette qualité de la donnée ?

Emeline Fabre : Nous avons aujourd’hui un indicateur, qui est le niveau de qualité de nos données de référence. Et cet indicateur est aujourd’hui mesuré dans l’outil de qualité Ataccama – j’ai fait le choix d’avoir un seul indicateur et je sais qu’il y a d’autres indicateurs possibles. Et le groupe travaille sur cet élargissement du nombre d’indicateurs afin de voir la maturité des programmes data au sein de l’ensemble des opérationnals de la société. Mais en tout cas, nous sommes fiers aujourd’hui d’avoir un excellent niveau de qualité sur nos données de référence qui représentent à peu près 70 % des données que nous utilisons pour nos cas BI ou IA. Donc c’est très important.

Quels sont les effets de cette bonne gouvernance ? 

Emeline Fabre : Au travers de notre outil de gouvernance Collibra, c’est bien évidemment de prendre des décisions éclairées parce nous avons aussi derrière une meilleure satisfaction de la clientèle. Nous pouvons innover de manière beaucoup plus rapide. Donc, il y a beaucoup d’axes aujourd’hui qui rejoignent cette notion de gouvernance. Et cela permet aussi une meilleure accessibilité et disponibilité de la donnée qui, elle-même, est de qualité pour les utilisations des cas à usage interne au niveau de l’organisation.

Donc, c’est tout cela que nous recherchons au travers de ce que nous mettons en place.

Vos prises de décisions sont-elles plus rapides, plus précises qu’il y a cinq ans ?

Emeline Fabre : Effectivement, nous avons aujourd’hui des prises de décision beaucoup plus rapides. Surtout, ce que je constate, c’est que nous n’avons pas adressé l’ensemble des domaines de l’organisation à date puisque nous sommes jeunes, depuis 2021. Et ce que je constate aujourd’hui, c’est qu’il est très utile pour un project manager officer pour un projet interne d’IA, soit les projets gérés par les autres au niveau de l’organisation, qu’il est très important pour eux, de très rapidement trouver les responsables data, de pouvoir très rapidement appeler les sachants et poser toutes les questions utiles par rapport aux projets qu’ils doivent mettre en place. 

Ce qui est très important, c’est de leur permettre d’avoir une vision rapide et en un seul coup d’œil du niveau de qualité de la donnée qu’ils vont devoir utiliser pour leurs projets et derrière, tous les plans de remédiation en cours si cette qualité n’est pas à la hauteur des attentes.

Et cela permet de faire des analyses ad hoc par rapport à leurs propres projets. Donc on constate aujourd’hui une amélioration sur cet angle et on doit encore poursuivre. C’est un travail de longue haleine et je l’expliquais récemment, nous sommes toujours en mode projet, nous ne sommes toujours pas en mode run.

On parlait du business qui était dans les premiers métiers à profiter de cette gouvernance, de cette qualité de la donnée. Quels sont les autres métiers qui profitent des effets positifs de cette gouvernance de la donnée ?

Emeline Fabre : Toute la management team qui doit prendre des décisions stratégiques tous les jours, toutes les semaines, tous les mois. C’est pour consolider les fondamentaux de l’organisation. Mais j’ai envie de dire qu’il n’y a pas un seul métier épargné par la gouvernance et la qualité de la donnée.

Cela concerne toute la chaine, du management jusqu’aux responsables de ligne en brasserie.

Alors quels sont des grands cas d’usage que l’on peut partager auprès de nos Chiefs Data Officers qui nous écoutent ?

Emeline Fabre : Je vais mentionner trois cas d’usage qui sont représentatifs de la trajectoire ambitieuse que nous mettons en place au sein d’Heineken France. Tout d’abord pour France Boissons, le distributeur, pour encore aller plus loin dans le parcours client et la satisfaction, nous avons un moteur d’apprentissage automatique qui permet des recommandations de produits sur notre site d’e commerce.

Ce sont des recommandations de produits qui sont entièrement en adéquation avec les attentes du client. Et sans compter des recommandations de remplacement, si jamais le produit est en rupture de stock. 

Maintenant, tournons-nous vers la force de vente des commerciaux. Nous avons le souhait de poursuivre leur transformation en partenaire stratégique pour nos clients. Aujourd’hui, ils disposent d’une suite de produits qui leur permet d’être alertés en cas d’un changement de comportement d’achat ainsi que des recommandations d’actions. Est-ce qu’il faut appeler ? Est-ce qu’il faut faire des visites, etc . Donc ils peuvent dans la plateforme de CRM de la relation client, intégrer les causes de ce changement de commande. Donc c’est vraiment un duo gagnant-gagnant entre nos clients et notre force de vente. 

Maintenant, si nous passons côté Heineken Entreprise ; quelque chose qui est très important et qui nous concerne tous, ce sont les promotions. Il est important d’avoir les promotions les plus stratégiques et donc, par voie de conséquence, nous avons un outil qui nous permet aujourd’hui, en utilisant l’intelligence artificielle mais aussi des analyses avancées, d’avoir des informations utilisables et viables pour une analyse de l’existant, de disposer de prédictions et d’avoir de l’optimisation, c’est-à-dire de sortir le plan optimisé des promotions.

Donc, le consommateur que nous sommes a des promotions efficaces par rapport à ses attentes et nos clients ont la performance au niveau des promotions.

Est-ce que l’on a chiffré le gain apporté dans les exemple de ces cas d’usages ?

Emeline Fabre : Nous avons complètement chiffré ! C’est même intégré dans le cadrage de la mise en œuvre de cycles d’usage au sein Heineken France. Je ne peux pas vous les communiquer parce qu’ils sont bien évidemment confidentiels. Mais sachez que j’ai été moi-même épatée par l’impact de ces cas d’usage d’intelligence artificielle à fort R.O.I que nous avons mis en place.

La qualité de la donnée est importante quand on veut démarrer un projet d’IA. Quels sont aujourd’hui les cas d’usages que vous voyez poindre pour ces sujets ?

Emeline Fabre : Nous avons effectivement une trajectoire ambitieuse. Nous avons fait une communication sur un cas d’usage au niveau du marketing ; Above the Line (ATL) et Below the line (BTL). ATL (publicité média) pour une communication générale, comme à la télévision et ou à la radio ; et BTL (hors-médias – marketing viral, marketing du point de vente, sponsoring, salons -RP) qui sont davantage une approche directe au niveau de nos consommateurs. 

Donc c’est un cas d’usage qui effectivement pourra être implémenté très prochainement au sein Heineken France. 

Et il y a un autre cas d’usage sur l’IA générative qui concerne l’analyse des sentiments, c’est-à-dire l’analyse des retours de nos clients et, par voie de conséquence, recommander les meilleures actions possibles par rapport aux retours que nous avons pu avoir de nos clients.

Au delà de l’IA, avez-vous d’autres projets à venir sur les sujets de gouvernance, de qualité de la donnée ?

Emeline Fabre : Nous voulons notamment déployer le Challenge Data du côté de France Boissons pour l’année 2025. C’est aussi de travailler sur l’adoption utilisateurs de Collibra et pour cela sur l’expérience utilisateur. Nous améliorons au quotidien cet outil. Et pour Heineken Entreprise, c’est d’avoir nommé l’intégralité des Data Honor pour 2025.

Propos recueillis par Julien Merali, Général Manager du Pôle IT d’Agora Managers Groupe

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