Economie circulaire : Du linéaire au circulaire, la nécessité de changer de modèle.
Dans un contexte de pénuries, à l’heure où il nous faut 1,75 Terre pour regénérer ce que l’humanité consomme, François-Michel Lambert, Président fondateur de l’Institut national de l’économie circulaire, vise à promouvoir et accélérer le développement de l’économie circulaire grâce à une dynamique collaborative : entreprises, fédérations, collectivités, institutions, associations, ONG et universités.
Ainsi, plus qu’une meilleure gestion de déchet, comment passer d’un modèle de réduction d’impact à un modèle de création de valeur, positive sur un plan social, économique et environnemental ?
En sommes, pivoter vers de nouveaux modes de conception, de production et de consommation plus sobres et efficaces(écoconception, écologie industrielle et territoriale, économie de fonctionnalité, etc.) et à considérer les déchets comme des ressources dans une recherche d’efficience.
Les entreprises entrent dans une phase d’accélération et parmi ses acteurs qui doivent jouer un rôle majeur dans cette transition, le directeur Achats plaide l’ex-député et membre de la Commission du développement durable et de l’aménagement du territoire à l’Assemblée nationale de 2012 à 2022.
Entretien :
François-Michel Lambert, dans quelle situation sommes-nous actuellement et quels sont les enjeux de l’économie circulaire ?
FML : Je crois que les directeurs, notamment Achats, qui sont ce soir à suivre cette émission ont conscience de la difficulté d’accéder à certaines ressources. La situation est claire !
Et elle n’est pas tenable depuis le rapport du Club de Rome en 1972 qui définissait qu’à l’échéance de 50 à 70 ans, la croissance de notre monde occidental allait se heurter aux limites de la planète.
Et donc l’accès aux ressources devient de plus en plus difficile pour mille et une raisons. Que ce soit parce que les ressources sont en train de disparaître ou parce que d’un point de vue géopolitique, d’un point de vue écologique, on ne peut plus prélever les ressources qui étaient nécessaires hier.
Or nous sommes toujours en besoin de plus de plus en plus de ressources et ces tensions sont extrêmement visibles.
Et la France est mal placée : on estime à peu près à 20-24 tonnes de matières premières détruites par an et par français or la moyenne mondiale par habitant est de 8 tonnes.
C’est un peu comme le réchauffement climatique : on sait que les Français et d’autres pires que les Français génèrent plus de co2, mais sur les ressources, c’est la même chose.
A un moment donné, il y aura un rendez-vous avec les limites de la planète et on commence déjà à le voir. Le journal Le Monde a fait un papier sur le sable qui est la deuxième ressource la plus consommée au monde après l’eau. Et partout dans le monde, ça commence à être un enjeu stratégique. On voit désormais des mafias du sable puisque dès qu’il y a des pénuries, forcément des acteurs se placent derrière.
Donc pour l’économie circulaire, la France et l’Union européenne se sont engagées il y a plusieurs années.
Pourquoi l’Union européenne et pourquoi la France ? L’union européenne en intégrant le Royaume-Uni, c’est 25% du PIB mondial, 500 millions d’habitants. Mais c’est le continent qui a le moins de ressources disponibles rapportées à ses besoins. On a bénéficié des empires, puis du continuum des empires pour importer notre besoin des autres continents. Sauf que c’est en train de s’arrêter !
Donc il y a une stratégie au niveau de l’Union européenne et en France qui a été initiée en 2015, renforcée en 2019 (loi Anti-Gaspillage pour une Économie Circulaire), en 2021 (loi Climat et Résilience) et qui le sera encore dans les prochains mois.
Quelle est la genèse et quels sont les enjeux de l’Institut national de l’économie circulaire ?
FML : Le sujet, je le maîtrisais avant même d’être député. Je me permets de dire qu’à peine élu, j’ai dit que je serai le député de l’économie circulaire en juillet 2012. Mais je pensais m’appuyer sur des structures qui pourraient porter ce que je connaissais, notamment par rapport à mon histoire.
Je suis chercheur en logistique et expert en développement des territoires, en prospective autour des flux. Et j’avais déjà constaté que certains territoires se heurtaient à une vision à 40 ans d’accès à certaines matières premières. Ce qui restreindrait leur développement.
Donc cette économie circulaire, je l’avais déjà intégrée avant d’être député. Et il n’y avait pas de structure ad-hoc, disons-le clairement. J’ai trouvé des partenaires, des grands groupes – GRTgaz, GRDF, La Poste, la Fondation Nicolas Hulot qui, à l’époque, était aussi très mobilisée, FEDEREC (Fédération Professionnelle des Entreprises du Recyclage) – et ceux que j’oublie.
Et nous avons réussi à rassembler des parties prenantes qui ressemblaient un peu à ce qui fait la société. Donc avec Chantal Jouanno (ex secrétaire d’État chargée de l’Écologie) pour représenter le monde politique, avec des entreprises de tous types, de toutes tailles et de secteurs assez différents, avec des collectivités – par exemple la Métropole du Grand Paris, un membre référent dans l’Institut – nous avons commencé à faire du lobbying parce qu’il a fallu faire émerger le mot.
Et ensuite, de commencer à poser les bases : une définition est arrivée en 2015 ; des trajectoires commencent à se dessiner ; une loi spécifique a été votée en février 2019, juste avant la crise du Covid.
Elle n’avait pas eu le temps de se développer mais déjà, on commençait à sentir que la résilience était un sujet et que nous devions revoir notre rapport aux ressources.
Donc voilà pourquoi l’Institut ; nous sommes huit salariés, avec près de 70 publications dans des domaines très divers : le textile ou la stratégie sur la réutilisation des eaux usées traitées en sortie de station d’épuration. C’est un document qui est sortit en 2018 et qui est d’actualité : on a vu les sécheresse cet été.
Et là, on vient de sortir « Pivoter vers l’industrie circulaire » avec OPEO qui permet aux acteurs de l’industrie de voir qui fait quoi, de comprendre quels sont les enjeux. Tout est accessible sur le site internet de l’Institut.
On a aussi publié Stratégie Nationale Bas Carbone sous contrainte de ressources pour sortir de l’énergie fossile et être dans la trajectoire du Club de Paris. On a rajouté « sous contraintes de ressources ». Nous démontrons que la stratégie française de l’État n’est pas supportable parce qu’il n’y aura pas certaines matières premières nécessaires pour répondre à ce que l’État s’est donné comme objectif. Ce n’est pas une critique, c’est un apport. Donc on travaille avec le Conseil national de l’économie circulaire (CNEC) et l’État pour revoir cette stratégie, en se disant qu’il faut aller vers plus d’éoliennes, plus de plus de photovoltaïque.
Je ne suis pas là pour faire des choix d’énergie, mais on n’a pas ces ressources et peut-être qu’il faut réorienter vers d’autres solutions.
Et là, on finit avec Capgemini ; un troisième document « Supply chain et économie circulaire » qui sera disponible à l’automne. Nous travaillons le cabinet conseil Citwell pour avoir une vision de toute la chaîne de valeur sur la place et le rôle des ressources et les acheteurs. Parce que c’est bien leur rôle de savoir le sourcing mais aussi de voir quel est le devenir de ces ressources.
Comment développer sa stratégie d’achats circulaires ?
FML : L’économie circulaire, cela nécessite de sortir du directeur RSE, du directeur ou de la directrice développement durable : « Bon, il y a des déchets, il faut que tu me règles ça, et que ces déchets ne soient pas enfouis, mais qu’ils soient valorisés ». Alors oui, c’est une partie de la solution mais cela nécessite aussi d’avoir une vision globale sur toute la ressource parce que c’est déjà trop tard quand on est dans les déchets.
Si une entreprise a une croissance de consommation de matières premières et même si elle récupérait ses déchets qu’elle réinjecte, comme elle est en croissance, elle a toujours besoin de faire rentrer de la matière première vierge. Or si cette matière n’est plus accessible, ça devient problématique !
Donc on est sur l’éco-conception. On est sur d’autres formats aussi de commercialisation, d’économie de fonctionnalité, d’intensification de l’usage de la ressource. Se dire qu’avec ce kilo de ressource, j’arrivais à faire x valeur. Demain, toujours avec ce même kilo, comment je crée beaucoup plus de valeur, avec des innovations…
Et on en revient au rôle de l’acheteur qui est assez central puisqu’il connaît la ressource. C’est lui qui sait remonter le sourcing mais qui peut finir la boucle et permettre aussi, en dialoguant au sein de l’entreprise avec les autres directions, de regarder quels usages on peut intensifier.
Et peut-être payer un petit peu plus cher une ressource, parce que, in fine, l’entreprise aura généré plus de valeur d’une manière ou d’une autre. On s’y retrouve dans l’ensemble. On aura préserver la ressource.
Aujourd’hui, un grand constructeur automobile utilise du cuivre dans ses voitures qui vient exclusivement de cuivre recyclé de vieilles voitures. Mais les acheteurs ont été formés à aller voir des déconstructeurs et des recycleurs de cuivre, pour faire cette boucle.
Je me permets de rappeler que rien ne se fait si le directeur achats n’est pas au milieu. Je dirais presque, s’il n’est pas le moteur !
Comment redéfinir son besoin grâce au principe de l’économie circulaire ?
FML : Comme tout pilotage, il faut des indicateurs autour de la matière première, autour de la ressource ; quelles sont les ressources ? Pourquoi on les achète ? Dans quelles qualités ? Quels sont les usages ? Quels sont les pertes en ligne ? Qui essaie de suivre toute la chaîne de valeur de la ressource ? Et à chaque maillon, de le renforcer, voire de créer plus de valeur.
On croit toujours que l’on connaît bien son entreprise… et puis un jour, on découvre que finalement, il y a des choses que l’on n’utilise pas ou mal. Je dirais encore une fois, que peut-être, c’est l’acheteur qui peut être le pivot de cette stratégie. L’entreprise doit scanner l’ensemble des matières premières, au-delà des produits semi-finis des composants d’assemblage. Elle doit regarder quelles sont les matières premières dedans, quels sont les risques ?
J’ai parlé tout à l’heure du sable, mais on peut parler d’autres risques de résilience ? Est-ce que ça tiendra dans le temps ? Est-ce que l’on n’est pas sur une trajectoire de fragilité ? Quelles sont les opportunités de créer de la valeur en aval ?
Bref, c’est un véritable scan au sein de l’entreprise – qui n’est pas dans une recherche de sobriété, ce qui est un autre sujet – mais dans une recherche d’efficience usage.
Le commissaire européen Janez Potočnik (chargé de l’environnement de 2009-2014), est celui qui a lancé, au niveau de l’Europe, l’économie circulaire.
Il disait : « posez-vous la question de chaque kilo, de chaque litre de matière que vous avez et comment vous pouvez créer plus de valeurs » – au pluriel valeurs – Évidemment la valeur économique pour l’entreprise, mais cela peut être des valeurs d’image, des valeurs de résilience.
C’est-à-dire qu’en évitant que la matière soit détruite à la fin et en faisant qu’elle revienne – peut-être pas dans l’entreprise – mais qu’elle revienne dans un usage, elle n’est pas perdue pour l’intérêt commun. Et l’entreprise s’y retrouvera !
C’est vraiment pivoter vers la ressource matières premières. Mieux comprendre sur quoi s’appuie la force de l’entreprise, en termes de réalité physique.
Quels exemples de valorisation de produits après un usage ?
FML : Si jamais les produits en fin de vie sont détruits, enfouis, sans aucune valeur, voire coûteux pour l’entreprise et je dirais même coûteux pour l’intérêt collectif, ça c’est un problème !
Il faut au plus tôt passer par la valorisation. Le mieux est sous forme matière, ou énergie. J’ai rencontré une startup française (TchaoMegot) – qui m’a abasourdi, même si je suis ingénieur – qui avec le co2 supercritique arrive à purifier les mégots qu’elle récupère. Et il retrouve quoi ? De la ouate de cellulose qui est utilisée pour faire le bourrage de doudoune…
Et il y en a d’autres qui valorisent les mégots énergétiquement. Donc, on voit qu’on n’a pas le même niveau valorisé. Si vous gardez la matière, vous garder beaucoup plus que la seule énergie. Lorsque vous brûlez un mégot, ça doit être une fraction de quelques calories. Le même mégot dans une doudoune, c’est un autre niveau de valeur. D’ailleurs, vous vendez beaucoup plus cher.
Et puis avant même que cela soit recyclé, c’est aussi ne jamais oublier qu’un ordinateur ou qu’un verre porte en lui ce qu’on appelle très souvent l’énergie grise mais aussi les ressources grises. C’est-à-dire que pour faire 1 kg de verre, pour faire 6 verres, on a utilisé 2 – 3 kg de matières premières et d’énergie – Parce qu’il y a de la perte lorsqu’on fabrique, cela fait partie du process.
Donc savoir garder le verre dans sa fonction ou dans un réemploi – cela peut être une œuvre d’artiste pour le verre. Pour un ordinateur, il peut être réutilisé même s’il n’est plus performant pour des certains logiciels. Mais il peut être utilisé pour d’autres usages.
C’est une garantie de toujours garder cette matière qui a de la valeur dans l’usage dans lequel vous l’avez créé et dans cette transmission.
D’ailleurs, cela change aussi le regard de l’entreprise qui va finalement peut-être élargir son champ d’intervention. Et qui est l’acteur au sein d’une entreprise qui a un champ large ? C’est très souvent la direction achats qui va regarder bien au-delà. Elle fait le benchmark de ce qui existe sur marché, parfois des concurrents, et elle est en recherche de sourcing. Donc, c’est elle qui ouvre largement les yeux de l’entreprise sur nos produits, nos matières et dans quel arc ils s’inscrivent.
Comment intégrer l’économie circulaire dans son cahier des charges et assurer le pilotage de l’engagement ?
FML : L’INEC met à disposition des outils. On a même quelques cycles de formation. On est mobilisé par l’État sur la question des achats publics – c’est quand même 10 % des achats en volume euros en France en valeur. On a accompagné des réflexions et on a un cahier qui est téléchargeable sur le site internet.
Nous avons fait du lobbying au sens positif du terme et dans les lois, notamment la Loi Climat et Résilience de 2021 où on a encore fait bouger les règles d’achats publics.
Parce que l’on ne peut pas obliger les acheteurs privés dans du BtoB classique d’avoir certaines règles.
J’invite – parce que c’est assez technique et qu’on ne va pas le faire dans cette interview – à déjà regarder ce que L’Institut national de l’économie circulaire avec la Métropole du Grand Paris et l’Obsar (l’Observatoire des achats responsables) ont produit et qui est accessible sur notre site.
Les entreprises, c’est tellement riche, tellement beau. Il y a tellement de diversité que je ne peux pas répondre précisément pour l’une ou pour l’autre. Donc j’invite à s’inspirer de que nous avons pu faire pour les achats publics.
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Mais prenons l’exemple d’Accenture aux États-Unis qui, dans un rapport pour l’industrie de la chimie, lui conseille d’avoir une vision complète du sourcing manufacturing, de la logistique, donc le produit en tant que service.
C’est aller plus loin que simplement vendre une molécule. C’est la récupérer, la recycler, prolonger sa durée de vie, des plateformes de partage. Ce rapport dit très clairement à l’industrie de la chimie : cette molécule, vous ne la lâchez jamais ! Vous devez vendre la molécule, la connaître, la suivre, la récupérer et à la fin, la réinjecter dans certains usages. On change de concept où l’industrie de la chimie vous vendait la molécule et l’oubliait avec parfois un impact environnemental sur la santé.
C’est vraiment un changement de nos process et on voit bien que c’est l’acheteur qui peut être le pivot ou l’un des principaux piliers de cette vision.
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Et je rappelle la Convention des entreprises pour le climat, où 150 dirigeants et dirigeantes d’entreprises ont retenu six engagements principaux dont l’un est la création d’un indice R3 comme réemploi, réparabilité et recyclabilité.
En 2030, les entreprises devront sur chacun de leur produit avoir cet indice de réemploi, de réparabilité, de recyclabilité qui permet de suivre les produits…
Pour conclure, je dirais qu’il faut avoir une vision territoriale des ressources.
Je dirais aux entreprises qui commencent à se poser ces questions, qu’il faut qu’elles trouvent les indicateurs autour des ressources. Mais pas un indicateur de coût, mais un indicateur un peu plus global de cette matière qui ne soit pas détruite.
Et aux acheteurs, qu’ils ont un rôle particulier à jouer.
Interview réalisée par Julie GUÉNARD, General Manager de l’Agora des directeurs financiers et des directeurs achats.
Voir aussi : Optimiser le recyclage en entreprise, vers une économie circulaire
Comment intégrer l’économie circulaire dans son modèle d’entreprise ? Par Yann ARTHUS-BERTRAND