IA générative: Quels impacts sur la société humaine et le domaine éducatif ?
À l’occasion d’un dîner VIP organisé avec Freshworks, l’Agora des DSI et l’Agora des Directeurs Expérience Client ont eu le plaisir et l’honneur de recevoir Luc Ferry, conférencier, philosophe, écrivain et ancien ministre de l’Education Nationale et Gabriel Frasconi, VP & General manager South Europe et DACH chez Freshworks, sur le thème « IA générative: Quels impacts sur la société humaine et le domaine éducatif ? »
Julien Merali : On va parler d’IA générative qui bouscule nos habitudes, les managers, leurs collaborateurs, l’entreprise également, avec parfois des craintes. Et on va essayer aussi de rassurer et de montrer où sont les solutions. Mais avant, Gabriel, pouvez-vous nous dire ce que fait véritablement Freshworks ?
Gabriel Frasconi : Freshworks est un éditeur de logiciels dans le cloud (Solutions SaaS CX, ITSM et CRM propulsées par l’IA). Notre métier est double. On adresse la relation client et l’expérience client. Donc un éditeur logiciel qui permet à nos clients de mieux servir leurs clients.
Par exemple, sur la partie IA générative, comment, dans la relation client, on atteint plus d’efficacité tant pour servir ses clients que pour améliorer la vie des collaborateurs ?
Notre logiciel s’attaque de front à ces deux volets, les clients et les employés.
Dans la partie expérience employés, dans le jargon technique, on va parler d’ITSM ticketing interne. Et là, ce sont plutôt les DSI qui vont être intéressés par ce type d’outil. Et dans l’expérience client, on va adresser les directions de la relation client pour qu’elles soient en charge d’améliorer l’expérience avec leurs clients.
JM : Luc, on va parler de la peur de l’IA générative : d’une part, de celle qu’elle suscite dans les directions générales qui peuvent avoir le sentiment de ne pas maîtriser le sujet. D’autre part, de celle des collaborateurs qui ont le sentiment d’être remplacés par l’IA. Quel est votre regard là-dessus ?
Luc Ferry : Il y a une étude de Goldman Sachs disant que 300 millions d’emplois seraient supprimés. Il y a eu un livre très intéressant « Un monde sans travail » de Daniel Susskind, un chercheur de l’université d’Oxford. C’est presque un monde sans emploi et il essaye d’analyser la manière dont ces IA générative, qui sont incroyablement performantes, vont attaquer un certain nombre d’emplois.
Je vous dis deux choses. Dans un premier temps, je dis que Susskind a raison sur un point qui est très important. Ces IA génératives attaquent aujourd’hui des emplois, des métiers ou des tâches qui sont des tâches intellectuelles de très haut niveau, autrement dit des radiologues, des géomètres, des experts comptables…
Donc plutôt des bacs + dix que des bacs -10.
C’est la grande différence avec les précédentes révolutions industrielles qui attaquaient plutôt avec l’automatisation, des emplois manuels, répétitifs et bêtes, pour dire les choses un peu brutalement.
Par exemple, pour les radiologues, c’est évident qu’il en faudra un pour dix. Il restera toujours un humain, mais on n’aura plus besoin de dix radiologues dans un hôpital, parce que ce que fait l’IA aujourd’hui est absolument génial, en médecine en particulier.
Je pense qu’il ne faut pas confondre les tâches et les métiers. Pratiquement toutes les tâches vont être impactées, mais très peu de métiers seront impactés. Je vous donne un exemple très rapidement. Quand j’arrive au ministère de l’Éducation, il y a 20 ans, il y avait six ou sept répertoires téléphoniques qui se baladaient dans le ministère.
J’ai demandé à ma secrétaire de les rassembler. Elle a mis douze jours à les calligraphier. Aujourd’hui, avec l’IA, Excel, un scanner, elle va mettre une demi-journée. Est-ce que j’ai viré ma secrétaire ? Non, elle fait des choses beaucoup plus intelligentes, beaucoup plus intéressantes pour moi que de calligraphier des répertoires. Donc je pense qu’il ne faut pas confondre les tâches et les métiers.
Beaucoup de tâches vont être impactées, mais ce sera un trait positif parce que cela permettra de gagner du temps et de faire autre chose de plus intelligent et plus utile.
J.M : Gabriel, est-ce que vous pouvez nous éclairer sur la manière dont l’IA va s’intégrer dans vos solutions et comment elle transforme concrètement le métier des utilisateurs ?
Gabriel Frasconi : Avec l’arrivée de l’IA générative, on a dû réagir très vite et on a tout de suite vu un besoin marché, une attente de la part de nos clients, pour réaliser un certain nombre de tâches répétitives à très faible valeur ajoutée.
Par exemple, on a deux témoignages de nos clients.
Le premier, c’est Culligan, les grands spécialistes de la distribution et du traitement de l’eau. Dans leur processus de relation client, ils avaient ouvert une hotline où les clients pouvaient laisser des messages vocaux. Et leurs collaborateurs, qui arrivaient le matin, écoutaient ces messages. Puis ceux-ci étaient transférés deux ou trois fois avant d’arriver au bon destinataire, qui pouvait traiter le message.
On a donc mis une IA qui permet d’analyser le message vocal, de le transcrire en texte, d’analyser le texte et d’orienter vers la bonne personne. Et ils ont gagné 95 % de productivité sur l’affectation de la tâche. Ils n’ont viré personne. Avant, les personnes arrivaient le matin à reculons car ils devaient écouter tous les messages et perdaient du temps avant de servir leurs clients.
Ça a permis d’améliorer l’expérience de leurs employés, mais également celle de leurs clients.
Un autre témoignage de la part de Digitrips, qui est une agence de voyages online. Une des problématiques des agences de voyages dans une relation client, c’est que lorsqu’on a une demande, elle n’est pas résolue tout de suite.
Je prend l’exemple d’une personne qui veut faire un voyage le 15 novembre et dois décaler au 17. Mais finalement, sa femme ne vient pas. Il vient avec ses enfants, son chien et décale son voyage le 18.
Et parce que c’est la nature du monde du voyage, il va y avoir une quinzaine d’échanges entre le demandeur et le collaborateur. Mais si en fin de journée, ce n’est pas résolu, la demande est transférée le lendemain auprès d’un autre collaborateur.
Donc tous les soirs, les collaborateurs devaient faire un résumé de ce qui avait été dit. C’est pénible et c’est une tâche à zéro valeur ajoutée.
Ils ont mis l’IA générative que nous avons développé et qui génère un résumé automatique. Cela fait gagner en moyenne 30 minutes par collaborateur.
Là encore, il y a la satisfaction de l’employé qui évite les tâches répétitives. Et bien sûr, personne n’a été viré.
Donc c’est vraiment l’idée d’améliorer l’expérience des collaborateurs, d’annihiler toutes ces tâches répétitives, et en même temps, de dégager du temps pour mieux servir et améliorer la satisfaction client.
L’IA générative dégage du temps pour des tâches à valeur ajoutée et améliore la productivité.
J.M : Luc Ferry, c’est la libération des tâches pour les employés ?
Luc Ferry : Les exemples que nous venons de donner tous les deux le prouvent. C’est la libération des tâches. Faire faire des tâches plus intéressantes, plus intelligentes aux personnes avec lesquelles on travaille, sans supprimer des emplois.
Maintenant, on est à ChatGpt 4. Il faut imaginer ce que sera bientôt ChatGpt 10, 20 ou 30. Ça va ressembler à quoi ? Et là, évidemment, il y a quand même des interrogations sur les métiers, les bac plus dix, les métiers très intellectuels.
Déjà, il faut quand même savoir une chose, c’est que ChatGpt 4 a un QI de 155 au Wechsler, qui est une des échelles d’intelligence les plus utilisées dans le monde.
Et moi, je lui ai fait passer le Wechsler pour voir.
Et ce qui est très amusant dans les tests d’intelligence, c’est qu’il y a des tests de bon sens. On dit à la personne à qui l’on fait passer le QI, « Je vais vous donner une phrase bête, il faut que vous me disiez quelle est la bêtise ». J’ai fait ça avec ChatGpt. Et il est génial, il est incroyable.
Il y en a une que j’adore, c’est : « le boulanger perd sur chaque petit pain, mais il se rattrape sur la quantité ». C’est un peu ce que dit Madame Borne aux gens qui vendent de l’essence. Vendez à perte, mais vendez beaucoup. Ça me fait marrer.
En quatre secondes, ChatGpt me sort la réponse. Il me dit : « C’est une très mauvaise interprétation de la logique du fonctionnement des entreprises. Plus il vendra de petits pains, plus il perdra. Il va faire faillite ».
50 % des Français mettent un quart d’heure à trouver la réponse et encore, ils n’y arrivent pas tous.
Donc quand même, quand on aura ChatGpt 10 ou 20, il y aura des métiers qui seront très impactés. Et il y aura quand même un problème de savoir si l’humain va pas être remplacé par cette machine.
J.M : Gabriel, vous êtes sur le terrain. Est-ce que, quand vous arrivez dans une entreprise, vous constatez parfois des craintes de collaborateurs qui redoutent de se faire remplacer ?
Gabriel Frasconi : Objectivement, pas encore. Il faut bien voir que la relation client est un métier difficile où l’on gère beaucoup de plaintes. Dans les cas de l’e-commerce, ce sont souvent pour des erreurs de tailles, de couleurs… Et si on peut dégager ces tâches répétitives de leur fardeau, honnêtement, on améliore vraiment le quotidien de ces personnes.
C’est vraiment un métier qui est très difficile : beaucoup de copier- coller, beaucoup de tâches rébarbatives. Donc ils nous voient vraiment comme une solution qui améliore très fortement leur quotidien.
On n’en est pas encore dans la phase : Est-ce que ça va impacter mon boulot ? Parce qu’en fait, il a tellement de choses à faire à faible valeur ajoutée, s’il peut se dégager de tout ça, pour se focaliser et rendre un vrai service qu’un humain avec sa sensibilité, peut donner à une autre personne, c’est considéré comme un gros avantage.
Le risque, pour les entreprises, est sur la partie sécurité, hébergement des données et la partie RGPD. En Europe, on est plutôt bien protégé sur ces sujets-là. D’ailleurs, on est assez avant-gardistes. Les craintes des entreprises sont à ce niveau aujourd’hui : Où transite la donnée ? Qui en est propriétaire ? Où est-ce que ça va ?
On l’a vu, je crois, avec l’exemple de Samsung. Il y a eu une faille de sécurité parce qu’un ingénieur a demandé à ChatGpt, un conseil sur le design d’un produit. Et très rapidement, ce qui était dans la roadmap est devenu public.
Ce sont là des points de vigilance pour nous que les entreprises demandent très fortement. Et nous, en tant qu’éditeur qui implémentons ces solutions-là, c’est notre devoir que d’y répondre.
On a la chance d’avoir l’Europe qui représente 40 % de notre business. Donc du coup, on est obligé de répondre à ces interrogations et aux législations européennes. Tout ce que l’on fait, bien évidemment, est cadré. Mais j’engage les politiques et les gouvernements à travailler sur ces sujets-là qui sont structurants pour l’avenir dans le monde entrepreneurial.
J.M : Luc Ferry, selon vous, comment l’IA générative va-t-elle impacter notre perception du travail ?
Luc Ferry : Là, on en a parlé sur nos tâches et métiers. Je pense que dans les métiers intellectuels moyens, si je puis dire, disons le « pas très bon journaliste », « le scénariste d’Hollywood pas très performant », « le gars qui vous fait une note de service dans un ministère », là, ChatGpt est bien meilleur. C’est ça le problème.
En plus, il ne coûte quasiment rien, il travaille 24 h sur 24, il n’est pas syndiqué à la CGT et donc il est quand même très inquiétant pour ces gens-là.
Voyez par exemple la grève des scénaristes d’Hollywood qui vient de se terminer. Ils ont réussi à avoir un accord mais néanmoins, pour un scénariste basique, ChatGpt est un vrai concurrent.
Il est quand même génial. Il vous sort des scénarios de films. Avec mon meilleur ami, Elie Chouraqui, on a regardé ensemble des scénarios de films. On lui demande de donner des conseils au metteur en scène. Il est vraiment très inquiétant pour ces hommes dans des métiers intellectuels, qui ont des métiers un peu basiques, un peu moyen.
Ceux-là vont être touchés.
J.M : Quelle est la solution pour eux ? C’est de se transformer ?
Luc Ferry : Non, la solution c’est d’abord au niveau de l’Éducation Nationale. Et j’en parlerai avec notre nouveau ministre que j’aime bien, Gabriel Attal. On a déjà commencé à en parler. Il faut préparer nos enfants. S’ils n’ont pas un talent très grand, s’ils ne sont pas passionnés d’arts, de sciences, de littérature, de philosophie, de langues vivantes, de sport, s’ils n’ont pas une vraie passion, il faudra les envoyer vers des métiers qui, associent la tête, le cœur et la main.
Les métiers qui associeront l’intelligence, le savoir-faire manuel, la main et les relations humaines ne disparaîtront pas. Je vais être très clair : le radiologue disparaîtra avant le généraliste en médecine et le généraliste disparaîtra avant l’infirmière. Retourner quelqu’un pour lui piquer le cul en lui disant que ça ne lui fera pas mal, ce qui est un mensonge, il faut un humain.
La machine, le robot, même boosté par ChatGpt ne sait pas faire ça bien. Et donc ces métiers « tête-cœur-main » ne disparaîtront pas de sitôt. Ils ne seront pas très attaqués par l’intelligence artificielle générative.
Donc je pense qu’il faut qu’on y réfléchisse. Il y a un débat qui est à la fois scientifique et presque métaphysique, qui vient après, mais qui nous touche directement avec la question : est-ce que l’on va aller vers une IA forte ?
Ça, c’est la vraie question quand même.
On est quand même dans des disruptions comme on dit maintenant, parce que ChatGpt, personne ne l’a vu venir. En vérité, ça nous est tombé dessus. Ça a gagné 2 milliards d’individus en quelques semaines ou quelques mois. C’est dingue ce qui s’est passé. Personne n’avait prévu les LLM (large language model).
Yann Le Cun (chercheur en intelligence artificielle et vision artificielle français) a été un peu vexé parce qu’il a dit que ça ne durera pas. Parce que ce n’est pas lui qui l’a inventé. Peut-être que c’est une interprétation psychologique de ma part, mais c’est un peu comme ça que j’ai compris ses critiques de ChatGpt.
Est-ce qu’un jour, on arrivera au fond à une post-humanité, c’est-à-dire à une IA qui aura la conscience de soi, des émotions comme un être humain ?
Par exemple, je me dispute là-dessus depuis des mois avec mon ami Laurent Alexandre (fondateur de Doctissimo et auteur de La guerre des intelligences à l’heure de ChatGPT). Je ne crois pas du tout à ça, mais lui, est convaincu qu’on ira un jour vers une IA forte. En tout cas, ce qui est certain, c’est qu’on ira vers une IA qui ne sera pas seulement générative mais qui sera généraliste et partout.
Je crois que ça restera une machine parce que je n’ai jamais vu des équations mathématiques ou des fonctions mathématiques tomber amoureuses. Donc je n’y crois pas.
Néanmoins, on aura des IA généralistes qui seront capables de tout faire mieux que nous. Et là, évidemment, combien de temps ça prendra ? À mon avis, ça peut aller assez vite. Et évidemment, il y aura quand même un impact sur les humains, sur les tâches intellectuelles moyennes de certains métiers
J.M : Gabriel, voyez-vous cette nécessité dans les entreprises d’être accompagné sur ces sujets-là ?
Gabriel Frasconi : Oui, d’être accompagné sur des nouveaux métiers qui apparaissent.
J’ai des petits enfants encore à la maison et souvent on leur demande ce qu’ils veulent faire plus tard et je réponds souvent qu’ils feront un métier qui n’existe pas aujourd’hui.
Et en particulier, un nouveau métier qui est arrivé avec l’IA generative, c’est le prompt engineer. C’est celui qui pose les bonnes questions,
Ces jobs d’ingénieurs sont très bien payés. Ça a l’air ridicule de poser une question à une IA generative et on peut penser que tout le monde peut le faire. Mais comment poser la question ? Comment poser une question un petit peu plus intelligente, bien documentée pour avoir la meilleure réponse possible ?
C’est déjà très demandé. Et les entreprises sont très friandes de ces types de profils. Et ça, c’est pareil, on ne l’a pas pu venir, comme on n’a pas vu venir GPT et ses conséquences.
Luc Ferry : Et ce qui veut dire que l’on n’est pas sorti de la logique de Schumpeter, c’est-à-dire la destruction créatrice. Il y a des emplois, comme cybercriminaliste, data scientiste, qui sont des métiers d’avenir. Donc il faut penser, même si certains emplois vont être impactés, qu’il y aura aussi des créations d’emplois nouveaux. Et on vient d’en évoquer déjà trois et il y en aura certainement beaucoup d’autres qu’on ne peut pas prévoir aujourd’hui.
J.M : Est-ce que finalement, ce n’est pas assez déstabilisant pour les enfants de ne pas savoir quel métier ils feront demain puisque ce métier n’existe probablement pas aujourd’hui ?
Luc Ferry : Il y aura quand même moins de métiers nouveaux qu’on ne le croit. C’est pour le coup la logique Schumpeter de destruction créatrice. Je peux vous citer sans aucun problème 80 métiers qui ont disparu entre le XIXᵉ siècle et aujourd’hui que vous ne connaissez même pas. Je me suis amusé à en faire la liste.
Donc ça, ce n’est pas vraiment nouveau. En revanche, je pense qu’il y a un vrai problème dans l’Éducation Nationale. Il y a globalement d’abord une très grande méconnaissance de ce que c’est que l’IA, de la part des professeurs et aussi un rejet. Au fond, beaucoup de professeurs n’en veulent pas parce que c’est un concurrent. Et puis, ce n’est pas sympathique et puis c’est américain. Ça vient des GAFA, c’est néo-libéral, ça nous est imposé.
Vous avez toutes sortes d’objections de ce type qui portent sur cette IA qui est quand même américaine et chinoise, parce qu’elle n’est pas française ni européenne, ce qui est un vrai problème. On est encore une colonie des États-Unis et de la Chine.
Donc il y a un très grand rejet de la part de l’Éducation Nationale et je pense que c’est d’abord là qu’il faut commencer si on veut que nos enfants soient éduqués à l’IA. En plus, ChatGpt peut être un outil, au lieu de l’interdire bêtement. C’est idiot de l’interdire à l’école, il faut l’utiliser comme outil pédagogique.
On peut avoir des usages pédagogiques aussi de Midjourney ou de DALL–E. On n’en a pas parlé et ils sont extraordinairement intéressants. Vous demandez, par exemple, à un enfant d’écrire à DALL–E ou Midjourney, une carte postale de Noël, donc cela va l’obliger à verbaliser, à employer les bons mots, sinon le résultat sera pas bon. Et si ça ne va pas bien, on va lui dire : « peut-être que tu as mal précisé les choses. Peut-être que tu peux recommencer en employant des mots meilleurs, en essayant de fouiller ta description ». Et ça, ça peut être pour un enfant de huit ou neuf ans à l’école primaire, un outil pédagogique formidable.
Donc il faut aussi voir les aspects positifs de cette magie.
J.M : Gabriel, est-ce que finalement, ce qui est primordial, c’est la facilité d’utiliser la plateforme ? Parce que j’imagine que l’on peut vite être perdu aussi avec les différentes utilisations d’une plateforme comme la vôtre ou d’autres.
Gabriel Frasconi : En tout cas, avec la notre, à priori on n’est pas perdu. C’est ce qu’on essaie de dire à nos clients. Et c’est ce qui nous remonte aussi.
Le logiciel aujourd’hui, pour les entreprises, doit être simple à utiliser, simple à mettre en œuvre, simple à adopter pour les utilisateurs. On en est revenu des logiciels compliqués où on se met devant une interface qui nous prend un ou deux mois avant de commencer à l’utiliser.
Ce temps-là est révolu. Sur l’IA générative, il suffit de poser une question et on a la réponse. C’est très simple, n’importe qui peut le faire. Le logiciel de l’entreprise doit être dans cette même mouvance et être le plus simple possible d’utilisation, de mise en œuvre, de paramétrage. Et c’est là où l’on a vraiment une grande valeur qui sera dégagée aujourd’hui, demain et après-demain.
J.M : Luc, les DSI, qui sont finalement un service de relation client vis à vis de leurs collaborateurs, constatent parfois un agacement ou une défiance de la part de personnes qui n’ont pas envie de parler à un robot, qui n’ont pas envie de parler à l’intelligence artificielle. Comment tout cela va-t-il évoluer ?
Luc Ferry : Là, toutes les grandes innovations suscitent les mêmes résistances. Je pourrais vous trouver des milliers de pages contre la voiture en 1920, disant que jamais le corps humain ne pourrait supporter une vitesse de 60 kilomètres heure. Et donc, je pense que le meilleur moyen de les surmonter, c’est quand même de passer par l’enseignement.
Il faut vraiment qu’il y ait un enseignement sur ce qu’est que l’IA, mais aussi sur la question des réseaux sociaux, du harcèlement sur les réseaux sociaux, sur la question du deepfake… Tout cela est lié aussi à ces progrès de l’intelligence artificielle.
Et donc là, je reviens sur la question des ingénieurs prompteurs. J’ai fait faire une dissert de philo à ChatGpt 4, ce qui est absolument génial. Je vous donne le sujet : il n’y a plus qu’un seul un couple, un homme et une femme, l’humanité a disparu. Il y a une guerre atomique. L’homme veut coucher avec la femme pour perpétuer l’humanité et elle ne veut pas coucher avec lui. Est-ce qu’il a le droit de la violer ?
ChatGpt me répond : un, il n’a pas le droit de la violer. C’est contraire aux droits de l’homme. Deux, il peut essayer d’utiliser l’éthique de l’argumentation de Habermas pour essayer de la convaincre que c’est quand même important de perpétuer l’humanité. Trois, s’il n’y arrive pas, il peut essayer de trouver dans un hôpital de quoi faire une PMA.
Donc avec ça, moi ingénieur prompteur, je lui demande : Qu’est-ce que c’est que les droits de l’homme ? Pourquoi ça interdit le viol ? Qu’est-ce que c’est que l’éthique de l’argumentation de Habermas ? Qu’est-ce qu’une argumentation ? Qu’est-ce qu’une PMA ? À la fin de la journée, j’ai 150 pages, j’ai un mémoire de maîtrise, j’ai quasiment un doctorat. Et là, il est génial parce que, à chaque fois, il donne des argumentations, il donne des explications et il se trompe assez peu.
Et donc, quand on aura ChatGpt 10, nos étudiants seront capables de faire un mémoire de maîtrise de 250 pages, dans la journée.
Il faut que dans l’Éducation Nationale, pour nos enfants et pour l’avenir de nos enfants, leur avenir professionnel, il y ait un apprentissage de ce que c’est, à quoi ça sert et aussi de ce en quoi cela peut être nuisible.
Franchement, ça va bouleverser l’éducation.
Le but, pour synthétiser, c’est de rendre nos enfants complémentaires de l’IA et non pas victimes. C’est ça l’objectif. Il faut vraiment que le nouveau ministre de l’Éducation y réfléchisse. Gabriel Attal est très intelligent, il le sait.
Mais si j’étais encore Ministre de l’Éducation, je crois que ce serait mon sujet numéro un, parce que ça va aller très, très, très, très vite.
J.M : Gabriel, l’IA d’aujourd’hui est bien meilleure que celle d’hier. Est-ce que vous constatez dans les entreprises une accélération des demandes sur des outils d’IA dans la relation client, en interne comme en externe ?
Gabriel Frasconi : On n’a pas une seule conversation où l’on ne parle pas d’IA dite générative car on a toujours fait de l’IA d’automatisation.
Effectivement, les clients nous posent la question sur l’IA générative et les questions successives sont : où sont hébergées les données ? Comment je protège mes données ? Le point de vigilance est sur la partie sécurisation de la donnée et c’est vraiment ça aujourd’hui.
Ça s’accélère beaucoup et c’est aussi notre responsabilité, notre métier de fournir ces solutions-là.
On a des retours d’expérience et c’est notre métier d’apporter cette expertise-là et de partager les bonnes pratiques : ce qu’il faut faire, les résultats positifs, la conduite au changement et l’éducation auprès des différents collaborateurs avec ces ingénieurs prompteurs.
On apprend en marchant finalement. Et nous, on a un petit peu un devoir d’éducation aussi auprès de nos clients, car on a cette prétention d’être expert.
J.M : Luc, pour boucler cette table ronde, selon vous, quelle est votre vision de l’IA pour demain, en dehors du monde de l’éducation, et notamment dans l’expérience client interne ou externe ? Quelle sera l’expérience du client de demain ?
Luc Ferry : Ça va être des gains de productivité, probablement considérables. Donc des gains de temps aussi. Cela supposera une formation pour des salariés up gradés. Je n’aime pas le mot. Mais augmentés, améliorés, mieux formés. C’est être de plus en plus intelligent d’une certaine manière, au sens étymologique du terme.
Et c’est vrai que le problème qui va croitre, et Gabriel l’a dit, c’est que l’IA est un formidable pompeur de données, donc ça c’est très dangereux. La question du droit de propriété est évidemment très proche, mais elle est absolument éminente aujourd’hui. D’ailleurs, le problème des scénaristes aux États-Unis touche aussi la question du droit de propriété parce que ces machines s’entraînent sur des œuvres d’art, sur des textes, qui ne leur appartiennent pas.
La question des deepfakes va devenir absolument cruciale. Parce qu’aujourd’hui, avec quatre mots de vous et quelques images, on peut fabriquer un deepfake qui est absolument indécelable, sauf peut-être par une machine extraordinaire, mais pas par un humain.
Cela va être extraordinairement dangereux parce que vous pouvez ruiner la réputation d’une entreprise, du chef d’entreprise, d’un salarié, d’une personne. Il y a des acteurs américains qui se retrouvaient dans des pornos qu’ils n’avaient jamais fait. Vous avez vu les deepfakes de Macron ? Ils sont parfaits.
Vous pouvez déclencher une guerre avec ça, à la limite. Et donc je pense qu’il y a quand même des problèmes de régulation qui vont se poser et que pour l’instant, en effet, ce n’est pas tellement la question des jobs attaqués, c’est la question de la régulation sur des questions qui touchent les entreprises, pas simplement morales. C’est aussi le droit de propriété et le pompage de données.
L’IA Act s’en occupe aujourd’hui. Ils sont en train de travailler, mais comme toujours, ils arrivent un peu comme les carabiniers.
J.M : Gabriel, votre vision pour l’expérience client de demain et la vision de Freshworks sur le sujet ?
Gabriel Frasconi : On va accélérer et on le voit aujourd’hui sur les premiers retours des clients, beaucoup plus satisfaits et servis plus rapidement. Et pour revenir à la question de tout à l’heure : est-ce que j’ai envie de discuter avec un robot ? Mais, est-ce que j’ai besoin de discuter avec un humain pour avoir une réponse simple ?
Finalement, une machine peut me la donner. Ce qui m’intéresse le plus, c’est d’avoir une réponse rapide. C’est la finalité qui est intéressante, ce n’est pas le moyen. Et aujourd’hui notre vision, c’est une grande amélioration de la satisfaction des clients, dans la rétention client, des clients qui vont potentiellement consommer plus aussi s’ils sont plus satisfaits de leurs produits et des collaborateurs qui vont rester plus longtemps dans les entreprises parce qu’on leur a enlevé toutes ces tâches rébarbatives qui en fin de journée, impactent le moral des troupes.
C’est ça notre vision très positive sur le côté vertueux que l’IA generative peut emmener auprès des entreprises. Avec encore une fois, le garde-fou que l’on doit tous avoir. Et c’est notre métier de faire en sorte que ceci soit fait dans le respect des normes et en particulier des normes européennes qui sont assez avant-gardistes sur ce sujet.