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Enjeux du numérique pour l’éducation

Audran LE BARON

Pour répondre aux enjeux du numérique pour l’éducation, sujet central pour nos sociétés, l’Education Nationale s’est engagée dans un Plan stratégique 2023-2027, “un plan dit industriel, mis à l’échelle pour 12 millions d’élèves, le double de parents et d’1 million de professeurs”.

Pour en parler, Audran LE BARON, Directeur du numérique pour l’éducation au sein du MINISTERE DE L’EDUCATION NATIONALE.

Il revient sur le concept d’Etat plateforme et sur les principales actions de ce plan numérique – une vision stratégique partagée dans un écosystème complexe – élaborée avec la participation active des acteurs de l’éducation, des collectivités territoriales, des éditeurs, des EdTech, et des associations de parents et d’élèves… 

Audran Le Baron est diplômé de Télécom Paris et de l’École Polytechnique. Il vient de la Direction générale des Finances publiques, un ministère dans lequel il a exercé 17 ans et dont les derniers postes étaient Chef du service de la Gestion fiscale et Chief Digital Officer (CDO).

Julien Merali : Est-ce que vous pouvez d’abord nous décrire l’organisation de la direction du numérique au sein du ministère ?

Audran Le Baron : La Direction du numérique pour l’éducation, DNE, est une direction qui a la particularité d’être à la fois une DSI standard d’un grand ministère, celui de l’Éducation nationale, mais aussi une direction en charge de la politique publique du numérique éducatif. 

Donc, c’est comment le numérique peut être un outil mis au service des apprentissages dans les classes pour les professeurs, pour les élèves, pour les parents, etc.

Julien Merali : L’Éducation nationale en quelques chiffres ?

Audran Le Baron : 12 millions d’élèves, le double de parents, 1 million de professeurs. Nous sommes sur des dimensions que je qualifierais d’industrielles au sens où tout ce que l’on fait, doit passer à l’échelle ?

Julien Merali : Comment cela fonctionne entre l’Administration centrale et des DSI qui répercutent et prennent leurs décisions au sein des Académies ?

Audran Le Baron : C’est une vaste question. L’écosystème du numérique pour l’éducation est un écosystème qui est extrêmement riche et complexe. Si on fait un zoom sur les systèmes d’information, on a effectivement la direction centrale qui est la DNE et qui pilote les grandes évolutions des systèmes d’information, en lien avec ce qu’on appelle des équipes nationales qui sont dans des DSI académiques et qui travaillent pour l’échelon national pour mettre en place des systèmes d’information nationaux, pour la gestion de la scolarité, des examens et concours, des RH, des finances, etc.

Ça, c’est volet système d’information un peu standard, sachant que chaque Académie a une DSI en son sein qui gère notamment l’informatique locale mais également un certain nombre d’applications métiers qui peuvent servir selon les organisations de chaque Académie. C’est vraiment le volet système d’information.

Mais, plus généralement, quand on parle de numérique éducatif, on a en plus les opérateurs du ministère, le CNED, le Réseau Canopé qui fait une partie de la formation pour l’ensemble des cadres des enseignants du ministère. Mais on a également à l’extérieur du ministère, les collectivités territoriales, puisque le numérique éducatif est une politique publique partagée.

Donc, il y a un partage des responsabilités entre l’État et les collectivités territoriales, fixé il y a maintenant 10 ans avec la loi Peillon. 

Mais on peut citer également tout l’écosystème des EdTech, un ensemble d’entreprises. Et puis, au-delà des éditeurs scolaires, on a pour ainsi dire la multitude de professeurs, soit à titre individuel, soit en association qui contribuent également à des offres de numérique éducatif.

Donc, c’est cette écosystème qu’il faut faire fonctionner ensemble en essayant d’aligner l’ensemble de ces acteurs selon un cap partagé.

Julien Merali : Quelle est la place du numérique aujourd’hui dans l’enseignement des enfants ?

Audran Le Baron : La relation au numérique est intermédiée au quotidien par des espaces numériques de travail. Ce sont des portails territoriaux portés par les collectivités territoriales et qui organisent la relation entre les parents, les élèves, les professeurs, les personnels de direction.

On a aussi ce qu’on appelle les logiciels de vie scolaire : le plus connu, c’est PRONOTE à travers lequel on peut voir l’emploi du temps scolaire qui peut évoluer au jour le jour ; on a aussi les notes des élèves, etc.

Il y a donc ce volet un peu administratif et celui de la relation entre l’ensemble des acteurs de l’éducation. 

Et puis, c’est l’utilisation dans la classe d’un certain nombre d’outils pédagogiques de services numériques pédagogiques. Il y a toute une gamme notamment apportée par les EdTech, de services, d’applications, qui sont innovants dont certains intègrent les moteurs d’intelligence artificielle qui permettent notamment de mieux utiliser les enseignements, d’avoir une remédiation individualisée suivant les difficultés de chaque élève et qui permet finalement au professeur d’avoir des outils simples qui lui permettent de mieux enseigner, de mieux faire la différence entre ceux qui apprennent vite et ceux qui ont des difficultés. Et donc d’adapter à son enseignement, sa pédagogie à chacun.

Julien Merali : Vous venez d’arriver à ce poste de directeur et vous avez mis en place un plan qui vous a été demandé. Est-ce que vous pouvez nous le présenter ?

Audran Le Baron : Je suis arrivé il y a un peu moins de deux ans. Mais, ce qui m’a frappé en arrivant, c’est cette complexité de l’écosystème et le fait que finalement, en matière de numérique éducatif, chaque acteur a plein d’idées innovantes, d’initiatives, des services, des sites, des portails qu’il met en oeuvre.

Mais comme chaque acteur suit sa feuille de route, cela aboutit pour l’utilisateur final – l’élève, le parent d’élève, le professeur, etc – à une offre finalement assez labyrinthique, assez touffue, assez foisonnante à travers laquelle il n’est pas toujours facile de se repérer et d’avoir quelque chose de lisible.

Donc, j’ai très vite acquis la conviction qu’il fallait se mettre d’accord sur une vision stratégique partagée entre l’ensemble de ces acteurs pour savoir où l’on va et essayer de fédérer l’ensemble des énergies dans une direction à peu près identique.

Je ne dis pas qu’il faut que l’on aille tous exactement dans la même direction, mais au moins que l’on mette nos forces au service d’une vision stratégique partagée.

C’est tout le travail fait durant l’année 2022, notamment avec les collectivités territoriales qui sont un partenaire incontournable dans la mise en oeuvre du numérique pour l’éducation.

Au travers d’une soixantaine d’ateliers que l’on a conduit avec les collectivités territoriales, avec les EdTech, avec les Académies, avec tous les acteurs de l’écosystème, on a bâti une vision stratégique publiée le 27 janvier et annoncée par le ministre de l’Education, monsieur Pap Ndiaye.

En quelques mots, on a réuni cette vision stratégique autour de quelques axes : le premier qui insiste sur cette gouvernance partagée. L’idée, c’est vraiment de travailler ensemble avec l’ensemble des acteurs de l’écosystème et pour cela, mettre en place une gouvernance.

Deux, partager les données. Parce que travailler sur une politique publique partagée, c’est aussi partager des données, des tableaux de bord…

Julien Merali : Comment maintient-on la gouvernance avec autant d’acteurs ?

Audran Le Baron : C’est beaucoup de temps à consacrer à des comités de coordination. Par exemple, je réunis tous les mois en visio un comité des partenaires qui réunit l’ensemble des associations d’élus locaux. Et on est en train de mettre en place un comité de filière avec les EdTech pour également partager de façon trimestrielle, les grands axes stratégiques en matière de numérique pour l’éducation.

Donc, dans la stratégie, il y a cet axe autour de la gouvernance. Et il y a un axe autour de l’enseignement du numérique en tant que compétence parce que la France et l’Europe ont un besoin ardent de compétences pour construire aussi leur souveraineté de demain.

Et donc, pour ça, attirer de plus en plus d’élèves vers la filière du numérique. Mais également, faire en sorte que tous nos élèves acquièrent une aisance avec les outils numériques et se préparent à une citoyenneté qui devient de plus en plus numérique, en tout cas, dans lequel le numérique a une place essentielle.

Et peut-être, un dernier axe qui est plus centré sur l’offre de numérique éducatif. Et c’est là où l’on insiste beaucoup, sur l’indispensable pérennité des outils que l’on donne au professeur.

Parce qu’un professeur a besoin de stabilité, de pérennité dans les outils qu’il utilise. Et pour cela, on marche sur les deux jambes : à la fois les communs numériques, donc développer des communs numériques, des grandes plateformes nationales libres dans lesquelles les professeurs peuvent collaborer entre eux, s’échanger des parcours pédagogiques, les enrichir et de les donner à leurs élèves.

Puis, la deuxième jambe, avec les ressources numériques pédagogiques proposées par les EdTech. Et pour faciliter l’acquisition de telles ressources, on met en place une sorte de Paypal des ressources numériques que l’on confierait à nos enseignants et équipes pédagogiques pour qu’ils puissent facilement acquérir les outils adaptés à leur classe.

Julien Merali : L’IA, ChatGPT, quel est votre regard sur ces outils demain dans l’apprentissage. Quelles vont-être leur place ?

Audran Le Baron : D’abord, on encourage l’innovation dans les ressources numériques pédagogiques pour inclure des technologies, des moteurs d’intelligence artificielle qui permettent de mieux personnaliser les enseignements, de clusteriser les classes pour avoir des groupes homogènes et permettre aux professeurs de remédier aux difficultés de chacun à son niveau.

Après, l’intelligence artificielle en tant que compétence, ça, c’est également quelque chose qui est important. Donc on essaie de développer la compréhension de ce qu’est l’intelligence artificielle, essayer de démystifier un peu cette technologie, de dire ce qu’elle permet de faire, également les risques qu’elle comporte, les risques de biais, etc. 

Donc, éduquer finalement à la fois nos professeurs et les élèves à cette technologie.

Alors que faire face à ChatGPT ou à d’autres technologies de ce genre ? Pour moi, il n’est pas question d’interdire puisque on sait bien qu’il faut être pragmatique.

Ce n’est pas la première fois qu’une technologie vient bousculer les enseignements et les pratiques pédagogiques.

Ce qui a été mis très en avant est le danger que constitue ChatGPT parce qu’il va permettre de tricher entre guillemets.

Je pense qu’il faut démystifier un peu les choses.

Aujourd’hui, on a déjà le grand frère, la grande soeur, le parent qui peuvent aider l’élève sans que les professeurs puissent, le cas échéant, le détecter.

On a aussi internet, Google et autre Wikipédia. Donc, on a déjà beaucoup de choses qui font que, quand on donne un devoir un élève, on n’est pas sûr que c’est 100% le fruit de son intelligence.

La question, c’est plutôt éduquer à ChatGPT. C’est un outil, comme d’autres moteurs, qui peut aider, être utile pour éviter de partir de la feuille blanche, d’explorer des sujets, etc.

Il faut surtout bien sensibiliser aux limites de ce type de technologie et dire que ce sont des outils qui n’ont pas la science infuse, basés sur des moteurs de probabilité, de statistiques, qu’il ne faut pas prendre pour argent comptant et donc de vérifier les sources.

Finalement, c’est une technologie qui peut être un bon outil pour l’éducation aux médias et à l’information, l’EMI comment on le résume à l’Education nationale. C’est d’apprendre ces outils, leurs limites, et à les utiliser correctement.

Julien Merali : Parlons cybersécurité ; il y a deux aspects : le premier, c’est la cybersécurité de nos enfants et le deuxième, c’est la formation. Avez-vous des choses à nous partager ?

Audran Le Baron : Oui absolument : dans le cadre de l’enseignement du numérique, des compétences numériques, on a un cadre de référence des compétences numériques, le CRCN qui est issu du cadre de compétences européens, le Digcomp. C’est un cadre qui répertorie l’ensemble des compétences numériques dont les compétences de sécurité, de cybersécurité.

Et, dès la sixième, nous avons, grâce au dispositif Pix, une plateforme qui permet à la fois de s’auto-évaluer sur des compétences numériques et également de les développer puisque – quand on ne répond pas bien à certaines questions, on a des propositions de vidéos, de remédiations, d’articles, de sites internet, etc, qui peuvent permettre de progresser dans ces compétences.

Puis, on a un instrument de certification puisque l’on peut se certifier notamment en fin de collège et en fin de lycée. Tous les ans, tous les élèves sont amenés à se certifier dans leur niveau de connaissances en matière de numérique.

Et donc, parmi les compétences, il y a la cybersécurité. Le parcours de 6e que l’on est en train d’expérimenter cette année et qui sera généralisé l’année prochaine est justement spécialisé sur les sujets de cybersécurité.

Alors cybersécurité au sens très large et j’englobe dedans tous les sujets de protection des données personnelles, et les sujets également de cyber-harcèlement, un enjeu majeur pour l’éducation.

L’idée, c’est de sensibiliser dès la 6ème. Et on est en train de travailler dès le CM1 pour couvrir l’ensemble du cycle 3, c’est-à-dire, le CM1, le CM2 et la 6e, pour donner toute la compréhension à nos jeunes élèves qui commencent à aller sur internet, voir sur les réseaux sociaux – alors que normalement, c’est qu’à partir de 13 ans que l’on peut y aller.

On travaille donc sur leur compréhension des enjeux : que se passe-t-il quand je donne mes données ou quand je poste une photo ? Qu’est-ce qui est permis et qui ne l’est pas ? Comment je m’en prémunis ? Que faire quand je suis harcelé, cyber-harcelé ? Bref, pour tous ces sujets-là, on essaye d’acculturer, de prévenir le danger le plus tôt possible.

Julien Merali : On parle souvent de l’État plateforme. Quel est le niveau de maturité de l’Education nationale sur cette notion ?

Audran Le Baron : C’est un concept sur lequel j’ai beaucoup insisté, notamment auprès des collectivités territoriales, mais également avec les Edtech, parce que je pense que c’est un concept qui s’adapte parfaitement à l’écosystème du numérique pour l’éducation.

Pourquoi ? Que dit le concept d’État plateforme ?

Il dit que ce n’est pas à l’État de tout faire. En revanche, il a un rôle fondamental qui est d’organiser le paysage numérique au cas particulier, de deux façons :

d’une part en fixant un certain nombre de règles, de normes notamment d’interopérabilité qui sont nécessaires pour que l’ensemble des outils numériques forme un tout cohérent.

Et la deuxième action de l’État en la matière est de fournir un certain nombre de briques d’infrastructure qui vont permettre d’outiller cette vision de plateforme.

Typiquement, je prends un exemple très concret : Si on laisse faire, comme c’était le cas jusqu’à peu, que chaque acteur aille de son site internet, de son portail, de son service, on va multiplier les logins mot de passe. Et donc, chaque élève ou professeur va avoir x mot de passe.

Eh bien, l’État, dans son rôle d’État plateforme va fixer une règle et fournir la grille d’infrastructure qui s’appelle ÉduConnect où chacun peut utiliser la brique de l’État pour authentifier telle personne…

A suivre ;

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