Retour d’expérience d’un DAF « atypique » : Frédéric MÉDARD, Chief Impact Officer du groupe BEL
Dans un monde où la durabilité et la responsabilité sociale deviennent des piliers de la gestion d’entreprise, Frédéric Médard incarne cette révolution avec l’opérationnalisation de démarches RSE. Rencontre avec le Chief Impact Officer du Groupe Bel, un pionnier d’une finance réinventée.
En tant que leader du pilotage de la performance financière et extra-financière, il incarne ainsi cette nouvelle génération de DAF qui réinventent la finance en la combinant avec des pratiques durables et responsables. Il montre que profitabilité et responsabilité peuvent coexister, et que cette combinaison est la clé du succès futur des entreprises.
Sylvie Nhansana: Frédéric, parlez-nous du groupe Bel et donnez-nous quelques chiffres ?
Frédéric Médard : Le groupe Bel est un groupe de 150 ans d’histoire, qui est né dans le Jura et qui fait partie des acteurs majeurs de l’agroalimentaire. Nous avons trois métiers : un métier historique qui est le métier du fromage avec des marques emblématiques comme Vache qui rit, Babybel, Kiri, Boursin, pour ne citer que les principales.
Nous avons un deuxième métier qui est le fruit, où nous avons des marques aussi iconiques que GoGosqueeZ aux États-Unis et Pom’Potes en France. Et on a ouvert un troisième métier plus récemment, il y a trois ou quatre ans, avec les métiers du végétal, du plant based et des protéines alternatives, qui va nous aider globalement à avoir quelque chose d’équilibré de plus en plus entre la protéine végétale et la protéine laitière, dans une approche d’équilibre par rapport à l’empreinte de la planète de notre portefeuille.
On opère dans une centaine de pays, avec une trentaine de pays avec des filiales en nom propre et sur le reste des pays, nous sommes sur un modèle export avec une distribution et des distributeurs qui sont historiquement attachés au groupe.
Nous avons une trentaine de sites de production répartis à travers le monde et près 10 800 collaborateurs, dont 4 000 en France.
C’est un groupe familial, je tiens à le préciser, et ce qui caractérise les groupes familiaux, souvent, c’est le temps long. Donc, c’est la cinquième génération qui est aux manettes.
Qu’est-ce qu’un Chief Impact Officer ?
Frédéric Médard : On a souvent tendance à dire qu’il n’y a plus de directeur financier chez Bel, ce qui est vrai puisque mon rôle va bien au-delà. En fait, il s’agit de marier la finance et la RSE. Alors, le Groupe Bel est engagé depuis très longtemps dans des démarches de responsabilité puisque nous avons rejoint le Pacte Global Compact des Nations Unies en 2003.
Cela fait plus de 20 ans et nous avons franchi toutes les étapes permettant l’opérationnalisation de démarche RSE. D’abord, en définissant une stratégie, en la mettant au cœur de la stratégie du groupe. Et puis, depuis maintenant cinq ou six ans, dans une accélération de l’opérationnalisation des stratégies et des démarches RSE. Et quand il s’agit d’opérationnaliser, il s’agit souvent de mesurer pour progresser.
Donc, il y avait un pari tenu par Antoine Fiévet, notre président. Ce sont deux choses : un, c’est de ne pas opposer la finance et la RSE. Et deuxième pari, d’aller combiner les savoir-faire. Et c’est vrai que l’on peut apporter un savoir-faire en finance à la RSE pour piloter la performance.
Donc c’est ce mariage entre finance et RSE qui est globalement derrière ce titre dont je suis assez fier de Chief Impact Officer.
En fait, le groupe Bel veut mettre en place un modèle d’entreprise qui fonctionne sur deux jambes : Profitabilité et Responsabilité. Nous croyons profondément que ces deux dimensions sont complémentaires et qu’elles s’alimentent. En fait, être profitable donne les marges de manœuvre pour pouvoir investir dans des démarches de responsabilité.
Et ces démarches de responsabilité, elles apportent une résilience au modèle économique. Et c’est ce qui est quand même intéressant pour les directeurs financiers, c’est la résilience du modèle. Et c’est aussi un facteur de compétitivité. Ça, on le voit de plus en plus. Donc il y a un vrai équilibre à trouver entre ces deux dimensions. Donc, c’est ça mon rôle.
Qu’est-ce qui vous a amené à devenir Chief Impact Officer chez Bel ?
Frédéric Médard : Alors, comment je suis arrivé à être très motivé pour prendre ce rôle-là, il y a quatre ans ? Je suis ingénieur de formation (Master of general engineering, Mechanics, Technology & Sciences – Arts et Métiers ParisTech – École Nationale Supérieure d’Arts et Métiers), et ça m’a appris au moins une chose, c’est que nous vivons dans un monde qui est fini. Et on touche cette notion de plus en plus tous les jours avec le fait que nous touchons de plus en plus les limites de la planète.
Donc je suis tombé dans la marmite finance juste après mes études. J’ai commencé dans l’audit comme beaucoup de directeurs financiers. Puis, j’ai eu un parcours dans des directions financières de grands groupes, dans des postes soit de finances opérationnelles, soit de finances corporate ou plus stratégiques, dans des secteurs d’activité différents comme les biens de grande consommation.
J’ai un long parcours en agroalimentaire (Danone), mais aussi en automobile (Valeo), dans la sidérurgie. Puis l’énergie (Vallourec) et enfin, juste avant de rejoindre Bel, dans le métier des logiciels (Dassault Systèmes). Et il y a six ans, on m’a proposé de rejoindre le groupe Bel, d’abord en tant que directeur financier, avec des prérogatives assez classiques puisque j’étais en charge du juridique, du fiscal, de l’informatique et de l’ensemble des aspects financiers.
Et au bout de deux ans, j’ai commencé à me poser la question de savoir quelle pouvait être l’étape d’après, pour moi, tout en ayant par ailleurs, de mon côté, des questionnements divers, d’abord issus du constat que je faisais que les référentiels financiers et comptables sont incomplets. Ils ne retranscrivent pas la valeur réelle de ce que nous extrayons de la nature, tout ce que nous mettons comme ingrédients dans nos recettes, parce qu’en fait, ils sont souvent valorisés par des coûts d’extraction et des coûts de transformation.
Donc, comme nous avons ce rôle de support à la prise de décision, on propose des recommandations qui sont quand même bâties sur des référentiels incomplets. Ça, c’est un constat que j’ai fait en 20 ans d’expérience.
Et je suis par ailleurs l’heureux papa de quatre filles qui m’ont beaucoup poussé ces dernières années à me demander quel impact je pouvais avoir par rapport à tout ce qu’elles entendent, notamment concernant l’urgence climatique
Elles sont de plus en plus soumises à une éco-anxiété, comme beaucoup de jeunes de leur génération. J’ai donc entrepris un cheminement de comment avoir un impact plus important que le pilotage limité des équations financières.
Et on m’a proposé ce pari un peu fou, exaltant, palpitant, extrêmement intéressant intellectuellement de bâtir une nouvelle façon de piloter la performance d’un groupe, d’aller combiner le financier et l’extra-financier. Et donc, c’est ce pari qui est derrière Chief Impact Officer.
Est-ce qu’il y a des différences entre le métier de directeur Impact et celui de directeur financier ?
Frédéric Médard : Alors, globalement, ce qu’il faut, c’est combiner les deux dimensions. En quoi c’est facile ou en quoi c’est compliqué ? Ce qui est facile, c’est que globalement, on va appliquer à peu près les mêmes recettes. En schématisant, un directeur financier va créer des moments de conversation pour faire parler les chiffres financiers. Il va structurer les données, créer des indicateurs, les solidifier, les diffuser à travers des reporting et créer ces moments d’animation, de conversations autour des chiffres.
On fait exactement la même chose pour l’extra-financier que ce soit le carbone, l’eau, l’aspect nutritionnel. Ce sont des recettes qui sont équivalentes. Je suis convaincu que l’on peut et que l’on doit animer la performance RSE avec le même niveau de savoir-faire, de focus et d’énergie que ce que l’on apporte dans l’animation de la performance financière. Il y a une vraie complémentarité à trouver.
Donc c’est assez similaire entre un métier de chief impact officer et un métier de directeur financier. Ce que je fais de façon différente, je le fais non pas sur une dimension, mais sur deux. Donc sur le financier et sur l’extra-financier. Ce que je fais aussi, c’est que j’essaie d’embarquer l’organisation en interne pour la sensibiliser, l’éduquer, et qu’elle puisse s’approprier et comprendre les indicateurs extra-financiers.
C’est faire en sorte que toutes les décisions prises chez Bel, le soient au prisme du financier d’un côté et de l’extra-financier de l’autre. En fait, il faut embarquer, éduquer toutes les strates de l’organisation. Et on a lancé un programme pour pouvoir effectivement sensibiliser, embarquer. Donc j’ai un rôle d’ambassadeur sur cette dimension extra-financière qui est forte.
Est-ce que tu peux nous citer des projets menés ?
Frédéric Médard : Alors je vais donner des exemples concrets parce qu’au démarrage, on s’est posé la question de savoir par quoi on allait commencer. Et on voulait absolument garantir, encore une fois que toutes les décisions au moins importantes étaient bien prises au prisme des deux dimensions. Qu’est-ce que l’on a fait ? C’est quoi les deux processus majeurs de prise de décision chez Bel ?
Ce sont les investissements, donc les Capex, et ce sont les innovations et rénovations de produits. C’est ce que nous avons fait. Nous avons mis en place une matrice d’évaluation de l’impact qui reprend tout une grande partie des indicateurs de notre stratégie, de la ferme à l’assiette et qui donne une note. Alors l’objectif, ce n’est pas la note pour la note.
L’objectif, c’est de faire en sorte que l’on ait une prise de conscience au démarrage du projet, de l’impact social, environnemental, sociétal du projet et que l’on va s’assurer qu’au fur et à mesure de la gestation, de l’idéation du projet, on vienne y trouver des idées pour améliorer cette note, quitte à intégrer dès le démarrage du projet, des investissements complémentaires quand il s’agit de Capex ou des compléments de recettes ou des changements de packaging quand il s’agit de produits finis.
On peut améliorer la pénibilité au travail, réduire la consommation en eau ou réduire la consommation en énergie. Et donc, en fait, on s’assure par ce processus qu’il y ait une évaluation financière et une évaluation extra-financière. Et on a rendu cela obligatoire depuis trois ans et ça fonctionne plutôt bien.
Puis, on s’est posé la question de savoir : comment être cohérent dans l’approche ? Donc c’est de faire en sorte qu’on aligne les éléments de rémunérations variables et donc on a inclus des indicateurs extra-financiers dans les éléments de bonus et dans les éléments long term incentive des managers du groupe.
Ensuite, on a une centaine d’indicateurs dans notre stratégie RSE. Est-ce que l’on peut animer une centaine d’indicateurs ? Bien sûr que non. En finance, on n’anime certainement pas 100 indicateurs. Donc on a réduit. On a choisi un nombre limité d’indicateurs qui ont pour vocation d’être animés sur des fréquentiels beaucoup plus courts ou plus rapprochés qu’une fois par an, comme c’était le cas précédemment à travers l’émission d’une DPEF et des indicateurs qui sont associés.
On s’est posé la question de savoir quels étaient les indicateurs majeurs. Et après, on structure une démarche pour solidifier des indicateurs, automatiser, diffuser et animer les processus pour faire parler les chiffres.
Un exemple : on a commencé par le carbone. On a créé un outil carbone. Ce qui est intéressant comme anecdote, c’est qu’on l’a fait en utilisant une méthodologie financière puisqu’on a dessiné ce qu’on appelle un standard, une empreinte standard carbone pour les produits. Je tenais beaucoup à ça parce que ça nous permet non seulement de mesurer l’empreinte carbone du passé, mais aussi de faire des prévisions. Et quand on fait des prévisions, c’est beaucoup plus facile d’embarquer l’écosystème interne, les managers, les décideurs sur ce que je peux faire pour améliorer mon impact sur mes prévisions.
Donc, on a été dans la capacité d’avoir un outil que l’on a solidifié et que l’on a diffusé, que l’on peut utiliser et qui nous permet derrière de créer des moments de conversation ad hoc. Et qu’est-ce qu’on a fait ? On a créé un budget carbone pour la première fois en 2022 et ça a été un gros succès.
On l’a fait avec les pays, ce qui nous a permis d’animer l’indicateur carbone. Et fort de ce succès-là, l’année suivante, on a fait un plan stratégique carbone. Chez Bel, on fait des plans stratégiques à cinq ans, ce qui nous permet de projeter comment nous voulons mettre en œuvre notre stratégie.
On l’a fait pour le carbone et ça a fonctionné. On l’a fait par marque, on l’a fait par pays, on l’a fait par plateforme technologique, industrielle. Ce qui a permis à l’ensemble des décideurs du groupe de s’approprier ces indicateurs, de voir quelles pouvaient être les modalités de plans d’action pour améliorer l’impact carbone du groupe. Ça a été un gros succès et donc l’année suivante, on a commencé à reproduire cela, à travers un nouveau processus budgétaire, non plus sur un, mais sur trois indicateurs : le carbone et deux autres.
Et même chose pour le plan stratégique. Ce sont des vrais leviers qui permettent de faire parler les chiffres, de les animer, de créer des moments de conversation autour de nouveaux indicateurs pour que l’ensemble des décideurs du groupe s’approprient ces indicateurs-là.
Dans la lignée – et je m’arrêterai parce que je peux en parler très longtemps – on a travaillé sur la financiarisation.
Quand on a des indicateurs extra-financiers, la meilleure façon de croiser une dimension financière et une dimension extra financière, c’est de financiariser l’indicateur. On a donné une valeur au carbone, ce qui nous a permis d’avoir notre résultat opérationnel courant avec et sans le coût de l’empreinte carbone embarqué par notre business model.
Cela nous permet d’avoir des discussions enrichies au niveau des investissements : Qu’est-ce que je peux gagner d’un point de vue gain additionnel si on valorise le carbone ? C’est un exemple. Et cela permet de faciliter les arbitrages en interne.
Pour donner d’autres exemples en dehors d’un champ d’animation de performance, il est extrêmement important d’être cohérent pour tout ce que tout ce que l’on fait. Cela passe pour les opérations de financement. Chez Bel, nous associons pour chaque opération de financement, quand c’est possible, des indicateurs extra-financiers qui nous engagent avec des objectifs associés à ces indicateurs financiers.
On a commencé en 2017. On était parmi les premiers au monde à le faire. On était la quatrième ou cinquième entreprise mondiale à le faire dans le cas d’un renouvellement d’une ligne de crédit. Et ça a été un gros succès. Depuis, à chaque fois que c’est possible, on reproduit des opérations.
Évidemment, on s’améliore année après année. On est passé de certifications avec des commissaires aux comptes à quelque chose de beaucoup plus robuste dans le cadre d’un Sustainability-Linked Financing Framework qui est certifié par Moody’s pour nous et qui nous permet d’associer à chaque opération ce référentiel et donc d’obtenir quelque chose de green d’un point de vue financement.
Pour finir sur une petite touche qui est plus opérationnelle. Plus récemment, on a mis en place un programme d’actionnariat salarié qui permet de toucher également la dimension S qui est importante (« We Share », plan mondial d’actionnariat salarié lancé en avril 2024 en France). La dimension sociale qui vise à être dans une approche de partage de la valeur avec l’ensemble des collaborateurs du groupe, qui va nous aussi nous permettre de changer les conversations en interne.
Parce que, tu l’as compris, ce qui est important dans tout cela, c’est de changer les conversations, et ne pas parler que de prix.
On voit vraiment les beaux projets que tu as menés depuis quatre ans. S’il y en a un que tu devais citer, dont tu es le plus fier ?
Frédéric Médard : Ce dont je suis le plus fier d’abord, c’est de pouvoir incarner en interne cette dimension duale entre finance et RSE. Au démarrage, il y a du questionnement. Comment on rapporte la finance à la RSE ou la RSE à la finance. En fait, ce n’était pas du tout ça. C’était vraiment d’aller chercher la combinaison gagnante en mettant les deux au même niveau et donc d’avoir pu incarner ça, c’est un vrai succès.
Et ce dont je suis très fier aussi, c’est de pouvoir démontrer que c’est possible. C’est possible d’animer une entreprise de façon différente, avec non pas qu’un seul axe qui est le financier, mais avec deux axes et d’avoir des succès. Et je dis ça parce que globalement, notre track record en terme de résultats financiers est vraiment bon.
Donc c’est important parce que si le résultat financier n’est pas là, le reste ne suivra pas, parce que c’est le financier qui finance le reste, évidemment. Et aussi, on a de très très bons résultats d’un point de vue environnemental, social et sociétal. On est reconnu pour cela sur la place. On a des prix, et d’ailleurs, l’année dernière, j’ai été très heureux de recevoir de mes ex-pairs – parce que encore une fois, je ne suis plus directeur financier – des prix donnés par DAF magazine ou par la DFCG sur le prix du directeur financier responsable.
Et plus récemment, on a reçu le prix Paulownia du C3G (Collège des directeurs de développement durable) qui montre bien que s’il y a un intérêt du côté des financiers, il y a aussi de l’intérêt du côté des directeurs de développement durable.
Et le dernier point que je mentionnerai, c’est cette fierté d’animer des équipes extraordinaires, motivées, déterminées elles-aussi à montrer que c’est possible.
On voit que c’est quand même une véritable transformation et que ça ne doit pas être facile tous les jours. Quels sont tes défis en tant que chief Impact officer sur ce nouveau métier ?
Frédéric Médard : Le premier défi, il est double. En fait, il est d’abord de gérer un temps long parce que lancer des démarches de responsabilité environnementale ou sociale ou sociétale, cela prend du temps. Cela prend du temps de faire bouger l’amont, ça prend du temps de faire bouger l’aval.
C’est du temps long et d’ailleurs, si on le projette sur nous, dans un environnement de l’agroalimentaire, il va falloir nourrir 10 milliards de personnes à l’horizon 2050. Et c’est impossible d’alimenter 10 milliards de personnes avec le système alimentaire actuel en respectant les limites de la planète. Donc il va falloir transitionner le système, œuvrer pour faire bouger les lignes et démontrer que l’on peut faire bouger le système alimentaire. Donc, c’est le temps long.
Et d’un autre côté, il faut piloter le temps court parce que l’horizon de temps pour la finance est plutôt court alors que l’horizon RSE est long. Donc il faut arriver à créer un lien, ponter et animer des temporalités différentes. Il faut globalement gérer des rapprochements des dimensions financières et extra-financières.
Cette espèce d’arbitrage permanent, c’est là où se trouve la valeur ajoutée du rôle de chief impact officer. Et c’est là où se trouvent aussi les défis permanents. Alors, il faut animer, mettre en place des processus d’animation, de performance, parce qu’il faut être aussi bon sur la RSE que sur la partie financière.
Je finirai en disant qu’il y a quatre qualités à remplir pour être un bon Chief Impact Officer.
D’abord, il faut avoir une vision claire. Il faut être capable de définir une vision et embarquer l’écosystème derrière. Il faut être dans l’exemplarité parce que si je ne parle que de finance ou que de RSE, je ne suis pas crédible. Il faut être dans la transparence parce que l’on est constamment amené à faire des arbitrages. Il faut donc assumer ses arbitrages en interne, les expliquer pour que les gens les comprennent bien, notamment auprès de mes équipes qui sont plutôt des activistes.
Il faut être dans la sincérité parce que si l’on n’est pas sincère, on n’embarque pas les équipes. Donc c’est cette combinaison-là qu’il faut trouver pour être dans une combinaison gagnante.
Comment embarquer les équipes ? Il y a la sincérité, la transparence, l’exemplarité. Est-ce qu’il y a d’autres clés aussi pour embarquer des directions qui sont peut-être un peu plus business ou orientées vers la performance ou la productivité ?
Frédéric Médard : Alors j’ai la chance d’être dans un groupe qui est globalement très engagé, quelles que soient les directions et les strates de l’organisation. Le facteur clé de succès, c’est effectivement de parler régulièrement autant de RSE que de finance, de célébrer les résultats et il y en a. Il faut célébrer, évidemment, et il faut sensibiliser et éduquer.
Et du coup, on a développé un programme qui s’appelle « I know, i act, I am an activist » qui vise globalement à toucher l’ensemble des collaborateurs du groupe pour les sensibiliser à ces notions notamment climatique pour la partie environnementale, qui embarque d’ailleurs le déploiement de la fresque du climat qui fonctionne très bien. C’est un super outil. Nous, on l’a fait de manière originale : on a intégré ce savoir-faire avec nos propres fresqueurs en interne avec l’agrément de la « Fresque du Climat » et donc on la déploie à travers le monde.
On l’a déjà déployé auprès de 4600 personnes sur base du volontariat. Donc c’est quand même assez extraordinaire comme résultat en deux ans et ça continue. Donc il faut trouver la bonne combinaison dans l’animation équilibrée entre finance et RSE à tous les étages, que ce soit au niveau du board, au niveau du Comex, au niveau des comités de direction de chaque fonction et en même temps, embarquer tous les collaborateurs.
Quelle est ta vision sur le long terme de ce métier pionnier ? Est-ce qu’il va être amené à se développer ?
Frédéric Médard : Je pense sincèrement que le pilotage d’une performance financière et extra-financière pour en faire qu’une, ce que nous appelons « globale » chez Bel, c’est le futur. C’est ma première conviction. La deuxième conviction, c’est que cette combinaison, c’est le futur de la finance et de la RSE.
Pourquoi le futur de la finance ? Parce que cela permet de compléter en fait les référentiels de prise de décision. Ça les a enrichis de données complémentaires. Cela apporte également une résilience au modèle économique. Je pense que demain, les entreprises qui vont vouloir être en croissance devront justifier de leur utilité, donc de leur impact positif pour l’écosystème et pour la planète.
Donc là, on parle de mesure de l’impact positif : impact positif veut dire résilience. Donc il y a un vrai intérêt pour les financiers, c’est d’aller chercher effectivement la résilience du modèle et quelque chose de beaucoup plus complet en termes de référentiels de prise de décision et en termes de sens.
Je ne crois pas que l’on va continuer à pouvoir attirer des talents en finance pour juste piloter le profit. Les jeunes générations ne se projettent pas du tout là-dedans. Et donc c’est une façon, en enrichissant le référentiel, de continuer à pouvoir attirer et retenir des talents.
Et pourquoi c’est le futur de la RSE ? Parce que ça met la RSE au cœur des prises de décision, au cœur des arbitrages du pilotage opérationnel et stratégique de l’entreprise. Ça, c’est un premier bénéfice. Et deuxième bénéfice, on amène le savoir-faire qui existe en finance, dans l’animation de la performance pour animer la performance RSE qui garantit le progrès des démarches RSE. Donc, c’est la combinaison gagnante.
Je suis convaincu que c’est le futur pour les deux directions.
Quels seraient tes conseils à des directeurs financiers pour mener ce changement à grande échelle ? Que chacun puisse dans son entreprise initier cette transformation ?
Frédéric Médard : D’abord, je veux être rassurant parce que nous, financiers ou ex-financiers, nous sommes crédibles et nous sommes pertinents dans l’animation de la performance. Je ne vois aucune difficulté pour que les financiers s’approprient un champ plus grand et viennent effectivement apporter un savoir-faire au service des dimensions environnementales, sociales et sociétales.
Donc, il y a une pertinence et une crédibilité. Il y a une évidence. Je pense que l’on touche de plus en plus les limites de la planète. Je pense que tous les directeurs financiers ou directrices financières sont, dans leur sphère personnelle, de plus en plus sollicités, questionnés. Et donc, la meilleure façon, c’est d’avoir un impact, c’est de se mettre en mouvement et de devenir quelque part des financiers activistes en prenant ces dimensions RSE à bras le corps et pas uniquement sur une dimension reporting.
Alors évidemment, aujourd’hui, dans le contexte CSRD, on parle beaucoup de reporting et il y a un savoir-faire en finance pour solidifier et mettre en place du reporting. Ça, c’est la première étape. Il faut aller aussi à la deuxième qui est le pilotage, qui est l’animation, la performance et c’est tout à fait possible.
Sylvie NHANSANA : Merci beaucoup pour ce partage Frédéric. C’est vraiment très inspirant. On voit que notre métier n’a pas fini d’évoluer et tant mieux. En tout cas, merci de nous montrer le chemin à travers cet échange. On voit que tu as démontré avec le groupe Bel qu’il était possible de transformer son modèle économique pour un modèle de performance responsable et durable qui permet de répondre aux défis planétaires qui nous concernent tous.
Propos recueillis par Sylvie NHANSANA, CFO & Partner de SERENA, et membre du Comité de Pilotage de l’Agora des Directeurs Financiers.