L’histoire du design de la mythique chaise Airborne
Maxime Lis : « Tous les objets qui nous entourent sont passés par le dessin de quelqu’un »
Dans ce rendez-vous de l’Agora des Directeurs financiers, Maxime Lis, designer, sculpteur et directeur artistique de la maison Airborne, revient sur son parcours singulier, ses inspirations et son approche du design. Une rencontre où il nous dévoile l’histoire du fauteuil iconique AA et sa vision d’un design responsable et intemporel.
À 32 ans, Maxime Lis, qui aime se définir « designer de l’essentiel », cumule déjà plus de dix ans d’expérience dans le secteur du design global, de la scénographie et de l’agencement. Après un double cursus : technicien supérieur (secteur bois) et designer industriel, il fonde dès ses 21 ans son propre atelier et s’auto-édite plutôt que d’emprunter le parcours classique de jeunes designers qui préfèrent collaborer avec des maisons d’édition et vivre de leurs royalties.
Après s’être initié aux côtés de designers et sculpteurs confirmés, puis avoir collaboré avec différentes marques et institutions, sa carrière prend un tournant significatif en septembre 2020, quand il présente son fauteuil B52 qui entre au Mobilier national ; et en 2022, quand il devient le directeur artistique d’Airborne, sept ans après avoir signé son premier contrat d’édition avec ce créateur de mobilier français.
En insufflant un nouveau souffle à cette marque, le designer bordelais contribue à réaffirmer le rôle central du design dans notre société. Son travail, à la croisée de l’esthétique, de la fonction et de l’éthique, ouvre de nouvelles perspectives pour l’avenir du mobilier.
Une fascination pour les objets et leur histoire
« J’ai toujours été fasciné par le concours Lépine, par tous les objets et le lien que les gens entretiennent avec eux. Quand on dessine, on sert la belle cause de l’évolution de la société. Si on aime les gens, on dessine pour eux, avec l’idée que nos créations pourront un jour se retrouver dans les musées. »
Un moment fondateur
« Avant même de parler de carrière, il y a toujours ce truc de la construction. En quatrième, je parlais beaucoup et une prof de français, madame Pollet, a vu en mon bavardage un potentiel.. Elle a dit à mes parents : « Il faudrait qu’il s’inscrive au théâtre. » Ça a été un moment fondateur extrêmement touchant. »
Des influences créatrices
« J’avais été sélectionné pour le concours Porcelain Coffee Cup de Limoges (création d’un ensemble de tasses de dégustation de café en porcelaine de Limoges ) et j’ai rencontré Christian Couty (professeur à École nationale supérieure d’art de Limoges), grand travailleur de la porcelaine de Limoges. Il m’a appris un enseignement hyper académique, précis dans le geste, au millimètre. Et d’un autre côté, je travaillais à Bordeaux avec Jean-François Bisson, un sculpteur un peu plus punk, qui m’a emmené sur des projets internationaux, notamment à Hong Kong où j’étais sa petite main. J’ai essayé de faire un équilibre entre les deux et de construire un studio dans une hygiène intermédiaire entre ces deux personnalités-là.
Et J’ai eu la chance de travailler sous la direction de Chafik Gasmi, directeur artistique de Baccarat et Lancôme. Je l’ai accompagné en tant que consultant extérieur, et il m’a énormément appris. Grâce à lui, j’ai pu acquérir une autonomie qui me permet aujourd’hui d’assumer la direction artistique d’une marque. »
Créer pour Airborne : entre héritage et manifeste
« Mon design trouve aujourd’hui une certaine légitimité parce que cela fait dix ans que je l’expérimente. En 2019, j’ai écrit un manifeste, L’Acte minimum, qui reprend des typologies de design et d’architecture, et en même temps, j’aborde de nouvelles façons de concevoir, avec une économie de matière et des créations à la fois ludiques et sensibles.
Il faut être curieux de cette grande histoire d’Airborne et en même temps réussir à injecter une fraîcheur, une attitude observatrice et curieuse, intégrer de nouveaux designers, envisager de nouvelles couleurs. Il ne s’agit pas d’une autorité mais d’une direction. Je vais apporter une suite logique en prenant en considération cette merveilleuse histoire, en essayant d’en écrire une nouvelle qui saura devenir une forme d’icône et qui arrivera à prolonger les époques. »
Airborne
Relancée en 2010 par Christine Pfeiffer et Patricia Lejeune, la maison Airborne s’est d’abord concentrée exclusivement sur le fauteuil AA. Depuis, elle a intégré de nouveaux designers, comme le Studio At-Once qui a créé une table basse « miss trèfle » entrée depuis au Mobilier Nationale ou la chaise à trois pieds de Maxime Lis, « qui était à la bonne distance avec le fauteuil puisqu’elle est travaillée en fils d’acier du même matériau, avec les mêmes machines, mais répond un autre type de besoins.»
L’histoire du AA : une icône intemporelle
«L’origine du fauteuil AA remonte au milieu du XIXᵉ siècle, avec un fauteuil en bois, un objet plutôt nomade, militaire anglo-saxon. Puis trois designers – Jorge Ferrari-Hardoy, Juan Kurchan et Antonio Bonnet – ont ensuite redessiné sa forme en acier. »
Le fauteuil d’abord nommé Silla BKF et qui entre au MOMA en 1944, sera reproduit successivement par Artek-Pascoe, la maison Knoll qui le renomme BKF Butterfly Chair, puis par Charles Bernard en 1951 pour Airborne, qui devient AA et la star de la société.
« C’est devenu un objet icônique, mais pas tout de suite : c’est avec le temps et à sa capacité à évoluer. Comme dans la mode, il va pouvoir se vêtir avec ses houses que l’on peut interchanger, et se nourrir des tendances, avec aussi un voilage pour l’été ou un cuir chaleureux pour l’hiver.
Le AA fait partie de la culture populaire parce qu’il a aussi beaucoup plu aux architectes de l’époque et contemporains. Donc, il a aussi intégré des projets magnifiques en architecture et c’est ce qui en a fait aussi une forme d’icône de son vivant. Et c’est parce qu’il a été copié qu’il est connu, et parce qu’il est connu qu’il a été copié. Le Figaro l’a même désigné comme le fauteuil le plus copié au monde.
Il a donc une intemporalité, qui est un grand fantasme dans le design de transmettre aux générations, parce qu’il plait et qu’il arrive à parler à beaucoup de monde.
L’idée, c’est de comprendre l’histoire d’Airborne. Comprendre l’histoire de ce fauteuil. Ne pas en faire une icône non plus, mais trouver des personnes qui vont pouvoir l’interpréter et le réinterpréter.
Comme l’a fait Jean-Charles de Castelbajac. J’imaginais que dans sa propre histoire, il pouvait peut-être avoir un lien avec le fauteuil. Peut-être qu’il s’était déjà assis dessus ? Qu’il y avait des correspondances avec les codes couleurs d’Airborne très marqués, le jaune et le rouge et les couleurs qu’il applique aussi ?
Et quand on s’est rencontré au Mobilier national, il a été tout de suite partant et ce projet lancé il y a deux ans a été une bonne intuition puisque Jean-Charles de Castelbajac a fait la une avec les tenues liturgiques lors de la réouverture de Notre-Dame.
Donc ce sont des intuitions de direction artistique qui ont été bonnes et un résultat qui est très juste parce que, dans son approche, on a un petit ange sur ce fauteuil qui ressemble à un papillon. Il y a quelque chose d’assez frais, de très intéressant et qui ne travestit pas l’image de ce fauteuil. Et en même temps qui permet de durer dans le temps.
Donc, on fait de nouvelles couleurs chaque saison, on vient un peu amener de nouveaux matériaux. On va travailler des cuirs végétaux. On va essayer de se calquer aussi sur les tendances contemporaines.
Et quand on va amener de nouveaux designers ou de nouveaux projets, il faut qu’il y ait encore une fois cette notion de bonne distance. Chaque objet a une aura. Il y a l’objet matériel et tout ce qui se passe autour de cet objet, qui est vide. Et il faut que ces vides-là puissent dialoguer ensemble et que les objets arrivent à communier ensemble.
Donc ce ne sera pas toujours du fil en acier. Ce sera peut-être du bois, de nouvelles matières, des nouveaux composites, des choses qui soient cohérentes avec les contraintes que l’on a aujourd’hui de recyclage, de durabilité. C’est de trouver l’équilibre dans tout ça.»
Propos recueillis par Julie Guénard, Général Manager de l’Agora des Directeurs Financiers.