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Comment se positionnent les médias par rapport aux réseaux sociaux ?

Alors que les réseaux sociaux redéfinissent les règles de la diffusion de l’information, instantanéité, fake news et influence, les médias traditionnels doivent encore et toujours se réinventer pour rester pertinents. Retour sur cet enjeu majeur abordé lors de l’émission de l’Agora des directeurs financiers, avec Martial You*, rédacteur en chef du service économie de RTL.

Julie Guénard : Comment les médias dits traditionnels s’adaptent-ils aujourd’hui pour rester pertinents face à l’instantanéité et l’influence des réseaux sociaux ?

Martial You : Face à cette concurrence, les médias traditionnels doivent répondre à une question existentielle : comment exister dans un monde où la rapidité semble primer sur la qualité ? L’actualité récente, avec l’annonce de Meta (Facebook, Instagram, WhatsApp) d’arrêter le financement du fact-checking via des agences comme l’AFP, illustre l’ampleur du défi. Cette décision pourrait aggraver la prolifération des fake news, mais elle offre aussi une opportunité pour les médias traditionnels : redevenir les garants de la fiabilité de l’information.

Cependant, cet enjeu est double. D’une part, il faut maintenir une rigueur journalistique irréprochable, en s’appuyant sur des signatures reconnues et des processus de vérification solides. D’autre part, il est impératif de rester compétitifs face à la vitesse de propagation des contenus sur les réseaux sociaux. C’est compliqué d’être à la fois très sérieux, de bien vérifier ses informations, et d’être rapide.

Avec l’arrivée de Donald Trump, Elon Musk et Mark Zuckerberg qui se range derrière leur vision renforcent leurs positions d’influence sur la scène médiatique et technologique et pourrait encore complexifier le tableau. Avec eux, c’est nitro plus glycérine. Les réseaux sociaux vont devenir des rouleaux compresseurs d’informations, de fake news, de biais cognitifs.

Pour relever ce défi, les médias traditionnels devront éviter la course à l’échalote. La vitesse ne doit pas primer sur la véracité. Cela nécessitera des moyens financiers conséquents pour s’entourer de gens qui savent de quoi ils parlent et qui peuvent valider ou invalider une information très vite.

Julie Guénard : Comment les médias doivent-ils s’adapter face à la gratuité et à la viralité des réseaux sociaux ?

Martial You : Le paradoxe, c’est que la gratuité des réseaux sociaux n’est qu’une illusion. Et cette idée de gratuité est remise en question par l’évolution de la réglementation, notamment en matière de protection des données personnelles, comme le montre le RGPD en Europe et des initiatives similaires dans le reste du monde. Ces régulations compliquent le modèle économique basé sur l’exploitation des données personnelles pour générer des revenus publicitaires ciblés.

Mais qu’il s’agisse des réseaux sociaux ou des médias traditionnels, le défi reste le même : comment monétiser ces nouveaux canaux de communication ? Historiquement, ces réseaux ont été perçus comme gratuits, ce qui a contribué à leur faible valorisation commerciale. De plus, nous manquons encore d’un modèle économique clair. Par exemple, nous savons précisément combien vaut une publicité de 30 secondes sur une chaîne de télévision pendant un match de football ou sur une station de radio comme RTL entre 7 h et 8 h. En revanche, il est beaucoup plus difficile d’évaluer la valeur d’un « vu » sur les réseaux sociaux.

L’avenir des médias dans leur ensemble, c’est d’aller vers beaucoup moins de flux. Le journal de 20 h est voué à disparaître quelque part, c’est-à-dire qu’aujourd’hui, les nouvelles générations ne suivent pas les flux et les émissions à l’heure où elles sont diffusées. Mais en replay ou en podcast. Donc nous sommes là sur une nouvelle cible, un nouveau marché qu’il faut adresser et dont on a pas forcément le modèle.

Pour les médias traditionnels, cette transformation s’apparente davantage à une diversification. Actuellement, qu’il s’agisse de TF1, RTL, Libération, Le Monde ou Le Parisien, la majorité des revenus publicitaires provient encore de leurs supports historiques, même si ces acteurs sont très actifs sur les réseaux sociaux. Pour l’instant, cette présence sur les plateformes numériques rapporte peu, mais elle est perçue comme un futur relais de croissance.

Alors les médias s’observent pour savoir comment certains arrivent à monétiser leurs contenus : abonnements, intégration de publicités au sein des programmes. Mais cela reste une chose un peu classique du marché publicitaire.

Et d’un autre côté, il y a effectivement des associations de médias traditionnels pour vendre leurs contenus auprès des réseaux sociaux et des GAFA. Il faut rappeler qu’il y a eu quand même un côté coucou chez les Google, Amazon, Facebook et autres qui ont capté le contenu éditorial de la plupart des grands médias sans verser un kopeck.

Donc c’est un bras de fer et ça avance progressivement mais c’est très compliqué, très long. 

Et paradoxalement, c’est un acteur comme Apple qui a contribué à changer les mentalités en habituant les utilisateurs à payer les applications via l’App Store. Cette évolution a ouvert la voie à l’idée de payer pour du contenu en ligne, comme des articles ou des abonnements numériques. Ce modèle est en train de s’imposer et, à terme, un modèle économique viable émergera, permettant une rémunération équitable pour tous les acteurs du secteur.

Face aux fake news qui prolifèrent sur les réseaux sociaux, quelle stratégie avez-vous mis en place pour préserver votre crédibilité ?

Martial You : C’est la raison d’être et la seule solution pour les médias traditionnels de rester vivants. Le système de vérification de l’information que X ou Meta mettent en place repose sur une logique communautaire. Cela se traduit, par exemple, par des messages apparaissant sous certains posts pour indiquer qu’ils servent à des fins de dropshipping ou autres. Cependant, ce mécanisme repose sur l’auto-correction de la communauté et ne constitue en aucun cas un travail journalistique rigoureux.

Pour les médias traditionnels, l’enjeu de leur survie réside précisément dans leur capacité à garantir une information fiable. Une radio comme France Info, par exemple, insiste sur la notion de « vraie info », pas seulement de l’information brute. Cela signifie que, lorsque vous les écoutez, vous pouvez être sûr que l’information a été vérifiée.

Ce défi est complexe, car les médias se trouvent pris entre deux impératifs contradictoires de la culture journalistique : d’une part, le temps nécessaire à la vérification des faits, et d’autre part, la rapidité de diffusion de l’information. L’essence même du journalisme est de transmettre l’information le plus vite possible, idéalement avant les autres, dans un esprit de compétition. Mais pour garantir la fiabilité, il faut investir dans des moyens financiers conséquents, ce qui est difficile dans un contexte où l’économie des médias est fragilisée et confrontée à une concurrence accrue.

Il devient alors indispensable d’accepter un certain retard dans la diffusion, pour éviter d’être emporté par la course de vitesse qui alimente parfois la propagation de fausses informations. Ce compromis est délicat, mais il est nécessaire. Les journalistes eux-mêmes doivent s’éduquer en permanence à ces nouvelles exigences, bien au-delà de ce que fait le citoyen moyen – et heureusement, car c’est leur rôle.

Un exemple marquant illustre cette vigilance : la vidéo virale d’Emmanuel Macron, vêtu de gants de boxe, s’exerçant avant les JO et encourageant la France. Le premier réflexe des journalistes, en voyant cette vidéo, n’a pas été de la commenter immédiatement, mais de se demander si elle était authentique ou s’il s’agissait d’un deepfake. La rédaction a donc pris quelques secondes pour contacter l’Élysée et confirmer que cette vidéo était bien validée. Ce n’est qu’après cette vérification que l’équipe a pu se permettre de l’analyser et de s’amuser à la commenter.

Est-ce une bonne stratégie à long terme de prendre ce temps de vérification ?

Martial You : Idéalement, cette stratégie devrait être guidée par une analyse froide et rationnelle. Mais la réalité quotidienne d’un média, c’est qu’il doit être rentable immédiatement, générer de l’audience et monétiser cette audience sans délai. Il y a donc une tension constante entre l’investissement dans le long terme et les impératifs financiers à court terme, un dilemme que toutes les entreprises rencontrent : comment allouer des ressources pour le futur sans compromettre les besoins immédiats ?

Comment les entreprises peuvent-elles protéger et renforcer leur image face à l’impact de la viralité sur les réseaux sociaux ?

Martial You : Les entreprises doivent apprendre à mieux communiquer. C’est souvent un point faible, car l’objectif premier d’un directeur de la communication est généralement de promouvoir l’entreprise, et non d’informer. Cette différence peut créer des malentendus, voire des bad buzz, surtout si la communication est mal gérée en cas de crise.

La clé réside dans une communication construite sur la durée, qui établit une relation de confiance avec les médias. Une entreprise qui entretient un dialogue régulier avec les journalistes sera mieux préparée à gérer une crise, car elle disposera déjà d’une crédibilité et d’une visibilité médiatique. En revanche, celles qui évitent la presse jusqu’au jour où elles n’ont plus le choix se retrouvent souvent en position de faiblesse.

On a vu des exemples marquants, comme Michelin, qui à une époque fermait ses portes aux journalistes. Le jour où l’entreprise a fait face à un problème, ils avaient une presse qui n’était pas contre eux mais qui ne les connaissait pas et qui ne pouvait pas leur donner la parole de façon simple et rapide. Et vous aviez pareil avec Lactalis, enfermée à Laval, ne parlant à personne. Donc lorsque vous fuyez la presse, il y a un moment où vous allez être mis à mal. 

C’est pourquoi il est essentiel d’apprendre à communiquer efficacement. Aujourd’hui, les nouveaux médias et supports numériques offrent des opportunités de créer du contenu pertinent, qui dépasse le simple cadre de la communication corporate.

Lors de mes échanges avec des dirigeants, je leur explique souvent que l’objectif d’une interview n’est pas de les piéger, mais de mettre en avant leur expertise, de parler de leur secteur d’activité et, pourquoi pas, d’aborder des sujets plus larges. Cela permet à tous – y compris à l’entreprise – d’apprendre et de valoriser son savoir-faire.

Comment voyez-vous les médias traditionnels dans cinq ou dix ans ?

Martial You : Les médias traditionnels évolueront pour devenir des plateformes, et cette transformation est déjà en cours. Prenons l’exemple de la plateforme M6+ que je connais le mieux : elle propose aujourd’hui un catalogue comprenant des séries, des reportages, de l’information, mais aussi les podcasts de RTL, car ces deux entités appartiennent au même groupe.

L’avenir des médias traditionnels repose sur la construction d’une marque forte et reconnue, capable de fédérer un large public tout en offrant une diversité de contenus et de supports. Cette stratégie permet non seulement d’enrichir l’offre éditoriale, mais aussi de monétiser des contenus complémentaires.

Par exemple, une discussion comme la nôtre aurait peu de chances d’être diffusée directement sur M6. Pourtant, elle trouverait parfaitement sa place sur une plateforme numérique, car elle peut toucher une audience spécifique et engagée. C’est précisément cette capacité à cibler des publics de niche, avec une forte valeur ajoutée, qui constitue la grande force des plateformes. Tous les médias évoluent vers ce modèle hybride, où une marque regroupera une multitude de propositions adaptées à différents segments de public, maximisant ainsi leur portée et leur rentabilité.

* La BIO

Ancien d’Europe 1, de BFM et de Radio France, Martial You dirige aujourd’hui le service Économie-Social-Éducation de RTL depuis 2014. Chaque matin, à 6h50, il y décrypte l’actualité dans « L’Éco & You ». Sur M6, il intervient également comme expert dans le journal de la rédaction de 19h45 et dans l’émission Capital.

Il est également auteur d’essais avec « Christine Lagarde – Serre les dents et souris », « Subprimes, la faillite mondiale ? Cette crise financière qui va changer votre vie » co-écrit avec Philippe Waechter, « Et si la crise sanitaire était une chance ? » ou encore en 2023 « Les années 70 sont de retour » dans lequel avec humour et au travers de multiples anecdotes, il retrace les parallèles entre ces années et notre époque, révélant les cycles de l’histoire et les défis qui perdurent.

Les années 70 sont de retour de Martial You (Edition Fayard)
Les années 70 sont de retour de Martial You (Edition Fayard)

Propos recueillis par Julie Guénard, Général Manager de l’Agora des Directeurs Financiers.

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