Responsabilité pénale du Directeur Sécurité : quelle prévention des risques pénaux et éthiques ?
Retex de Caroline DIOT, Avocat Associée, Expert en Protection des Entreprises & Intelligence Economique chez FIDAL.
Evaluer son risque pénal s’avère une tâche particulièrement épineuse pour un Directeur Sécurité dont le champ d’action est multiple et parfois international. Cette évaluation est pourtant essentielle afin qu’il puisse bien définir sa délégation de pouvoirs effective et efficace au sein de l’entreprise, et afin d’anticiper les conséquences d’une potentielle mise en cause.
Le premier pan de responsabilité d’un directeur sécurité est ce qu’il fait à titre personnel explique Caroline Diot. On l’a vu dans les affaires LVMH ou Renault. Il peut être responsable par deux biais : parce qu’il a commis, dans le cadre de ses fonctions, une infraction pénale en son propre nom. Puis aussi, parce qu’il a reçu une délégation de pouvoirs du dirigeant. On est alors sur une matière dans laquelle il est ainsi engagé à titre personnel et dans laquelle il peut être amener aussi à engager l’entreprise à travers son activité.
Pour qualifier la responsabilité pénale de l’entreprise, le juge va devoir trouver quelle est la personne identifiée dans l’entreprise qui engageait la responsabilité pénale de l’entreprise. Et les juges, pour cela, s’appuient sur la délégation de pouvoirs.
Alors, dans cette société, où la pénalisation de la vie va croissante, avec des organisations complexes, on voit que le juge a tendance à considérer que s’il n’y a pas de délégation de pouvoirs écrite, l’entreprise est mal organisée. Et que, du coup, la responsabilité va porter sur l’entreprise et sur le dirigeant.
Mais s’il n’y a pas de délégation de pouvoirs écrite, la responsabilité du directeur sécurité peut repartir sur sa fiche de fonction, son contrat de travail… On voit parfois dans une instruction que les juges regardent de manière très concrète les bulletins de salaire, les éléments dans la convention collective, les fiches fonctions et posent des questions à des témoins pour savoir si le directeur sécurité avait des moyens de réaliser sa mission.
La délégation de pouvoirs a en effet trois conditions : le délégataire doit avoir la compétence, l’autorité sur son champ de responsabilité et des pouvoirs de sanction sur ses collaborateurs. Et enfin, les moyens nécessaires. En tout cas, celui qui n’aurait pas les moyens de mener à bien sa mission, pourrait tout à fait contester sa délégation de pouvoirs poursuit Caroline DIOT.
Au regard de ces conditions, et c’est un conseil que l’on donne souvent aux directeurs de la sécurité, c’est d’avoir une délégation de pouvoirs bien formalisée. Et de bien avoir les trois conditions nécessaires, compétence, autorité et moyens, pour mener à bien cette délégation…
Ce que je dis souvent à mes clients, c’est d’essayer de cartographier les risques pénaux comme un modèle pestel, une technique finalement qu’on adapte très facilement dans des audits sûreté. Et de se dire, bon ! En termes de politique, qu’est-ce que je peux faire et ne pas faire. qu’est-ce qui est dans mon scope et en dehors.
Donc, avoir une bonne cartographie des risques pénaux. On sait que l’on ne peut pas faire de corruption, de financement du terrorisme. On sait qu’en termes de droit social, je dois assurer l’intégrité physique des collaborateurs… et avoir des plans de préventions des risques (santé, professionnels, environnementaux, cyber, éthique), ou encore s’assurer sur le droit d’alerte et le droit de retrait…
Une fois que l’on a bien identifié ces risques, il faut s’assurer des dispositifs de maîtrise des risques. Sont-ils suffisants, efficaces, sus et connus de tous ? Et à partir de là, hiérarchiser ses priorités et faire un plan d’action (gouvernance et subdélégations de pouvoir)…
Le directeur sûreté aujourd’hui doit travailler en bonne synergie avec les directions RH et juridique, avec les opérationnels, avec les autres directions et près de la direction générale pour avoir cette vision transverse et agile qui lui permet de remplir pleinement ses fonctions, dans le respect des règles et sans tomber dans des pièges qui le mettraient finalement en grande difficulté tout seul.
Quand vous dites à des clients qu’il va falloir cartographier les risques, travailler sur le chaînage de délégations, cela ne les fait pas rêver. Pour autant, ceux qui ont déjà eu des problèmes en matière pénale, ceux qui se sont retrouvés devant le tribunal correctionnel, comprennent très vite l’intérêt d’avoir fait ce travail en amont. Donc il faut trouver la bonne méthode qui rassemble les avantages et les inconvénients, que ce soit cohérent en termes de coût. C’est un travail d’amélioration continue : les délégations de pouvoirs, parfois, on les refait et on les refait.
Enfin, ce qui est très important aussi, c’est l’archivage. Parce qu’il y a le temps de la vraie vie, du business qui est le vôtre et puis il y a le temps de la vie judiciaire. Nous ne sommes pas sur le même fuseau horaire. On est susceptible de vous demander aujourd’hui par exemple la délégation de pouvoirs que vous aviez il y a dix ans…
A suivre en vidéo : Les affaires.
LVMH (trafic d’influence) – Faux espions chez Renault (détournement de fonds) – EDF et Greenpeace (piratage informatique de Greenpeace). Affaires d’état : Lafarge et le financement de l’Etat islamique. Alstom – USA : le FBI et Frédéric Pierucci – Japon : Renault – Carlos Ghosn.
Propos recueillis par Virginie Cadieu, Directrice du pôle Sécurité-Sûreté d’Agora Managers Groupe