Le partage des compétences entre les forces de l’État et la sécurité privée : Vers une vision stratégique à long terme ?
Coupe du monde de rugby 2023, JO 2024, la France en sécurité ? L’objectif est clair selon Olivier-Pierre de MAZIERES, Préfet, Délégué ministériel aux partenariats aux stratégies et aux innovations de sécurité : toujours mieux coordonner les actions pour une sécurité globale, réaliser une coproduction de sécurité à la française et accélérer la professionnalisation du secteur de la sécurité privée.
Le ministère de l’Intérieur indique ici poursuivre son engagement auprès des acteurs du continuum, entreprises et professionnels de sécurité privée, au travers divers actions ; de la LOPMI à la Convention de coopération, du Conseil d’orientation stratégique de la sécurité privée au Comité Stratégique de Filière « Industries de sécurité ».
Quels sont les sujets actuellement traités par la Délégation ministérielle aux partenariats aux stratégies et aux innovations de sécurité ?
Olivier–Pierre de Mazières : L’actu du moment, et de ces derniers mois, est la montée en gamme et la professionnalisation du secteur de la sécurité privée qui incombent en partie aux pouvoirs publics. Avec notamment la loi du 25 mai 2021 dite Loi pour une sécurité globale qui a défini un cadre préservant les libertés et les responsabilités qui sont aussi celles de la branche de la prévention sécurité et des différents acteurs qui la composent.
Il y a aussi une actualité plus événementielle qui nous occupe beaucoup, c’est-à-dire la préparation évidemment des Jeux Olympiques où la sécurité privée va jouer un rôle fondamental en tant qu’acteur du continuum.
Et l’idée, c’est de se servir des JO pour accélérer la montée en gamme de la sécurité privée.
La Coupe du monde de rugby est-elle un premier objectif pour être fin prêt en 2024 ?
Olivier–Pierre de Mazières : Bien entendu, c’est une piste d’essai de luxe sur une épreuve qui est très importante mais qui reste quand même beaucoup plus simple dans son organisation que les JO.
Cela ne veut pas dire que c’est facile mais il va déjà devoir démontrer sur le terrain, le partenariat entre police, gendarmerie, police municipale et acteurs de la sécurité privée.
Quels sont justement ces échanges entre l’État et la sécurité privée ?
Olivier–Pierre de Mazières : Il y a des discussions entre l’État et la branche et puis il y a des discussions à l’intérieur de la branche. Parce que, qui dit branches professionnelles dit gestions paritaires et donc, il y a des sujets qui peuvent être traités entre ces acteurs-là.
Pour parler de l’État, il y a évidemment des échanges constants qui sont aujourd’hui menés notamment avec les grandes organisations représentatives que sont le Groupement des Entreprises de Sécurité, le Cesa, l’ADMS et le GPMSE pour s’assurer d’une mobilisation des forces qui soit à la hauteur des besoins pour la Coupe du monde de rugby et pour les Jeux Olympiques.
Cela se traduit par un certain nombre d’engagements réciproques avec des efforts qui ont été faits par l’État :
un titre à finalité professionnelle de sécurité événementielle.
Un financement public pour ce que l’on appelle le maintien et l’actualisation des compétences ; c’est la formation continue, la remise à niveau tous les cinq ans des agents de sécurité privés, etc.
Donc il y a des sujets de ce type là et une mobilisation aussi pour élargir « le vivier » des personnes que l’on pourrait recruter au titre de la sécurité privée : soit des personnes qui sont aujourd’hui en recherche d’emploi ; soit des personnes étudiantes, de formation de type scolaire ou d’enseignement supérieur.
Et puis je le disais, il y a des sujets très importants qui doivent être gérés par la branche elle-même et notamment les négociations salariales qui reprennent lundi et qui sont évidemment un élément important au même titre que la requalification de la grille des métiers-repères, salaires, parcours de carrière, qui doivent permettre d’améliorer l’attractivité de ce métier et le recrutement dont on a besoin.
Qu’en est-il de la Convention de coopération entre les acteurs des organisations professionnelles de la sécurité privée et l’État ?
Olivier–Pierre de Mazières : Cette convention très importante a été cosignée par le ministre de l’Intérieur représenté par le Secrétaire d’État, Laurent Nuñez et le GES et le CDSE du côté des donneurs d’ordre.
Aujourd’hui, on a 80 départements dans lesquels des référents issus de la sécurité privée ont été désignés. Ils sont identifiés par les préfets et par les forces de sécurité et ils sont associés à un certain nombre de dispositifs d’ordre publique, d’échanges d’informations à la fois descendantes et remontantes.
Descendante parce que cela peut être l’occasion d’informer l’écosystème de la sécurité privée de menaces particulières, de secteurs particulièrement touchés par la délinquance. Mais cela peut aussi être l’occasion d’informations ascendantes. Les agents de sécurité privée ont cette particularité d’être au plus près du terrain et souvent, cela va être eux ou les policiers municipaux qui vont être les primo-vigilants, les premiers à repérer des comportements suspects sur de la délinquance traditionnelle ou de la radicalisation.
Donc les échanges se font dans les deux sens et donnent plutôt satisfaction. Mais j’ai envie de dire que l’on peut faire mieux et qu’il y a probablement encore des efforts à faire pour dynamiser cette convention notamment en faisant en sorte que le référent local s’adresse ou rayonne auprès de l’ensemble de l’écosystème de la sécurité privée qu’il est censé représenter.
Aujourd’hui, cela reste encore très ciblé sur la surveillance humaine – ce n’est pas illégitime – mais il faut aller plus loin puisque l’on sait aujourd’hui, que les métiers de la sécurité, même si 75% ça reste de la surveillance humaine, ce sont aussi de la surveillance électronique, des métiers spécialisés, de la protection rapprochée ou autres.
Du caractère plutôt positif de la mise en œuvre de la convention, cela l’a été au moment de la crise sanitaire où nous avons été confrontés à des situations de tension relativement importante au moment de la distribution des minima sociaux, avec des regroupements de population, de menace à l’ordre public sur certaines agences bancaires en début de mois. Et évidemment, les préfets ont géré cela en lien avec le réseau bancaire, mobilisant à la fois les forces de police et de gendarmerie, à la fois les polices municipales mais aussi les sociétés de sécurité privée qui étaient employées par les banques.
Donc l’ensemble a été intégré dans un dispositif global pour que les choses se passent bien et de fait, elles se sont bien passées.
C’est une première marche pour renforcer le continuum, il faut aller plus loin : une meilleure communication et surtout intégrer encore davantage d’acteurs.
Est-ce que l’on peut revenir sur les sujets organisationnels prévus dans la LOPMI, la loi d’orientation et de programmation du ministère de l’Intérieur ?
Olivier–Pierre de Mazières : Je ne sais pas si vous avez eu la curiosité de lire le rapport annexé au projet de la LOPMI. Il prévoit notamment la création d’une direction des partenariats de sécurité. Il prévoit du côté du continuum des moyens, c’est-à-dire le travail avec les industriels de la sécurité ; des expérimentations communes entre les forces de sécurité et les industriels sur un certain nombre de solutions technologiques qui permettraient d’économiser l’empreinte RH, comme on dit dans le jargon des forces.
Sur les JO, la LOPMI veut le faire par exemple sur un autre projet ambitieux qui est celui des frontières dites intelligentes. C’est-à-dire du contrôle des frontières et de l’accès à notre territoire.
Donc, là aussi, un travail qui devra être mené avec les industriels de la sécurité et les forces de l’ordre pour retenir les technologies les plus performantes, les plus interopérables, les plus cybersécurisées, les plus robustes.
J’en rajouterai un autre qui n’est pas dans la LOPMI, c’est la création du Conseil d’orientation stratégique de la sécurité privée qui est le complément naturel de la réforme du CNAPS et du resserrement du CNAPS sur ses missions de contrôle.
C’est aussi quelque chose qui devrait aboutir en même temps que la direction des partenariats de sécurité.
Concernant la Coupe du monde de rugby 2023 et les jeux en 2024, comment avancent les partenariats avec les acteurs privés ?
Olivier–Pierre de Mazières : On doit marcher sur deux jambes : la première, c’est la mobilisation de ressources humaines qui vont être nécessaires pour assurer la sécurisation des sites. Il y a la police et la gendarmerie, les polices municipales mais fondamentalement, la sécurité privée va avoir un rôle important à jouer.
On estime les besoins autour de 22 000 pour les seuls sites olympiques, à 30 000 si on a une vision plus globale en incluant les axes de transport, etc.
Il faut donc arriver à mobiliser cette ressource sans déshabiller Pierre pour habiller Paul. C’est-à-dire sans vider les activités traditionnelles de la sécurité privée…
C’est le premier effort que l’on mène en lien avec la DIJOP (La Délégation interministérielle aux jeux olympiques et paralympiques), avec le ministère du Travail. Le ministre a réuni d’ailleurs l’ensemble des représentants de la profession et notamment le GES, le 19 juillet dernier, pour appeler l’attention des partenaires sur ces sujets-là, pour annoncer les efforts que faisait l’État – le titre événementiel par exemple, pour faciliter l’embauche d’agents de sécurité avec une formation limitée qui pourraient être affectés à la sécurisation des sites, sans avoir à suivre le cursus plus complet, plus long et plus exigeant des agents de sécurité privée.
Je parle aussi du financement public du maintien de l’actualisation des compétences. Il y a un certain nombre d’autres initiatives qui sont prises et on travaille encore une fois sur le vivier pour renforcer l’attractivité de ce métier.
Je le redis : une partie de la balle est malgré tout dans le camp de la branche. Je parle de rémunérations, de la requalification des métiers repères et j’ajouterai la communication.
Je suis très frappé dans les interventions ou les échanges que je peux avoir, d’une image encore très archaïque de la sécurité privée. Par le grand public et parfois même par des gens qui sont autorisés en termes d’information.
Je crois qu’il y a un gros travail à faire de ce côté-là pour rendre compte de la diversité de ses métiers, de leur richesse, de leur potentiel énorme dans l’avenir.
Parce que, s’il y a une chose dont on est sûr, c’est que les besoins en termes de sécurité ne vont pas décroître dans les années qui viennent : la situation internationale le démontre amplement et pas que.
C’est évidemment un secteur extrêmement attractif à la fois pour des personnes qui ne sont pas nécessairement diplômés mais aussi pour des emplois d’encadrements intermédiaires et supérieurs sur lesquels nous sommes en déficit.
C’est un secteur très attractif à condition que le déroulement de carrière soit organisé, affiché et qu’il propose des perspectives d’évolution.
Comment trouver ces 30 000 agents pour les JO ?
Olivier–Pierre de Mazières : Si l’on part du principe que l’on considère que 300 000 personnes ont été titulaires d’une carte professionnelle d’agent de sécurité privée, et qu’aujourd’hui, 180 000 exercent dans cette profession, on peut estimer qu’il est possible et envisageable d’en recruter 30 000 supplémentaires.
Je ne dis pas que ce sera facile, cela va être compliqué et il va falloir que tout le monde se mobilise. En tout cas, c’est vraiment la logique dans laquelle on est aujourd’hui et c’est ce qui nous occupe 24 heures sur 24.
Sur la sécurité technologique et électronique des JO, des nouveautés vont-elles apparaître ?
Olivier–Pierre de Mazières : Oui. Nous travaillons depuis un an maintenant sur des expérimentations technologiques pour les grands événements et singulièrement pour les Jeux Olympiques. Il y a un travail très important qui a été fait d’abord en interne au ministère de l’Intérieur pour déterminer les besoins opérationnels majeurs des forces dans la perspective de ces événements ; des besoins qui peuvent portés sur le renforcement des centres de commandement et des capacités d’hypervision, sur la cybersécurité, sur la lutte anti-drones et sur la sécurité nautique, etc.
Et à partir du moment où ces besoins ont bien été identifiés, nous avons travaillé conjointement avec le Comité Stratégique de Filière « Industries de sécurité » pour identifier des solutions technologiques en mesure de répondre à ces besoins.
Et depuis le mois de mars dernier, nous expérimentons en conditions réelles et en laboratoire, de manière à pouvoir sélectionner celles qui répondent le mieux aux besoins et qui sont les plus efficaces.
Je ne veux pas doucher l’enthousiasme mais il n’y aura pas non plus de technologies de rupture parce qu’on n’a plus le temps de faire des prototypes dans la perspective des Jeux.
Donc il faut vraiment s’attacher d’une part, à des solutions robustes, éprouvées, fiables, et d’autre part, à ce qu’elles soient conformes au droit positif.
Il ne s’agit pas d’aller tester des choses que l’on ne pourra pas mettre en œuvre parce que le droit nous l’interdit.
Donc, ce sont deux cadres assez importants.
Sachez aussi que nous avons prévu d’expérimenter près de 175 solutions technologiques sur les différents champs du programme sur près de 500 proposées par les industriels.
Ce premier tri est en cours d’expérimentation – certaines solutions sont achevées d’ailleurs. Donc, on a déjà pu en tirer un certain nombre de conclusions en termes de besoins d’acquisitions et notamment de budget pour les achats.
C’est un travail qui va se poursuivre jusqu’à fin 2022 et qui se fait en très étroite coopération avec les industries de la sécurité, puisque c’est un des programmes d’actions, de ce que l’on appelle « le contrat de filière ».
Parmi ces solutions, nombreuses sont-elles françaises ?
Olivier–Pierre de Mazières : Alors « le contrat de filière » fixe des impératifs dans ce domaine puisqu’il prévoit que 80 % au moins des solutions doivent être françaises et que 30% doivent émaner de start-ups ou de PME.
Je ne vais pas trahir de secret mais aujourd’hui, on est bien au-delà de ces deux chiffres.
Toujours concernant les J.O, serons-nous prêts en matière cyber pour répondre aux attaques.
Olivier–Pierre de Mazières : Trois choses : d’abord, il y a le caractère exponentiel de la menace cyber. Il y en aura plus qu’à Tokyo. Ces risques ne s’adressent pas simplement aux sites de compétitions ou aux sites olympiques. Elles vont viser tout le pays puisque la France va être la vitrine du monde pendant quelques semaines.
Cela peut évidemment donner des envies d’attaque soit de la part des cyber-délinquants soit par des États hostiles qui cherchent la déstabilisation. Ces choses-là sont évidemment prises en compte à très haut niveau et c’est l’Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information (ANSSI) qui le gère au niveau national.
La sécurisation des installations et des infrastructures olympiques relève du COJO (Comité d’organisation des Jeux Olympiques et Paralympiques) et les entreprises prestataires ont déjà été sélectionnées.
Puis, nous avons au ministère de l’Intérieur un sujet qui est double : il y a d’abord la défense du ministère de l’Intérieur en tant que tel, ce qu’on appelle la cyberdéfense, le château fort en quelque sorte et éviter que l’on passe au-dessus ou en dessous des murailles.
Il y a donc une grosse mobilisation de la direction du numérique, de ce que l’on appelle le Service du haut fonctionnaire de défense (SHFD).
Et il y a le sujet de la cybersécurité des forces de police et de gendarmerie qui vont intervenir sur le terrain parce qu’aujourd’hui la nouvelle menace des cyberattaques est non seulement sur des installations fixes mais aussi sur le cyber détournement d’objets mobiles, IoT ou internet des objets.
Nous avons donc un énorme volet de cybersécurité dans ce cadre-là : sur la vingtaine de millions que l’on dépense pour mener les expérimentations, on a plus de 3 millions qui sont exclusivement sur le volet cyber.
Avec les centres de commandement, ce sont les deux axes sur lesquels nous sommes le plus engagés aujourd’hui.
La cérémonie d’ouverture des Jeux Olympiques se déroule sur 6 km le long de la Seine avec 600 000 personnes attendues. C’est un gros challenge qui fait peur à bon nombre de personnes. Est-ce que là-dessus, on peut être rassuré ?
Olivier–Pierre de Mazières : D’abord, c’est une opportunité formidable avant d’être une menace ou une source d’angoisse. Cela promet d’être une cérémonie d’ouverture que le monde entier admirera puisque ce sera la première fois que l’on aura une cérémonie d’ouverture en dehors d’un stade.
Donc déjà, il faut s’en réjouir. Ensuite, effectivement, il faut assurer la sécurité. C’est le préfet de police de Paris, Laurent Nuñez, nouvellement nommé, qui est en charge de ce dossier et je ne veux évidemment pas empiéter sur ses prérogatives.
Ce que je peux vous dire, c’est qu’il y a une mobilisation extrêmement forte à tous les niveaux pour assurer la sécurité de cet événement et que les technologies que nous sommes en train d’expérimenter sont faites en relation étroite avec les services de la Préfecture de police ; sur la sécurisation des épreuves comme sur la sécurisation de la cérémonie d’ouverture.
Avez-vous fait une remontée d’expérience avec les autorités britanniques, sur la sécurisation des funérailles de la reine Elizabeth II ?
Olivier–Pierre de Mazières : Oui. Il y a une coopération européenne sur les sujets de police et de sécurité qui est extrêmement développée. Quand je dis européenne, ce n’est pas simplement dans le cadre de l’Union européenne ; cela peut associer d’autres États dont évidemment le Royaume-Uni.
Cette coopération est organisée par chaque service avec son homologue : la DGPN (Direction générale de la Police) va dialoguer avec Scotland Yard, la DGSI va dialoguer avec le MI6, etc.
Donc, il y a des échanges évidemment étroits entre les forces.
Propos recueillis par Alexandre Carré, Directeur de la rédaction ANews Sécurité