SÉCURITÉ - SÛRETÉ

Sécuriser un site symbolique et touristique : la Tour Eiffel

Sébastien Duquenne

Comment protéger un site symbolique des attentats, des pickpockets et sécuriser à la fois les visites de touristes ou de VIP comme Kim Kardashian ou Donald Trump, les tournages de film comme le récent Murder Mystery 2, les événements privés d’entreprises, ou encore les équipes de maintenance ou de cordistes ? Visite guidée d’un continuum de sécurité de l’un des monuments payants les plus visités au monde, construit en 1889 pour l’Exposition Universelle.

Retour d’expérience sur la gestion des risques et de la sûreté de la Tour Eiffel par Sébastien Duquenne, Directeur de la Prévention des Risques, de la Sûreté et de la Sécurité de la SETE (Société d’Exploitation de la Tour Eiffel).

Alexandre Carré : La Tour Eiffel, c’est 7 millions de visiteurs par an ?

Sébastien Duquenne : C’est 6,2 millions de visiteurs depuis la fin de la crise Covid et on est reparti sur un rythme extrêmement élevé de fréquentation avec un vrai retour des visiteurs étrangers.

Nous attendons des chiffres assez bons pour 2023. Avant le Covid, nous étions à 80% d’étrangers. Juste après, il y a eu une rectification à 50% d’étrangers, 50% de français, avec un retour des Franciliens. Et maintenant, on arrive à peu près à 75% de fréquentation de touristes étrangers sur la Tour Eiffel.

Alexandre Carré : En termes de sécurité, j’imagine que les nationalités appréhendent différemment la sécurité-sûreté ?

Sébastien Duquenne : L’impératif pour nous, c’est d’être au niveau attendu et d’arriver à allier la sécurité avec la qualité de l’accueil. Nous avons donc une vraie attente de notre part sur notre prestataire de gardiennage qui doit être au niveau que l’on attend pour satisfaire le client et l’expérience visiteur. 

Il y a aussi 20 millions de badauds qui transitent juste aux abords de la Tour Eiffel tous les ans et comme la gestion des allées cavalières de la Tour Eiffel dépend aussi de notre responsabilité, c’est un point sur lequel nous sommes extrêmement attentifs.

Et nous avons également le parvis, une enceinte sécurisée qui nous permet de contrôler deux fois tous les visiteurs qui viennent sur le site, avec un premier contrôle physique et visuel des sacs et bagages et ensuite, un vrai scan avant de monter sur le monument, que ce soit par les ascenseurs ou par les escaliers.

Alexandre Carré : Vous travaillez avec une société de sécurité privée. De combien d’agents de sécurité disposez-vous au quotidien jour et nuit sur la Tour Eiffel ?

Sébastien Duquenne : Nous avons un contrat avec la société Byblos qui nous a mis à disposition 230-250 personnels formés sur la Tour. Pour nous, il est extrêmement important d’avoir des agents de sécurité, des SSIAP (Service de Sécurité Incendie et d’Assistance à Personnes), des agents d’intervention, des opérateurs de vidéoprotection formés au monument.

Il était primordial d’avoir des gens qui connaissent les passages, qui connaissent les entrées et sorties de secours pour pouvoir aider le visiteur ou l’intervention des secours.

Alexandre Carré : Outre le fait qu’ils soient bien évidemment triés sur le volet, ils ont aussi une période de formation pour voir si leur profil correspond ?

Sébastien Duquenne : Tout à fait. Nous avons une période d’adaptation à peu près de trois mois où l’on doit pouvoir être en mesure de juger de la pertinence de l’emploi de telle personne à tel poste sur le monument.

Il y a des profils qui sont plus adaptés au contrôle, à l’entraide, d’autres plus adaptés à l’intervention et c’est extrêmement important pour nous d’avoir cette qualité de service.

Alexandre Carré : Comment est organisée la sécurité-sûreté de Tour Eiffel ? Peut-on parler de continuum de sécurité ?

Sébastien Duquenne : La vraie mission est de protéger : protéger les personnels et les salariés de la Tour Eiffel, protéger les visiteurs mais aussi protéger les événements. C’est vraiment une mission de protection. 

A notre niveau, nous prenons en charge la défense périphérique. La défense périmétrique, aux abords de la Tour, est de la responsabilité des forces de l’ordre.

On a développé avec le commissariat du 7e arrondissement et son commissaire, une relation professionnelle extrêmement forte et un partenariat opérationnel qui rassemble la direction de la sécurité de la Tour Eiffel mais aussi la Direction de la sécurité du Quai Branly, du Grand Palais éphémère, des Bateaux Parisiens, de la police municipale et les adjoints chargés de la sécurité de la mairie d’arrondissement du 7e. 

Cela nous permet d’avoir à peu près tous les deux-trois mois, un point de situation pour bien suivre l’évolution de la délinquance et du sentiment de sécurité ou d’insécurité qui peut être ressenti sur l’ensemble de la zone qui part du Trocadéro, passe par la Tour Eiffel et va jusqu’au Champs de Mars.

Alexandre Carré : N’est-ce pas trop difficile de matcher les stratégies de sécurité de vos équipes avec celles de la Préfecture de police et de la Mairie de Paris ?

Sébastien Duquenne : C’est assez simple dans la mesure où l’on a, au niveau opérationnel, du personnel extrêmement motivé.

Et nous avons tous la même mission de protection et de sécurisation. De plus, on a un petit peu le même adversaire qui est la délinquance que l’on peut retrouver malheureusement du Trocadéro jusqu’au Champ de Mars, en passant par les abords de la Tour Eiffel. Ce sont des vendeurs à la sauvette, ce sont des tuk-tuk qui créent beaucoup de nuisances, etc.

Alexandre Carré : On a parlé de pickpockets il y a quelques mois. Qu’est-ce qui a été fait à ce niveau-là ?

Sébastien Duquenne : Nous sommes beaucoup moins gênés par ce phénomène de pickpocket. L’enceinte sécurisée nous permet de contrôler et de filtrer. Et surtout, le pickpocket, une fois qu’il est dans la Tour Eiffel, a une grande difficulté à agir, à travailler et à pouvoir sortir en toute sérénité.

Le parvis est encadré par un mur de verre depuis 2018. Il fait à peu près 3 mètres de hauteur et dont le vitrage spécifique répond à une norme blindée BR6 qui nous protège contre tous types d’attentat avec un véhicule bélier ou avec des armes automatiques.

De plus, nous avons un système de vidéoprotection extrêmement performant que nous avons développé et mis à niveau, et sur lequel nous avons développé des technologies un peu innovantes : on cherche à coupler les caméras thermiques avec des radars de détection avec des opérateurs qui connaissent parfaitement le site. Notre dispositif nous donne entière satisfaction. Et on cherche toujours à le perfectionner.

Nous avons un peu plus de 500 caméras sur l’ensemble de la délégation de service public que nous gérons, c’est-à-dire sur le parvis, sur l’enceinte sécurisée et sur le monument. 

Alexandre Carré : La Tour Eiffel sera-t-elle autorisée à utiliser ces nouvelles caméras dont on parle pour les Jeux Olympiques et qui peuvent détecter des mouvements de foule, des mouvements suspects ?

Sébastien Duquenne : Non. Parce que nous avons un périmètre assez restreint, nous allons plus faire confiance à l’expérience de nos opérateurs, de nos agents de terrain que l’on couple à la technologie que nous avons déjà en place.

C’est-à-dire qu’il est important pour nous de fiabiliser notre système et notre organisation. Ce que je ne veux vraiment pas faire, c’est de mettre en place maintenant des outils que nous maîtriserions pas à l’heure des Jeux Olympiques.

Maintenant, nous sommes vraiment dans une période de fiabilisation et c’est vraiment ce qui nous importe le plus.

Alexandre Carré : Le continuum de sécurité avec la police municipale et la police nationale implique-t-il la BRI ou le GIGN ?

Sébastien Duquenne : Oui, nous avons des partenariats très spécifiques avec les unités spécialisées. J’ai dans mon périmètre la sécurité incendie et donc, nous avons le Groupement de recherche et d’intervention en milieu périlleux de la Brigade de Sapeurs-Pompiers de Paris qui vient s’entraîner une à deux fois par mois.

Ce sont des spécialistes de l’intervention en hauteur pour éventuellement secourir des personnes qui pourraient être en danger ou blessés sur le monument.

Nous travaillons aussi très étroitement avec la Brigade d’intervention de la Préfecture de police qui est l’unité d’intervention de niveau 2, capable de mener tous types d’interventions. Ce sont des unités extrêmement polyvalentes et qui tient lieu de force de l’ordre sur la Tour en cas d’intervention. 

Et en cas d’attaque terroriste, l’unité d’intervention de niveau 3 est la BRI et non le GIGN. Il est important pour nous de développer des relations extrêmement étroites avec la BRI qui vient souvent s’entraîner. Nous sommes déjà très bien organisés mais nous prévoyons de faire plusieurs exercices avec eux pour être au top pour les Jeux Olympiques.

Notre objectif est que chacune de ces forces soit en mesure de connaître parfaitement la Tour le jour où elles auront besoin d’intervenir.

Ces entraînements, qui sont nombreux, denses, exigeants, ont toujours lieu avant l’exploitation, donc le matin entre 6h et 8h30.

Alexandre Carré : Comment luttez-vous contre les chutes d’objets volontaires ou involontaires, les suicides et autres. 

Sébastien Duquenne : Vous avez dressé le panel le plus important de notre évaluation des risques. Le risque de chute d’objet ou de chute de personnes est vraiment une crainte et un combat permanent. Alors on travaille beaucoup sur la prévention et sur l’interdiction de certains objets à l’intérieur de la Tour.

On a une liste d’objets interdits et on explique au visiteur qu’il ne peut pas les utiliser ou qu’il est obligé de les laisser de côté, le temps de sa visite.

Après, nous travaillons beaucoup sur la prévention, notamment de la chute de téléphone portable avec les selfies. C’est notre crainte de tous les jours et c’est vraiment un combat permanent en termes de filtrage à l’accueil.

Nous avons des scans qui permettent de passer au rayon X les bagages et nous effectuons régulièrement des tests pour vérifier la bonne tenue des opérateurs et le fonctionnement correct du matériel.

Alexandre Carré : Quels moyens de sécurité sont disposés aussi bien dans les escaliers que dans les ascenseurs s’ils tombent en panne ?

Sébastien Duquenne : Sur les ascenseurs, nous avons des techniciens extrêmement pointus qui travaillent depuis très longtemps sur ces machines. En cas d’évacuation d’un ascenseur, en cas de souci, ce qui est extrêmement rare mais qui peut arriver, c’est le GRIMP, l’unité de la BSPP qui est spécialisée dans ces interventions et qui peut nous aider en cas de de délai trop long pour faire redescendre un ascenseur. 

Alexandre Carré : Et concernant les restaurants ?

Sébastien Duquenne : Cela fait aussi partie de nos responsabilités de protéger la clientèle du restaurant Madame Brasserie du chef Thierry Marx. Et nous avons aussi un salon événementiel, “le Gustave Eiffel”, qui accueille tout type d’événement à caractère professionnel de communication.

C’est un salon qui marche très bien et qui est une merveille pour chaque personne qui en profite.

A chaque événement, nous mettons en place un dispositif particulier. Notre grande force est notre capacité d’adaptabilité à chaque besoin particulier, que ce soit la visite d’un VIP, un événement particulier, avec plusieurs ministres.

Nous avons l’habitude de travailler avec les services de protection des personnalités et nous mettons en place des agents de protection rapprochée ou des SSIAP complémentaires si nécessaire.

Sur le restaurant Jules Verne au deuxième étage, la sécurité n’est pas différente mais son accès est un peu particulier parce que c’est un restaurant extrêmement prestigieux qui bénéficie d’un ascenseur particulier.

Nous avons un contrôle très particulier pour les clients du Jules Verne mais qui est équivalent à celui que nous effectuons pour les autres visiteurs de la Tour. C’est vraiment primordial que chacun se sente en sécurité.

Alexandre Carré : Les équipes de maintenance ou celle des cordistes travaillent-elles lorsqu’il y a du public ?

Sébastien Duquenne : Chaque intervention sur la Tour nécessite l’intervention de cordistes, que ce soit pour le chantier de peinture mais aussi dans le domaine plus particulier de la sécurité, la maintenance et la vérification des caméras qui sont placées sur le monument.

On cherche à concentrer les travaux de nuit, en dehors de l’exploitation et c’est l’un de nos enjeux d’être capable de s’adapter à l’exploitation.

Nous avons une perte d’exploitation qui va de 9 heures à minuit et les travaux commencent ensuite. Il est important de ne pas faire de co-activité. On ne veut pas travailler au dessus du public.

C’est vraiment l’un des points les plus importants de vérification de toutes mes équipes.

Alexandre Carré : Quelques mots sur la sécurité incendie ?

Sébastien Duquenne : La mission de la SETE est double : elle est d’exploiter et de moderniser le monument. Et pour ma direction, c’est aussi de bien moderniser les systèmes de protection incendie. Nous avons un travail assez conséquent à faire avec différents systèmes d’extinction automatique, avec différents réseaux de sprinklage, mais aussi, avec des systèmes de détection qui sont omniprésents.

Il est extrêmement important de maintenir cela au plus haut niveau d’exploitation possible. 

Il y a trois mots d’ordre principaux pour la Société d’Exploitation de la Tour Eiffel : c’est la sécurité, la fiabilité et ensuite l’exploitation. Donc, rien ne se fait sans la sécurité et notamment la sécurité incendie.

Alexandre Carré : Un certain nombre de films ont été tournés sur la Tour Eiffel. Quelle sécurité développez-vous autour des acteurs et des techniciens ?

Sébastien Duquenne : On a une direction qui est spécialisée et qui suit parfaitement ces tournages.

On a eu beaucoup de tournages. Et les cascades du récent Murder Mystery 2 ont été effectuées en partie sur la Tour Eiffel. Cela nécessite un gros travail de prévention des risques. Tout s’est fait de nuit avec des bureaux d’études qui sont passés avant, des bureaux de contrôle qui vérifient les attaches des cascadeurs, mais aussi celles des caméras qui circulaient le long de la tour.

C’était un vrai challenge pour la Tour et un vrai moment de plaisir parce que cela s’est bien passé.

Alexandre Carré : Jennifer Aniston ou Kim Kardashian sont venues sur la Tour. Quelle organisation mettez-vous en place pour ces VIP ?

Sébastien Duquenne : Le principal objectif pour nous est d’éviter le mouvement de foule. Pour chaque VIP qui vient, on fait une première analyse au niveau de ma direction pour estimer les conséquences d’un mouvement de foule.

Ce ne sont pas nos gouvernants, nos ministres qui provoquent le plus de mouvements de foule, on s’en doute, mais pour Kim Kardashian, c’était une opération un peu particulière. Il était hors de question de se laisser déborder. Notre première analyse de risque détermine le cheminement que l’on va lui faire faire.

Cela  nécessite un accueil particulier mais ce qui est très important aussi, c’est de se coordonner avec sa propre sécurité privée. Ce sont généralement des gens adorables mais qui sont étrangers, anglo-saxons, avec une culture un petit peu différente de la nôtre sur l’approche de la notion de risque.

Et c’est important pour nous de faire une première reconnaissance avec eux pour leur expliquer ce que l’on va faire, comment on va le faire et surtout les rassurer.

Toutes les visites de VIP se sont extrêmement bien passées. C’est très facile de sécuriser un petit espace sur la Tour Eiffel, excepté sur le sommet où l’endroit est un peu plus réduit. Mais là, on prend des précautions particulières. 

En tout cas, on ne ferme jamais un espace particulier au public pour un VIP. C’est une règle de base pour nous.

Alexandre Carré : Kim Kardashian a donc été au contact avec le public !

Sébastien Duquenne : Je ne vais pas vous dire qu’elle avait envie d’être au contact mais elle n’a absolument pas refusé le contact avec le public qu’elle a pu croiser. Elle était de toute façon extrêmement reconnaissable, loin des canons d’anonymat qu’on avait demandé à respecter. Mais on s’adapte sans problème et c’est un plaisir quand cela se passe bien. Et cela se passe toujours bien.

Propos recueillis par Alexandre Carré, Agora Médias

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