SÉCURITÉ - SÛRETÉ

Comment négocier en situation de crise complexe ?

Laurent Combalbert

La négociation a toujours eu une place très importante dans la gestion de situation de crise : obligation de résultats, comment s’y préparer, quelle répartition des rôles dans le pilotage… Et peut-on tout négocier ? Pour en parler, Laurent Combalbert, ancien négociateur du RAID, diplômé du FBI National Crisis Negotiation Course et cofondateur de The Trusted Agency, l’agence de Confiance(s).

Une Master Class sur l’art de la négociation dans la gestion d’une crise en situation complexe.

Virginie Cadieu : Laurent Combalbert, vous êtes négociateur de crise, en France comme à l’international, comment se prépare-t-on à une négociation ?

Laurent Combalbert : On a l’habitude de dire qu’une belle négociation, c’est 80% de préparation, 20% d’improvisation ou 20% d’agilité. Donc, on essaye de se préparer. Je crois que cela a été l’un des enseignements majeurs de Michel Marie, premier négociateur du RAID quand il m’a recruté.

On se préparait beaucoup et on anticipait au maximum ce qui allait se produire. On a rédigé des tas de process, des tas de classeurs avec des bonnes réponses et on s’est aperçu en fait que cela marchait assez rarement.

Donc je suis un peu sorti de cette logique, d’avoir des procédures avec des réponses pour basculer sur des référentiels avec des questions.

On peut se préparer pour une négociation avec des bonnes questions et ensuite, on trouve les réponses dans la situation.

Parfois, on est face à des négociations que l’on n’a pas prévu à l’avance ; par exemple, vous avez un envahissement, vous avez un sitting, vous avez une situation sociale qui dérape et là, il faut arriver à improviser. Et donc, il faut avoir quelques questions réflexes pour anticiper la négociation.

Virginie Cadieu : Peut-on tout négocier ?

On peut tout négocier à condition que la partie adverse vous accorde le droit de tout négocier. Si vous avez face à vous quelqu’un qui est prêt à discuter de tous les sujets et qui est prêt à faire une concession en échange d’une contrepartie, pourquoi pas.

On peut imaginer que l’on peut tout négocier sauf ce que l’on décide, dans notre propre préparation, de ce qui est non négociable. Parce que ça touche au principe, aux valeurs, etc.

Virginie Cadieu : Alors, si on est en situation critique, comment conduire une négociation ? Y a-t-il une méthodologie particulière ?

On a créé une ONG qui s’appelle Hermione qui regroupe des négociateurs de crise issus de la Police, de la Gendarmerie et des Forces Spéciales. Mais c’est aussi est un référentiel de 8 points clés, 8 questions clés que l’on va enchaîner sur une négociation. 

Le H de Hermione, c’est la haute intensité. En fait, en situation de crise ou en situation critique, on va avoir une perception de l’intensité que l’on va pouvoir rencontrer et cela reste une perception. 

Par exemple, si on vous demande de traverser un pont sur une planche à 20 cm du sol, vous allez le faire sans aucun problème. Mais si je mets cette planche à 30 mètres de haut, c’est exactement le même geste technique mais on va très certainement être inhibé, voire même ne pas franchir cette planche, à cause de la perception, de l’enjeu. 

Donc la haute intensité, c’est une perception que l’on va essayer d’édulcorer, de maîtriser. Et pour cela, je me pose 6 questions quand je vais affronter une négociation :

Est-ce que je sais faire, est-ce que j’ai la compétence technique et connaissance du sujet pour négocier ?

Ensuite, la ressource interne : est-ce que j’ai la ressource interne pour gérer les émotions que cela va produire. Dès lors que les émotions sont présentes, on a du mal à les piloter. Notre capacité cognitive va diminuer, donc notre capacité à traiter l’information va diminuer.

Puis, est-ce que j’ai les bonnes informations ? Si je n’ai pas les bonnes informations, où puis-je les trouver ? Et est-ce que les informations que j’ai, sont valides ! 

Statistiquement, en situation de crise ou en situation de tension, 70% des premières informations que nous avons sont fausses, obsolètes, souvent interprétées par ceux qui nous les donnent. 

Ensuite, je me pose la question du temps. Est-ce qu’il y a une pression particulière au niveau du temps ? Est-ce que je gère le rythme ?

Il y a encore la question de l’enjeu : est-ce que l’enjeu que je vais affronter est motivant ou inhibant ?

Par la suite se pose la question de la ressource externe : est-ce que j’ai une capacité à m’appuyer sur des gens autour de moi pour venir m’aider ? 

Je viens de vous lister ce qu’on appelle CRITER, six questions que je pose systématiquement au début de chaque mission pour discriminer la haute intensité et voir où sont les point de pression : 

cela peut être le manque d’information ou l’enjeu que je ne perçois pas bien ou qui me met en tension. C’est peut-être une émotion particulière… Mais on commence toujours par là et je crois que dans le travail de la sûreté, de la sécurité, le job que l’on attend d’un négociateur ou d’un responsable est d’absorber une partie de cette intensité, d’arriver à la diminuer, à la pondérer.

Ensuite, on va dérouler les autres questions :

Le E de Hermione, c’est l’enjeu. Quel est l’enjeu de cette négociation ? Très souvent, on attaque une négo en pensant à la stratégie sans forcément se poser la question de l’enjeu. A quoi cela sert ? 

J’ai un envahissement ou un sitting sur le site que je suis en train de piloter, quel est mon enjeu ? Il faut le libérer le plus vite possible parce qu’il y a des contraintes de sécurité ou de sûreté particulières ! Et là, peu importe les moyens que l’on utilise, l’enjeu est de faire évacuer le plus vite possible.

Ou au contraire, on ne prend pas le risque. L’enjeu est de garder le calme, d’éviter que la situation s’embrase, et dans ce cas-là, est-ce que l’on accepte de laisser les sitting s’installer et combien de temps on l’accepte au détriment de la libération des lieux.

Pour cette question de l’enjeu, il n’y a jamais de bonne réponse à l’avance mais on doit se la poser. Quel est le besoin fondamental que je cherche à satisfaire dans cette situation, dans cette négociation ?

Ensuite, on va se poser la question du rapport de force. Une négociation, c’est toujours avec un rapport de force qui peut être équilibré, déséquilibré, à mon avantage ou à ma défaveur.

On a un mandat et on va chercher des moyens.

Partir sur une négociation avec comme mandat : « vas-y, mais ne lâche rien ! » c’est aller au carton. Sauf si la stratégie est de créer du blocage. Mais on doit négocier notre mandat auprès du décideur, avoir les moyens d’agir et ce sur quoi je peux céder quelque chose et ce sur quoi je peux demander quelque chose à la partie adverse.

Ces quatre premières lettres d’Hermione, HERM, c’est ma partie, c’est ce que je vais pouvoir traiter avec ma propre équipe.

Ensuite, on passe sur la partie adverse.

Le I, c’est l’intérêt ; quel est l’intérêt des personnes qui sont en face de moi à faire ce qu’ils sont en train de faire ? Ou alors, quelle est leur intérêt à négocier avec moi ? Et là, on va être sur le travail d’hypothèse.

Le danger, c’est de faire des interprétations : « ils demandent ça, donc je vais la proposer ça ! » 

J’ai traité un kidnapping au Nigeria il y a quelques mois pour une entreprise où la demande initiale était une demande politique et évidemment, on ne pouvait pas la satisfaire. On a réussi à faire basculer ce faux intérêt politique des kidnappeurs, sur un intérêt financier. Et donc, on a négocié un montant pour pouvoir libérer ces otages. On a fait changer cette motivation apparemment politique et affichée par un intérêt complètement financier puisque ce n’était pas du tout des terroristes que l’on avait en face de nous mais des criminels qui laissaient penser qu’ils avaient une vocation politique ou sociale mais qui, en fait, cherchaient de l’argent.

Donc, on essaie de trouver l’intérêt de l’autre et par ce travail d’hypothèse, on essaie de voir l’hypothèse qui nous est la plus favorable et on commence par tester cela et ensuite on essaie de passer sur les autres.

Une fois que l’on a fait tout ça, on est sur le o de Hermione, c’est l’objectif commun. Il n’y a pas de négociation sans objectif commun, ce que l’on appelle l’OCP, l’objectif commun partagé.

Qu’est-ce que l’on va réussir ensemble en traitant cette négociation ? Parce que si on parle de la négociation en elle-même, négocier, ce n’est pas manipuler. Négocier ce n’est pas utiliser le rapport de force. 

Négocier, c’est créer de la valeur ajoutée ! Dans un désaccord, dans un une situation de conflit ou de tension, cela demande un effort particulier de la part de celui qui va aller négocier. Mais cela demande aussi que la partie adverse accepte qu’il y est un objectif commun, que l’on puisse faire quelque chose ensemble.

Parce que sinon, ce n’est pas de la vraie négociation. Une fois que l’on a préparé tout ça, on n’a pas encore commencé à discuter. On s’est interrogé sur la haute intensité, sur l’enjeu, sur le rapport de force, sur le mandat. J’ai des hypothèses d’intérêt adverse. J’ai imaginé un objectif commun que je vais verbaliser.

Et là, on va commencer la négociation en elle-même. Le N de Hermione, c’est la négociation. Vous voyez, c’est 80% de préparation, pour 20% d’échange et de discussion.

Et dans la négociation, on va créer la relation. L’outil principal d’une négociation, c’est la relation. Alors je pourrais parler de relations de confiance parce que c’est ce que l’on va essayer de créer.

Il y a des parties adverses avec lesquelles il est difficile d’avoir confiance. Quand je négocie avec un kidnappeur, avec un criminel ou avec un hacker, honnêtement, je ne lui fais pas confiance, jamais. Mais je me dois créer une relation parce que si je veux que ma négociation réussisse, il faut qu’il y ait un lien qui se passe.

Il faut qu’il y ait un minimum de confiance qui se crée dans la discussion. Et si on a réussi à le faire correctement, on arrive au E d’Hermione qui est l’engagement.

L’engagement dans l’application de l’accord. Un accord ne suffit pas. Ce que l’on va chercher, c’est l’engagement des parties prenantes à mener l’accord jusqu’à son terme .

Vous le voyez, ce sont 8 questions sur lesquelles on pourrait parler pendant des heures mais qui permettent de s’interroger à chaque situation sur les réponses les plus efficaces que je peux essayer d’apporter.

A suivre : les analyses comportementales dans la négociation, les conseils pour un bon pilotage de la gestion de crise en entreprise et les différences d’une négo française VS FBI.

Propos recueillis par Virginie Cadieu, Directrice du pôle Sécurité-Sûreté d’Agora Managers Groupe.

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