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TDAC : Maxime LIS, Designer industriel

A 28 ans, Maxime LIS, est le plus jeune créateur à intégrer la collection permanente du Mobilier National avec le B52, un fauteuil tout en verre, monté sur bascule.

Entre le design d’objets industriels et la sculpture, entre Bordeaux, son atelier, Lyon, son showroom, et Paris où il prépare pour septembre, l’exposition de sa dernière collection dans une galerie du Palais Royal, Maxime Lis est également directeur artistique de la marque Airborne. Mais il dessine aussi des tables et couverts pour des Relais & Châteaux, ou crée des sculptures « Monumentales » comme pour le Domaine du Clos du Clocher Pomerol.

Rencontre avec celui qui définit le design comme utile et qui canalise son travail avec la notion d’acte minimum, basée sur un principe d’économie de matière et de logique constructive. Un artiste qui tire son inspiration dans la capacité à voir l’infra-ordinaire.

Fabienne Elissalde : Quelle est votre vision du métier de designer ?

Maxime Lis : C’est une question assez difficile et je pense que c’est le travail au quotidien qui permet de fabriquer cette définition-là. C’est un métier qui existe depuis toujours mais qui n’a une définition que depuis les années 50, inscrite d’abord par Roger Tallon avec le train Corail. 

Mais je pense qu’il y a surtout dans le design, un côté fantastique où l’on peut travailler au service des gens. Il ne faut pas oublier que le design existe parce qu’il y a des personnes pour qui l’on fait des objets, que l’on fabrique et que les gens ont cette propension à la créativité, que ce soit dans la conquête de l’espace, dans l’agriculture… 

Et nous, on est là pour accompagner toute cette créativité et de mettre la matière aux idées des gens et à nos propres idées.

C’est une vision assez positive parce que l’on travaille sur différents secteurs très larges, très éclectiques . Et je l’ai appliquée pour canaliser mon travail avec la notion d’acte au minimum que j’ai rédigé sous forme de manifeste, qui est basé sur un principe d’économie de matière et de logique constructive. Cela permet de canaliser un peu mon travail et de pouvoir m’adapter à différents projets. Dans la logique constructive, il y a un fondamental qui est l’écologie. On en parle beaucoup et comment on la met en œuvre avec des contraintes sociétales, politiques, environnementales…

Il faut réussir à fabriquer pour aller dans le sens du développement. L’objectif, c’est d’aller dans ce processus d’évolution de l’humanité sans arriver au terme de l’échec. Le design doit bien évidemment prendre en compte tout cela, sans forcément avoir l’obligation, toujours, de tamponner avec des labels d’écologie. En fait, intrinsèquement, je crois que lorsque l’on fait des choses sensées, elles ont une forme d’écologie liée à la création.

F.E : Quelles sont vos sources d’inspiration ? Vous mentionnez Bruno Munari, figure italienne visionnaire du 20e siècle et Bernard Venet, artiste plasticien qui travaille le métal et les sculptures métalliques. 

Maxime Lis : Je pourrais donner une réponse un peu pragmatique, en disant que l’inspiration est effectivement dans des artistes contemporains ou historiques. Et puis, il y a l’inspiration qui est beaucoup plus créative et humaine. Celle que l’on va avoir au bistrot, dans le fourmillement de notre société, dans le métro et observer ce qui me semble bien aller et ce qui me semble ne pas bien aller.

Donc, dans le design, le titre d’inspiration, c’est surtout la créativité, l’observation qui va se transformer en curiosité ou inversement. 

Et dans tout cela, il y a des gestes qui sont ceux de Bruno Munari qui a la capacité de noter un petit peu toutes les actions qu’il fait et de les rendre utile à la création, avec des étudiants, par le biais de projets. Il va comprendre des matériaux. Il va s’investir dans des recherches toujours plus farfelues mais finalement, c’est un designer qui me plaît beaucoup parce qu’il y a quelque chose de très humain dans ce qu’il fait. Il a fait notamment des BD pour enfants. 

Il met des mots sur des sensibilités et le design, c’est avant tout un travail d’extraction du sensible. Et capter que chez l’être humain, tout ce que l’on fait, est lié au sensible, par affection, par détermination. Le design, c’est de réussir à passer d’une forme de perception à une sensation. Et inversement, encore une fois, passer d’une sensation à une perception. Et là, on va donner notre avis quand on perçoit, et notre avis va souvent passer par la mise en matière, par la réalisation d’objets.

La meilleure inspiration que je peux avoir, c’est un appel le matin d’un client qui aura un projet. Je rappelle que le design, c’est l’utile. Normalement, on fait des objets qui ont pour origine un besoin. Donc, si un client appelle, c’est d’emblée qu’il y a un besoin.

Je trouve cela fantastique.

F.E : Cela peut être une création individuelle, avec un cahier des charges ?

Maxime Lis : Il y a, soit un cahier des charges, soit, à l’image de Bernard Venet où un matin, proche de Marseille dans les années 60, il voit une coulée de goudron sur une falaise et il y voit un geste. Encore une fois, ce n’est pas un geste maîtrisé, c’était même quelque chose d’un peu anti-écolo, et il voit quelque chose de plus beau que n’importe quel type d’art possible, à une autre échelle qui n’est pas celle de la galerie, qui n’est pas celle de la réflexion, c’est un geste presque intrusif et qui a fabriqué de longues années de sa carrière.

Mon inspiration est aussi dans la capacité à voir ce qu’appelait Pascal Bourg, l’infra-ordinaire, avec une observation sans limite, des détails qui peuvent faire sens, si on les met dans une exécution au service du design ou de la création.

F.E : Vous portez aussi une seconde casquette, celle de directeur artistique pour la célèbre maison Airborne, créée en 1951 et connue pour son fauteuil Butterfly. En quoi consiste cette direction artistique ?

Maxime Lis : Airborne a été la première maison d’édition qui m’a fait confiance et qui m’a édité sur un produit. 

Comme dans la littérature, on rédige quelque chose dans notre coin et puis on va aller voir des éditeurs pour fabriquer notre projet. Ils m’ont fait confiance sur ce projet et est né une relation humaine qui a été sans pareil. Il s’est passé quelque chose de très intéressant.

Humainement, on a défendu des projets et j’ai compris une histoire qui date des années 50, créée par Charles Bernard où le premier mobilier était pour le Moulin Rouge. Il y avait toute une sensibilité qui me plaisait et au fil des projets, au fil de ma carrière, je ne suis pas allé chercher différents types de maisons d’édition. Je suis resté focalisé sur celle-ci et sur des projets avec des privés ou des galeries à titre personnel. 

Tout cela m’a permis effectivement de créer une relation forte et de comprendre cette société avec son icône, le fauteuil Butterfly, renommé le AA, dans lequel s’est assis Charles de Gaulle, Brad Pitt ou des icônes contemporaines comme Jean-Charles de Castelbajac, mais dans lequel aussi, des familles ont grandi.

Aujourd’hui, mon rôle de direction artistique, c’est de donner une direction à cette entreprise. Ce n’est pas une direction autoritaire, c’est une direction géographique, par intuition et par observation. C’est toujours en communication avec les repreneurs de cette entreprise, Christine Pfeiffer et Patricia Lejeune. C’est une cohabitation d’esprits où je prétends effectivement avoir le rôle de direction artistique, en soumettant des projets, des collaborations et des nouvelles collections. 

Il y a de très belles maisons comme Dior, Chanel, qui collaborent et il y a donc une forme de très grosse responsabilité. Surtout que le fruit de notre travail n’est jamais imminent. Il faut toujours un certain temps, parfois deux, trois, cinq ans, peut-être même 10 ans pour que nos travaux prouvent une certaine réussite et réalité.

J’ai eu la chance de travailler auprès de Chafik, qui est le directeur artistique chez Lancôme et je venais en tant que consultant extérieur. Donc j’apportais normalement quelque chose. Mais il faut savoir que peu importe les projets dans lesquels on se situe, on apprend beaucoup en temps réel. Et très particulièrement chez lui, j’ai beaucoup appris et je pense avoir affuté mes armes pour pouvoir prétendre investir la direction artistique.

F.E : Vous avez donc créé l’Assise pour Airborne … 

Maxime Lis :  Oui, l’Assise ; je pense que je peux la recouper avec mon histoire d’actes minimums, c’est vraiment l’essence. Quand on doit nommer un objet, ce n’est pas facile. Beaucoup de noms sont pris et je n’avais pas envie de mettre un nom commun ou un nom propre. Et l’Assise, c’est essayer de représenter l’évidence de cet objet-là.

On a essayé de travailler quelque chose de relativement simple, qui n’a pas vraiment de code, ni pour l’intérieur, ni pour l’extérieur et qui était un peu un objet universel, avec une attitude très proche de ce qu’est l’entreprise Airborne. Mais, suffisamment loin, pour pouvoir être légitime à la création. Donc, on en a fait toute une gamme, de plus hautes, de plus basses…

F.E : Sur Instagram, on vous voit en compagnie de Philippe Starck, qui s’empare de vos couverts. Parlons art de la table…

Maxime Lis : Il faut avouer que Philippe Starck est le pape dans la profession, donc d’avoir une approbation visuelle et orale de sa part, sur le fait que mes couverts sont pertinents d’un point de vue design, et intéressants d’un point de vue objet et usage, c’est top.

Je viens d’une famille où les repas ont toujours été des moments importants, tous les jours, avec des parents aimants. On a toujours eu cet investissement autour de la table, donc je pense qu’il est normal qui j’y prête une certaine attention.

Et comme le design, c’est un sujet d’observation, cela m’a permis d’observer ce sujet d’art de la table deux fois par jour et d’en révéler certains aspects positifs et parfois certaines carences. Les projets pour lesquels j’ai pu travailler sont souvent en lien avec la restauration et l’hôtellerie.

F.E : Des collaborations avec de belles maisons étoilées ?

Maxime Lis : Oui, avec le Château de la Treyne qui est un très beau Relais & Châteaux où j’ai dû dessiner la table, mais tout de suite on pense forcément aux couvert qu’il peut y avoir dessus. J’ai été approché par le Mirazur à Menton… Il y a eu différents projets et différents projets en cours aussi avec des restaurateurs.

F.E :  Des collaborations aussi autour d’évènements ?

Maxime Lis : Oui, c’est très large. Il y a beaucoup d’événements. Au Festival de la photo à Arles, j’ai été invité à proposer mes couverts. Mais quand on parle couverts, c’est tout cet ensemble d’arts de la table. 

Je travaille avec ma copine Marie, qui travaille dans la restauration, dans la cuisine et tous les deux, nous sommes sur un nouveau projet. On se projette sur l’idée de tout le plaisir que manger peut apporter et sur tout ce qu’on n’est pas forcément encore aller chercher, au niveau des papilles bien sûr, mais pas que. Je suis très joueur et pour boire un verre d’eau, s’il y a simplement un verre ou une paille, je dis qu’il y aurait d’autres choses à faire. Donc on s’amuse un petit peu de ça. Et quand on voit des choses qui fonctionnent, on n’hésite pas à les proposer aux autres.

Je pense que l’acte minimum peut parfois avoir une espèce d’image d’austérité, mais il ne faut pas oublier qu’il y a une part très ludique dans ce travail-là. Et l’art de la table le représente drôlement.

F.E : Et vous avez même des objets à la boutique du Centre Georges Pompidou…

Maxime Lis : C’est une société que j’ai créée avec des associés qui s’appelle Manip dont la baseline est « Pliez, c’est plié ! » . On a essayé de comprendre toutes les contraintes contemporaines que sont pour les entreprises, le stockage, la livraison, recevoir, ce que font les gens avec leurs objets, l’empreinte de Bruno Munari ou d’Enzo Mari qui a pu être laissé dans l’histoire du design, et on a essayé de créer quelque chose de relativement évident où les objets sont vendus à plat. Les gens viennent déplier, plier eux-mêmes, un peu à l’image d’origami.

Après, les projets, quand je parlais de personnes qui m’appellent, j’ai la chance aujourd’hui d’avoir quand même un certain crédit et aujourd’hui, une des plus grosses parts de projets que je pourrais avoir, c’est aussi le lien avec la sculpture. C’est poser cette question de la membrane très fine, entre le design d’objets industriels et la sculpture qui est normalement une pièce unique et posée. 

Et puis, je prends plaisir à voyager, à découvrir. Je vais au Portugal et les deux choses majeures que l’on voit, c’est éventuellement le tram, un très beau pont qui nous fait penser à l’autre côté de l’océan et puis une très grande sculpture qui fait penser au Corcovado. Et je me dis, finalement, ce qui rend structure à une ville, en plus de son histoire, c’est des événements majeurs de sculptures, des espèces de représentations matérielles pour une ville, La Tour Eiffel pour Paris, par exemple.

Donc je suis plein de fantasmes et j’adore travailler de plus en plus le sujet de la sculpture, le 1% artistique grâce à mon actuel agent, Eric Hennebert, que je remercie de me permettre de croire en ces projets de sculpture. 

F.E : Vous travaillez donc avec des architectes !

Maxime Lis : Oui, avec des architectes, avec des entreprises, des chais de vin… pour fabriquer des projets sculpturaux et c’est sublime.

L’art que je préfère, c’est la poésie et pour moi, une sculpture, c’est une forme de poésie, d’une mise en matière d’une poésie. Il faut trouver la bonne synthèse pour ne pas rétrécir, comprimer l’idée.  Parfois, une belle poésie avec quelques mots, peut créer une révolution et la sculpture, je pense que c’est ça.

Donc les projets que je peux avoir, me permettent de passer du temps sur le sujet, de bien comprendre l’histoire de l’entreprise ou du projet, afin de créer un projet contemporain qui puisse demain être prolongé. Et c’est vrai que sur la sculpture, je retrouve un plaisir très gourmand pour faire un lien un peu avec la gastronomie et les arts de la table. 

Aujourd’hui, ma structure me permet de travailler de la grande série où là, effectivement, il y a des responsabilités qui sont bien différentes, en termes de mise en œuvre, de matériaux, de complexité, de complexion de structures et puis, parallèlement, des pièces qui sont beaucoup plus penchées sur le sensoriel et l’évaporation d’une idée ou en tout cas, cette mise en matière et le rêve que chacun peut injecter dans ce produit.

F.E : On peut retrouver vos créations dans votre nouveau showroom, à Lyon, qui vient d’ouvrir.

Maxime Lis : Oui, c’est tout neuf. C’est au 11 rue de l’Arbre Sec. C’est sur la presqu’île, à côté de l’hôtel de ville. L’idée, c’était d’avoir un lieu qui permette d’exposer mes objets, de travailler la cuisine, de faire des réunions sans qu’elles aient l’air d’être des réunions. Les clients peuvent venir, les personnes peuvent venir, les amis aussi, et c’est un endroit où tout va se mettre en œuvre. 

On projette de créer des tables de deux, trois, dix, maximum douze, pour aller chercher des expériences, qui, je l’espère, sont vraiment inédites et inexpérimentées. 

F.E : Donc, on peut prendre rendez-vous et venir vous rencontrer sur Lyon ?

Maxime Lis : Oui, voilà. On travaille effectivement ce lieu sur Lyon. J’ai encore une antenne sur Bordeaux où j’ai passé une dizaine d’années. 

Dans les faits un peu marquants, j’ai le plaisir de pouvoir exposer dans une galerie qui se situe dans les galeries du Palais-Royal. Ce sera en septembre. 

Cela fait longtemps que je travaille dessus et on touche tout le spectre des objets que j’ai pu fabriquer, un peu comme un laboratoire. Je travaille dans des galeries comme dans un laboratoire. On part du casse-tête, on va réfléchir sur des nouveaux matériaux, injectés dans les casse-têtes.

Il y a de la mise en images, la notion d’acte minimum, l’application de cette notion. Comme on est sur l’objet, ce sont des petits objets. Et ensuite, un travail de sculpture qui aura une beaucoup plus grande échelle, en lien avec l’évènement Design Week de septembre.

Interview réalisée par Fabienne Elissalde, conseillère éditoriale de TDAC.

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